Distribution d’eau : condamnation au civil pour mauvaise qualité

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Par Me Aurélien BOUDEWEEL (Green Law Avocat)

Par un arrêt en date du 17 septembre 2015, la Cour d’appel de PARIS (décision 14 05396 CA paris) condamne deux sociétés de fourniture d’eau au regard de la mauvaise qualité de l’eau qui a été fournie à un usager.

En l’espèce, un particulier était devenu propriétaire d’une maison d’habitation dont la distribution d’eau n’était pas conforme en termes de qualité aux réglementations en vigueur, comme le relevait des analyses effectuées par un laboratoire spécialisé en 2007 et 2012.

Débouté en première instance, le particulier a interjeté appel. La Cour d’appel de PARIS réforme le jugement.

Le juge d’appel détermine dans un premier temps le cadre juridique du rapport né entre l’usager, le fournisseur et le distributeur d’eau :

« En conséquence, la société X, au visa des articles du contrat d’affermage ci dessus rappelé, se trouve responsable vis à vis des tiers de la qualité des eaux fournies notamment au regard de l’article 6.4, ainsi que la société Y au titre du contrat d’abonnement souscrit par M. A, étant par ailleurs démontré, notamment dans son courrier du 20 juillet 2011, que la société Y s’est trouvée au cœur de la résolution de cette affaire par sa connaissance du dossier, ses interventions techniques et sa demande d’autorisation de travaux auprès du président de la SIAEPB (article 2.7 du contrat modification des installations à l’initiative du délégataire)(…)»

Au « cœur » de cette relation juridique le distributeur d’eau est débiteur d’une obligation de résultat :

« En effet l’abonné est en droit d’exiger que l’eau du service public soit potable et propre aux divers usages auxquels elle est employée, ainsi que le rappelle la recommandation n° 85 -1 de la Commission des clauses abusives relative aux contrats de distribution de l’eau qui relève :
«que, quelque soit le mode juridique de distribution, les relations entre l’usager et le service chargé de la distribution d’eau communément appelé « service des eaux », résulte d’un contrat d’abonnement appelé « règlement du service des d’eau » et que ce contrat se trouve, du fait de sa nature même, soumis au régime de droit privé, que sa responsabilité est régie par les règles de la responsabilité civile, que l’obligation de fournir une eau propre à la consommation humaine est une obligation de résultat qui procède des règles d’ordre public qui ne cède que devant la preuve d’une impossibilité d’exécution due à un cas de force majeure »; en l’espèce, la non-conformité de l’eau n’était pas un événement inévitable, irrésistible, insurmontable puisqu’il trouvait sa cause dans un problème technique parfaitement identifié tant par la société Y que par la société X et pour lequel il existait une solution dont la réalisation a seulement tardé ;
Il s’ensuit que la société Y et la société X ont manqué à leur obligation qui est une obligation de résultat ».

Cet arrêt de la Cour d’appel de PARIS est l’occasion de rappeler que les litiges relatifs à la prestation du service public industriel et commercial de distribution d’eau délivrée à l’usager relèvent des juridictions judiciaires.

Le contrat conclu avec l’abonné oblige le distributeur à délivrer une eau conforme à sa destination, c’est-à-dire une eau propre à la consommation (art. L. 1321-1 du Code de Santé Publique), qui puisse satisfaire les usages de boisson, de cuisson, de préparation d’aliments, les autres usages domestiques ainsi que tous les usages agro-alimentaires (art. R. 1321-1 Code de Santé publique).

Les obligations relatives à la fourniture de la prestation sont des obligations de résultat. Les usagers peuvent engager la responsabilité du service dès lors qu’ils ont subi un dommage, sans avoir à apporter la preuve d’une faute du service.

Les jurisprudences rendues jusqu’à présent avaient permis de déterminer la notion de qualité d’eau potable : ainsi doit être considérée comme potable l’eau qui, à la fois, est propre à la consommation humaine et répond aux normes légales et réglementaires définies jusqu’en décembre 2003 par le décret du 3 janvier 1989, puis par des dispositions du Code de la Santé Publique. Désormais les eaux doivent être conformes à des limites de qualité (cf. art. R1321-2 code de la santé publique) et des références de qualité (cf. art.R1321-3 de la santé publique). Les limites et référence de qualité sont fixées par arrêté ministériel (cf. Arrêté du 11 janvier 2007 relatif aux limites et références de qualité des eaux brutes et des eaux destinées à la consommation humaine mentionnées aux articles R. 1321-2, R. 1321-3, R. 1321-7 et R. 1321-38 du code de la santé publique).

Cette non-conformité a été reconnue pour le paramètre nitrate (TI St Brieuc, 18 juill. 1994, CA Rennes, 14 nov. 1996, n° 770 et Cass. 1re civ., 5 nov. 1996, n° 94-20.027P : CA Grenoble, 27 avr. 1999, n° 96/1974 et 96/01940), pour les paramètres nitrates et pesticides (CA Rennes, 2 mai 2003, n° 02/04/669), mais également pour le paramètre fer (CA Montpellier, 21 déc. 1988, n° 034309), aluminium (CA Lyon, 3 mai 2001, n° 153949) ou manganèse (TI Nancy, 12 avr. 2000, n° 1205/1999, Cie des Eaux et de l’ozone).

Notons comme le rappelle la Cour que le distributeur peut atténuer ou s’exonérer de sa responsabilité contractuelle dans trois hypothèses :

–  le fait d’un tiers : ce dernier peut être retenu lorsque le dommage provient directement d’une dégradation des ouvrages ou de la qualité de l’eau réalisée par une personne extérieure au service ;

– La faute de la victime pour sa part peut être retenue en cas de non conformité de ses réseaux intérieurs ou par un manque de prudence (CA Poitiers, 12 févr. 1986, n° 046442, SAUR, responsabilité partielle de la victime n’ayant pas purgé complètement ses installations après une interruption de trois semaines de l’activité).

– La force majeure : il devra alors être démontré le caractère imprévisible, irrésistible et irréversible.
Le caractère irrésistible n’est pas retenu dès lors que la non conformité est réversible, que ce soit par une reconquête de la qualité des eaux brutes ou par la mise en œuvre de nouveaux procédés de traitement, le distributeur ne pouvant pas se prévaloir de simples difficultés d’exécution.

En l’occurrence, la force majeure n’est pas retenue au regard de l’absence d’irrésistibilité puisque le problème de qualité de l’eau en l’espèce avait été détecté reconnu et même solutionner…..mais tardivement.

Sur le plan de la réparation du préjudice, la Cour d’appel justifie cette dernière de manière explicite en soutenant :
« Il n’est pas contestable que M. A n’a pu utiliser l’eau distribuée ni à fin de consommation, ni d’hygiène, ni alimentaire alors qu’il s’agit d’un élément essentiel pour la jouissance normale d’un pavillon d’habitation ; la durée d’occupation du pavillon par M.A ne saurait lui être opposée dès lors que le défaut d’eau consommable et même utilisable en termes d’hygiène constituaient à l’évidence un obstacle à celle-ci ; dès lors son préjudice de jouissance qui est certain, direct et personnel, sera fixée à 30 % de la valeur locative de son pavillon »;

Au regard des événements relayés par les médias sur la mauvaise qualité de l’eau de certaines zones géographiques, il est fort à parier que la jurisprudence rendue par la Cour d’appel de PARIS rencontrera un écho certain …. Affaires à suivre.