Urbanisme: faute d’enregistrement sous un moins d’une transaction prévoyant le désistement d’un recours contre un permis de construire, les sommes doivent être rendues !

    Par Me Valentine SQUILLACI- Green Law Avocats La Cour de cassation vient de rappeler une règle souvent méconnue des opposants à des projets de construction ayant obtenu le versement d’une somme d’argent en échange du désistement de leur action (arrêt de la 3ème Chambre de la Cour de Cassation, 20 décembre 2018 n°17-27.814) laquelle applique pour la première fois à notre connaissance la sanction posée par l’article L600-8 du Code de l’Urbanisme en cas d’inobservation de cette obligation. La portée de cette décision montre qu’il ne faut pas négliger l’enregistrement auprès de l’administration fiscale, dans le délai d’un mois de leur conclusion, des transactions prévoyant le désistement du recours pour excès de pouvoir formé contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager en contrepartie du versement d’une somme d’argent ou de l’octroi d’un avantage en nature. A défaut, la transaction ne peut faire l’objet d’une exécution forcée ou, s’il elle l’a déjà été, les sommes versées doivent être remboursées. Les faits ayant donné lieu à l’arrêt sont relativement simples. Un permis de construire obtenu par un promoteur immobilier pour la construction de deux bâtiments a fait l’objet d’un recours par le propriétaire de la parcelle voisine. En cours de procédure devant la juridiction administrative, les deux parties ont conclu une transaction prévoyant, en contrepartie du désistement du recours, la réalisation de mesures compensatoires en nature et le versement d’une somme d’argent par le promoteur. En exécution de la transaction conclue, l’auteur du recours s’est désisté de sa requête en annulation du permis de construire et a sollicité du promoteur le versement de sa somme d’argent. Ce dernier a alors opposé la caducité du protocole en faisant valoir qu’il avait été enregistré tardivement. Celui-ci avait en effet été enregistré plus d’un an après sa conclusion. Or, l’article 635 1. 9° du Code Général des Impôts impose l’enregistrement « dans le délai d’un mois à compter de leur date » de toute « transaction prévoyant, en contrepartie du versement d’une somme d’argent ou de l’octroi d’un avantage en nature, le désistement du recours pour excès de pouvoir formé contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager. » Cette exigence est également contenue dans le Code de l’Urbanisme, dont l’article L600-8 disposait, dans sa version antérieure à la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique : « Toute transaction par laquelle une personne ayant demandé au juge administratif l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager s’engage à se désister de ce recours en contrepartie du versement d’une somme d’argent ou de l’octroi d’un avantage en nature doit être enregistrée conformément à l’article 635 du code général des impôts. La contrepartie prévue par une transaction non enregistrée est réputée sans cause et les sommes versées ou celles qui correspondent au coût des avantages consentis sont sujettes à répétition. L’action en répétition se prescrit par cinq ans à compter du dernier versement ou de l’obtention de l’avantage en nature. Les acquéreurs successifs de biens ayant fait l’objet du permis mentionné au premier alinéa peuvent également exercer l’action en répétition prévue à l’alinéa précédent à raison du préjudice qu’ils ont subi. » Comme le permet l’article 1567 du Code de Procédure Civile, le créancier de l’indemnité transactionnelle a saisi le Président du Tribunal de grande instance, lequel a rendu une ordonnance conférant force exécutoire à la transaction. Le promoteur a alors sollicité devant le Président du tribunal statuant en la forme des référés la rétractation de l’ordonnance, ce qu’il a obtenu. La rétractation a été confirmée par la Cour d’Appel de Grenoble (CA Grenoble, 1re ch., 3 oct. 2017, n° 17/00596). Aux termes de l’arrêt commenté, la Cour de Cassation confirme l’arrêt de la Cour d’Appel, en conséquence, la lourde sanction attachée au défaut d’enregistrement, dans le délai d’un mois de leur conclusion, des transactions prévoyant, en contrepartie du versement d’une somme d’argent ou de l’octroi d’un avantage en nature, le désistement du recours pour excès de pouvoir formé contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager. Selon la Cour de Cassation, cette sanction est l’impossibilité de donner force exécutoire à la transaction, laquelle est illégale en raison du défaut d’enregistrement. L’arrêt de la Cour de Cassation, dont la rédaction est extrêmement pédagogique, permet de tirer les enseignements suivants. D’une part, la sanction prévue par l’article L600-8 alinéa 1er du Code de l’Urbanisme s’applique dès lors que le délai d’un mois prévu par l’article 635 du Code Général des Impôts, « délai de rigueur qui ne peut être prorogé », n’a pas été respecté et ce, « quel que soit le motif du retard ». L’auteur du pourvoi avait fait valoir que la rédaction de l’article L600-8 antérieure à la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 ne mentionnait pas ledit délai, l’alinéa 2 précisant uniquement que la sanction devait s’appliquer à une « transaction non enregistrée ». Ladite loi a en effet modifié l’alinéa 2 de la disposition qui prévoit désormais (depuis son entrée en vigueur le 1er janvier 2019) que la sanction s’applique à « une transaction non enregistrée dans le délai d’un mois prévu au même article 635 ». L’auteur du pourvoi en déduisait qu’antérieurement à la réforme, la sanction ne devait pas s’appliquer à une transaction dont l’enregistrement avait réalisé, bien que tardivement. Cette position n’était pas dénuée de pertinence. L’application littérale de l’ancien alinéa 2 de l’article L600-8 devait en effet conduire à ne pas appliquer la sanction si la transaction avait été enregistrée, même tardivement. La Cour de Cassation a cependant censuré cette interprétation et sa motivation mérite d’être reproduite : « Mais attendu qu’il ressort de la combinaison des articles L. 600-8 du code de l’urbanisme et 635, 1, 9° du code général des impôts que la formalité de l’enregistrement doit être accomplie dans le mois de la date de la transaction et que, à défaut d’enregistrement dans ce délai, la contrepartie prévue par la transaction non enregistrée est réputée sans cause ; Que considérer que le délai d’un mois est dépourvu de sanction et admettre ainsi qu’une transaction ne pourrait être révélée que tardivement serait…

Le Conseil constitutionnel et la loi littoral revisitée par la Loi ELAN

Par Maître Lucas DERMENGHEM (Green Law Avocats) Dans une décision rendue le 15 novembre dernier (Décision n° 2018-772 DC du 15 novembre 2018),  le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution plusieurs dispositions du projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite loi “ELAN”). Les Sages de la rue Montpensier avaient été saisis par soixante députés et sénateurs, qui contestaient notamment la constitutionnalité des articles 42, 43, 45 du projet de loi. Ces articles ont pour objet de modifier les règles applicables en matière de construction dans les zones littorales. Les parlementaires auteurs de la saisine estimaient qu’en étendant les possibilités de construction dans les zones littorales, ces nouvelles dispositions méconnaissaient le droit à un environnement sain, le devoir de préservation et d’amélioration de l’environnement ainsi que le principe de précaution, respectivement protégés par les articles 1er, 2 et 5 de la Charte de l’environnement, à valeur constitutionnelle (Décisions n°2011-192 QPC du 10 novembre 2011 et n°2014-394 QPC du 7 mai 2014). En premier lieu, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la constitutionnalité de l’article 42 du projet de loi, qui modifie l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme afin de prévoir les conditions d’autorisation d’une construction ou d’une installation dans une zone littorale. Plus précisément, elles permettent que des constructions et installations soient autorisées dans la zone littorale autrement qu’en continuité avec des agglomérations ou des villages existants. Le Conseil estime que les garanties dont sont assorties ces dispositions permettent de garantir le respect de la Charte de l’environnement. Les juges relèvent ainsi que seules les constructions visant l’amélioration de l’offre de logement ou d’hébergement et l’implantation de services publics sont susceptibles d’être autorisées. En outre, le Conseil relève que le périmètre des zones où de telles constructions ou installations sont susceptibles d’être autorisées est doublement limité puisque, d’une part, il ne comprend pas la bande littorale de cent mètres, les espaces proches du rivage et les rives des plans d’eau et, d’autre part, il est restreint aux secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages identifiés par le SCOT et délimités par le PLU. Cette motivation de la constitutionnalité de la dérogation en zone littorale est-elle un simple élément de contexte ? Au contraire il nous semble que la décision, en faisant valoir que la dérogation ne porte pas atteinte à la bande littorale de cent mètres, aux espaces proches du rivage et aux rives des plans d’eau semble ériger cette inconstructibilité en exigence constitutionnelle depuis l’entrée en vigueur de l’article 1er de la Charte de l’environnement ; lui-même visé par la décision comme norme de référence du contrôle du Conseil. Cette lecture nous semble également cohérente au regard d’une autre décision rendue récemment par le Conseil constitutionnel, dans laquelle il considère la bande des cent mètres comme une « zone présentant une importance particulière pour la protection de l’environnement », et ce toujours au titre de son analyse du moyen relatif à la conformité avec la Charte de l’environnement (Décision n°2017-672 QPC du 10 novembre 2017). Cette interprétation renforcerait en particulier le principe de non-constructibilité de la bande des 100 mètres et devrait inciter le juge administratif à interpréter avec la plus grande rigueur les exceptions légales qui a elle-même consenties la loi littoral n° 86-2 du 3 janvier 1986. Aux termes de l’article L. 121-16 du Code de l’urbanisme, issu de la loi littoral ce n’est qu’ « En dehors des espaces urbanisés, [que] les constructions ou installations sont interdites sur une bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage ou des plus hautes eaux pour les plans d’eau intérieurs désignés au 1° de l’article L. 321-2 du code de l’environnement ». On pense évidemment à l’appréciation de l’exception des dents creuses qualifiables d’« espace caractérisé par une densité significative de construction » (CE, 27 septembre 2006, n°275924), dont on peut même se demander, dès lors qu’elle n’est pas en elle-même finalisée par une construction nécessairement d’intérêt général, si elle est compatible avec la Charte de l’environnement. Dans ce cas, il faudrait faire constater par le juge administratif l’abrogation de la loi sur ce point du fait de l’intervention en particulier de l’article 1er de la Charte de l’environnement (comme le permet la jurisprudence Eaux et Rivières de Bretagne, s’agissant d’une loi antérieure à son entrée en vigueur : CE, 19 juin 2006, n°282456, AJDA p. 1584). Et dans la bande des 100 mètres ne pourrait dès lors perdurer que certaines exceptions justifiées par des constructions d’intérêt général à l’instar de celle visées à l’article L. 121-17 du Code de l’urbanisme, qui dispose : « L’interdiction prévue à l’article L. 121-16 ne s’applique pas aux constructions ou installations nécessaires à des services publics ou à des activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau […] ». Ce débat reste néanmoins à engager devant le juge administratif… mais un peu de prospective juridique n’est pas interdit. Pour revenir à la loi ELAN objet de sa saisine, le Conseil constitutionnel observe également dans son analyse que les constructions ou installations autorisées ne pourront avoir pour objet d’étendre le périmètre bâti existant ou d’en modifier les caractéristiques de manière significative, et que l’autorisation d’urbanisme sera soumise pour avis à la commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CNDPS). En second lieu, le Conseil constitutionnel s’est penché sur la conformité à la Charte de l’article 43 du projet, lequel réécrit l’article L. 121-10 du code de l’urbanisme afin d’autoriser certaines constructions et installations en discontinuité avec l’urbanisation, par dérogation à l’article L. 121-8. Pour estimer la disposition constitutionnelle, les juges relèvent trois garanties. D’abord, l’autorisation ne pourrait porter que sur des constructions et installations nécessaires aux « activités agricoles ou forestières » ou aux « cultures marines ». S’agissant des espaces proches du rivage, seules les autorisations de culture marine pourront être autorisées. Reste à savoir ce que le pouvoir réglementaire ou la jurisprudence définiront comme entrant dans les catégories précitées. Ensuite, le Conseil note que l’autorisation sera subordonnée à l’accord de l’autorité administrative…

Architecture et transition écologique : extension du « permis de faire »

Par Maître Lucas DERMENGHEM (Green Law Avocats) Par une ordonnance n°2018-937 du 30 octobre 2018, publiée au Journal officiel du 31 octobre 2018, le Gouvernement entend franchir une seconde étape en matière d’innovation technique et architecturale. Ce texte définit les modalités selon lesquelles les maîtres d’ouvrage des opérations de construction de bâtiments peuvent être autorisés à déroger à certaines règles de construction lorsqu’ils apportent la preuve qu’ils parviennent, par les moyens techniques qu’ils mettent en œuvre, à des résultats équivalents à ceux découlant de l’application des normes de référence. Le caractère innovant des procédés, d’un point de vue technique et architectural, doit également être démontré.   Par cette réforme, le Gouvernement généralise et étend un dispositif déjà prévu par la loi n°2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. Cette loi avait ainsi institué le « permis de faire », qui permettait à certains maîtres d’ouvrage, pour la réalisation d’équipements publics et de logements sociaux, de déroger à titre expérimental aux règles applicables en matière d’incendie, de risques de panique et d’accessibilité, dès lors que leur étaient substitués des résultats à atteindre similaires aux objectifs sous-jacents auxdites règles.   Avec l’ordonnance du 30 octobre 2018, cette possibilité est étendue à toutes les typologies de bâtiments ainsi qu’à tous les maîtres d’ouvrage. Surtout, les règles de construction concernées par le nouveau dispositif sont étendues à d’autres domaines : l’aération, la performance énergétique et environnementale et les caractéristiques énergétiques et environnementales, les caractéristiques acoustiques, la construction à proximité de forêts, la protection contre les insectes xylophages, la prévention du risque sismique ou cyclonique ainsi que les matériaux et leur réemploi.   Le modus operandi de la réforme est le suivant : les maîtres d’ouvrage souhaitant innover dans l’un des domaines précités devront soumettre leur projet à des organismes, désignés par décret, qui attesteront du caractère équivalent des résultats obtenus par les moyens alternatifs proposés, et valideront leur caractère innovant. Si l’attestation est délivrée, elle devra figurer dans le dossier de demande d’autorisation ou de déclaration nécessaire à l’opération projetée (demande de permis de construire, de permis d’aménager, déclaration préalable, etc.).   Une fois autorisées, les opérations font l’objet, jusqu’à leur achèvement, d’une vérification effectuée par un contrôleur technique. Celui-ci fournira à la fin des travaux une attestation de la bonne mise en œuvre des moyens utilisés par le maître d’ouvrage. Précisons que les opérations restent soumises au droit commun relatif aux contrôles applicables à l’ensemble des opérations de construction.   En cas de mauvaise mise en œuvre des moyens précités, l’autorité compétente est alors tenue, selon les cas, soit de s’opposer à la déclaration d’achèvement et de conformité des travaux, soit de refuser de délivrer l’autorisation d’ouverture de l’article L. 111-8-3 du code de la construction et de l’habitation ou l’attestation de conformité des travaux au titre du code du patrimoine.   Notons que l’ordonnance insiste sur la nécessaire impartialité des organismes agrées devant délivrer l’attestation initiale. L’article 5 de l’ordonnance impose ainsi que ces organismes n’aient « aucun lien, pour l’opération en cause, avec le maître d’ouvrage, les constructeurs ou le contrôleur technique […] qui soit de nature à porter atteinte à leur indépendance ». Une exigence similaire s’applique aux contrôleurs techniques vérifiant la bonne mise en œuvre des moyens innovants autorisés.   Un décret en Conseil d’Etat fixera les conditions d’application de cette ordonnance. En particulier, le décret désignera les organismes agrées devant délivrer les attestations, ainsi que les résultats équivalents à atteindre lorsqu’il est dérogé à une règle de construction. Si cette réforme constitue le second acte d’une « libération » de l’innovation technique et architecturale, un nouveau texte devrait être publié prochainement. En effet, l’article 49 de la loi n°2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance (ESSOC) avait autorisé le Gouvernement à prendre deux ordonnances : la première est celle du 30 octobre 2018, la seconde doit être prise dans un délai de 18 mois à compter de la promulgation de la loi.   Cette seconde ordonnance vise à réécrire le livre Ier du code de la construction et de l’habitation afin de pérenniser les dispositions de la première ordonnance notamment en offrant aux maîtres d’ouvrage la possibilité de plein droit de satisfaire à leurs obligations en matière de construction en apportant la preuve qu’ils parviennent, par les moyens alternatifs qu’il entend mettre en œuvre, à des résultats équivalents.

La réception, même avec réserves met fin au contrat d’entreprise

Par Maître Valentine SQUILLACI (Green Law Avocats) L’articulation entre les garanties légales du droit de la construction et la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur n’est pas toujours aisée. La Cour de Cassation (Cass. 3ème, civ., 6 septembre 2018, n°17-21.155) vient d’apporter une clarification à ce régime en précisant que la réception de l’ouvrage objet du contrat d’entreprise qu’elle soit intervenue avec ou sans réserves, met fin audit contrat. Les faits de l’espèce sont les suivants : Le Maître d’Ouvrage a conclu avec l’entrepreneur un contrat de construction portant sur la réalisation d’une piscine. L’ouvrage est réceptionné avec réserves le 30 juin 2014. Puis, l’entrepreneur est placé en liquidation et son activité est cédée à un repreneur. Suite à l’apparition de nouveaux désordres, le Maître d’ouvrage assigne en référé le repreneur afin d’obtenir sa condamnation à réaliser, sous astreinte : Les travaux de levée des réserves, Les travaux nécessaires à la réfection des désordres apparus suite à la réception des travaux. Le Tribunal et la Cour d’appel avaient fait droit à la première demande, considérant que dans la mesure où les réserves n’étaient pas levées, le contrat était toujours en cours et avait ainsi été cédé au repreneur devenu titulaire des « contrats en cours » en application du jugement ordonnant la cession. Les premiers juges avaient cependant débouté le Maître d’Ouvrage de son autre demande au motif que les désordres apparus après réception relevaient quant à eux de la garantie des constructeurs, et non de l’exécution du contrat. La Cour de Cassation aligne quant à elle le régime des travaux de levée des réserves sur celui des travaux à réparer les désordres apparus postérieurement à la réception. Elle affirme en effet sans ambiguïté aux termes de son arrêt du 6 septembre 2018 que « le contrat d’entreprise prend fin à la réception de l’ouvrage, avec ou sans réserves » de sorte qu’à compter de cette date, seules les garanties légales peuvent être mobilisées par le Maître de l’Ouvrage. Il est intéressant de noter que la position de la Cour de Cassation diffère sur ce point de celle du Conseil d’Etat qui considère que lorsque la réception est prononcée avec réserves, le contrat se poursuit au titre des travaux ou des parties de l’ouvrage ayant fait l’objet de réserves (CE, 16 janvier 2012, n°352122). Il convient malgré tout de rappeler que, si conformément à cette récente décision le contrat prend fin au moment de la réception, la responsabilité contractuelle de droit commun de l’entrepreneur subsiste quant à elle avant la levée des réserves concurremment avec la garantie de parfait achèvement due par celui-ci. En effet selon une jurisprudence constante de la Cour de Cassation (voir notamment Cass. Civ. 3ème, 6 mai 2014, n°13-14300), le Maître d’Ouvrage qui a dépassé le délai d’un an de la garantie de parfait achèvement peut engager la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur s’agissant de ces désordres, sous réserve de démontrer l’existence d’une faute, d’un lien de causalité et d’un préjudice.  Dans l’espèce soumise à la Cour de Cassation, une telle action n’était pas possible dans la mesure où le passif de l’entrepreneur, et donc sa responsabilité contractuelle au titre des désordres apparents à la réception, n’avaient pas été repris par le cessionnaire, seuls les contrats en cours ayant été cédés.  

Construction: Garantie décennale, assurance obligatoire et dommages aux existants : la tentative de clarification du Sénat par le projet de loi ELAN adopté le 25 juillet 2018

Par Me Valentine SQUILLACI- Avocat (GREEN LAW AVOCATS) Il y a maintenant un an, la Cour de Cassation a créé la surprise sur une question juridique intéressant le domaine de la construction. La Haute juridiction retenait alors que « les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (Cass. 3e civ., 15 juin 2017, n° 16-19.640 confirmé par Civ. 3e, 29 juin 2017, n° 16-16.637, Cass. 3e civ., 14 sept. 2017, n° 16-17.323) En d’autres termes, la garantie décennale n’est donc plus uniquement due par le constructeur d’un ouvrage mais par toute personne intervenant sur un ouvrage pour y installer un élément d’équipement, dissociable ou non (installateur d’une pompe à chaleur, d’une cheminée …) et s’étend aux dommages affectant l’ouvrage existant, dès lors qu’ils rendent ce dernier impropre à sa destination. Afin de tenter de limiter leur garantie dans une telle hypothèse, les assureurs de responsabilité décennale ont invoqué les dispositions de l’article L243-1-1 II) du Code des assurances qui excluent du champ de l’assurance obligatoire les « ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles. » Créant à nouveau la surprise, la Cour de Cassation s’est alors fondée quelques mois plus tard sur une application littérale du texte et a considéré que ces dispositions « ne sont pas applicables à un élément d’équipement installé sur existant » (Cass. 3e civ., 26 oct. 2017, n° 16-18.120).   La Cour de Cassation considère donc aujourd’hui que les dommages aux existants (incorporés ou non) sont couverts par l’assurance obligatoire de responsabilité décennale dès lors qu’ils résultent de l’installation d’un équipement sur existant, et non de la construction d’un ouvrage. Cette position de la Cour de Cassation crée en pratique deux séries de difficultés : D’une part, les simples installateurs d’équipements qui ignorent être désormais tenus à la garantie décennale s’exposent à des poursuites pénales, le défaut de souscription d’une telle assurance étant un délit en application de l’article L243-3 du Code des assurances ; D’autre part, du point de vue des assureurs, le prisme des dommages couverts au titre de l’assurance obligatoire est significativement élargi puisqu’il s’étend désormais aux désordres ayant pour origine un élément d’équipement dissociable d’origine ou installé sur existant. On imagine donc que le lobby des assureurs a activement œuvré pour obtenir une réponse législative à cette « dérive » jurisprudentielle… C’est ainsi que le 25 juillet 2018 le Sénat a adopté le « Projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique » (disponible ici), dit « ELAN », qui prévoit notamment une nouvelle rédaction de l’article L.243-1-1 II) du Code des assurances en ces termes : « II. – Les assurances obligatoires prévues aux articles L. 241‑1, L. 241‑2 et L. 242‑1 ne sont pas applicables et ne garantissent pas les dommages, aux existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles. » La modification est subtile et il n’est pas certain qu’elle sera de nature à modifier la position de la Cour de Cassation… Bien que cette dernière n’ait pas expliqué pourquoi, selon elle, les dispositions de l’article L.243-1-1 II) du Code des assurances « ne sont pas applicables à un élément d’équipement installé sur existant », on peut imaginer que c’est dans la mesure où ce texte évoque un « ouvrage neuf ». Or, cette référence n’a pas été supprimée par le Sénat. Il convient donc de suivre attentivement le travail de la commission mixte paritaire qui a été convoquée après la première lecture du texte par les deux assemblées.