Par Maître Sébastien BECUE (Green Law Avocats)
Aux termes d’un avis lu le 26 juillet 2018 en réponse à une question posée par le Tribunal administratif de Lille (à l’occasion d’un recours contre un parc éolien défendu par le cabinet), le Conseil d’Etat a apporté de nouvelles précisions cruciales sur les implications du régime de l’autorisation environnementale, notamment en ce qui concerne les contentieux en cours.
Les règles de procédure de l’autorisation environnementale ne sont pas rétroactivement applicables dans le cadre des contentieux en cours à l’encontre des autorisations ICPE et autorisations uniques expérimentales
Le Conseil d’Etat a tranché : il n’est pas possible d’interpréter l’article 15 de l’ordonnance créant l’autorisation environnementale (n°2017-80 du 26 janvier 2017) comme permettant une application rétroactive des nouvelles règles de procédure régissant la présentation des capacités techniques et financières de l’exploitant (L. 181-27 et D. 181-15-2 du code de l’environnement) dans le cadre des instances introduites à l’encontre d’autorisations délivrées sur le fondement des régimes antérieurs.
En effet, selon la haute juridiction, cette ordonnance ne prévoit aucune disposition prévoyant une telle application rétroactive, seulement :
- d’une part, l’assimilation pour l’avenir de ces autorisations à des autorisations environnementales,
- et, d’autre part, l’abrogation, là encore pour l’avenir, du régime de l’autorisation unique expérimentale.
Il y avait clairement débat sur ce point dès lors que ledit article 15 indiquait que le nouveau régime est applicable aux autorisations préexistantes « notamment lorsque ces autorisations sont (…) contestées ».
Est-ce à dire que le vice tiré de l’insuffisante présentation des capacités financières au regard des exigences de la jurisprudence Hambrégie condamnerait l’autorisation qui en est affectée ?
Assurément non : le vice est régularisable sur le fondement des pouvoirs de plein contentieux du juge des installations classées, comme le Conseil d’Etat l’avait déjà exposé aux termes de son avis n°415852 du 22 mars 2018.
Synthétiquement (voir notre commentaire de cet avis pour une explication plus détaillée), si le juge a reçu en cours d’instruction des compléments permettant de démontrer que le pétitionnaire dispose de capacités financières suffisantes mais que ces compléments n’ont pas été soumis à l’information du public dans le cadre de l’enquête publique qui s’est tenue lors de la procédure d’autorisation, alors la décision est affectée d’un vice qu’il est nécessaire de régulariser en organisant des mesures d’information complémentaires du public.
A l’issue de cette phase d’information ad hoc, le Préfet prend un arrêté complémentaire et en informe le juge qui statue finalement sur la légalité de l’autorisation.
Notons que cette possibilité a d’ores et déjà été mise en œuvre par les tribunaux administratifs d’Amiens (voir notre commentaire ici) et de Nantes (voir notre commentaire ici), ainsi que par la Cour administrative d’appel de Douai (voir l’arrêt ici).
2. Le juge pourra toujours contrôler la suffisance des capacités financières dans le cadre du régime de l’autorisation environnementale
Depuis la réforme de l’autorisation environnementale, le pétitionnaire peut justifier de la suffisance de ses capacités financières jusqu’à la mise en service à condition d’en exposer les modalités prévues de constitution au sein de son dossier de demande (L. 181-27 et D. 181-15-2 du code de l’environnement).
Se posait logiquement la question de savoir si le juge aurait toujours la possibilité de se prononcer la sur la suffisance des capacités financières dans le cadre du nouveau régime. La réponse du Conseil d’Etat est claire :
- si le juge se prononce avant la mise en service de l’installation, il ne peut que se limiter à vérifier la pertinence des modalités de constitution des capacités,
- en revanche, si le juge se prononce après la mise en service, il exerce alors un contrôle complet sur la suffisance des capacités.
Ensuite, le Conseil d’Etat précise que le préfet dispose de la possibilité de s’assurer tout au long de la vie de l’installation de la suffisance des capacités financières de l’exploitant, en prescrivant, sur le fondement de l’article R. 181-45 du code de l’environnement, « la fourniture de précisions ou la mise à jour » de ces informations.
Cette possibilité ne se limite d’ailleurs pas aux seules informations sur les capacités mais également sur tout élément du dossier de demande d’autorisation.
Et si le préfet ne fait pas application de cette possibilité, alors les tiers peuvent demander à ce qu’il le fasse, en formant la réclamation préalable prévue par l’article R. 181-52 du code de l’environnement. Si le préfet ne s’exécute pas, les tiers peuvent contester ce refus devant le juge.
3. Le juge reste tenu de statuer sur la légalité des permis de construire éoliens
On pouvait encore se demander si le fait que les projets éoliens pour lesquelles une demande d’autorisation a été déposé après le 1er mars 2017 soient dispensés de permis de construire, en vertu du nouvel article R. 425-29-2 du code de l’urbanisme, pouvait rendre inopérants les moyens invoqués à l’encontre des permis de construire ou autorisations uniques expérimentales en tant qu’elles valaient permis de construire délivrés avant cette date.
C’est notamment ce qu’avait jugé la Cour administrative d’appel de Douai aux termes d’une décision selon laquelle la dispense de permis de construire pour les éoliennes marines avait pour conséquence de rendre sans objet les recours introduits à l’encontre des permis délivrés antérieurement à l’entrée en vigueur de la dispense (27 sept. 2012 N°12DA00017)
Le Conseil d’Etat écarte cette possibilité en exposant que contrairement aux autorisations uniques expérimentales, les autorisations environnementales ne « valent » pas permis de construire : si l’article 15 de l’ordonnance n°2017-80 du 26 janvier 2017 prévoit que les autorisations uniques expérimentales sont considérées à partir du 1er mars 2017 comme des autorisations environnementales, le juge saisi d’un recours à l’encontre d’une de ces autorisations reste tenu de vérifier leur légalité en tant qu’elles valent permis e construire.
A fortiori, il en sera donc de même pour les permis de construire éoliens.
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En conclusion, il faut retenir de cet avis qu’il confirme expressément la possibilité de régulariser, en matière éolienne, le vice de l’information du public résultant d’une insuffisante présentation des capacités financières.
Or rappelons-le l’invocation de ce vice avait entraîné l’annulation d’un grand nombre de projets éoliens et de méthanisation (voir pour une liste non-exhaustive : CAA Marseille, 9 février 2017, n°15MA00895 ; CAA Bordeaux, 12 juillet 2016, n°16BX0829 ; CAA Nancy, 30 mars 2017, n°16NC00117-16NC00199 ; CAA Lyon, 18 octobre 2016, n°15LY02027 ; TA Nancy, 1er décembre 2015, n°1402183 ; TA Nancy, 29 juillet 2016, n°1501112 ; TA Nantes, 19 janvier 2017, n°1410535 ; CAA Nancy, 30 mars 2017, n°16NC00117-16NC00199) ».