A la suite de la décision du Conseil constitutionnel sur les jurés populaires, la spécificité des délits environnementaux a encore une fois été reconnue. GREEN LAW fait ici état du point de vue d’une pénaliste, avocate au Barreau de Rouen.

« Considérant (…) que toutefois, les infractions prévues au livre IV du Code pénal et celles prévues au Code de l’environnement sont d’une nature telle que leur examen nécessite des compétences juridiques spéciales qui font obstacles à ce que des personnes tirées au sort y participent (…) » (Conseil constitutionnel, décision n°2011-635 DC du 4 août 2011).

La loi du 10 août 2011 (n°2011-939)  sur l’entrée de jurés populaires dans les tribunaux correctionnels et sur la refonte de la justice des mineurs a consacré le souhait de l’exécutif d’adjoindre aux magistrats professionnels des jurés dits citoyens au sein, notamment, des Tribunaux correctionnels. Le Conseil constitutionnel a cependant censuré le projet de loi qui lui était soumis en soustrayant à la réforme un certain nombre de délits parmi lesquels ceux figurant au Code de l’environnement. Il s’agit là d’une nouvelle manifestation de défiance à l’égard des magistrats siégeant dans les juridictions pénales, en affectant cette fois la composition de ces dernières.

Nous pouvons douter de l’apport véritable de cette réforme et nous réjouir que les infractions environnementales soient passées entre les mailles du filet répressif…

En septembre 2010, Nicolas SARKOZY émettait l’idée d’introniser des jurés dits « citoyens » au sein, notamment, des Tribunaux correctionnels et des Chambres de l’application des peines.

D’aucuns avaient perçu cette idée comme un nouveau coup de boutoir contre le laxisme imaginaire des magistrats.

Alors qu’était remise en cause la présence des juges non professionnels au sein des Cours d’assises (notamment par Michèle ALLIOT-MARIE pour les crimes les moins graves), l’idée paraissait suffisamment incongrue pour nous faire espérer qu’elle n’était qu’un nouvel effet d’annonce caressant une partie de l’opinion publique dans le sens du poil…

Las, sans que ce ne soit demandé ni par professionnels de la justice, ni par le peuple, un projet de loi était déposé en ce sens et a été finalement adopté définitivement par l’Assemblée nationale cet été (loi n° 2011-939 du 11 août 2011 sur l’entrée de jurés populaires dans les tribunaux correctionnels et sur la refonte de la justice des mineurs).

Objectif affiché de la loi, rapprocher les français de leur justice.

Mais beaucoup n’y voient qu’un nouveau moyen d’encadrer l’action des magistrats par la sévérité supposée – et peut-être aussi mythique que le laxisme des juges – des jurés « citoyens » ; HORTEFEUX l’a affirmé, MERCIER s’en défend.

Ce qui permet de donner crédit à cette dernière thèse, ce sont les efforts déployés par le pouvoir pour encadrer toujours davantage l’activité des magistrats, lesquels pour beaucoup y voit une nouvelle marque de défiance à leur égard.

Les dernières évolutions du droit positif ont en effet comme conséquence première de réduire la liberté des magistrats.

– D’abord par le renforcement de la légalité formelle, en encadrant tant que faire se peut la décision des magistrats. En ce sens, nous citerons dans le domaine du droit de la peine  la loi du 10 août 2007 (n° 2007-1198) réintroduisant dans le droit pénal français la notion de peine plancher pour les infractions commises en état de récidive légale et plus récemment, la loi du 14 mars 2011 instituant des peines minimales cette fois pour les primo délinquants…

– Aujourd’hui par l’adjonction de jurés dits « citoyens » (les magistrats, comme les greffiers ou les avocats, ne sont-ils pas des citoyens concourant à l’oeuvre de justice ?) ailleurs que dans les procès criminels, censés être plus répressifs que nos complaisants magistrats.

Ce projet n’est pas bon, il est inutile, il est couteux.

Il n’a été sollicité ni par le corps judiciaire, ni par le peuple.

Mais surtout, l’une des préoccupations que soulève cette réforme est celle de l’aptitude des citoyens populaires à exercer la mission de juger.

La mission du juré d’Assises n’a rien de comparable avec la mission de juger des prévenus comparaissant devant le Tribunal correctionnel.

Aux Assises la présence de représentants du peuple répond à une tradition séculaire, éprouvée par la pratique.

On demande aux jurés des procès criminels de se forger une intime conviction. Et en choisissant un quantum de peine, ils sont avant tout juges du trouble à l’ordre public.

Aux Assises le luxe de prendre le temps, au Tribunal correctionnel l’exigence de rapidité, voire de rendement et donc de technicité, de spécialisation et de professionnalisme.

Il faut tout de même acter que le parlement a limité l’intervention des jurés populaires aux questions relatives à la qualification des faits, à la culpabilité et à la détermination de la peine.

Notons d’emblée que la qualification juridique des faits ainsi que le droit des peines correctionnelles peuvent poser de véritables difficultés juridiques, ce qui nous autorise à nourrir l’espoir que dans de telles hypothèses, les magistrats seront en réalité maîtres de la décision. Il est alors permis de douter fortement de l’utilité des jurés. C’est également la raison pour laquelle d’aucuns, nombreux, pensent que derrière la volonté affichée de rapprocher le peuple de ses juges se cache en réalité l’espoir que les jurés compensent par leur sévérité le laxisme des magistrats.

Au moins pouvons-nous nous réjouir que le Conseil constitutionnel ait retiré du champ d’application de la loi notamment les délits prévus par le Code de l’environnement. Ainsi, en la matière environnementale, est reconnu aux juges le mérite de leur fonction et de leur compétence.

La motivation du Conseil n’est autre que ce que nous avancions en amont : la question de la compétence des jurés pour juger. Sa décision n’est en effet que la reconnaissance d’une évidence, celle qu’il faut un savoir et de l’expérience pour juger.

Est il nécessaire de rappeler que les délits environnementaux nécessitent systématiquement une appréciation du juge des conditions techniques de l’activité industrielle en cause ?

Un jugement récent du Tribunal correctionnel de Lille (JugementTrib Correctionnel LILLE17.12.2010) vient d’ailleurs de relaxer une société du chef d’exploitation sans autorisation…. Et n’a pu le faire qu’après avoir concrètement analysé en quoi les matières présentes sur site n’étaient pas juridiquement des « matières plastiques » et comment l’inspecteur avait pu techniquement évaluer le volume stocké. Encore fallait-il analyser l’application dans le temps d’un changement dans le temps de la nomenclature ICPE. 

Mais en plus des capacités juridiques, pour bien juger, il faut se méfier de ses propres réflexes intellectuels, des préjugés que l’on a malgré nous, du désir de simplicité, du risque d’identification, à la partie civile comme au prévenu…

C’est la raison pour laquelle nous pouvons déplorer que le Conseil ait été timide dans la mesure de sa décision d’inconstitutionnalité.

Selon quel critère un délit peut-il être classé parmi ceux qui nécessitent des « capacités juridiques spéciales » ?

Au cours de chaque audience correctionnelle, pour les délits qui seront soumis au Tribunal en sa constitution citoyenne, combien présenteront une véritable difficulté de droit, une question de qualification, de prévention, de droit des peines ? Autant de points techniques qui sont des obstacles à un véritable apport des jurés populaires.

De cette loi naîtra une justice à deux vitesses, une par formation juridictionnelle. La première, mixte, pour les infractions notamment de violences aux personnes, de dégradations,… et tout venant délictuel pouvant, n’en déplaise au Conseil constitutionnel, présenter des difficultés techniques qui seront, quoiqu’en dise la loi, toujours tranchées par les magistrats professionnels ; et la seconde, pour les délits qui auront été qualifiés de plus techniques que d’autres selon un critère aucunement exposé.

Deux perspectives d’avenir : la première, la certitude que les jurés appelés à siéger au Tribunal prendront la mesure de paupérisation de la justice en France et de la difficulté pour les auxiliaires de justice de mener à bien leur mission ; la seconde, l’espoir que nous partageons avec Robert BADINTER qu’une fois le délai d’expérimentation prévu par la loi écoulé, la réforme sera purement et simplement abandonnée compte tenu, en l’état, de son inutilité.

En attendant, il faut se féliciter que les délits environnementaux demeurent du ressort de juges professionnels.

Yaël GODEFROY

Avocat au Barreau de Rouen

SELARL Pasquier-Picchiottino-Alouani