Par David DEHARBE, avocat gérant (Green Law Avocats)
Un des moyens devenu très courant pour tenter de bloquer un projet industriel consiste, pour ses opposants, à faire valoir devant le juge qu’une dérogation à l’interdiction de destruction des espèces protégées, au titre de l’article L. 411-2 du Code de l’environnement, est exigible.
En l’espèce, plusieurs associations ont demandé au préfet du Calvados d’enjoindre à l’exploitant d’un parc éolien en mer de déposer une demande de dérogation et de suspendre la poursuite des travaux jusqu’à son examen. Elles ont alors saisi le Conseil d’État contre le refus implicite du Préfet de faire suite à leurs demandes et de mettre en œuvre ses pouvoirs résultant de l’article L.171-7 du code de l’environnement.
Cela donne une occasion supplémentaire au Conseil d’État de défendre une conception attractive de sa compétence en matière de contentieux des éoliennes en mer.
Pour mémoire, l’article L. 311-13 du code justice administrative (CJA) créé par la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (article 55, loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020, dite ASAP, JORF n°0296 du 8 décembre 2020) dispose que :
«Le Conseil d’État est compétent pour connaître en premier et dernier ressort des recours juridictionnels formés contre les décisions relatives aux installations de production d’énergie renouvelable en mer ainsi qu’à leurs ouvrages connexes, aux ouvrages des réseaux publics d’électricité afférents et aux infrastructures portuaires rendues nécessaires pour la construction, le stockage, le pré-assemblage, l’exploitation et la maintenance de ces installations et ouvrages. La liste de ces décisions est fixée par décret en Conseil d’État.»
D’ailleurs, le décret n° 2021-282 du 12 mars 2021 (JORF n°0063 du 14 mars 2021) dresse la liste des décisions prises en matière d’installations de production d’énergie renouvelable en mer (éoliennes «offshore»), qui relèvent désormais de la compétence en premier et dernier ressort du Conseil d’État statuant au contentieux, à la place de la cour administrative d’appel de Nantes jusque-là compétente.
Et cette liste à la Prévert couvre certes toutes autorisations positives dont doit faire l’objet un projet éolien en mer.
Or avec notre espèce, le Conseil d’État nous confirme que les carences fautives de l’autorité de police à l’endroit des parcs en mer relèvent aussi de sa compétence en premier et dernier ressort.
Ainsi, dans son arrêt du 30 avril 2024 (n°468297) (téléchargeable ici), la Haute Juridiction administrative reconnait en filigrane sa compétence en premier et dernier ressort pour juger d’un tel litige. Le rattachant au contentieux des décisions relatives aux installations de production d’énergie renouvelable en mer de l’article L. 311-13 du CJA.
Ensuite, la Haute juridiction juge que le dépôt, par l’exploitant, d’une demande de dérogation à l’interdiction de destruction des espèces protégées, en cours d’instance, rend sans objet les conclusions d’une requête contre le refus du préfet de lui enjoindre de déposer une telle demande (CE, 30 avril 2024, n°468297, point 4).
Il en va de même pour les conclusions tendant à la suspension des travaux, dès lors, qu’en cours d’instance, l’exploitant voit sa situation régularisée par la délivrance de l’autorisation exigée – empêchant par conséquent les opposants de bloquer un projet de parc éolien en mer par l’exigence d’une telle dérogation (CE, 30 avril 2024, n°468297, point 5).
Cette solution s’explique avant tout par la nature du contentieux en cause : aux termes de l’article L. 171-11 du code de l’environnement qui dispose que :
En effet, comme on le sait en plein contentieux il n’y a plus lieu de se prononcer sur une requête lorsque par son action postérieure à l’introduction de la requête, l’Administration défenderesse satisfait à la demande, considération soumise à l’appréciation souveraine de la juridiction.
Au demeurant, en droit des ICPE, matière environnementale connexe soumise au contentieux objectif de pleine juridiction (car rappelons que les éoliennes en mer ne sont pas soumise au régime des installations classées) , il n’y a pas lieu de statuer si la décision attaquée a été rapportée ou abrogée, que cette décision ait reçu exécution ou non et que son retrait ou son abrogation soit définitif ou non (CE, 5 juillet 2006, SARL Entreprise H. Olivo n° 259061 ; CE, 18 février 2011, Lille Métropole communauté urbaine n° 318234).