Par maître David DEHARBE (Green Law Avocats)
Le 26 Septembre dernier, un incendie de grande ampleur s’est déclarée à Rouen sur le site de Lubrizol, classé Seveso seuil haut, et sur celui des entrepôts de Normandie Logistique, soumis eux à un régime de déclaration.
C’est dans ce contexte que 9 mois plus tard le Gouvernement sollicite l’avis du public sur un projet de renforcement réglementaire, constituant le volet « Entrepôts de matières combustibles » du plan d’action gouvernemental lancé pour tirer les conséquences de l’accident. Le but de ce projet est de modifier la nomenclature des ICPE ainsi que la nomenclature relative à l’évaluation environnementale des projets tout en revoyant les prescriptions applicables à certaines installations.
Le 26 Juin, le Ministère de la Transition écologique et solidaire a en effet ouvert une consultation publique relative à un projet de décret et d’arrêté visant plus particulièrement à modifier les seuils d’autorisation et à renforcer les prescriptions de certains entrepôts de stockage classés au titre des rubriques 1510 (entrepôts couverts), 1511 (entrepôts frigorifiques), 1530 (papier), 1532 (bois), 2662 et 2663 (matières plastiques).
Concernant la nomenclature ICPE, le projet vise d’abord à considérer le classement de l’installation au niveau de l’entrepôt dans son ensemble et ainsi limiter les doubles classements conduisant in fine à appliquer un régime administratif moins contraignant. Ensuite, il prévoit de revoir à la hausse le seuil d’autorisation pour les installations relevant de la rubrique 1510 (900 000 m³ contre 300 000 m³ actuellement). Enfin, il réserve l’autorisation au stockage de plus de 50 000 m³ de produits susceptibles de dégager des poussières inflammables pour la rubrique 1532 et supprimer le régime d’autorisation pour les rubriques 1511 (sous réserve des obligations liées à l’évaluation environnementale), 1530, 2662, 2663.
S’agissant de l’évaluation environnementale, le projet modifie les règles de soumission à l’évaluation environnementale systématique en prévoyant qu’y seront soumis les projets de plus de 40 000 m2 d’emprise au sol dans un espace non artificialisé au lieu de 40 000 m² de surface de plancher auparavant.
Ces évolutions de nomenclatures s’accompagnent d’une modification des prescriptions applicables aux rubriques 1510, 1511, 1530, 1532, 2662 et 2663 à compter du 1er Janvier 2021. Le projet d’arrêté a en effet pour objectifs de renforcer les prescriptions relatives aux entrepôts couverts, d’imposer des prescriptions nouvelles aux entrepôts existants compte tenu des enjeux de sécurité, et d’adopter des mesures transitoires permettant de prendre acte de la modification de la nomenclature ICPE. Parmi les nouvelles prescriptions applicables aux établissements couverts figurent notamment la mise à disposition des éléments des rapports de visites de risques qui portent sur les recommandations issues de l’analyse des risques menée par l’assureur, à l’inspection des installations classées, le renforcement des informations minimales contenues dans les études de dangers, ou encore le renforcement des prescriptions relatives à l’éloignement des stockages extérieures et des zones de stationnement susceptibles de favoriser la naissance d’un incendie pouvant se propager à l’entrepôt.
Ces prescriptions de nature sécuritaires font suite à la volonté affichée du Gouvernement de sensibiliser davantage les exploitants des installations classées sur l’importance du partage de la connaissance des risques accidentels issue de l’étude de dangers en insistant sur la nécessité pour ces derniers de connaître en temps réel la nature, les quantités et les emplacements des produits présents sur leurs sites, tout en leur rappelant leur entière responsabilité sur la conformité de leurs installations, au regard de leurs études de dangers.
On sait que le président de la commission d’enquête du Sénat, chargée d’évaluer l’intervention des services de l’État dans la gestion des conséquences de l’accident de Lubrizol, dénonce des défaillances patentes dans l’information des élus et du public dans la gestion cette catastrophe caractérisant un « manque de culture du risque » en France. On mesure tout l’intérêt pour les citoyens de se prononcer en cet été un peu spécial sur ledit projet… la culture du risque sanitaire devrait encore se doubler d’une participation estivale à la prévention du risque technologique.
Mais gageons que nos concitoyens ont encore jusqu’au 17 Juillet 2020 pour émettre leur avis à ce propos sur le site internet du Ministère.
A minima l’exécutif aura donné l’impression d’avoir mobilisé les DREAL sur le sujet en dotant l’Inspection des installations classées de nouveaux instruments réglementaires dans une période où dire c’est faire …
Une fois de plus le droit de l’environnement se donne bien à voir comme le droit des catastrophes où chaque sinistre suscite sa réforme réglementaire ou législative (on pense bien évidemment à la loi Bachelot de 2003 après la catastrophe d’AZF), voire communautaire (Avènement du droit Seveso du nom de la même catastrophe chimique connue par l’Italie). On se demande au final si cette gesticulation réglementaire était vraiment indispensable.
Mais une autre réalité va vite rattraper l’inspection des Installations classées : la France est devenue une terre d’entrepôts avec ses 78 millions de m² d’entrepôts et de plateformes logistiques (EPL) d’au moins 5 000 m² pour stocker sa production. Et les DREAL des Hauts-de-France et Auvergne Rhône Alpes qui doivent gérer près de 58 % de ces EPL ne doivent pas oublier que le secteur emploie 165 000 personnes pour l’entreposage et la manutention alors que la logistique représente près de 10% de la population active… En période de crise économique et de risque de confinement il faut de surcroît encore prendre garde de ne pas menacer nos capacités de stockages qui servent une consommation exsangue …