Par
David DEHARBE (Green Law Avocat)
Cet arrêt récent de la Cour administrative de Bordeaux (CAA Bordeaux, 1ère chambre, 29 juin 2017, n° 15BX02459) relatif à une centrale solaire au sol est très inquiétant pour ceux qui ont fondé un réel espoir dans la capacité du juge administratif à objectiver l’atteinte au paysage, via l’appréciation de l’article R.111-27 du code de l’urbanisme (le fameux ancien article R.111-21 du R.N.U.) et s’agissant d’apprécier la légalité des permis EnR (et désormais les autorisations environnementales uniques) ou les refus de telles autorisations.
Ici la Cour considère qu’au sein d’une zone Npa d’un PLU autorisant la construction des installations de production d’énergie renouvelable, la construction d’une centrale photovoltaïque sur une emprise foncière de 9,6 hectares dite « zone 1 » située aux lieux-dits Le Perval, Plo de la Marène, Serre de la Mine, comprenant 23 716 modules photovoltaïques, six bâtiments, une ligne électrique souterraine et une clôture périphérique sur un terrain situé à Sauclières porte atteinte au caractère et à l’intérêt d’un ensemble paysager « Causse et Cévennes », et confirme les refus de permis de construire opposés par le préfet de l’Aveyron. La juridiction examine en ces termes l’intérêt du secteur naturel en tenant notamment compte de son inscription par l’UNESCO au titre du patrimoine de l’Humanité, en tant que témoignage d’un paysage culturel de l’agropastoralisme méditerranéen :
« 6. Il ressort des pièces du dossier que le terrain d’assiette du projet litigieux est situé dans un secteur naturel, dépourvu de toutes constructions et qui appartient à un ensemble paysager « Causse et Cévennes », inscrit par l’UNESCO au titre du patrimoine de l’Humanité, témoignage d’un paysage culturel de l’agropastoralisme méditerranéen et qui représente un territoire clairement identifiable par la qualité de son relief, de ses pelouses et de ses boisements. Les parcelles d’implantation du projet sont également situées dans le Parc naturel régional des Grands Causses dans une zone de patrimoine économique et/ou paysager et dans une ZNIEFF de type II « Causses du Larzac ». Si la société requérante fait valoir que l’implantation du projet a été établie derrière des mouvements de terrain et des boisements afin d’en limiter l’impact visuel, et qu’il ne sera visible d’aucune route, il ressort des photographies produites au dossier que le projet de la société par actions simplifiée unipersonnelle G1, situé à une altitude d’environ 800 mètres, modifiera le paysage dans lequel se situe son emprise en introduisant des constructions sans rapport avec les paysages existants et sera visible depuis les terrains situés à une altitude supérieure, ainsi que depuis une bergerie transformée en maison d’habitation avec gîtes de tourisme. Si la société par actions simplifiée unipersonnelle G1 se prévaut de l’avis favorable au projet du maire de la commune de Sauclières et de la commission d’enquête à l’issue de l’enquête publique qui s’est déroulée du 1er juin au 2 juillet 2012, la commission départementale de la nature, des paysages et des sites de l’Aveyron a émis le 12 juillet 2012, à l’unanimité, un avis défavorable au projet d’implantation de la centrale photovoltaïque litigieuse sur le territoire de la commune de Sauclières, ainsi d’ailleurs qu’aux quatre autres projets d’implantation de centrales photovoltaïques sur le territoire de la même commune. De même, l’architecte des bâtiments de France et le président du Parc naturel régional des Grands Causses ont également émis un avis défavorable respectivement le 5 août 2011 et le 29 août 2011. Les circonstances que le projet permettrait de prendre en compte l’intérêt public lié au développement des énergies renouvelables ou que les exploitants agricoles seraient favorables au projet afin de rentabiliser leurs exploitations sont sans influence sur l’appréciation portée par l’autorité administrative sur l’atteinte portée par le projet aux lieux avoisinants. Par suite, c’est par une exacte application des dispositions de l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme que le préfet de l’Aveyron a estimé, au regard de la qualité du site, et de l’impact de la réalisation de 23 716 modules, de cinq postes onduleurs et d’un poste de livraison, qu’une centrale photovoltaïque représentant une surface au sol de plus 3,55 hectares était de nature à porter atteinte au caractère et à l’intérêt des lieux avoisinants et aux paysages naturels. Ce seul motif suffisant à justifier le refus, la requérante ne peut utilement faire valoir que c’est à tort que le préfet a en outre retenu une atteinte à des parcelles ayant bénéficié des aides de la politique agricole commune dans les cinq dernières années ou en partie à vocation agricole, et l’incompatibilité du projet avec les « directives d’une circulaire » sur le contrôle des centrales photovoltaïques au sol.
- Il résulte de ce qui précède et sans qu’il soit besoin ni de procéder à la visite des lieux demandée par la requérante, ni qu’il soit fait droit à sa demande de mise en œuvre d’une procédure de médiation, qui n’apparait pas susceptible d’aboutir au regard des questions posées par ce litige, que la société par actions simplifiée unipersonnelle G1 n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande ».
Cet arrêt met en œuvre la méthodologie jurisprudentielle, au demeurant parfaitement cadrée par le Conseil d’Etat depuis sa décision Engoulevent (CE, 13 juill. 2012, n° 345970 ; voir aussi : CE, 7 févr. 2013, n° 348473 ; CE, 26 février 2014, n° 345011), déclinant le fameux arrêt Gomel (CEZ, 4 avril 1914, Gomel, Rec. Lebon p. 488) et rappelé par la décision de la CAA de Bordeaux : « Pour apprécier si un projet de construction porte atteinte, en méconnaissance des dispositions précitées de l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme, au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales, il appartient à l’autorité administrative d’apprécier, dans un premier temps, la qualité du site sur lequel la construction est projetée et d’évaluer, dans un second temps, l’impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site ».
Cette méthodologie repose plus précisément sur quatre principes.
D’une part, au regard du bloc de légalité le Conseil d’Etat considère que l’article R.111-27 du code de l’urbanisme constitue sa seule norme de référence pour réaliser son contrôle et en ce sens exclut que le juge compense les atteintes au paysage avec les intérêts privés ou publics que la construction sert.
D’autre part, s’agissant de la qualification juridique des faits, le Conseil d’Etat exige des juges du fond qu’il caractérise l’intérêt protégé de la zone dans laquelle est projetée la construction.
Par ailleurs et toujours du point de la qualification juridique des faits, la Haute juridiction impose encore au juge du fond qu’il établisse dans un second temps en l’appréciant souverainement l’impact du projet de construction sur le paysage initialement caractérisé.
Enfin il incombe encore aux juges du fond de faire varier l’intensité de leur contrôle de façon asymétrique : en présence d’un refus de permis le contrôle est entier, en présence d’une autorisation délivrée le contrôle se limite à celui de la matérialité des faits et à la censure de l’erreur grossière de l’administration (contrôle dit de l’erreur manifeste d’appréciation).
Cette méthodologie jurisprudentielle est rassurante pour les magistrats administratifs et pour qui veut bien croire qu’un tel cadre nous préserve d’un arbitraire du juge auquel pourrait confiner le risque d’une appréciation purement subjective des paysages. Il n’en est rien : après l’Etat le juge administratif à une tendance certaine à oublier qu’en la matière dire est souvent faire… L’opération de qualification juridique du paysage et de ses atteintes n’est jamais neutre et nier que le paysage demeure une construction sociale en permanence évolution par rapport aux intérêts qu’elle mobilise nous expose à la protection sclérosée d’un ordre esthétique défini par quelques fonctionnaires préservant surtout ce qui constitue la ressource première de leur service.
Et si le juge administratif nous préservait jusqu’ici assez bien de ce risque, les contentieux en particulier générés sur fond de classement UNESCO montre que le cadre défini par le Conseil d’Etat doit être repensé.
Il n’est pas question de faire table rase du passé : les quatre principes rappelés doivent être maintenus, mais il faut les moderniser.
Particulièrement en cas de refus d’autorisation, il nous semble qu’une troisième étape dans la qualification juridique s’impose depuis que l’environnement a été constitutionnalisé et que le législateur conçoit sa protection dans une démarche plus intégrée et non plus sectorielle. Ainsi la politique climatique en tant qu’objectif que sert celle d’aménagement du territoire et l’occupation des sols mais aussi l’objectif du développe durable, considérations désormais inscrites aussi bien dans le code de l’urbanisme que dans celui de l’environnement doivent être articulées avec la vocation même de la protection paysagère. D’ailleurs le paysage n’est pas seulement une carte postale, pour l’environnementaliste il est aussi le révélateur de la valeur en biodiversité d’un écosystème, tout aussi exposé à l’artificialisation des espaces qu’au réchauffement climatique. Ainsi l’article R.111-27 du code de l’urbanisme doit être interprété selon une acception large de la protection paysagère et implique in fine de procéder à un bilan cout avantage entre l’atteinte en termes de perception, à certains paysages et leur rendement pour les énergies renouvelables. Seule une telle lecture de l’article R.111-27 du code de l’urbanisme la rend compatible avec la Charte de l’environnement. Pour l’instant le Conseil a refusé de s’engager sur cette voie, acceptant tout une densification des parcs existants justifiée par le seul motif paysager et non la capacité de production (cf. D. DEHARBE « Éoliennes et paysage : l’approche intégrée de l’environnement soluble dans l’article R.111-21 du Code de l’urbanisme ? », Environnement magazine).
Mais ce n’est pas tout, le Conseil d’Etat en cette matière doit aussi moderniser la motivation de ses décisions pour contraindre les juges du fond à intégrer dans leurs jugements et arrêtés le photomontage démontrant une réelle atteinte au paysage, sauf pour eux à se déplacer sur site pour faire les constations qui s’imposent. C’est donc le système de preuve qui doit ici être dépoussiéré par les juges du Palais Royal si l’on veut éviter toute suspicion d’un subjectivisme judiciaire.
Les arrêts récents qui ont préconisé une « tolérance zéro » autour des sites UNESCO (« Éoliennes et sites classés au patrimoine mondial de l’Unesco : vers la tolérance zéro ? », Droit de l’environnement, n°243, mars 2016) montrent que l’appréciation judiciaire gagnerait à ne plus se contenter d’un rappel incantatoire à ce régime de protection ou même comme c’est le cas dans notre espèces à des avis institutionnels sans autre preuve palpable au dossier.
Ainsi il nous semble que le label UNESCO ne doit pas être détourné de sa vocation qui n’est certainement pas de figer les territoires et qu’il peut parfaitement s’accommoder de certaines co-visibilités ponctuelles avec les installations d’ENR. Or si l’on n’exige pas des juridictions qu’elles fassent figurer dans leurs jugements et arrêts les photomontages dont elles se réclament dans leur qualification juridique des faits, on peut redouter une certaine automaticité de refus de plus en plus contestables : dans les Hauts de France l’Etat refuse désormais l’implantation d’éoliennes au nom du classement UNESCO du bassin minier et de ses terrils emblématiques. Mais en quoi la co-visibilité entre une éolienne et un terril porterait-elle atteinte à la vocation mémorielle du classement de ce dernier ? La production polluante de l’énergie d’hier n’est-elle pas, au contraire, mise en valeur, par contraste, grâce à sa confrontation de la production renouvelable de l’énergie ? La tour Eiffel ou la pyramide du Louvre ne sont-elles pas d’abord des objets qui ont interrogé leur environnement paysager pour mieux le valoriser et finalement s’y banaliser ?
La transition énergétique se mesure aussi à l’aune de son emprunte paysagère et il ne tient qu’au juge d’en retenir une conception résolument moderne ou passéiste …