Dans un arrêt du 30 juillet 2014 (N° 369148), le Conseil d’Etat valide partiellement le décret n° 2012-1492 du 27 décembre 2012 relatif à la trame verte et bleue en considérant que les articles R. 371-25 et R. 371-26 qu’il crée au sein du code de l’environnement et qui précisent le contenu des schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE), ne méconnaissent pas les principes de développement durable.
Aux termes de l’article R. 371-26 du code de l’environnement issu du décret attaqué le diagnostic du territoire régional que comprend, en vertu de l’article R. 371-25 du même code, le schéma régional de cohérence écologique, « porte notamment sur les interactions entre la biodiversité et les activités humaines ». Mais comme le faisait justement valoir la fédération départementale des chasseurs du Pas-de-Calais, il n’en demeure pas moins que le parti pris écologique du SRCE est avéré à la lecture de la même disposition : « Les enjeux relatifs à la préservation et à la remise en bon état des continuités écologiques traduisent les atouts du territoire régional en termes de continuités écologiques, les menaces pesant sur celles-ci, ainsi que les avantages procurés par ces continuités pour le territoire et les activités qu’il abrite »
Afin de lier le contentieux, la fédération départementale des chasseurs du Pas-de-Calais avait demandé au Premier ministre et au ministre chargé de l’écologie de modifier les articles R. 371-25 et 371-26 relatifs au contenu des schémas régionaux de cohérence écologique « afin d’y voir figurer nommément et précisément la nécessité de tenir compte des activités humaines au moyen, notamment, de volets socio-économiques et culturels intégrés à part entière dans le diagnostic du territoire régional ».
Ce sont les choix faits ou à faire dans les SRCE qui concrétiseront un primat de l’écologie redouté par certains. Et si l’activité humaine singulière que constitue la chasse a tout à craindre d’un dispositif qui présente les continuités écologiques comme des avantages pour le territoire, il était vain d’invoquer la lettre de la loi pour obtenir la censure du décret.
Le législateur ne semblait pas pour sa part avoir exclu les activités humaines des corridors écologiques dès lors que l’article L. 371-1 du code de l’environnement dispose « La trame verte et la trame bleue ont pour objectif d’enrayer la perte de biodiversité en participant à la préservation, à la gestion et à la remise en bon état des milieux nécessaires aux continuités écologiques, tout en prenant en compte les activités humaines, et notamment agricoles, en milieu rural».
C’est évidemment ce que ne manque pas de souligner le Conseil d’Etat en considérant « l’article R. 371-26 du code de l’environnement issu du décret attaqué, qui prévoit que le diagnostic du territoire régional que comprend, en vertu de l’article R. 371-25 du même code, le schéma régional de cohérence écologique, porte notamment sur les interactions entre la biodiversité et les activités humaines, ne méconnaît pas les dispositions du premier alinéa de l’article L. 371-1 du code de l’environnement ». Au surplus la Haute juridiction rappelle que « la fédération requérante n’est pas recevable à contester ces dispositions législatives, en dehors de la procédure prévue par l’article 61-1 de la Constitution ».
Gageons que le contentieux des SRCE permettra de vérifier si le planificateur régional de la cohérence écologique est capable de ne pas sacrifier certaines activités humaines sur l’autel des fonctionnalités d’une nature pauvre. D’ailleurs le rapporteur public M. Xavier de LESQUEN se demandant si les articles R. 371-25 et R. 371-26 devaient ou non rappeler les objectifs inscrits dans la loi, considère que si «cela n’est pas nécessaire […] il n’est pas douteux que les objectifs légaux s’imposent aux auteurs de ces documents ».
L’enjeu n’est pas neutre : non seulement si l’on considère l’obligation juridique de « prise en compte » des schémas régionaux de cohérence écologique par les SCOT ou les PLU mais aussi et surtout le fait que la réforme du Grenelle les études d’impact doivent intégrer les continuités écologiques et que le SRCE pourrait plus largement servir de source scientifique, à l’instar d’une “super Znieff”, pour étayer la qualification juridique du fait écologique au contentieux. Ainsi le SRCE sera sans doute tout autant objet de recours que moyen dans le contentieux de la légalité des projets d’aménagement.
Mais l’arrêt du 30 juillet 2014 doit encore retenir l’attention de ceux qui depuis 2006 et l’espèce « Association Eau et rivières de Bretagne » (CE 19 juin 2006, req. n° 282456) suivent les soubresauts de la réception de la Charte de l’environnement par le juge administratif.
En effet le Conseil d’Etat juge à propos du SRCE : « Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la Charte de l’environnement : ” Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social ” ; que lorsque des dispositions législatives ont été prises pour assurer la mise en œuvre de ces principes, il n’appartient au juge administratif, au vu de l’argumentation dont il est saisi, de vérifier si les mesures prises pour leur application ne les ont pas méconnus, que dans la mesure où ces mesures d’application ne se bornent pas à tirer les conséquences nécessaires de la loi qu’elles ont pour objet de mettre en œuvre ; qu’en l’espèce, les dispositions réglementaires critiquées se bornent à mettre en œuvre les articles L. 371-1 et suivants du code de l’environnement ; que, par suite, la fédération requérante ne peut utilement soutenir que les articles R. 371-25 et R. 371-26 du code de l’environnement, tels qu’ils résultent du décret attaqué, méconnaissent l’article 6 de la Charte de l’environnement ».
Ce faisant la Haute juridiction confirme le contrôle qu’elle entend opérer sur les dispositions réglementaires qui débordent la mise en œuvre législative de la Charte au point de la méconnaître ; ce faisant le Conseil d’Etat semble renoncer à l’application dogmatique et en tout cas plus radicale de la théorie de la loi-écran à la base de la jurisprudence Association Eau et rivières de Bretagne (CE 19 juin 2006, Association Eau et rivières de Bretagne, req. n° 282456, AJDA 2006. 1584, chron. C. Landais et F. Lenica – RFDA 2007. 596, chron. T. Rambaud et A. Roblot-Troizier). Cette rupture a d’abord été engagée à partir de l’article 3 (CE, Ass., 12 juillet 2013, Fédération nationale de la pêche en France, n° 344522), puis pour une combinaison des articles 1er et 3 de la Charte (CE, 1ère et 6ème SSR, 26 février 2014, n°351514, note Deharbe AJDA 28 juillet 2014, n°27/2014, p. 1566) et désormais pour son article 6.
David DEHARBE