teamwork of paper teamLe tribunal administratif de Grenoble a rendu le 12 février 2013, un jugement (TA Grenoble, 12 février 2013, n°1101160 et n°1101168) qui intéressera tous les porteurs de projets nécessitant la réalisation d’une étude d’impact par les précisions qu’il apporte tant sur les modalités d’appréciation de la qualité d’une telle étude que sur la date d’appréciation de la complétude de cette étude.

On notera d’emblée que la décision d’autorisation d’exécution de travaux et d’aménagement d’un domaine skiable dont était saisi le juge grenoblois dans cette affaire était antérieure aux réformes relatives à l’étude d’impact et à l’enquête publique. Cependant, la solution dégagée, par les termes employés nous parait être totalement applicable aux futures autorisations nécessitant la réalisation d’une étude d’impact.

Sur la date d’appréciation de la complétude de l’étude d’impact

Pour apprécier la complétude de l’étude d’impact produite pour la demande d’autorisation ayant donné lieu à la décision litigieuse, le juge administratif grenoblois décide de se placer à la date de l’enquête publique.

Et cette position, compte tenu de la nécessaire information du public imposée par les textes pour certains projets (voir C. env., art. R. 123-1 et R. 122-2) semble amplement justifiée.

En effet, l’article L. 123-1 du code de l’environnement prévoit depuis le 1er juin 2012 que « l’enquête publique a pour objet d’assurer l’information et la participation du public ainsi que la prise en compte des intérêts des tiers lors de l’élaboration des décisions susceptibles d’affecter l’environnement mentionnées à l’article L. 123-2 ».

Ainsi, on comprend qu’un dossier de demande d’autorisation dès lors qu’il est soumis à une telle enquête, a non seulement vocation à informer l’autorité administrative décisionnelle mais aussi et surtout à informer le public.

Bien qu’au départ réticent à cette idée (voir CAA Nancy, 04 mars 2004, n°99NC00567), le juge administratif a fini par la consacrer dans le considérant de principe suivant, lequel a d’ailleurs été récemment confirmé dans une décision que nous avions commentée ici :

« les inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant le dossier soumis à enquête publique ne sont susceptibles de vicier la procédure et ainsi d’entacher d’irrégularité l’autorisation que si elles ont eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative » (CE, 14 octobre 2011, n°323257 ; confirmé par CE, 15 mai 2013, n°353010).

Concernant spécifiquement l’étude d’impact, notons que celle-ci doit être obligatoirement jointe au dossier d’enquête publique, et ce depuis de nombreuses années (C. env., art. R. 123-8, 1° ; anc. art. R. 123-6, 2°).

Fort de ce contexte réglementaire et jurisprudentiel, c’est tout naturellement que le tribunal administratif de Grenoble décide que :

« Considérant qu’eu égard à la finalité des dispositions imposant la réalisation d’une étude d’impact, dont la qualité conditionne la bonne information du public et de l’autorité administrative sur les conséquences du projet envisagé, l’insuffisance du contenu d’une étude d’impact imposée par le Code de l’environnement est susceptible d’entacher d’illégalité les autorisations fondées pour partie sur le résultat de cette étude ; que le contenu de l’étude d’impact réalisé doit être apprécié, à cet effet, à la date de l’enquête publique, la réalisation d’enquêtes complémentaires étant insusceptible de combler d’éventuelles insuffisances à ce stade ».

Et une telle solution, si elle est novatrice par sa formulation, préexistait déjà dans de précédentes décisions. Par exemple, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a déjà pu juger qu’un complément à l’étude d’impact produit postérieurement à l’enquête publique ne permet pas de palier l’insuffisance de l’étude d’impact initiale, laquelle vicie la procédure d’autorisation :

 « Considérant que si l’étude d’impact mentionne qu’aucun monument protégé au titre de la législation sur les sites inscrits et les monuments historiques n’est recensé dans l’aire d’implantation des éoliennes, il ressort de cette même étude que comme l’a relevé le tribunal, plusieurs édifices protégés sont situés dans un rayon de trois à six kilomètres autour des lignes d’éoliennes projetées ; que l’étude d’impact manque de précisions sur les conséquences de la présence du parc éolien sur l’environnement visuel des monuments historiques protégés, ce qui n’a donc pas permis au public d’opérer cette appréciation ; que si une étude ayant donné lieu à un rapport complémentaire en date du 25 juillet 2007, permet par des photos-montages d’apprécier la visibilité du parc éolien depuis certains édifices protégés, ces nouveaux éléments sont postérieurs à la période de consultation du public et n’ont donc pu ainsi pallier le caractère lacunaire de l’étude d’impact initiale ; que, dès lors, la Société E. n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal a estimé, par ce seul moyen d’annulation, que le permis de construire attaqué était intervenu au terme d’une procédure irrégulière en raison de l’insuffisance de l’étude d’impact ;» (CAA Bordeaux, 30 juillet 2010, n°09BX02233 ;   voir également CAA Douai, 13 novembre 2008, n°08DA00187 ; CAA Douai, 22 janvier 2009, n°08DA00372).

Ainsi, le juge grenoblois, en refusant qu’une étude d’impact initialement insuffisante soit complétée  par des éléments produits postérieurement à l’enquête publique, s’inscrit dans une voie jurisprudentielle déjà très largement usitée.

Pour autant, il ne faut pas manquer de remarquer la précision qu’il apporte concernant la réalisation d’enquêtes complémentaires.

En effet, tout en affirmant la date à laquelle doit être appréciée la suffisance de l’étude d’impact, il prend soin de préciser que  la réalisation d’enquêtes complémentaires est insusceptible de combler d’éventuelles insuffisances de l’étude initiale jointe au dossier de la première enquête publique.

On remarquera qu’au sens des nouveaux textes (articles L. 123-13 et R. 123-14 du code de l’environnement) le commissaire enquêteur peut de demander au pétitionnaire de compléter le dossier d’enquête publique par des documents qu’il juge utiles à la bonne information du public.

De plus, contrairement à ce que pourrait faire croire cette décision du juge grenoblois, la production de compléments à l’étude d’impact postérieurement à la réalisation de l’enquête publique n’entraine pas de facto l’irrégularité de la procédure d’autorisation. En effet, préalablement à la reconnaissance de l’irrégularité de la procédure, il faut nécessairement que le juge contrôle si les éléments produits venaient pallier une insuffisance de l’étude d’impact initial, et si cette dernière nuisait à la bonne information du public.

En illustration de ces propos, on peut citer un arrêt récent de la Cour administrative d’appel de Marseille, dans laquelle cette dernière a jugé que :

« Considérant que l’établissement par la société pétitionnaire d’un  » complément paysager  » à l’étude d’impact, postérieurement à l’enquête publique, n’est pas de nature à l’entacher d’irrégularité ni à justifier l’organisation d’une nouvelle enquête publique, dès lors, comme il a été dit au point 23, que l’étude d’impact initiale n’était pas sur ce point insuffisante et qu’il n’est pas même allégué qu’à la supposer avérée, cette lacune aurait nui à l’information du public » (CAA Marseille, 19 juillet 2013, n°11MA00431 ; voir également CAA Lyon, 07 mars 2011, n°09LY00018).

Par conséquent, si la précision de la date d’appréciation de la complétude de l’étude d’impact par le juge est importante, les modalités d’appréciation de la complétude de cette dernière le sont tout autant.

Sur les modalités d’appréciation de la qualité de l’étude d’impact

Le public, tout comme l’autorité administrative décisionnelle et le juge, ne disposent pas seuls du niveau d’expertise suffisant pour pouvoir juger de la qualité d’une étude d’impact, laquelle contient souvent des études complexes sur des aspects environnementaux très précis.

Afin de pallier ce manque, la consultation de l’Autorité Environnementale de l’Etat, laquelle est chargée de donner un avis expert sur cette étude a été prévue pour toute procédure d’autorisation nécessitant une étude d’impact (C. env., art. L. 122-1 et R. 122-6 CE). Si cet avis, ne disposant pas juridiquement d’un caractère contraignant à l’égard de l’autorité administrative décisionnelle est simplement consultatif, il n’en demeure pas moins important de par les renseignements qu’il donne sur la qualité de l’étude d’impact.

En effet, cet avis doit contenir au sens de la circulaire du 03 septembre 2009 relative à la préparation de l’avis environnementale : « une analyse du contexte du projet, une analyse du caractère complet du rapport environnemental ou de l’étude d’impact, de sa qualité et du caractère approprié des informations qu’il contient et une analyse de la prise en compte de l’environnement dans le projet, plan ou programme, notamment la pertinence et la suffisance des mesures d’évitement, de réduction, voire de compensation des impacts ».

Egalement, on peut remarquer que cet avis, de par sa fonction éclairante sur la qualité de l’étude d’impact et sur la manière dont le pétitionnaire a pris en compte les enjeux environnementaux, doit être joint au dossier d’enquête publique au même titre que l’étude elle-même (C. env., art. R. 123-8, 1° et R. 122-9).

Cela amène le juge à s’appuyer en partie sur les conclusions d’un tel avis pour contrôler la suffisance d’une étude d’impact (voir CAA Nancy, 26 juin 2012, n°11NC01410), mais cela ne doit pas pour autant être un critère déterminant.

Ainsi le juge grenoblois, pour examiner la suffisance de l’étude d’impact dans l’affaire qui lui était soumise, s’est très largement rapporté aux remarques émises par l’avis de l’autorité environnementale comme le démontre les nombreux passages de l’avis qu’il cite dans sa décision. Et même si les éléments contenus dans cet avis ne constituent pas à eux seuls le fondement de l’insuffisance manifeste reconnue par le Tribunal administratif de Grenoble, ceux-ci ont sans aucun doute très largement participé à convaincre le juge à conclure en ces termes :

« Considérant qu’il ressort de tout ce qui précède que si la totalité des rubriques visée par le Code de l’environnement sont reprises par l’étude d’impact, celle-ci présente une insuffisance manifeste, ainsi d’ailleurs que le commissaire enquêteur l’avait envisagé, qui concluait que le dossier était « fragilisé » par la faiblesse de cette étude, et sans que les études complémentaires, effectuées après l’enquête publique aient pu régulariser la procédure ; que le moyen présenté par la FRAPNA doit dès lors être accueilli ; ».

Par conséquent, les critiques de l’étude d’impact émises par l’avis de l’autorité environnementale ont eu ici une portée significative en ce que le juge les fait participer à la détermination de la suffisance de l’étude d’impact lors de son contrôle.

Néanmoins et heureusement à notre sens, cet état de fait ne doit pas laisser croire au pétitionnaire que toutes les critiques contenus dans l’avis sont susceptibles de fonder la reconnaissance d’une insuffisance de l’étude d’impact. Ainsi, la Cour administrative d’appel de Nancy a pu juger que :

« Considérant, en cinquième lieu, que si les requérants soutiennent que l’avis de l’autorité environnementale du 11 juin 2010 établit le caractère insuffisant de l’étude d’impact dès lors que le préfet de région a émis des réserves sur l’étude d’impact en ce qui concerne les rejets en hydrocarbures dans la rivière de la Chiers, il ressort de ladite étude que des mesures sont prises pour garantir les risques de pollution, et que les réserves émises ne démontrent pas le caractère insuffisant de l’étude d’impact, dès lors que ledit avis note que le dossier prend en compte les problématiques environnementales » (CAA Nancy, 26 juin 2012, n°11NC00403).

Dès lors, quand bien même l’avis de l’autorité environnementale émettrait des réserves quant à certains points de l’étude d’impact, ces réserves ne sont pas nécessairement susceptibles de démontrer aux yeux du juge le caractère insuffisant de l’étude d’impact.

En cet état du droit, il conviendra donc absolument pour le pétitionnaire destinataire d’un avis de l’autorité environnementale de le faire auditer afin de vérifier si juridiquement les réserves qu’il émet sont susceptibles de démontrer le caractère insuffisant de l’étude d’impact, et partant de vicier la procédure d’autorisation. Cela sera le moyen de compléter son étude sur les points nécessaires, et ce avant le début de l’enquête publique.