Éolien : chose promise, chose due (CAA Marseille 23 mai 2017)

,Par David DEHARBE
Avocat spécialiste en droits public et de l’environnement
Docteur en droit Habilité à Diriger des Recherches
Ancien Maître de conférences des Universités
david.deharbe@green-law-avocat.fr
 

Il n’est pas aisé d’engager la responsabilité des personnes publiques du fait de ses promesses.

Le Conseil d’Etat nous a ainsi rappelé récemment que la promesse du législateur ne valait pas grand-chose : la Haute juridiction jugeait encore l’année dernière que le législateur ne pouvant lui-même se lier, une disposition législative posant le principe de l’intervention d’une loi ultérieure ne saurait constituer une promesse dont le non-respect constituerait une faute susceptible d’engager, devant le juge administratif, la responsabilité de l’État (CE, 10e et 9e ch., 27 juin 2016, no 382319, M. C., Mentionnée au Recueil Lebon).

L’espèce, qui retient ici notre attention (CAA MARSEILLE, 9ème chambre – formation à 3, 23/05/2017, 15MA05017, Inédit au recueil Lebon), voit la Cour administrative d’appel de Marseille indemniser un développeur éolien du coût de ses études pour un projet d’urbanisme avorté dans une ZDE, dans laquelle une commune avait contracté avec le pétitionnaire sur son domaine privé pour ensuite instituer un zonage urbanistique hostile au projet doit particulièrement retenir l’attention.

C’est en effet tout à la fois la commune et l’Etat qui voient leur responsabilité administrative engagée pour faute :

« S’agissant de la commune :

  1. Considérant qu’il résulte de l’instruction que la commune de S…. a manifesté son intention d’attirer les opérateurs éoliens en approuvant dans son plan d’occupation des sols approuvé le 20 septembre 1983 et modifié le 7 septembre 2009 la création d’une zone NDe, zone naturelle éolien dont le règlement de zone autorise « les constructions, aménagements, affouillements et exhaussements nécessaires à la mise en oeuvre de l’activité liée aux éoliennes » et en proposant, par délibération de son conseil municipal du 17 avril 2007, au préfet des Pyrénées-Orientales avec la communauté de communes R… et d’autres communes avoisinantes, de créer une zone de développement éolien (ZDE) comprenant cette partie du territoire communal ; que la commune a signé avec la société EU… devenue ElecEL…tribent le 31 janvier 2008 une promesse de bail pour une durée de 30 ans pour mettre à la disposition de l’installateur d’éoliennes des parcelles appartenant à son domaine privé aux fins d’y implanter un parc éolien ; que ces parcelles sont situées dans le périmètre de la future zone de développement éolien de la communauté de communes R…. dont la création a été approuvée par arrêté du 2 juin 2009 du préfet des Pyrénées-Orientales ; que la commune a ainsi donné des assurances précises et constantes, contrairement à ce qu’elle soutient, à la société EL…sur la faisabilité de son projet d’implantation d’un parc éolien dans une zone où ce dernier ne pouvait pas être implanté eu égard à la sensibilité du site, qui n’est pas contestée par les parties ; que la commune de S….a ainsi commis une faute de nature à engager sa responsabilité à l’égard de la société requérante ;


S’agissant de l’Etat :

  1. Considérant que la société EL…recherche en appel, comme en première instance, la responsabilité pour faute de l’Etat ayant consisté à lui avoir donné à tort une assurance suffisante de la faisabilité de l’implantation de ce projet en créant cette ZDE incluant le terrain d’assiette du projet ; que si la création d’une ZDE n’a pas par elle-même ni pour objet ni pour effet d’autoriser l’implantation d’éoliennes dans cette zone et ne préjuge en rien de l’obtention ultérieure de permis de construire pour installer des aérogénérateurs au titre de l’article L. 421-1 du code de l’urbanisme, ainsi que le précise d’ailleurs l’article 4 de l’arrêté préfectoral du 2 juin 2009 suscité, la société EL… a pu estimer qu’elle disposait de garanties suffisantes de la part de l’Etat pour mener à bien son projet, alors en outre, que la commune de S…, qui a modifié son plan d’occupation des sols pour permettre l’installation sur son territoire d’un parc éolien, avait été à l’initiative de la création de la ZDE ; que la société requérante n’a débuté les études dont elle demande l’indemnisation que postérieurement à cet arrêté préfectoral du 2 juin 2009 et a élaboré son projet pour qu’il soit techniquement et juridiquement compatible avec le zonage A de cette ZDE d’une superficie de 802 ha comprenant les communes d’Opoul-Périllos et de Salses-le-Château, qui autorise une puissance maximale de 30 MW, dès lors que la puissance totale du parc projeté des sept éoliennes aurait atteint 16,10 MW compatible avec ce zonage ; que la société EL…est ainsi fondée à soutenir que l’Etat a commis une faute en lui fournissant à tort des assurances quant à la faisabilité du projet par la création d’une ZDE, et qu’il existe un lien de causalité direct entre la faute commise par l’Etat et certains des préjudices dont elle demande réparation ».

Cette solution se rattache, sur le terrain du principe même de la responsabilité, à la théorie des promesses non tenues et doit être saluée.

Il existe en effet un  principe général selon lequel une personne publique est responsable des engagements imprudents qu’elle prend vis-à-vis des particuliers qui s’adressent à elle, des promesses ou des encouragements qu’elle prodigue (O. Fickler-Despres, Les Promesses de l’Administration : JCP G 1998, I, 104 et J.-M. André, La responsabilité de la puissance publique du fait de diverses formes d’engagements non contractuels de l’Administration : AJDA 1976, p. 20). Et notre affaire n’est pas sans rappeler cette autre espèce qui voit la même Cour (CAA Marseille, 20 juill. 1999, n° 96MA10930, Cne Saint-Laurent d’Aigouze, inédit) retenir la responsabilité de la commune qui, liée par un bail emphytéotique avec la victime devant lui permettre l’aménagement d’une zone de loisirs, l’incite à plusieurs reprises à poursuivre la réalisation du projet d’aménagement, alors que la commune n’ignorait pas qu’en l’état des prescriptions du plan d’occupation des sols, cet aménagement ne pouvait être autorisé.

Et dans l’espèce de mai dernier l’appréciation des frais engagés à perte démontre que la constitution du dossier de permis assorti d’une étude d’impact avec un volet acoustique démontre que le DDAE du nouveau régime de l’autorisation environnementale unique serait pris en compte dans son intégralité :

« En ce qui concerne les frais d’études :

  1. Considérant que la société EL…justifie avoir engagé inutilement des frais pour la réalisation d’une étude d’impact sur l’environnement qui devait être jointe à la demande de permis de construire en application de l’article R. 431-16 du code de l’urbanisme ; que cette étude a nécessité de faire appel à un groupe pluridisciplinaire d’experts ; qu’en outre, elle a dû réaliser un dossier complet de demande d’autorisation au titre de la législation relative aux installation classée pour la protection de l’environnement, (ICPE) comprenant notamment une étude de danger ; que, contrairement à ce que soutient la commune, il n’appartient pas par principe à la société pétitionnaire d’assumer le risque du coût perdu de réalisation de ces dossiers en cas de refus final de permis de construire, dès lors que c’est l’incitation fautive des personnes publiques qui a engagé la société à réaliser ces études nécessaires à l’installation de son projet ; que la circonstance que les ICPE relèvent d’une législation indépendante de celle de l’urbanisme n’a pas pour effet de supprimer le lien entre les fautes commises par les défendeurs et les frais engagés pour constituer le dossier de demande d’autorisation au titre des ICPE exigé pour un aérogénérateur par le code de l’environnement ;
  2. Considérant qu’il résulte de l’instruction que la société requérante établit avoir exposé des frais d’acousticien pour l’étude impact acoustique dans le site d’Opoul-Périllos pour la période comprise entre le 12 novembre 2009 et le 8 février 2012, pour laquelle la responsabilité de l’administration est engagée, pour un montant total de 13 462,57 euros ; que les frais d’études d’urbanistes nécessaires à la réalisation de l’étude d’impact s’élèvent, y compris le dernier acompte de 40 000 euros, à la somme totale de 179 400 euros selon la facture produite du 6 janvier 2010 de la société Urbanature ; que les frais du bureau ATDX pour élaborer des mesures compensatoires notamment pour la protection des chiroptères s’élèvent à 36 404,41 euros ; que les frais de géomètre pour borner le périmètre du futur parc éolien d’un montant de 5 599,60 euros présentent un lien de causalité direct avec la faute de l’administration ; que les frais d’architecte pour déposer la demande de permis de construire s’élèvent à 20 930 euros ; que les frais d’architecte pour la révision de l’implantation du parc s’élèvent à la somme totale de 23 860,20 euros ; que les frais de procès verbal d’huissier pour constater le refus illégal d’accepter le dépôt du permis de construire de la société requérante s’élèvent à 400 euros ; qu’en revanche, la requérante n’établit pas par la seule production d’une convention de l’université Paul Valéry avoir exposé des frais d’un montant de 2 000 euros pour le recrutement d’experts universitaires dans les domaines de l’écologie animale et végétale pour la réalisation de l’étude d’impact du projet et son incidence sur la zone de protection spéciale ; que le lien entre les frais de photocopie d’un montant de 946,13 euros résultant de la facture de la société Sema Prim du 29 novembre 2010 et le projet de parc éolien n’est pas établi ; que, dans ces conditions, les frais d’études engagés inutilement par la société en lien avec la faute commise s’élèvent à la somme totale de 280 057 euros ;» ;

Demeure une déception. C’est sans une réelle motivation que les juges du fond écartent le chef du préjudice du manque à gagner : « Considérant que si la société requérante soutient qu’elle a subi un préjudice du fait de la perte de promesse du bail qui lui avait été consentie en 2008 sur un terrain devenu inapte à recevoir son projet et du manque à gagner du fait de l’impossibilité de produire et de vendre l’électricité des éoliennes, l’impossibilité d’exploiter ces éoliennes a pour seule cause le refus de permis de construire qui lui a été opposé à juste titre, eu égard aux caractéristiques du secteur en cause, le 17 décembre 2012 par le préfet des Pyrénées-Orientales ; qu’à défaut de lien de causalité entre la faute de l’administration et le préjudice allégué, ce chef de préjudice doit dès lors être écarté ».

A minima il y eu perte de chance résultant d’un abandon du projet par la commune et l’argument du défaut de causalité est un peu court.

Remarquons enfin que ce choix du juge explique très logiquement qu’il laisse à la charge du pétitionnaire une part de responsabilité, ici estimée à 20%, pour finalement répartir l’indemnisation entre l’Etat (40%) et la commune fautive (60%).