Focus sur l’action en démolition

Maître David DEHARBE (Green Law Avocats)

Une récente décision du conseil constitutionnel (Conseil constitutionnel, décision n°2020-853 QPC du 31 juillet 2020) justifie que l’on fasse un point sur l’action en démolition pour non-respect des règles d’urbanisme, dans la lignée d’une excellente synthèse faite sur le site du Conseil à l’occasion de son commentaire.

Le respect des règles d’urbanisme est assuré par plusieurs mécanismes pouvant conduire à la démolition des ouvrages construits en méconnaissance de ces règles. Seul  le  juge  judiciaire,  gardien  de  la  propriété  privée,  a  le  pouvoir  d’ordonner  la démolition d’une construction privée.

Une telle démolition peut être prononcée tant par le juge répressif que par le juge civil.

I/ Le juge répressif peut ordonner la remise en état ou la démolition

En application de l’article L. 480-4 du code de l’urbanisme, la méconnaissance des règles d’urbanisme est constitutive d’une infraction pouvant être punie d’une amende comprise entre 1 200 euros et un montant qui ne peut excéder, soit, dans le cas de construction d’une surface de plancher, une somme égale à 6 000 euros par mètre carré de surface construite, démolie ou rendue inutilisable, soit, dans les autres cas, un montant de 300 000 euros.

En application de l’article L. 480-1 du code de l’urbanisme, la commune peut exercer les droits reconnus à la partie civile, en ce qui concerne les faits commis sur son territoire.

En  cas  de  condamnation, l’article  L.480-5  du même code  permet  au  juge  pénal d’ordonner la mise en conformité des lieux ou celle des ouvrages avec les règlements, l’autorisation ou la déclaration en tenant lieu ou la démolition des ouvrages ou encore la réaffectation du sol en vue du rétablissement des lieux dans leur état antérieur.

Le délai de prescription applicable à cette action pénale a été porté à six ans par la loi n°2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale.

II/ L’action civile en démolition en cas d’annulation du permis ouverte aux tiers intéressés

Une action civile en démolition est ouverte, en application du 1°de l’article L. 480-13, contre  le  propriétaire  d’un  ouvrage  édifié  conformément  à  un permis de construire annulé par le juge administratif.

Ici un tiers lésé qui devra se prévaloir d’un préjudice personnel en relation directe avec la violation des règles de l’urbanisme (), pourra saisir le juge judiciaire afin qu’il ordonne au propriétaire de démolir sa construction édifiée conformément  à  un  permis  de  construire  annulé définitivement par juge  administratif  il y a  moins de deux années. Mais d’autres conditions sont requises pour que l’action puisse conduire au prononcé de la démolition du juge judiciaire : une règle d’urbanisme ou une servitude d’utilité publique doit avoir motivée l’annulation par le juge administratif et la  construction doit être est  située  dans  l’une  des  catégories  de  zones  énumérées protégées au sens de la Loi Macron, présentant un enjeu particulier de protection de la nature et des paysages, de sites sensibles ou du patrimoine architectural et urbain. Il s’agit plus précisément des zones suivantes énumérées au 1° de l’article L480-13 du code de l’urbanisme :

« a) Les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard mentionnés à l’article L. 122-9 et au 2° de l’article L. 122-26, lorsqu’ils ont été identifiés et délimités par des documents réglementaires relatifs à l’occupation et à l’utilisation des sols ;

b) Les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques mentionnés à l’article L. 146-6, lorsqu’ils ont été identifiés et délimités par des documents réglementaires relatifs à l’occupation et à l’utilisation des sols, sauf s’il s’agit d’une construction en bois antérieure au 1er janvier 2010, d’une superficie inférieure à mille mètres carrés, destinée à une exploitation d’agriculture biologique satisfaisant aux exigences ou conditions mentionnées à l’article L. 641-13 du code rural et de la pêche maritime et bénéficiant d’une appellation d’origine protégée définie à l’article L. 641-10 du même code ;

c) La bande de trois cents mètres des parties naturelles des rives des plans d’eau naturels ou artificiels d’une superficie inférieure à mille hectares mentionnée à l’article L. 122-12 du présent code ;

d) La bande littorale de cent mètres mentionnée aux articles L. 121-16, L. 121-17 et L. 121-19 ;

e) Les cœurs des parcs nationaux délimités en application de l’article L. 331-2 du code de l’environnement ;

f) Les réserves naturelles et les périmètres de protection autour de ces réserves institués en application, respectivement, de l’article L. 332-1 et des articles L. 332-16 à L. 332-18 du même code ;

g) Les sites inscrits ou classés en application des articles L. 341-1 et L. 341-2 dudit code ;

h) Les sites désignés Natura 2000 en application de l’article L. 414-1 du même code ;

i) Les zones qui figurent dans les plans de prévention des risques technologiques mentionnées au 1° de l’article L. 515-16 dudit code, celles qui figurent dans les plans de prévention des risques naturels prévisibles mentionnés aux 1° et 2° du II de l’article L. 562-1 du même code ainsi que celles qui figurent dans les plans de prévention des risques miniers prévus à l’article L. 174-5 du code minier, lorsque le droit de réaliser des aménagements, des ouvrages ou des constructions nouvelles et d’étendre les constructions existantes y est limité ou supprimé ; 

j) Les périmètres des servitudes relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement instituées en application de l’article L. 515-8 du code de l’environnement, lorsque les servitudes instituées dans ces périmètres comportent une limitation ou une suppression du droit d’implanter des constructions ou des ouvrages ;

k) Les périmètres des servitudes sur des terrains pollués, sur l’emprise des sites de stockage de déchets, sur l’emprise d’anciennes carrières ou dans le voisinage d’un site de stockage géologique de dioxyde de carbone instituées en application de l’article L. 515-12 du même code, lorsque les servitudes instituées dans ces périmètres comportent une limitation ou une suppression du droit d’implanter des constructions ou des ouvrages ;

l) Les sites patrimoniaux remarquables créés en application des articles L. 631-1 et L. 631-2 du code du patrimoine ;

m) Les abords des monuments historiques prévus aux articles L. 621-30 et L. 621-31 du même code ;

n) Les secteurs délimités par le plan local d’urbanisme en application des articles L. 151-19 et L. 151-23 du [code de l’urbanisme} ».

Le conseil constitutionnel a jugé que ces restrictions zonées à l’action en démolition « ne  portent  pas  d’atteinte disproportionnée aux droits des victimes d’obtenir réparation de leur préjudice,  ni  d’atteinte  au  droit  à  un  recours  juridictionnel  effectif » et respectent les articles 1er, 2 et 4 de la Charte de l’environnement (Décision n° 2017-672 QPC du 10 novembre 2017)

III/ L’action  en  démolition  au  bénéfice  des  communes  et  des établissements publics de coopération intercommunale

Pour permettre à l’administration d’agir au-delà du délai dans lequel est enfermée l’action pénale de l’article L. 480-5 du code de l’urbanisme, la loi dite Bachelot (n°2003-699 du 30 juillet  2003  relative  à  la  prévention  des  risques  technologiques  et  naturels  et  à  la réparation  des  dommages) a  institué  une  action  civile  en  démolition  propre  aux communes   et EPCI compétents   en   matière d’urbanisme   et   prescrite   par   dix   ans   à   compter   de l’achèvement des travaux.

La   loi   n°2010-788   du   12   juillet   2010   portant   engagement   national   pour l’environnement a  élargi  le  champ  d’application de cette action, d’une part, en supprimant la  condition  tenant  à  la  localisation  de  l’ouvrage  au  sein  d’une  zone présentant  des risques  naturels  particuliers et, d’autre part, en l’étendant à  toutes les infractions d’urbanisme et notamment aux aménagements, installations et travaux.

La Cour de cassation a bien précisé que cette action en démolition dont bénéficie la commune ou l’EPCI n’exige pas « la  démonstration  d’un  préjudice  personnel  et  direct  causé par les constructions irrégulières» (Cour de cassation., 3èmeciv., 16 mai 2019, Stédes Mines c/ Cne de Lovagny, n° 17-31757).

Si cette action appartient en propre à la commune ou à l’EPCI, un tiers intéressé peut contester la décision du maire ou du président d’un EPCI de refuser de faire usage des pouvoirs que lui confère l’article L. 480-14 selon la jurisprudence administrative (TA Besançon, 15 janvier 2019, n°1702242).

Précisons encore que le  juge  judiciaire  examine, au  regard  de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (et donc du droit au respect de la vie privée et familiale),la proportionnalité de la mesure de démolition (Cour de cassation, 3èmeciv., 17 décembre2015, n° 14-22.095 ; Cour de cassation, 16 janvier 2020, n°19-10375.18Cour de cassation, 3èmeciv.,16 janvier2020, n° 19-13.645).

IV/ L’action en démolition à l’initiative des collectivités territoriales est conforme à la Constitution (sous réserve qu’une régularisation soit impossible)

Dans sa décision n°2020-853 QPC du 31 juillet 2020, le Conseil constitutionnel a déclaré que l’action en démolition des collectivités prévue par l’article L480-14 du code de l’urbanisme est conforme à la Constitution tout en y apposant une réserve d’interprétation.

En l’espèce, un requérant avait réalisé une construction sans obtenir préalablement l’autorisation d’urbanisme requise. Pour régulariser sa situation, il avait ensuite déposé une demande de permis de construire. Par un arrêté du 1er juillet 2016, le maire de Yèvre-la Ville (Loiret) a rejeté cette demande. Le tribunal administratif d’Orléans a rejeté la demande d’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté de refus, jugement confirmé par la Cour administrative d’appel de Nantes dans un arrêt du 18 octobre 2019. Un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat a été formé par le requérant.

Devant le Conseil d’Etat, une partie du débat a porté sur la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) formulée par le requérant concernant la conformité aux droits et aux libertés garantis par la Constitution de l’article L480-14 du code de l’urbanisme. La Haute Juridiction a fait droit à la demande de transmission de cette QPC au Conseil constitutionnel (CE, 29 mai 2020, n°436834).

Dans le cadre de la QPC, il était soutenu que l’article L480-14 du code de l’urbanisme portait une atteinte au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC).

Dans un premier temps, le juge constitutionnel a considéré que dans la mesure où l’action en démolition ne constitue qu’une conséquence des restrictions apportées aux conditions d’exercice du droit de propriété par les règles d’urbanisme, elle n’a pour objet que de rétablir les lieux dans leur situation antérieure à l’édification irrégulière de la construction concernée. Dès lors, selon le Conseil constitutionnel, l’action en démolition n’entre pas dans le champ d’application de l’article 17 de la DDHC qui dispose que : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ».

Dans un second temps,en ce qui concerne la conformité de l’article L480-14 du code de l’urbanisme avec l’article 2 de la DDHC, le Conseil constitutionnel rappelle que l’action en démolition est « justifiée par l’intérêt général qui s’attache au respect des règles d’urbanisme, lesquelles permettent la maîtrise, par les collectivités publiques, de l’occupation des sols et du développement urbain ».

Et les Sages de la rue Montpensier d’ajouter que l’action en démolition ne peut être introduite que dans un délai de dix ans à compter de l’achèvement des travaux, et prononcée par le seul judiciaire à l’encontre d’une construction irrégulière.

Dans ce contexte, le Conseil constitutionnel juge que si le dispositif véhicule effectivement des limitations au droit de propriété résultant de l’article 2 de la DDHC, ces limitations sont justifiées par un motif d’intérêt général.

Néanmoins, le Conseil constitutionnel ne valide la conformité de l’article L480-14 du code de l’urbanisme que sous la réserve que l’action en démolition soit écartée s’il est possible de privilégier la mise en conformité de la construction ou de l’installation avec le droit de l’urbanisme. Dans le cas contraire, une atteinte excessive au droit de propriété serait alors portée :

« 9. D’autre part, cette action en démolition ne peut être introduite que par les autorités compétentes en matière de plan local d’urbanisme et dans un délai de dix ans qui commence à courir dès l’achèvement des travaux. Par ailleurs, la démolition ne peut être prononcée que par le juge judiciaire et à l’encontre d’un ouvrage édifié ou installé sans permis de construire ou d’aménager, ou sans déclaration préalable, en méconnaissance de ce permis ou en violation des règles de fond dont le respect s’impose sur le fondement de l’article L. 421-8 du code de l’urbanisme. Toutefois, les dispositions contestées ne sauraient, sans porter une atteinte excessive au droit de propriété, être interprétées comme autorisant la démolition d’un tel ouvrage lorsque le juge peut, en application de l’article L. 480-14, ordonner à la place sa mise en conformité et que celle-ci est acceptée par le propriétaire ».

Avec cette décision, le Conseil constitutionnel valide donc la conformité à la Constitution de l’action en démolition à l’initiative des collectivités territoriales mais restreint la portée de ce dispositif aux seules hypothèses où une régularisation de la situation irrégulière s’avère impossible.