Préjudice écologique : les carences de l’État dans la lutte contre la prolifération des algues vertes

Préjudice écologique : les carences de l’État dans la lutte contre la prolifération des algues vertes

Par Maître David DEHARBE, Avocat Gérant et Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats) 

L’exigence d’un préjudice individuel d’une victime sujet de droit a longtemps empêché que les atteintes à l’environnement soient réparées par le biais de la responsabilité civil. Mais depuis 2016 et la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, le droit civil est affecté par le droit de l’environnement. En effet, les articles 1246 à 1252 du Code civil font explicitement référence au préjudice écologique, et comme l’imposait le défunt article 1382 devenu 1240 à propos du préjudice, toute personne responsable d’un préjudice écologique est désormais tenue de le réparer.

Par courrier du 2 juin 2022, l’Association Eau & Rivières de Bretagne a demandé au Préfet de cette région de prendre toute mesure utile afin de répondre aux objectifs des directives communautaires n° 2000/60/CE du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau et n° 91/676/CEE du 12 décembre 1991 concernant la protection des eaux contre les nitrates de sources agricoles.

Elle a également demandé au Préfet la réparation du préjudice écologique et du préjudice moral causés par les fautes et insuffisances de l’État dans la mise en œuvre des réglementations européennes destinées à lutter contre les nitrates d’origine agricole sur le territoire breton.

Le 1er octobre 2022, en l’absence de réponse du Préfet, l’Association Eau & Rivières de Bretagne a saisi le Tribunal administratif de Rennes de deux recours.

Dans le premier (n° 2204983), elle a demandé l’annulation de cette décision implicite de rejet et d’enjoindre à l’État, sous astreinte, de prendre toutes mesures utiles immédiates afin de réduire la pollution des eaux provoquée ou induite par les nitrates à partir de sources agricoles.

Dans le second (n° 2204984), elle a demandé au Tribunal de condamner le Préfet à réparer par des mesures concrètes et précisément déterminées le préjudice écologique résultant de sa carence fautive quant à son obligation de lutte contre la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole.

A titre principal l’association demandait :

L’association faisait une démonstration particulièrement étayée de la carence fautive de l’Etat en faisant valoir que :

Et l’association soutenait ensuite que la carence de l’Etat dans la mise en œuvre des mesures propres à respecter les objectifs qu’il s’est lui-même assigné est à l’origine directe d’un dommage environnemental, le lien entre prolifération des algues et apports d’azote d’origine agricole étant certain :

Le Préfet de région a-t-il commis une carence fautive et méconnu les objectifs résultant de ces deux directives communautaires ?

La responsabilité de l’État est-elle engagée en raison du préjudice écologique ?

La Tribunal administratif de Rennes a répondu à ces deux questions par l’affirmative, considérant ainsi que la politique publique menée pour lutter contre la prolifération des algues vertes était insuffisante : ces carences ont donc engagé la responsabilité de l’État – qui devra agir dans les dix mois – et sont à l’origine d’un préjudice écologique (décisions commentées : TA de Rennes, 13 mars 2025, n° 2204983 ; TA de Rennes, 13 mars 2025, n° 2204984).

Précisément, le Tribunal a reconnu que les mesures mises en œuvre par le Préfet étaient insuffisantes pour lutter contre les échouages d’algues vertes sur le littoral breton.

L’article R. 211-75 du Code de l’environnement dispose que :

« Pour l’application de la présente sous-section, on entend par :

a) Pollution par les nitrates : rejet de composés azotés de sources agricoles dans le milieu aquatique, directement ou indirectement, ayant des conséquences de nature à mettre en danger la santé humaine, à nuire aux ressources vivantes et au système écologique aquatique, à porter atteinte aux agréments ou à gêner d’autres utilisations légalement exercées des eaux ;

b) Eutrophisation : l’enrichissement de l’eau en composés azotés, provoquant un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures qui perturbe l’équilibre des organismes présents dans l’eau et entraîne une dégradation de la qualité de celle-ci. »

Globalement, le Tribunal a constaté que la politique publique menée pour lutter contre la prolifération des algues vertes est insuffisante pour réduire durablement le phénomène d’eutrophisation à l’origine des échouages d’algues vertes sur le littoral, même si cette politique a concouru à diminuer la concentration moyenne en nitrates dans les cours d’eau bretons.

Dans le premier jugement, le Tribunal administratif a constaté que le Préfet a méconnu les objectifs résultant des deux directives :

« Il résulte de l’ensemble de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, qu’en refusant, à la demande de l’association Eau & Rivières de Bretagne, de prendre des mesures de nature à lutter effectivement contre la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole sur le territoire breton, le préfet de la région Bretagne a méconnu ses obligations résultant tant de la directive n° 2000/60/CE établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau que de la directive n° 91/676/CEE concernant la protection des eaux contre les nitrates de sources agricoles » (décision commentée : TA de Rennes, 13 mars 2025, n° 2204983, point 35).

Dans le second, il a mis en exergue les carences de l’État et le préjudice écologique qui en découle :

« Il résulte de l’ensemble de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur l’ensemble des arguments développés par les parties, que malgré les programmes et plans adoptés, y compris depuis l’introduction du présent recours, les actions mises en œuvre à l’échelle du territoire de la Bretagne, bien qu’ayant concouru à diminuer la concentration moyenne en nitrates des cours d’eau bretons, demeurent insuffisantes pour permettre de lutter effectivement contre la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole et, ainsi, pour réduire durablement les échouages d’algues vertes sur le littoral. Compte tenu de l’obligation de se conformer aux objectifs fixés par le droit de l’Union européenne, dans les délais impartis, mais également des pouvoirs de police administrative dévolus aux préfets (…), l’association Eau & Rivières de Bretagne est fondée à soutenir que les carences du préfet de la région Bretagne dans la mise en œuvre de ces réglementations sont constitutives d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’État » (décision commentée : TA de Rennes, 13 mars 2025, n° 2204984, point 34).

Ces décisions s’inscrivent dans la continuité de ce qu’a déjà jugé le Tribunal administratif de Rennes le 4 juin 2021 (n° 1806391) : suite à un recours de la même Association, le Tribunal avait déjà enjoint à l’État de renforcer le sixième programme d’actions régional de lutte contre la pollution des eaux par les nitrates.

Pour finir dans sa décision n° 2204984, le Tribunal confirme un considérant de principe développé par la Cour administrative d’appel de Nancy (n° 21NC01145, 17 octobre 2023, point 3)  permettant au juge administratif réceptionner et intégrer en responsabilité administrative la réparation du préjudice écologique en ces termes :

« Il résulte de l’ensemble de ces dispositions [des articles 1246 à 1249 et 1252 du code civil] qu’afin de permettre la réparation des atteintes causées à l’environnement tant par les personnes privées que publiques, le législateur a prévu une action contre le responsable de ces dommages qui peut être engagée par toute personne justifiant d’une qualité et d’un intérêt à agir. Cette action, qui a pour objet la réparation d’atteintes aux écosystèmes ou aux bénéfices que les êtres humains retirent collectivement de l’environnement, ne peut servir à obtenir la réparation de préjudices propres au requérant. Le juge saisi de cette action, qui doit être exercée dans le délai particulier de prescription de dix ans, doit privilégier la réparation en nature et, en cas d’impossibilité ou d’insuffisance des mesures de réparation seulement, accorder des dommages et intérêts affectés à la réparation de l’environnement. Le législateur a ainsi entendu créer une action spécifique, distincte du droit commun de la responsabilité. » (décision commentée : TA de Rennes, 13 mars 2025, n° 2204984, point 39).

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