Certificats d’économie d’énergie : un pas de plus vers la répression des fraudes

Par Maître Lucas Dermenghem (Green Law Avocats) Le projet de loi énergie climat dite « petite loi énergie » comporte diverses mesures destinées à renforcer la lutte contre les fraudes en matière de certificats d’économie d’énergie (CEE). Le gouvernement poursuit ici une tendance initiée il y a plusieurs mois. L’exposé des motifs de ce projet fait le constat de la valeur vénale croissante des CEE et des manœuvres frauduleuses pouvant en découler. Ce phénomène avait notamment été mis en lumière par un rapport de l’organisme TRACFIN (Traitement du Renseignement et Action contre les Circuits Financiers Clandestins) publié en décembre 2017 relatif aux risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, lequel avait dénoncé une augmentation des déclarations fictives de chantiers d’économie d’énergie ou de travaux réalisés au mépris des règles de l’art. Certains professionnels du secteur victimes de cette concurrence particulièrement déloyale avaient en outre exprimé leur inquiétude et émis le souhait d’un durcissement de la réglementation en matière de contrôle. C’est sur la base de ce constat que le projet de loi prévoit en son article 4 différents outils de lutte contre la fraude aux certificats, notamment par la mise en place de contrôles effectués par des organismes tiers et par la facilitation de l’échange d’informations entre les services de l’Etat. Les mesures prévues par ce projet de loi se déclinent autour des axes suivants : Un élargissement du champ d’application du dispositif actuel de sanctions Tout d’abord, le projet de loi doit modifier l’actuel article L. 222-2 du code de l’énergie, lequel porte sur la faculté pour le ministre de mettre en demeure un obligé ou un délégataire en cas de non-respect de ses obligations et, en cas de non-respect de la mise en demeure, de lui appliquer diverses sanctions. Ces sanctions sont : le prononcé d’une sanction pécuniaire, la privation d’obtention de CEE, l’annulation de CEE d’un volume égal à celui concerné par le manquement, ainsi que la suspension ou le rejet des demandes de CEE faites par l’intéressé. Le projet de loi vient prévoir la possibilité d’appliquer ces sanctions aux cas de figure du manquement de l’intéressé à des obligations déclaratives ou lorsque des CEE lui ont été indûment délivrés. La mise en place d’un dispositif de surveillance renforcée pour les personnes déjà sanctionnées En outre, le projet de loi énergie climat prévoit d’ajouter au code de l’énergie un nouvel article L. 222-2-1 dont l’objet est en quelque sorte l’institution d’une « surveillance renforcée » pour les obligés ou délégataires ayant déjà fait l’objet des sanctions prévues à l’article L. 222-2 susmentionné. Ainsi, pour ces personnes déjà sanctionnées, et lorsque d’autres actions d’économies d’énergies sont susceptibles d’être concernées par des manquements de même nature, le Gouvernement envisage : D’une part, lorsque les CEE ont déjà été délivrés ou demandés, la réalisation d’un contrôle par un organisme tiers. Si ce contrôle met en évidence des manquements, son coût est à la charge du demandeur des CEE. Dans le cas où ce contrôle ne serait pas réalisé par la personne visée dans le délai fixé par l’administration, le ministre peut alors prononcer (à nouveau, donc) les sanctions prévues à l’article L. 222-2 du code de l’énergie. D’autre part, s’agissant des demandes de CEE ultérieures, le projet de loi prévoit la possibilité de réaliser, au cours d’une période d’un an et aux frais du demandeur, un contrôle par un organisme tiers. Par ce dispositif, le Gouvernement se fonde donc sur le postulat que ceux qui ont fauté sont vraisemblablement susceptibles de le faire à nouveau. La facilitation des échanges d’informations entre les différents services de l’Etat Enfin, le Gouvernement entend également renforcer la lutte contre les fraudes en améliorant les échanges d’informations entre différents services de l’Etat. C’est ainsi qu’est prévu l’ajout d’un article L. 222-10 du code de l’énergie, instituant une possibilité de communication spontanée ou sur demande de tous documents et renseignements détenus ou recueillis dans le cadre de leurs missions respectives entre les agents du PNCEE et ceux de la direction générale de la direction générale des finances publiques (DGFiP) et de la direction générale des douanes et droits indirects ou de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Un décret d’application sera bien évidemment nécessaire pour préciser certaines de ces dispositions. Ce mouvement de renforcement de la lutte contre la fraude dans le domaine des CEE s’inscrit dans la continuité des mesures déjà entreprises par le Gouvernement, qui avait déjà modifié le système d’agrément des délégataires et ainsi réduit drastiquement leur nombre, lequel est passé de 87 fin 2017 à 24 au cours de l’année 2018. Cette évolution risque cependant de contrarier davantage certains professionnels du secteur qui dénoncent l’état de contrôle perpétuel institué à leur encontre par la réglementation et par le PNCEE, les plaçant dans un état de profonde instabilité économique. En effet, nombreux sont ceux, en particulier parmi les délégataires, qui attendent depuis de longs mois le déblocage des fonds dus en contrepartie des CEE déposés, procédure mise en suspens en raison des contrôles exercés par le Pôle.

Energie / Projet de PPE : une augmentation de la part des ENR, mais le gaz à la traîne

Le projet de PPE a officiellement été publié ce 25 janvier 2019. La PPE est appelée à couvrir deux périodes successives de cinq ans : 2019-2023 et 2024-2028. Elle prévoit une augmentation croissante des énergies renouvelables : de 18% de la consommation d’énergie finale en 2016 à 27% en 2023, puis 32% en 2028. Toutefois, cette augmentation est particulièrement marquée dans le secteur de l’électricité. En parallèle, la PPE vise une réduction de la consommation d’énergie. Elle prévoit une baisse de 7% de la demande finale d’énergie en 2023 par rapport à 2012 et 14 % en 2028 toujours par rapport 2012. Voici les principaux points à retenir du projet de PPE. Eolien terrestre La PPE planifie un passage de 15 GW de capacité éolienne installée en 2018 à 24,6 GW en 2023 puis 34,1 GW en 2028 ; Cela correspond au passage d’un parc national éolien composé de 8000 mâts fin 2018 à environ 14200 ou 15 500 mâts en 2028 ; Le repowering est un enjeu capital dans la mesure où les premiers parcs éoliens français mis en service en 2000 arrivent en fin de vie. Sur ce sujet, des questions juridiques demeurent malgré la circulaire ministérielle ; Ce renouvellement permet de conserver les sites existants et de les doter de machines plus modernes donc plus puissantes, cela participe donc à la hausse de la capacité du parc éolien ; Autre élément participant à l’augmentation de la capacité sur les périodes recouvertes par la PPE, c’est l’amélioration du facteur de charge en matière d’éolien. En effet, ce dernier devrait passer d’un facteur de charge de 24% (2100 heures par an) à un facteur de charge de 28% (2500 heures par an) en 2023 et 30% (2600 heures par an) en 2028 ; La PPE prévoit des appels d’offres sur des volumes de 500 MW (trimestre deux et trois) et 600 MW (trimestre quatre) pour l’année 2019. Elle prévoit également deux appels d’offres de 1 GW par an aux deuxième et quatrième trimestres (le premier, au deuxième trimestre 2020, sera limité à 0,8 GW) ; La PPE vise une stabilité règlementaire en matière de parcs éoliens et envisage des simplifications administratives afin de raccourcir les délais de développement. Photovoltaïque La PPE prévoit le passage de 7,7 GW de puissance solaire installée fin 2017 à 20 GW en 2023 et entre 35,6 GW et 44,5 GW en 2028 ; Tout comme l’éolien les nouvelles technologies vont dans le sens d’une augmentation du taux de charge moyen soit un meilleur rendement (pas de chiffres avancés) ; La PPE prévoit des appels d’offres pour des capacités de 0,9 GW par an concernant les installations en toiture et de 2 GW/an pour les centrales au sol ; Elle cherche à favoriser les installations au sol sur terrains urbanisés ou dégradés ainsi que sur les parkings en conservant la bonification afférente aux terrains dégradés. Bioénergie En 2017, la filière des bioénergies a produit 7 TWh d’électricité, permettant de couvrir 1,5 % de la consommation d’électricité ; La bioénergie mobilise différentes sources : le biogaz, le bois (biomasse) et la part biodégradable des déchets ménagers (combustibles solides de récupération) ; Pas d’appel d’offre prévu par la PPE 2019 en matière de cogénération biomasse ; La PPE planifie une augmentation de la production d’électricité à partir de bioénergie : biomasse de 0,59 GW en 2016 à 0,8 GW en 2028, biogaz de 0,11 GW en 2016 à 0,34 ou 0,41 GW en 2018, combustibles solides de récupération de 0 en 2016 à 0,04 en 2018 ; Elle prévoit également l’ouverture d’un guichet tarifaire pour les installations de méthanisation entre 0,5 MW et 1 MW.    Biométhane injecté La PPE prévoit une augmentation du biogaz injecté à 7% de la consommation de gaz en 2030 si les baisses de coût planifiées sont bien réalisées ; Cette augmentation pourrait s’élever à 10% en cas d’une baisse des coûts supérieure aux planifications ; Pourtant les acteurs de la filière portaient un objectif de 30 % de biométhane injecté en 2030 ; La PPE prévoit de porter le volume de biogaz injecté entre 14 et 22 térawattheures (TWh) en 2028, contre 0,4 TWh en 2017 ; Elle planifie également deux appels d’offres chaque année, pour un objectif de production annuelle de 350 GWh Pouvoir Calorifique Supérieur par an ; Le projet de PPE prévoit le maintien du tarif d’achat du biométhane en guichet ouvert pour les installations de petit taille (dont le seuil reste à définir). Le prix visé par les appels d’offre s’élève à 67 €/MWh Pouvoir Calorifique Supérieur pour les projets de biométhane injecté sélectionnés en 2023 et 60 €/MWh Pouvoir Calorifique Supérieur en 2028 ; Elle cherche aussi à favoriser l’usage de gaz naturel pour véhicules.   Chaleur renouvelable La chaleur représente 42% de la consommation finale d’énergie en 2016, soit 741 TWh ; Le besoin total en chaleur devrait s’élever à 690 TWh en 2023 et 635 TWh en 2028 ; En 2016, la production de chaleur renouvelable s’élève à 154,6 TWh ; La présente PPE envisage une production comprise entre 218 et 247 TWh en 2028 ; Elle projette de rendre obligatoire un taux minimum de chaleur renouvelable dans tous les bâtiments neufs (individuel, collectif, tertiaire) dès 2020 ; Objectif de renforcer le Fonds Chaleur dès 2018 avec un budget du Fonds chaleur de 255 millions d’euros en 2018 et 307 millions d’euros en 2019 puis 350 millions d’euros en 2020.

Performances énergétiques: la loi ELAN refonde le dispositif « tertiaire » et annonce un nouveau décret

Par Lucas DERMENGHEM, Avocat, Green Law Avocats Souvenons-nous : à l’aube de l’été dernier, le Conseil d’Etat (CE, 18 juin 2018, n°411583, Conseil du commerce de France e.a) annulait le décret n°2017-918 du 9 mai 2017 relatif aux obligations d’amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments à usage tertiaire, dit décret « tertiaire », texte dont l’exécution avait dans un premier temps été suspendue par le juge des référés de la Haute Assemblée. Ce décret avait pour objet la mise en application de l’article L. 111-10-3 du code de la construction et de l’habitation, lequel prévoit : « Des travaux d’amélioration de la performance énergétique sont réalisés dans les bâtiments existants à usage tertiaire ou dans lesquels s’exerce une activité de service public dans un délai de huit ans à compter du 1er janvier 2012 ». Il était ainsi prévu qu’au 1er janvier 2020, les propriétaires de bâtiments de bureaux, d’hôtels, de commerces, d’enseignement et de bâtiments administratifs de plus de 2000 m² de surface utile devaient réaliser des travaux permettant de réduire leurs consommations énergétiques de plus de 25% par rapport à la dernière consommation énergétique connue, ou à hauteur d’un seuil exprimé en kWh/m²/an. C’est en vertu du principe de sécurité juridique que le Conseil d’Etat avait prononcé l’annulation du décret, au regard notamment du délai trop court laissé aux obligés : « […] qu’ainsi, compte tenu, d’une part, du délai nécessaire à la réalisation des études énergétiques et plans d’actions et, d’autre part, du délai nécessaire, à compter de l’élaboration de ces documents, pour entreprendre les actions et réaliser les travaux nécessaires pour atteindre, d’ici au 1er janvier 2020, les objectifs de réduction des consommations d’énergie fixés à l’article R. 131-39, les associations requérantes sont fondées à soutenir que le décret attaqué méconnaît le principe de sécurité juridique ; qu’au regard du vice dont le décret est entaché, qui affecte, compte tenu de l’objectif de réduction de la consommation énergétique d’ici au 1er janvier 2020 fixé par le législateur et des particularités du dispositif mis en place, son économie générale et son séquençage temporel, il y a lieu d’annuler le décret dans sa totalité, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ; » On pouvait craindre que cette annulation juridictionnelle sonne le glas des obligations d’amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments à usage tertiaire. Mais par son article 175, la loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi « ELAN », est venue refonder le socle législatif de ces obligations en modifiant l’article L. 111-10-3 du code de la construction et de l’habitation, et prévoir l’édiction prochaine d’un nouveau décret « tertiaire ». Cette nouvelle rédaction, nettement plus détaillée, intéressera le lecteur à plusieurs égards. Tout d’abord, on relèvera qu’a disparu la notion de « travaux », chère à l’ancienne rédaction de l’article L. 111-103 issue de la loi Grenelle 2. La loi ELAN évoque désormais des « actions de réduction de la consommation d’énergie finale ». Le texte se veut ici plus réaliste en n’intégrant plus seulement les économies réalisées grâce aux travaux en « dur » mais également la maintenance des équipements ou encore la sensibilisation des occupants des bâtiments. Autre modification majeure : si la loi ELAN maintient l’exigence prévue par la loi de transition énergétique de diminution de la consommation d’énergie de 40% en 2030, 50% en 2040 et 60% en 2050, sur la base de l’année 2010, elle repousse à 2030 la première échéance de l’obligation de réduction de la consommation d’énergie dans les bâtiments tertiaires et supprime donc en conséquence l’ancienne obligation de réduction de 25% prévue pour 2020. Il s’agit ici d’une conséquence directe de l’annulation juridictionnelle opérée par le Conseil d’Etat qui a jugé que l’échéance de 2020 était trop proche pour pouvoir être respectée compte tenu de la date de publication de l’ancien décret « tertiaire », en mai 2017. Ensuite, le nouveau dispositif issu de la loi ELAN se caractérise par une certaine souplesse. Ainsi, la loi fixe des objectifs de réduction alternatifs : il est ainsi prévu que tout bâtiment, partie de bâtiment ou ensemble de bâtiments soumis à l’obligation de réduction atteigne, pour chacune des années 2030, 2040 et 2050, les objectifs suivants : Soit un niveau de consommation d’énergie finale réduit, respectivement de 40%, 50% et 60% par rapport à une consommation énergétique de référence qui ne peut être antérieure à 2010 ; Soit un niveau de consommation d’énergie finale fixé en valeur absolue, en fonction de la consommation énergétique des bâtiments nouveaux de leur catégorie. De plus, la loi ELAN a assorti ces objectifs de possibilités de modulation, en fonction : Soit de contraintes techniques, architecturales ou patrimoniales ; Soit d’un changement de l’activité exercée dans ces bâtiments ou du volume de cette activité ; Soit de coûts manifestement disproportionnées des actions par rapport aux avantages attendus en termes de consommation d’énergie finale. La souplesse du dispositif se caractérise également par le fait que la chaleur fatale autoconsommée par les bâtiments (par exemple la chaleur diffusée par les serveurs informatiques) peut être déduite de la consommation et que la consommation d’énergie liée à la recharge de véhicules électriques et hybrides rechargeables est déduite de la consommation énergétique du bâtiment et ne rentre pas dans la consommation de référence. Le dispositif crée par la loi ELAN se distingue en outre par les obligations mises à la charge des propriétaires et preneurs à bail des bâtiments ou parties de bâtiments concernés. Il est prévu que ceux-ci soient soumis à l’obligation d’amélioration de la performance énergétique « pour les actions qui relèvent de leur responsabilité respectives en raison des dispositions contractuelles régissant leurs relations ». Les bailleurs et locataires devront définir ensemble les actions destinées à respecter l’obligation de performance énergétique. Chaque partie procédera à la transmission des consommations d’énergie afin que soit assuré le suivi du respect de leurs obligations. Ces informations devront être transmises d’ici le 1er janvier 2020, par le biais d’une plateforme informatique devant être instituée par décret, ce qui supposera vraisemblablement la réalisation d’audits énergétiques d’ici cette échéance. L’évaluation du respect des…

Autorisation environnementale : la simplification se poursuit surtout pour les IOTA, ICPE et les éoliennes (décret n°2018-797 du 18 septembre 2018)

Par Lucas DERMENGHEM- Green Law Avocats Le décret n°2018-797 du 18 septembre 2018, publié au Journal officiel du 20 septembre, vient modifier le contenu des pièces complémentaires à fournir en cas de demande d’autorisation environnementale concernant une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) ou des installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA) relevant de la loi sur l’eau. Il importe d’emblée de préciser que ce texte ne modifie pas le contenu commun à tous les dossiers de demande d’autorisation environnementale, mais porte uniquement sur les pièces à fournir dans le cas où la demande concerne l’exploitation d’une ICPE ou la réalisation d’installations, ouvrages, travaux et activités soumis à la loi sur l’eau. Ce décret – l’un des premiers signés de la main du nouveau ministre de la transition écologique et solidaire François de Rugy – a pour objectif la simplification et la clarification du contenu du dossier de demande dans le cas où le projet relèverait des deux législations précitées. Ainsi, s’agissant d’abord du contenu du dossier relatif aux IOTA, l’article D. 181-15-1 du code de l’environnement fait l’objet de modifications concernant essentiellement les barrages et ouvrages assimilés (rubrique 3.2.5.0 de la nomenclature IOTA), les ouvrages utilisant l’énergie hydraulique (rubrique 3.2.6.0 de la nomenclature IOTA), ou encore ceux destinés à prévenir les inondations. A titre d’exemple, une simplification est opérée pour les dossiers de demande relatifs aux barrages, pour lesquels il n’est plus exigé que le pétitionnaire fournisse un document justifiant qu’il aura, avant la mise à l’enquête publique, la libre disposition des terrains ne dépendant pas du domaine public sur lesquels les travaux devront être effectués. Le décret du 18 septembre 2018 apporte aussi de substantielles modifications quant au contenu des dossiers de demande d’autorisation environnementale relatives à l’exploitation d’une ICPE. Tout d’abord, des changements affectent la description des capacités techniques et financières. Ainsi, le décret conserve la possibilité pour le pétitionnaire, lorsqu’il n’est pas en mesure de constituer les capacités techniques et financières dont il dispose au moment du dépôt de la demande d’autorisation, de décrire les modalités prévues pour les établir au plus tard à la mise en service de l’installation. En revanche, depuis l’entrée en vigueur du décret, il n’est désormais plus tenu d’adresser au préfet les éléments justifiant de la constitution effective de ses capacités au plus tard à la mise en service (article D. 181-15-2 du code de l’environnement, I 3°). De plus, le pétitionnaire n’est aujourd’hui plus contraint de préciser la nature et les délais de constitution des garanties financières : désormais, leur seul montant suffit (article D. 181-15-2 du code de l’environnement, I 8°). En outre, le décret apporte des modifications notables s’agissant des éoliennes. Ainsi, le texte exige qu’à l’appui de la demande soit produit un document justifiant que le projet éolien est conforme, selon le cas, au règlement national d’urbanisme, au plan local d’urbanisme ou au document tenant lieu ou à la carte communale en vigueur lors de l’instruction (article D. 181-15-2 du code de l’environnement, I 12° a). De plus, à contre-courant de l’esprit général de simplification qui anime le décret, le dossier de demande d’autorisation relatif à des installations éoliennes doit désormais contenir une étude relative aux impacts cumulés sur les risques de perturbations des radars météorologiques par les éoliennes lorsque celles-ci sont situées à l’intérieur de la surface définie par la distance minimale d’éloignement (article D. 181-15-2 du code de l’environnement, I 12° d). Enfin, une autre modification issue du décret du 18 septembre 2018 mérite d’être signalée : la suppression de la nécessité de fournir un plan d’opération interne (POI) dans les dossiers de demande d’autorisation concernant l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés (OGM) (article D. 181-15-6 du code de l’environnement).

LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE N’EST PAS UN LONG FLEUVE TRANQUILLE

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) Nicolas HULOT n’échappe pas au traitement infligé à tout Ministre d’Etat démissionnaire : son bilan et l’explication de son action au Gouvernement alimentent depuis 48 heures les commentaires politiques. Au-delà d’une décision « peu protocolaire » en la forme, cette démission n’étonne pas l’environnementaliste, du moins si l’on accepte de s’arrêter sur ce qui n’a été guère commenté, à savoir l’intitulé du département dont il est question : le « Ministère de la transition écologique et solidaire ». Ce nouvel intitulé dans la jeune histoire du Ministère de l’environnement (créé en 1971) explique que le plus emblématique des défenseurs de l’environnement ait lui-même préféré jeter l’éponge. Certes l’avènement (initialement imaginé comme « impossible ») d’un grand Ministère transversal de l’environnement est désormais acté et il n’est plus question de le rattacher à la culture, de le confier à un simple secrétaire d’Etat pour le subordonner au 1er Ministre ou de corseter ses compétences au point de confier les arbitrages en la matière aux Ministres de l’économie, de l’intérieur, de l’agriculture ou des transports… Reste que devenu transversal dans ses missions, ce  « Ministère carrefour » ne se trouve plus seulement confronté aux arbitrages perpétuels mais programmés par la « transition écologique », à porter un changement de société. Si en 2010 avec le Grenelle, l’objectif d’intégration de l’environnement dans les autres politiques publiques a été annoncé afin de concrétiser le « développement durable » inscrit dans la loi Barnier dès 1995, depuis cinq ans la méthode pour y parvenir semble se radicaliser même si elle demeure toujours un peu grossière : la France devrait en passer par la « transition écologique », concept créé par l’enseignant anglais en permaculture, Rob Hopkins, et inscrit sur l’agenda politique avec la publication en novembre 2013 d’un « Livre blanc sur le financement de la transition écologique ». Mais cette « transition écologique » incarnée par son Ministre depuis 2017 revendique un changement de modèle économique et social, qui prétend transformer en profondeur nos façons de consommer, de produire, de travailler et de vivre ensemble. Dans le syndrome du « Titanic », Nicolas HULOT prônait courageusement et sans aucun détour, une « mutation radicale ». On perçoit immédiatement la radicalité de la transition dont il est question quand on énumère les bouleversements qu’elle appelle dans de nombreux domaines : – La transition agro-alimentaire qui substitue une agriculture biologique paysanne, localisée à l’agriculture industrielle, chimique, consommatrice de pétrole et réduit les risques sanitaires. – La transition énergétique et le scénario NégaWatt (efficacité énergétique, sobriété énergétique, énergies renouvelables). – La transition industrielle avec la production de biens durables (à l’opposé de l’obsolescence programmée), dans une « société circulaire » facilement réparables et recyclables et avec un bilan carbone, des services proposant un partage et une meilleure utilisation des biens, le partage du travail, la relocalisation des activités, etc., – La préservation de la biodiversité qui tend à modifier la valeur économique du foncier (par la logique de la compensation, l’intégration des coûts écologiques et la réparation du préjudice écologique), – Un urbanisme durable : densification urbaine, économies d’énergie, espaces verts, lutte contre l’artificialisation des sols qui là encore modifie la valeur du foncier, – Des transports réorientés vers l’éco-mobilité : auto partage, covoiturage, ferroutage, télétravail, – Une fiscalité réorganisée pour inciter à économiser l’eau, l’énergie, les matières premières et à réduire les déchets ou pollutions. Or bien évidemment cette transition ne se fait pas à droit constant : par un phénomène de vase communiquant, les libertés individuelles et les droits classiques (droit de propriété, liberté du commerce et de l’industrie, liberté de circulation) voient leur exercice conditionné et même contraint par les besoins d’un ordre public écologique dont chacun serait le garant à l’égard de tous. Ainsi, pour le juriste, il est tentant d’agiter les dangers d’une limitation des libertés individuelles par cette transition écologique. Si la rationalité héritée du 18ème siècle recommande à tout un chacun d’accepter certaines limites à ses libertés individuelles pour garantir le droit à un environnement sain, la façon d’y parvenir conduit à des frustrations très concrètes : renoncer au gasoil, aux pesticides, au béton, au plastique, à la chasse, à la climatisation, à notre consommation d’eau, aux installations énergivores, à sa livraison expédiée du bout du monde, aux sports motorisés en pleine nature… voilà autant de contraintes, plus ou moins consciemment, mal vécues. Finalement, cette transition écologique, c’est un peu comme la rencontre entre les familles Groseille et les Le Quesnoy : une belle occasion de déconstruire parfois dans la douleur et l’incompréhension une représentation de l’autre monde, qualifié ici d’ancien par ceux qui en revendiquent un nouveau. Mais ces frustrations pétries d’individualisme se combinent encore avec l’expression des résistances collectives plus organisées (organisations professionnelles et syndicales, reliées par les lobbyistes et portées par des logiques des grands corps de l’Etat), rétives au changement politique et social radical qu’annonce cette transition écologique ; certains secteurs d’activités étant de plus en plus stigmatisés et sommés – parfois avec excès – d’adapter leurs pratiques professionnelles (chimie fine, industrie automobile, production énergétique, immobilier, industrie extractive, agriculture, tourisme…). Ces résistances, qui se sont cristallisées pour faire échec à un moratoire sur l’artificialisation des terres agricoles dès 2020 ou sur le contenu de la future PPE (Programmation pluriannuelle de l’énergie pour les périodes 2018-2023 et 2024-2028) avec des manœuvres grossières pour imposer la construction de plusieurs EPR en France, ont assurément conduit à la spectaculaire démission du premier Ministre d’Etat à avoir osé initié la mutation radicale qu’il annonçait.  Gageons que ce ne sera là qu’une étape, tant il semble que la transition écologique engagée ne peut pas être « un long fleuve tranquille »…