Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats)
Par un jugement du 31 octobre, le tribunal administratif de Lyon (TA Lyon, 31 oct. 2019, n°1708503) a considéré que l’Etat est tenu de garantir les dommages issus d’une pollution des sols causée par l’activité antérieure d’une exploitation minière quand bien même l’exploitant n’existerait plus.
Pour une meilleure compréhension du jugement, il convient de rappeler les dispositions de l’article L. 155-3 du Code minier (disponible ici), qui dispose que « L’explorateur ou l’exploitant ou, à défaut, le titulaire du titre minier est responsable des dommages causés par son activité. Il peut s’exonérer de sa responsabilité en apportant la preuve d’une cause étrangère. Sa responsabilité n’est limitée ni au périmètre du titre minier ni à sa durée de validité. En cas de disparition ou de défaillance du responsable, l’État est garant de la réparation des dommages causés par son activité minière. Il est subrogé dans les droits de la victime à l’encontre du responsable ».
En l’espèce, les propriétaires d’un moulin rénové, sur le territoire de la commune de Les Salles, situé dans le périmètre d’un ancien secteur minier, font état d’une pollution sur leur territoire. Une étude sanitaire avait été réalisée par un groupement d’intérêt public et avait révélé une pollution importante sur le terrain d’assiette de leur propriété, mais aussi de la cave de leur habitation. Cette pollution au plomb n’était pas anodine. Les requérants avaient adressé une réclamation préalable au préfet de la Loire, afin d’obtenir la réparation des conséquences dommageables de cette pollution. Leur réclamation était restée sans réponse, ces derniers saisissent le TA de Lyon afin d’obtenir une indemnisation.
Les juges font tout d’abord une appréciation de la pollution au regard de l’usage antérieur du terrain.
Afin d’établir le lien de causalité, les juges se fondent sur l’étude réalisée par le groupement d’intérêt public ainsi qu’un arrêté préfectoral en date du 3 juillet 2019. Les résultats des divers prélèvements réalisés pour ladite étude démontrent que la contamination au plomb affecte non seulement le terrain, mais également la cave d’habitation des requérants. Si la pollution n’est pas issue de l’activité de l’ancienne fonderie exploitée de 1730 à 1844 sur la même parcelle, elle est en revanche issue des déchets ayant pour origine l’ancienne activité minière située sur le secteur proche de Saint-Martin-La-Sauveté. Les juges relèvent que « La pollution dont se plaignent M. B… et Mme A… apparaît donc directement en lien avec cette activité ». Le lien de causalité entre les dommages issus de la pollution relève ici de l’identification des polluants par une analyse des sols. Si l’ancien exploitant minier, ou les autres responsables de cette pollution au plomb ont aujourd’hui disparu, la juridiction estime que « les intéressés sont fondés, en application des dispositions de l’article L. 155-3 du code minier, à solliciter la garantie de l’État en réparation des dommages subis du fait de cette activité minière ».
Les dispositions du Code miner encadrent la responsabilité de l’exploitation, et à titre subsidiaire celle de l’État. Classiquement, l’exploitant ou à défaut le titulaire d’un titre minier est responsable des dommages de son activité. Il est difficile pour l’exploitant de se dégager de sa responsabilité en cas de dommage. Dans ce cas, la responsabilité civile de l’exploitant pourra être engagée, et cela même après la fermeture du complexe minier (Cass., 3e civ., 24 sept. 2014, Synd. assainissement Orne aval c/ Sté des Mines de Sacilor-Lormines n° 11-22386). L’exploitant ne peut invoquer sa non-responsabilité que par la preuve d’une cause étrangère. L’utilisation de cet article s’apprécie souvent au regard de l’apparition tardive des effets pervers de pollutions parfois mal renseignée ou même dissimulée.
La loi permet une réparation et une responsabilité de l’État dans deux cas spécifiques. L’article L. 155-3 du code minier précité, précise que l’État est garant de la réparation des dommages causés par une activité minière, et ce dès lors qu’il y a disparition ou défaillance du responsable. La notion de disparition est aisée à comprendre, elle agit dans le cas où l’on est dans l’impossibilité d’identifier formellement le responsable de l’activité, que cela soit sa disparition physique ou morale.
Dans le cas de la défaillance, cela signifie que l’exploitant n’est plus en capacité d’assumer ces obligations. Cela peut notamment être le cas lors d’une incapacité financière (au sens de la circulaire du 25 juill. 2000, relative à la mise en œuvre des articles 75-1 à 75-3 du Code minier). Cette deuxième hypothèse n’a pas été envisagée en l’espèce. Il est à noter que la procédure de délivrance d’un permis d’exploitation prend en considération la capacité financière du futur exploitant (CE, 13 juillet 2006, Société Geotech International, n° 273184).
Dans notre espèce, les requérants demandent une indemnisation de leurs préjudices de jouissance de leur bien et d’un trouble dans leurs conditions d’existences. Ils obtiennent gain de cause :
« il résulte de l’instruction que le remblaiement du terrain de M. B… et Mme A… avec des stériles issus de l’activité minière exploitée sur le secteur de Saint-Martin-la-Sauveté a entraîné une pollution au plomb mise en évidence à partir de 2014 par l’étude Géodéris, dont les résultats provisoires ont été portés à la connaissance des requérants lors d’une réunion du 13 novembre 2014. Dès le 21 novembre 2014, l’agence régionale de santé Rhône-Alpes les a invités à faire mesurer le dosage de la plombémie dans leur sang et celui de leurs enfants, puis de se soumettre à un suivi médical régulier afin de surveiller l’augmentation éventuelle de ce taux. Par un arrêté du 13 avril 2016, le préfet de la Loire a instauré des restrictions sanitaires d’utilisation, de mise sur le marché et la surveillance des productions animales et végétales issues notamment des parcelles appartenant aux requérants, classées à la fois en zone de protection et en zone de surveillance. Toute activité agricole s’est ainsi trouvée interdite sur leur terrain, ainsi que la consommation et la cession de toute production d’un éventuel jardin potager, dont la culture est déconseillée. Les requérants doivent également suivre de strictes recommandations sanitaires générales, telles que l’interdiction de laisser les enfants jouer dans la terre, éviter ou limiter la consommation de fruits et légumes issus de leur jardin. L’étude Géodéris, dont les résultats définitifs ont été connus le 12 mai 2016, préconise également de supprimer l’exposition des résidents aux suies et cendres de la cave de la maison d’habitation ainsi qu’aux sols du jardin ornemental, et d’interdire l’usage des eaux du plan d’eau agrémentant ce jardin. Les requérants et leurs enfants subissent ainsi, depuis qu’a été mis en lumière le phénomène de pollution en 2014, des troubles de jouissance de leur bien, ainsi que des troubles dans leurs conditions d’existence, dont il sera fait une juste appréciation en leur allouant une somme globale de 30 000 euros ».
Reste que les dommages doivent résulter d’une activité minière antérieure ou existante. Ainsi revanche, un effondrement n’est pas obligatoirement issu d’une activité minière et son dommage n’est pas corrélé s’il est établi la survenance de phénomènes naturels (Cass. 3e civ., 14 déc. 2011, Sté des Mines de Sacilor-Lormines, n° 10-30.177).
Dans notre cas, le jugement rejette ainsi le préjudice immobilier qui n’avait pas été réclamé comme une compensation résultant du cout de la dépollution mais comme une perte de valeur vénale d’une maison d’habitation érigée après la pollution : « M. B… et Mme A… demandent à être indemnisés de la perte de valeur vénale de leur bien, qu’ils évaluent à 100 % de l’estimation immobilière de leur propriété, soit 435 632 euros. Toutefois, un telle estimation, qui repose sur la valeur que leur bien aurait acquis à la faveur du permis de construire obtenu en 2009 pour transformer la grange existante en maison d’habitation, ne tient pas compte de la contamination du terrain par le plomb depuis la fin du 19ème siècle et qui, bien que révélée récemment, préexistait. La propriété des requérants n’a pu, de ce fait, acquérir la valeur qu’ils lui prêtent. Dans ce contexte, le préjudice dont ils demandent réparation, qui est distinct de celui, non invoqué, correspondant aux frais de dépollution du site, est dépourvu de caractère réel. Leur demande d’indemnisation sur ce point ne peut donc qu’être rejetée ».
En bassin minier, cette jurisprudence ouvre des perspectives très intéressantes pour les riverains victimes de l’activité minière …