Installation photovoltaïque / crédit affecté: le bon, la brute et le truand (Cass, 10 déc.2014)

  Par Maître Aurélien BOUDEWEEL (Green Law Avocat) Par un arrêt en date du 10 décembre 2014 (Cass. 1ère civ. 10 décembre 2014, pourvoi n°13-22679), la Cour de cassation confirme la résolution du contrat principal relativement à la pose de l’installation photovoltaïque et du contrat de crédit signé par les particuliers destiné à financer leur installation photovoltaïque, en dépit de la signature par ces derniers de la signature d’un certificat de livraison du bien. Cette décision renforce donc un courant jurisprudentiel dont nous nous étions fait l’écho dans un précédent article (Article du 14 avril 2014, C. d’appel de LIMOGES, 24 janvier 2014, RG n°12/01358), Rappelons que le contrat de crédit affecté (on parle aussi de crédit lié) est celui qui est consenti par un organisme de crédit à un consommateur lors de la conclusion d’un contrat de vente ou prestation de services afin de financer cette opération commerciale. Dans ce contrat, une double relation contractuelle se noue entre le professionnel, l’établissement de crédit et le consommateur : Un premier contrat, dit contrat principal, est conclu entre le professionnel et le consommateur, Une autre relation contractuelle se noue entre le consommateur et l’établissement de crédit. Ces deux relations contractuelles sont interdépendantes aux termes des articles L. 311-20 à L. 311-28 anciens du Code de la consommation. Le lien d’interdépendance est d’ailleurs une règle d’ordre public à laquelle le consommateur ne saurait renoncer d’une manière ou d’une autre (Cass 1ère civ., 17 mars 1993 : Bull. civ. 1993, I, n° 116). L’article L. 311-32 du Code de la consommation dans sa version actuellement en vigueur prévoit que le contrat de crédit est résolu de plein droit lorsque le contrat, en vue duquel le prêt avait été conclu, est lui-même résolu (Cass. 1re civ., 2 juill. 1991 : JCP G1991, IV, p. 345. – CA Riom, 25 sept. 2002 : JurisData n° 2002-194658). En l’espèce, des particuliers avaient contracté auprès d’une société spécialisée dans la fourniture et la pose d’un système solaire photovoltaïque. A la suite d’une non-exécution et/ou une mauvaise exécution de ce contrat, les particuliers ont assigné la société installatrice et la banque, avec laquelle ils avaient contracté un contrat de crédit affecté au financement des travaux, pour obtenir la résolution des contrats passés. La Cour d’appel avait confirmé le bien fondé de l’action des particuliers et avait notamment prononcé la résolution du contrat de crédit affecté au motif que si, une attestation de livraison avait bien été signée par les particuliers justifiant le déblocage des fonds par la banque, cette attestation n’était pas suffisamment précise. Saisi du litige, la Cour de cassation valide le raisonnement du juge d’appel en jugeant : « Attendu que la banque fait grief à l’arrêt, qui prononce la résolution des contrats litigieux, de rejeter sa demande en paiement, alors, selon le moyen : 1°/ qu’en imputant à faute à la banque le fait d’avoir débloqué les fonds au vu d’une attestation de livraison qui aurait manqué de précision et de crédibilité s’agissant d’un contrat « destiné à financer la fourniture et l’installation d’un toit photovoltaïque », cependant que l’objet du prêt, tel que précisé dans l’offre préalable de crédit, portait exclusivement sur le financement d’un toit photovoltaïque moyennant le prix de 17 300 euros correspondant au montant dudit prêt, la cour d’appel a dénaturé l’offre préalable en violation de l’article 1134 du code civil ; 2°/ que l’emprunteur qui détermine l’établissement de crédit à verser les fonds au vendeur au vu de la signature par lui du certificat de livraison du bien n’est pas recevable à soutenir ensuite, au détriment du prêteur, que le bien ne lui a pas été livré ou que la prestation accessoire n’a pas été exécutée, de sorte qu’en statuant comme elle a fait bien qu’elle eût constaté que le prêteur avait débloqué les fonds au vu de l’attestation de livraison signée par les emprunteurs, la cour d’appel a violé l’article L. 311-20 ancien du code de la consommation, ensemble l’article 1147 du code civil ; Mais attendu qu’ayant relevé que l’attestation de “livraison-demande de financement” signée par M. Y… le 26 février 2009 n’était pas suffisamment précise pour rendre compte de la complexité de l’opération financée et ainsi permettre au prêteur de s’assurer de l’exécution complète du contrat principal, la cour d’appel a pu en déduire, sans encourir le grief de dénaturation, qu’en libérant la totalité des fonds au seul vu de cette attestation, la banque avait commis une faute excluant le remboursement du capital emprunté ». Cet arrêt de la Cour de cassation décline ici une jurisprudence constante qui veut que l’obligation de l’emprunteur de rembourser le prêt d’argent (dans le cadre d’un crédit affecté) ne commence qu’avec la livraison de la marchandise ou l’exécution de la prestation issue du contrat principal (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997 : Contrats, conc. consom. 1997, comm. 86. – Cass. 1re civ., 7 févr. 1995 : Contrats, conc. consom. 1995, comm. 166. – CA Douai, 8 sept. 1994 : Rev. huissiers 1995, p. 116). Surtout, la Haute juridiction semble décider d’aller plus loin face à des organismes de crédit peu scrupuleux qui tentent d’arguer de la signature d’une attestation de livraison pour s’opposer à la résolution du contrat de crédit affecté. En effet la signature d’une attestation ne suffit pas à empêcher la résolution du contrat de crédit affecté dès lors que cette attestation est insuffisamment précise ou rédigée en des termes trop généraux ne permettant pas, malgré lui, à l’organisme de crédit d’apprécier la consistance des prestations, objet du financement.

Prolongation exceptionnelle d’un permis de recherches d’hydrocarbures

Par Marie-Coline Giorno, Avocat (Green Law Avocat) Aux termes d’un arrêté du 23 février 2015, une prolongation exceptionnelle du permis exclusif de recherches de mines d’hydrocarbures a été accordée à une société. Ce permis exclusif de recherches de mines d’hydrocarbures (PERH) avait été accordé par arrêté du 23 juin 2000. Il avait fait ensuite l’objet de deux prolongations, la première en date du 17 décembre 2004 et la seconde en date du 28 janvier 2009. La loi n° 2011-835 du 13 juillet 2011 visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique fut promulguée lors de la seconde prolongation. Le 12 septembre 2011, la société a rendu le rapport exigé par cette loi exposant qu’elle n’aurait pas recours à la fracturation hydraulique dans le cadre de son PERH. Son permis n’a donc pas été abrogé. Toutefois, la société soutient qu’elle n’aurait pu mener à bien ses principaux projets d’exploration et a demandé une prolongation supplémentaire en invoquant des circonstances exceptionnelles de fait et de droit. – En ce qui concerne les circonstances de fait exceptionnelles, la société soutient qu’elle n’aurait pu mener à bien ses principaux projets d’exploration en raison du « contexte défavorable pour les activités pétrolières » de 2011 avec l’intervention de la loi interdisant la fracturation hydraulique précitée et les différentes tensions ayant entourées cette loi. – En ce qui concerne les circonstances de droit exceptionnelles, la société invoque une évolution notable du contexte réglementaire, imposant désormais une étude d’impact préalablement aux travaux d’exploration. L’abstract publié au journal officiel ne donne pas plus d’informations, « Par arrêté de la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et du ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique en date du 23 février 2015, la validité du permis exclusif de recherches de mines d’hydrocarbures conventionnels liquides ou gazeux dit ….. est prolongée jusqu’au …… sur une surface inchangée. » Cette prolongation exceptionnelle suscite plusieurs interrogations. En premier lieu, la prolongation vise la prolongation d’un « permis exclusif de recherches de mines d’hydrocarbures conventionnels liquides ou gazeux ». L’utilisation du terme « conventionnels » est surprenante et, à notre sens, dénuée de valeur et d’intérêt juridique. D’une part, l’article L. 122-1 du nouveau code minier indique que « Le permis exclusif de recherches de substances concessibles confère à son titulaire l’exclusivité du droit d’effectuer tous travaux de recherches dans le périmètre qu’il définit et de disposer librement des produits extraits à l’occasion des recherches et des essais ». En l’espèce, le PERH accordé à la société aux termes de l’arrêté du 23 juin 2000 visait les « hydrocarbures liquides ou gazeux » et ne distinguait nullement leur origine conventionnelle ou non. La précision apportée dans l’arrêté ministériel nous paraît donc erronée D’autre part, la recherche d’hydrocarbures non-conventionnels ne semble pas pouvoir s’exonérer de l’utilisation de la fracturation hydraulique. Or, cette dernière est interdite depuis la loi du 13 juillet 2011 précitée. Par suite, la recherche d’hydrocarbures non-conventionnels était, de facto, exclue et la précision apportée sur le caractère « conventionnel » des hydrocarbures était superfétatoire. Dès lors, la précision selon laquelle la prolongation exceptionnelle concerne un « permis exclusif de recherches de mines d’hydrocarbures conventionnels liquides ou gazeux » est, selon nous, dépourvue de valeur juridique et superfétatoire : elle ne vise qu’à apaiser les esprits en réaffirmant à mots couverts que la France ne souhaite pas s’engager à ce jour sur la voie des hydrocarbures non-conventionnels. En deuxième lieu, la motivation de l’arrêté n’est pas disponible sur le site Légifrance : il est précisé que « Le texte complet de l’arrêté peut être consulté dans les locaux du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, direction de l’énergie (bureau exploration et production des hydrocarbures), tour Séquoia, 1, place Carpeaux, 92800 Puteaux, ainsi que dans les bureaux de la direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie d’Ile-de-France, 10, rue Crillon, 75194 Paris Cedex 04. » La motivation retenue reste donc inconnue. Néanmoins, on peut s’interroger sur la légalité de cette décision. Aux termes de l’article L142-1 du code minier : « La validité d’un permis exclusif de recherches peut être prolongée à deux reprises, chaque fois de cinq ans au plus, sans nouvelle mise en concurrence. Chacune de ces prolongations est de droit, soit pour une durée au moins égale à trois ans, soit pour la durée de validité précédente si cette dernière est inférieure à trois ans, lorsque le titulaire a satisfait à ses obligations et souscrit dans la demande de prolongation un engagement financier au moins égal à l’engagement financier souscrit pour la période de validité précédente, au prorata de la durée de validité et de la superficie sollicitées. » A la lecture de cet article, deux prolongations paraissent pouvoir être, au maximum, accordées au détenteur du permis. En l’espèce, le PERH a été prolongé à titre exceptionnel une troisième fois. Il avait, en effet, déjà fait l’objet de deux prolongations auparavant. Il est donc possible de s’interroger sur la disposition sur laquelle se fonde l’autorité administrative pour accorder une troisième prolongation à titre exceptionnel. Nous ne sommes pas certains qu’elle agisse dans un cadre légal. En troisième et dernier lieu, aux termes de l’article L. 142-2 du code minier : « La superficie du permis exclusif de recherches d’hydrocarbures liquides ou gazeux, dit ” permis H “, est réduite de moitié lors du premier renouvellement et du quart de la surface restante lors du deuxième renouvellement. Ces réductions ne peuvent avoir pour effet de fixer pour un permis une superficie inférieure à une limite fixée par voie réglementaire. Les surfaces restantes sont choisies par le titulaire. Elles doivent être comprises à l’intérieur d’un ou de plusieurs périmètres de forme simple. En cas de circonstances exceptionnelles invoquées par le titulaire ou par l’autorité administrative, la durée de l’une seulement des périodes de validité d’un ” permis H ” peut…

Limites de rejets de tritium en INB : pas de manque de précaution selon le Conseil d’Etat

Par David DEHARBE Le Comité de réflexion d’information et de lutte anti-nucléaire (CRILAN) avait demandé au Tribunal administratif de Caen l’annulation de l’arrêté du 15 septembre 2010 du ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer et du ministre de l’économie, de l’industrie et l’emploi, portant homologation de la décision n° 2010-DC-0188 de l’autorité de sûreté nucléaire (ASN) du 7 juillet 2010 fixant les limites de rejets dans l’environnement des effluents liquides et gazeux pour l’exploitation des réacteurs “Flamanville 1” (INB n°108), “Flamanville 2” (INB n°109) et “Flamanville 3” (INB n°167). En vertu de l’article R. 351-2 du code de justice administrative la juridiction a transmis l’affaire au Conseil d’Etat qui s’est prononcé par un arrêt du 17 octobre 2014 (Conseil d’État, 6ème / 1ère SSR, 17/10/2014, 361315). Cette espèce retiendra l’attention des spécialiste du droit nucléaire en ce que le Conseil d’Etat se reconnaît compétent sur la base de la nouvelle rédaction de l’article R. 311-1 4° du Code de justice administrative pour connaître en premier et dernier ressort des recours, de plein contentieux, contre les arrêtés ministériels homologuant les décisions prises par l’Autorité de sûreté nucléaire. Cela n’allait pas de soi, l’article R. 311-1 du Code de justice administrative visant les décisions de l’ASN mais par leur homologation par arrêté Ministériel. Pour sa part, l’environnementaliste relève cet arrêt à deux autres titres. D’abord sur le terrain de la suffisance d’impact, le Conseil confirme qu’il n’est pas impossible de compléter dans des circonstances bien particulières une étude d’impact après enquête publique : « l’association requérante soutient que l’étude d’impact serait insuffisante, faute d’analyser les conséquences du rejet dans l’environnement de substances chimiques nocives, susceptibles notamment de provoquer de graves lésions oculaires, provenant de l’utilisation de six tonnes par an de produits dits désincrustants nécessaires au fonctionnement de l’unité de dessalement d’eau de mer de l’EPR, qui doit traiter environ 430 000 m3 d’eau par an ; que l’insuffisance de l’étude d’impact est démontrée, selon elle, par la production d’une étude d’impact complémentaire détaillée traitant ce point, réalisée deux ans après l’enquête publique ; que, toutefois, la circonstance qu’a été réalisée ultérieurement une étude complémentaire afin de préciser certaines modalités d’exécution du projet ne révèle pas par elle-même une insuffisance du dossier de demande d’autorisation ou de l’étude d’impact ; que figurait dans le dossier soumis à enquête publique une annexe B-6c relative à l’unité de dessalement mentionnant l’utilisation de produits désincrustants et comportant une appréciation de la consommation, de la fréquence et des rejets de ces produits ; que, par suite, aucune insuffisance du dossier de demande ou de l’étude d’impact initiale ne peut être regardée en l’espèce comme établie ». On le voit une fois de plus : c’est la vocation intrinsèquement et suffisamment informative (sur cette notion cf. notre commentaire sur le blog de Green Law sous Conseil d’Etat, 15 mai 2013, n°353010), le Conseil d’Etat a été amené, en tant que juge des) de l’étude initiale qui permet au juge d’écarter tout débat sur l’incomplétude prétendument déduite d’une production après enquête publique . L’environnementaliste retiendra encore ce nouveau refus du Conseil d’Etat de censurer un dispositif réglementaire sur la base du principe de précaution. Certes aux visas des articles 1er et 5 dé la Charte de l’environnement, l’arrêt décline en matière d’INB, le considérant initié dans l’espèce Association coordination interrégionale stop tht et autres (CE, 12 avril 2013, , n° 342409 – « La méthodologie du principe de précaution fixée par le Conseil d’Etat », Droit de l’environnement, n°216, octobre 2013) et appliqué en matière d’amiante (Conseil d’État, 1ère / 6ème SSR, 26/02/2014, 351514, note Deharbe AJDA 2014, p. 1566) : « qu’il incombe à l’autorité administrative compétente en matière d’installations nucléaires de base de rechercher s’il existe des éléments circonstanciés de nature à accréditer l’hypothèse de risques de dommages graves et irréversibles pour l’environnement ou d’atteintes à l’environnement susceptibles de nuire de manière grave à la santé, qui justifieraient, en dépit des incertitudes subsistant quant à leur réalité et à leur portée en l’état des connaissances scientifiques, l’application du principe de précaution ». Mais s’agissant de contrôler, l’augmentation des limites des rejets de tritium sous forme gazeuse ou liquide (” eau tritiée “) homologuée par le Ministre, le Conseil d’Etat rejette au fond le moyen en concluant que « l’administration n’a pas commis d’erreur d’appréciation dans l’évaluation des risques de l’installation » dès lors que « ces limites maximales demeurent très inférieures à celles qui sont prévues par la réglementation sanitaire en vigueur; que l’augmentation des limites de rejet du tritium s’accompagne d’une diminution des rejets d’autres substances radioactives ; qu’en outre, les études ou documents les plus récents versés au dossier, notamment le livre blanc du tritium publié le 8 juillet 2010, qui été rédigé sur la base des réflexions des groupes de travail mis en place en 2008 par l’ASN, et les travaux de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), s’ils soulignent la nécessité de poursuivre les recherches, confirment, en l’état des connaissances scientifiques et compte tenu des mesures prises, l’absence de risques graves pour l’environnement ou la santé publique ». On remarquera encore avec le plus grand intérêt,  que le Conseil d’Etat a pris lui-même le soin d’actualiser son appréciation sur le prétendu manque de précaution, dès lors que que l’arrêt précise : « qu’il ne résulte pas de l’instruction que des circonstances nouvelles seraient de nature à remettre en cause l’appréciation portée sur ceux-ci ».

NOUVELLE ANNULATION D’UN S.R.E. OU LE BRASSAGE D’AIR EN VIDE JURIDIQUE … (TA Bordeaux, 12 fév.2015)

Par Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Après l’annulation par le juge administratif du Schéma Régional Eolien (SRE) d’Ile-de-France (TA Paris, 13 novembre 2014, n°1304309 : voir notre analyse sur ce sujet ici), vient le tour du SRE d’Aquitaine. Aux termes d’un jugement du 12 février 2015, n°1204157 , le Tribunal administratif de Bordeaux a annulé le SRE d’Aquitaine (téléchargeable avec ce lien : TA Bordeaux, 12 février 2015, n°1204157). Le SRE en Aquitaine a été approuvé par arrêté du préfet de la région Aquitaine en date du 6 juillet 2012. Cet arrêté a été modifié pour intégrer la liste des communes ayant un territoire favorable à l’éolien par un arrêté du préfet de la région Aquitaine en date du 28 septembre 2012. Ensuite, le schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie (SRCAE) en Aquitaine a été adopté et a intégré le SRE en Aquitaine par arrêté du préfet de la région Aquitaine en date du 15 novembre 2012. Les requérants demandaient l’annulation de l’arrêté du 6 juillet 2012 et de la décision implicite par laquelle le préfet a rejeté leur recours gracieux du 6 septembre 2012, celle de l’arrêté du 28 septembre 2012 et celle de l’arrêté du 15 novembre 2012 en tant qu’il intègre le SRE en Aquitaine au SRCAE en Aquitaine ; Dans un premier temps, le Tribunal s’est prononcé sur les nombreuses fins de non recevoir invoquées par le Préfet de la région Aquitaine. Ainsi, après s’être longuement étudié l’intérêt à agir des multiples requérants et la capacité pour agir de certains d’entre eux, le Tribunal a examiné la fin de non-recevoir opposée par le préfet tirée de ce que les arrêtés attaqués ne seraient pas des actes susceptibles de recours contentieux. Le Conseil Constitutionnel s’était déjà prononcé sur le statut juridique des SRCAE et des SRE dans une décision QPC du 7 mai 2014 rendue dans le cadre du litige sur le SRE d’Ile-de-France (cc, 7 mai 2014, décison qpc n°2014-395 : voir notre analyse ici), qui précisait que ces documents constituent des « décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement » au sens de l’article 7 de la Charte de l’environnement. Le Tribunal a, tout d’abord, rappelé cette analyse. Il a ensuite considéré qu’ « à la date des arrêtés attaqués, les dispositions de l’article L. 314-10 du code de l’énergie réservaient la création des zones de développement de l’éolien dans les parties du territoire régional favorables au développement de l’énergie éolienne définies par le schéma régional éolien et que les nouvelles dispositions de l’article L. 553-1 du code de l’environnement, entrées en vigueur le 17 avril 2013, soit postérieurement aux arrêtés attaqués, prévoient que la délivrance de l’autorisation d’exploiter une installation éolienne d’une hauteur de mât supérieure à 50 mètres « tient compte des parties du territoire régional favorables au développement de l’énergie éolienne définies par le schéma régional éolien ». Il a ajouté qu’ « il ressort des termes mêmes du schéma régional éolien en Aquitaine que « seuls sont désormais envisageables les projets de ZDE [zones de développement éolien] situés dans des communes identifiées dans le présent schéma comme “favorables à l’éolien” ». Il en a alors conclu que le schéma régional éolien en Aquitaine avait, par sa nature et ses effets directs ou indirects, le caractère d’une décision faisant grief et qu’il était, dès lors, susceptible de recours pour excès de pouvoir. Dans un second temps, le Tribunal se prononce sur les conclusions à fin d’annulation. A cet égard, le Tribunal considère que le schéma régional éolien est entaché d’un vice de procédure substantiel dans la mesure où il n’a fait l’objet d’aucune étude environnementale. Une solution analogue avait été dégagée par le Tribunal administratif de Paris dans son jugement du 13 novembre 2014 (TA Paris, 13 novembre 2014, n°1304309 : voir notre analyse sur ce sujet ici) même si les motifs retenus alors différaient quelque peu. Le Tribunal annule, en conséquence, les décisions attaquées par les requérants. Sans qu’il soit nécessaire de commenter plus la décision du Tribunal administratif de Bordeaux, celle-ci s’inscrivant dans la droite ligne du jugement du Tribunal administratif de Paris, il convient néanmoins de se poser la question suivante : le SRE a été annulé… et après ? Le SRE, qui a vocation à être annexé à un SRCAE, a pour objet de fixer des objectifs et des orientations en matière de préservation de l’environnement. Selon le premier alinéa du paragraphe I de l’article L. 222-4 du code de l’environnement, le paragraphe VI de l’article L. 229-26 du même code, ainsi que l’article L. 1214-7 du code des transports, le “plan de protection de l’atmosphère”, le “plan climat-énergie territorial” et le “plan de déplacements urbains” doivent être compatibles avec le SRCAE. En l’absence de SRE annexé au SRCAE, la compatibilité avec le SRCAE demeure mais il n’existe plus aucune exigence de compatibilité avec le SRE, celui-ci étant inexistant. La compatibilité des éventuels plans de protection de l’atmosphère, plans climat-énergie territoriaux ou plans de déplacements urbains avec le vide juridique laissé par un SRE annulé est, par conséquent, forcément assurée. De même, en ce qui concerne plus particulièrement l’implantation d’éoliennes, à la date des arrêtés attaqués, les dispositions de l’article L. 314-10 du code de l’énergie réservaient la création des zones de développement de l’éolien dans les parties du territoire régional favorables au développement de l’énergie éolienne définies par le schéma régional éolien. Par ailleurs, les nouvelles dispositions de l’article L. 553-1 du code de l’environnement, entrées en vigueur le 17 avril 2013, soit postérieurement aux arrêtés attaqués, prévoient que la délivrance de l’autorisation d’exploiter une installation éolienne d’une hauteur de mât supérieure à 50 mètres « tient compte des parties du territoire régional favorables au développement de l’énergie éolienne définies par le schéma régional éolien ». Certes, l’annulation des SRE présente un intérêt en tant qu’elle supprime des zones qui avaient été qualifiées – peut-être à tort – de favorables au développement de l’éolien et dans lesquelles l’exploitation d’éoliennes aurait été privilégiée par…

Contentieux I.C.P.E. éolien : premier jugement, premières tendances

La loi Grenelle 2 (Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement) a inséré l’article L. 553-1 dans le code de l’environnement. Cette nouvelle disposition soumet désormais les installations de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent au régime des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Le décret n° 2011-984 du 23 août 2011 a créé une nouvelle rubrique (n° 2980) soumettant les éoliennes industrielles au régime d’autorisation. L’instruction des dossiers de demande d’autorisation au titre de la législation sur les ICPE a été longue et souvent laborieuse, les premiers arrêtés d’autorisation d’exploiter des éoliennes ont finalement été pris et, cinq ans après la loi Grenelle 2, les premiers jugements sur ces arrêtés sont enfin rendus. Le jugement du Tribunal administratif de Caen (TA caen 4 déc. 2014 n° 1301339), objet du présent commentaire, est l’une de ces premières décisions – à notre connaissance, c’est sans la toute la première. En l’espèce, par un arrêté du 17 janvier 2013, le Préfet de l’Orne a délivré à la société Centrale éolienne les Hauts-Vaudois une autorisation d’exploiter onze éoliennes et un poste de livraison sur le territoire des communes de Montgaroult et Sentilly. De nombreux requérants dont l’association de défense des Monts ont saisi le Tribunal administratif de Caen d’une demande d’annulation de cet arrêté. Aux termes d’un jugement du 4 décembre 2014 (TA Caen, 4 décembre 2014, n°1301339, Association Défense Des Monts et autres), les juges du fond ont rejeté la requête en écartant chacun des moyens qui étaient invoqués devant eux. Cette décision est particulièrement intéressante en ce qu’elle donne un premier aperçu de l’appréciation du juge sur les différents moyens susceptibles d’être invoqués à l’encontre d’un recours dirigé contre un arrêté d’autorisation d’exploiter des éoliennes industrielles. Douze moyens étaient invoqués en l’espèce. Il conviendra d’examiner uniquement les moyens propres à la législation sur les ICPE qui présentent un intérêt particulier. 1) Sur le vice de procédure tiré de la méconnaissance du 7° de l’article R. 512-6 du code de l’environnement Aux termes de l’article R. 512-6 du code de l’environnement, dans sa version alors applicable : « I.-A chaque exemplaire de la demande d’autorisation doivent être jointes les pièces suivantes : (…) 7° Dans le cas d’une installation à implanter sur un site nouveau, l’avis du propriétaire, lorsqu’il n’est pas le demandeur, ainsi que celui du maire ou du président de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d’urbanisme, sur l’état dans lequel devra être remis le site lors de l’arrêt définitif de l’installation ; ces avis sont réputés émis si les personnes consultées ne se sont pas prononcées dans un délai de quarante-cinq jours suivant leur saisine par le demandeur ». En l’espèce, l’opérateur éolien a bien sollicité l’avis des maires des communes concernées par l’implantation d’éoliennes sur l’état dans lequel le site devra être remis lors de l’arrêt définitif de l’installation. Néanmoins, ces courriers n’ont pas été joints à la demande d’autorisation. Pour examiner le caractère substantiel ou non de ce vice de procédure, le Tribunal administratif de Caen fait une application du principe dégagé dans la décision Danthony du Conseil d’Etat et vérifie si cette omission a nui à l’information du public et de l’autorité administrative ou a été de nature à exercer une influence sur la décision (CE, 23 décembre 2011, n°335033, Publié au recueil Lebon). Tel n’a pas été le cas en l’espèce, ce qui conduit le Tribunal administratif de Caen à écarter le moyen. 2) Sur le vice de procédure tiré de l’insuffisance de l’étude d’impact prévue par les articles R. 512-6 et R. 512-8 du code de l’environnement En matière ICPE, le dossier de demande d’autorisation doit comprendre une étude d’impact dont le contenu est défini par les dispositions de l’article R. 512-8 du code de l’environnement Différents arguments étaient invoqués à l’encontre de cette étude d’impact mais la réponse apportée par le Tribunal à certains des arguments est parfois particulièrement intéressante. • L’insuffisance de l’étude d’impact sur l’incidence du projet sur les chiroptères Les requérants soutenaient que les impacts des éoliennes sur les chiroptères avaient été insuffisamment étudiés. Le Tribunal administratif de Caen est très prolixe sur cet argument et étaye fortement sa réponse. Après avoir rappelé les études réalisées pour apprécier les impacts du projet sur les chauves-souris et après avoir détaillé l’ensemble des mesures prises pour limiter les impacts du projet sur les populations de chiroptères, le Tribunal administratif de Caen souligne que l’arrêté attaqué impose, en outre, à l’exploitant des mesures de prévention et de compensation qui ne seront levées qu’en cas de constat d’absence de mortalité des chauves-souris. La réponse très détaillée à cet argument témoigne du caractère sensible de cette question dans cette affaire. Il est vrai, qu’en l’espèce, les recommandations du groupe Eurobats sur les distances à respecter entre une éolienne et les haies et boisements les plus proches n’étaient pas respectées. Pour justifier néanmoins du caractère suffisant de l’étude d’impact, le juge administratif n’a donc pas hésité à se référer aux mesures de prévention et de compensation contenues dans l’arrêté d’autorisation d’exploiter. Bien que cette référence au contenu de l’arrêté soit, en principe, sans incidence sur le caractère suffisant de l’étude d’impact, il s’agit d’un indice témoignant, en tout état de cause, de la prise en compte de cette problématique par le Préfet. • L’insuffisance de l’étude d’impact concernant la prise en compte d’un radar Météo-France Les requérants prétendaient que des mesures particulières concernant un radar météorologique situé à proximité devaient être envisagées et chiffrées dans l’étude d’impact. Néanmoins, Météo-France a émis un avis favorable au projet assorti de recommandations quant à la hauteur totale des aérogénérateurs et la longueur des pales que le projet respectait. Par suite, cet argument tiré de l’insuffisance de l’étude d’impact a été écarté. Cette position témoigne une fois encore du poids accordé aux avis de Météo-France. Alors qu’un avis défavorable est souvent bloquant pour les projets éoliens, un avis favorable peut, à l’inverse, difficilement être remis en cause. Cette opacité…