Régularisation de construction : réalisme jurisprudentiel

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Par

Maître Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat)

Un arrêt récent du Conseil d’Etat (CE, 1ère et 6ème sous-sect., 16 mars 2015, n°369553) clarifie le régime des constructions ayant subi des travaux non autorisés qui ont changé leur destination par rapport à ce qui avait initialement été autorisé.

Les faits de l’espèce sont d’une grande banalité.

Les époux B… ont acquis en 1997 un chalet sur le territoire de la commune de Saint-Gervais-les-Bains. Ce chalet a été édifié en vertu de permis de construire délivrés en 1988 et en 1989 en vue de la construction d’un restaurant d’altitude.

Toutefois, il a fait l’objet avant son acquisition par les époux B…d’un changement de destination pour être utilisé pour l’habitation, sans que les travaux ayant permis ce changement ne soient autorisés.

Les époux B…ont déposé le 22 août 2008 une demande de permis de construire portant sur une extension de leur chalet.

Le 16 octobre 2008, le maire de Saint-Gervais-les-Bains leur a opposé une décision de refus. Ils ont alors saisi le tribunal administratif de Grenoble d’un recours en excès de pouvoir dirigé contre cette décision de refus.

Le Tribunal a rejeté leur requête. Ils ont alors interjeté appel mais la Cour administrative d’appel de Lyon a confirmé le jugement de première instance.

Ils se sont alors pourvus en cassation.

Le Conseil d’Etat s’est prononcé par la décision du 16 mars 2015 (CE, 1ère et 6ème sous-sect., 16 mars 2015, n°369553),  présentement commentée.

Deux moyens étaient invoqués devant le Conseil d’Etat dont un attire particulièrement notre attention : l’erreur de droit.

Les requérants soutenaient que leur demande de permis de construire concernant les travaux d’extension n’avait pas à porter sur la régularisation des travaux ayant antérieurement changé la destination du chalet. La Cour aurait alors commis une erreur de droit en estimant le contraire.

Afin de répondre à ce moyen, le Conseil d’Etat a adopté un raisonnement en trois temps.

Dans un premier temps, il a indiqué que :

« lorsqu’une construction a fait l’objet de transformations sans les autorisations d’urbanisme requises, il appartient au propriétaire qui envisage d’y faire de nouveaux travaux de déposer une déclaration ou de présenter une demande de permis portant sur l’ensemble des éléments de la construction qui ont eu ou auront pour effet de modifier le bâtiment tel qu’il avait été initialement approuvé ou de changer sa destination ; qu’il en va ainsi même dans le cas où les éléments de construction résultant de ces travaux ne prennent pas directement appui sur une partie de l’édifice réalisée sans autorisation».

Ce principe avait déjà été posé par le Conseil d’Etat le 13 décembre 2013 dans des termes presque similaires (CE, 1ère et 6ème sous-sect.,13 décembre 2013, n°349081) :

« Considérant que, lorsqu’une construction a fait l’objet de transformations sans les autorisations d’urbanisme requises, il appartient au propriétaire qui envisage d’y faire de nouveaux travaux de déposer une déclaration ou de présenter une demande de permis portant sur l’ensemble des éléments de la construction qui ont eu ou auront pour effet de modifier le bâtiment tel qu’il avait été initialement approuvé ; qu’il en va ainsi même dans le cas où les éléments de construction résultant de ces travaux ne prennent pas directement appui sur une partie de l’édifice réalisée sans autorisation ».

Néanmoins, nous pouvons relever qu’aux termes de sa décision du 16 mars 2015, le Conseil d’Etat étend ce principe aux éléments de la construction qui ont eu ou auront pour effet « de changer sa destination ». Cette hypothèse n’était pas envisagée dans sa décision du 13 décembre 2013.

Cet ajout permet d’adapter le considérant de principe posé en 2013 aux circonstances de l’espèce. Il est également utile pour préciser le régime des constructions ayant subi des travaux non autorisés qui ont changé leur destination par rapport à ce qui avait initialement été autorisé.

Dans un deuxième temps, le Conseil d’Etat précise dans sa décision du 16 mars 2015 :

« qu’il appartient à l’autorité administrative, saisie d’une telle déclaration ou demande de permis, de statuer au vu de l’ensemble des pièces du dossier d’après les règles d’urbanisme en vigueur à la date de sa décision ; qu’elle doit tenir compte, le cas échéant, de l’application des dispositions de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme issues de la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, qui prévoient la régularisation des travaux réalisés depuis plus de dix ans à l’occasion de la construction primitive ou des modifications apportées à celle-ci, sous réserve, notamment, que les travaux n’aient pas été réalisés sans permis de construire en méconnaissance des prescriptions légales alors applicables ».

Une fois encore, cette formulation est très proche de celle qui avait été adoptée en 2013. Le Conseil d’Etat avait alors estimé :

« qu’il appartient à l’administration de statuer au vu de l’ensemble des pièces du dossier, en tenant compte, le cas échéant, de l’application des dispositions de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme issues de la loi du 13 juillet 2006 emportant régularisation des travaux réalisés depuis plus de dix ans ».

Notons cependant que la formulation n’est pas identique :

– D’une part, dans sa dernière décision, le Conseil d’Etat précise qu’il appartient à l’autorité administrative de statuer au vu de l’ensemble des pièces du dossier « d’après les règles d’urbanisme en vigueur à la date de sa décision ».

– D’autre part, le Conseil d’Etat indique dans sa nouvelle décision que la régularisation autorisée en vertu de l’application des dispositions de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme pour les travaux réalisés depuis plus de dix ans n’est autorisée que « sous réserve, notamment, que les travaux n’aient pas été réalisés sans permis de construire en méconnaissance des prescriptions légales alors applicables ».

La réserve apportée par le Conseil d’Etat dans sa décision du 16 mars 2015 ne figurait nullement dans sa décision du 13 décembre 2013. Relevons toutefois qu’il ne s’agit pas d’une création prétorienne.

En effet, aux termes de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme :

« Lorsqu’une construction est achevée depuis plus de dix ans, le refus de permis de construire ou de déclaration de travaux ne peut être fondé sur l’irrégularité de la construction initiale au regard du droit de l’urbanisme.
Les dispositions du premier alinéa ne sont pas applicables :
[…]
e) Lorsque la construction a été réalisée sans permis de construire […]. »

Dans un troisième temps, le Conseil d’Etat apporte des précisions sur cette réserve :

« dans cette dernière hypothèse, si l’ensemble des éléments de la construction mentionnés au point 2 ne peuvent être autorisés au regard des règles d’urbanisme en vigueur à la date de sa décision, l’autorité administrative a toutefois la faculté, lorsque les éléments de construction non autorisés antérieurement sont anciens et ne peuvent plus faire l’objet d’aucune action pénale ou civile, après avoir apprécié les différents intérêts publics et privés en présence au vu de cette demande, d’autoriser, parmi les travaux demandés, ceux qui sont nécessaires à la préservation de la construction et au respect des normes ».

Il s’agit selon nous du véritable apport de cette décision. Ainsi, lorsqu’une demande de permis de construire porte à la fois sur des nouveaux travaux et sur des travaux qui n’ont pas été autorisés, qui ne peuvent être régularisés au regard des règles d’urbanisme en vigueur à la date de la décision de l’autorité administrative et qui ne peuvent plus faire l’objet d’aucune action pénale ou civile, l’autorité administrative peut autoriser certains des travaux demandés.

Néanmoins, cette faculté laissée à l’administration est subordonnée à deux conditions :
– Un bilan des intérêts en présence doit être réalisé ;
– Les travaux autorisés doivent être nécessaires à la préservation de la construction et au respect des normes.

A notre sens, le Conseil d’Etat n’était pas tenu de tenir ce troisième temps du raisonnement. Il est allé plus loin que ce qui était attendu de lui. En effet, la seule question qui se posait dans ce litige était de savoir si, en matière de travaux ayant conduit à un changement de destination du chalet, il incombait ou non aux requérants de présenter une demande portant sur l’ensemble des travaux qui ont eu ou qui auront pour effet de transformer le bâtiment tel qu’il avait été autorisé par le permis de construire initial. Grâce à cette précision, le Conseil d’Etat a sans doute voulu prévenir d’éventuels contentieux en clarifiant, en amont, le régime applicable.

Après avoir tenu ce raisonnement juridique en trois temps, le Conseil d’Etat a estimé en l’espèce :

« qu’il ressort des constatations opérées souverainement par les juges du fond, au demeurant non contestées, que la demande de permis de construire des époux B…ne portait que sur les travaux d’extension et non sur la régularisation des travaux ayant antérieurement permis le changement de destination du chalet ; que la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant qu’il incombait aux époux B…de présenter une demande portant sur l’ensemble des travaux qui ont eu ou qui auront pour effet de transformer le bâtiment tel qu’il avait été autorisé par le permis de construire initial et en en déduisant que le maire de la commune de Saint-Gervais-les-Bains était tenu de refuser le permis ».

Il rejette donc le pourvoi des requérants.

En conséquence, le Conseil d’Etat profite d’une décision de rejet pour faire évoluer l’état de sa jurisprudence en apportant spontanément des précisions sur un régime encore très récent.

Bien que ces précisions soient utiles, il nous semble plus simple d’éviter autant que possible de se retrouver dans la situation difficile vécue les époux B…

La meilleure recommandation que nous pourrions faire à d’éventuels futurs acquéreurs est de respecter un vieil adage : « Prudence est mère de sûreté. ». Bien leur prendra de vérifier si des transformations sans les autorisations d’urbanisme requises ont été réalisées sur le bien qu’ils envisagent d’acheter. Dans l’affirmative, ils devront impérativement établir un bilan des risques en présence afin de décider, de façon éclairée, s’il est pertinent de poursuivre leur achat. Cette est d’autant plus requise lorsque les transformations réalisées sans les autorisations d’urbanisme requises peuvent encore faire l’objet d’actions civiles ou pénales ou lorsque les éventuels acquéreurs souhaitent engager de nouveaux travaux.