La loi Grenelle 2 (Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement) a inséré l’article L. 553-1 dans le code de l’environnement. Cette nouvelle disposition soumet désormais les installations de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent au régime des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Le décret n° 2011-984 du 23 août 2011 a créé une nouvelle rubrique (n° 2980) soumettant les éoliennes industrielles au régime d’autorisation.
L’instruction des dossiers de demande d’autorisation au titre de la législation sur les ICPE a été longue et souvent laborieuse, les premiers arrêtés d’autorisation d’exploiter des éoliennes ont finalement été pris et, cinq ans après la loi Grenelle 2, les premiers jugements sur ces arrêtés sont enfin rendus.
Le jugement du Tribunal administratif de Caen (TA caen 4 déc. 2014 n° 1301339), objet du présent commentaire, est l’une de ces premières décisions – à notre connaissance, c’est sans la toute la première.
En l’espèce, par un arrêté du 17 janvier 2013, le Préfet de l’Orne a délivré à la société Centrale éolienne les Hauts-Vaudois une autorisation d’exploiter onze éoliennes et un poste de livraison sur le territoire des communes de Montgaroult et Sentilly.
De nombreux requérants dont l’association de défense des Monts ont saisi le Tribunal administratif de Caen d’une demande d’annulation de cet arrêté.
Aux termes d’un jugement du 4 décembre 2014 (TA Caen, 4 décembre 2014, n°1301339, Association Défense Des Monts et autres), les juges du fond ont rejeté la requête en écartant chacun des moyens qui étaient invoqués devant eux.
Cette décision est particulièrement intéressante en ce qu’elle donne un premier aperçu de l’appréciation du juge sur les différents moyens susceptibles d’être invoqués à l’encontre d’un recours dirigé contre un arrêté d’autorisation d’exploiter des éoliennes industrielles.
Douze moyens étaient invoqués en l’espèce. Il conviendra d’examiner uniquement les moyens propres à la législation sur les ICPE qui présentent un intérêt particulier.
1) Sur le vice de procédure tiré de la méconnaissance du 7° de l’article R. 512-6 du code de l’environnement
Aux termes de l’article R. 512-6 du code de l’environnement, dans sa version alors applicable : « I.-A chaque exemplaire de la demande d’autorisation doivent être jointes les pièces suivantes : (…) 7° Dans le cas d’une installation à implanter sur un site nouveau, l’avis du propriétaire, lorsqu’il n’est pas le demandeur, ainsi que celui du maire ou du président de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d’urbanisme, sur l’état dans lequel devra être remis le site lors de l’arrêt définitif de l’installation ; ces avis sont réputés émis si les personnes consultées ne se sont pas prononcées dans un délai de quarante-cinq jours suivant leur saisine par le demandeur ».
En l’espèce, l’opérateur éolien a bien sollicité l’avis des maires des communes concernées par l’implantation d’éoliennes sur l’état dans lequel le site devra être remis lors de l’arrêt définitif de l’installation.
Néanmoins, ces courriers n’ont pas été joints à la demande d’autorisation.
Pour examiner le caractère substantiel ou non de ce vice de procédure, le Tribunal administratif de Caen fait une application du principe dégagé dans la décision Danthony du Conseil d’Etat et vérifie si cette omission a nui à l’information du public et de l’autorité administrative ou a été de nature à exercer une influence sur la décision (CE, 23 décembre 2011, n°335033, Publié au recueil Lebon).
Tel n’a pas été le cas en l’espèce, ce qui conduit le Tribunal administratif de Caen à écarter le moyen.
2) Sur le vice de procédure tiré de l’insuffisance de l’étude d’impact prévue par les articles R. 512-6 et R. 512-8 du code de l’environnement
En matière ICPE, le dossier de demande d’autorisation doit comprendre une étude d’impact dont le contenu est défini par les dispositions de l’article R. 512-8 du code de l’environnement
Différents arguments étaient invoqués à l’encontre de cette étude d’impact mais la réponse apportée par le Tribunal à certains des arguments est parfois particulièrement intéressante.
• L’insuffisance de l’étude d’impact sur l’incidence du projet sur les chiroptères
Les requérants soutenaient que les impacts des éoliennes sur les chiroptères avaient été insuffisamment étudiés.
Le Tribunal administratif de Caen est très prolixe sur cet argument et étaye fortement sa réponse. Après avoir rappelé les études réalisées pour apprécier les impacts du projet sur les chauves-souris et après avoir détaillé l’ensemble des mesures prises pour limiter les impacts du projet sur les populations de chiroptères, le Tribunal administratif de Caen souligne que l’arrêté attaqué impose, en outre, à l’exploitant des mesures de prévention et de compensation qui ne seront levées qu’en cas de constat d’absence de mortalité des chauves-souris.
La réponse très détaillée à cet argument témoigne du caractère sensible de cette question dans cette affaire. Il est vrai, qu’en l’espèce, les recommandations du groupe Eurobats sur les distances à respecter entre une éolienne et les haies et boisements les plus proches n’étaient pas respectées. Pour justifier néanmoins du caractère suffisant de l’étude d’impact, le juge administratif n’a donc pas hésité à se référer aux mesures de prévention et de compensation contenues dans l’arrêté d’autorisation d’exploiter.
Bien que cette référence au contenu de l’arrêté soit, en principe, sans incidence sur le caractère suffisant de l’étude d’impact, il s’agit d’un indice témoignant, en tout état de cause, de la prise en compte de cette problématique par le Préfet.
• L’insuffisance de l’étude d’impact concernant la prise en compte d’un radar Météo-France
Les requérants prétendaient que des mesures particulières concernant un radar météorologique situé à proximité devaient être envisagées et chiffrées dans l’étude d’impact.
Néanmoins, Météo-France a émis un avis favorable au projet assorti de recommandations quant à la hauteur totale des aérogénérateurs et la longueur des pales que le projet respectait.
Par suite, cet argument tiré de l’insuffisance de l’étude d’impact a été écarté. Cette position témoigne une fois encore du poids accordé aux avis de Météo-France. Alors qu’un avis défavorable est souvent bloquant pour les projets éoliens, un avis favorable peut, à l’inverse, difficilement être remis en cause. Cette opacité des avis de Météo-France leur confère une forme de souveraineté difficile à contester…
Cette souveraineté des avis de Météo-France est d’autant plus établie en l’espèce que les requérants prétendaient également dans leur recours que le fonctionnement des éoliennes était de nature à perturber le fonctionnement du radar et à remettre en cause la fiabilité des données recueillies. Cependant, le juge administratif écarte ce moyen en se référant une fois encore à l’avis favorable émis par Météo-France et aux prescriptions qu’il contient.
• L’insuffisance de l’étude d’impact s’agissant du coût du démantèlement des éoliennes
Les requérants soutenaient, par ailleurs, que l’étude d’impact ne mentionnait pas le coût de démantèlement des éoliennes.
Toutefois, dès lors que le coût du démantèlement des éoliennes est prévu réglementairement par l’arrêté du 26 août 2011, le moyen a été écarté.
3) Sur le vice de procédure tiré de la méconnaissance des articles R. 512-2 et R. 512-3 du code de l’environnement relatifs aux capacités techniques et financières de l’exploitant
En vertu des articles R. 512-2 et R. 512-3 du code de l’environnement, la demande d’autorisation d’exploiter l’installation doit mentionner « les capacités techniques et financières de l’exploitant ».
Il est intéressant d’examiner la façon dont le juge apprécie pour la première fois les capacités financières de l’exploitant en matière d’éoliennes.
En l’espèce, le juge commence par vérifier les capacités techniques et financières de l’opérateur international éolien, le groupe Théolia. Pour ce faire, il rappelle la capacité installée du groupe dans différents pays, le nombre de mégawatts installés pour son propre compte, le nombre de mégawatts gérés pour le compte de tiers et le nombre de mégawatts prévus pour les projets en développement.
Il s’assure ensuite des capacités techniques et financières de la filiale française du groupe pour l’ensemble des phases du cycle de vie d’un projet éolien et ajoute que le dossier de demande d’autorisation expose que la filiale française du groupe Théolia a déjà mis en exploitation plusieurs parcs éoliens et qu’elle porte de multiples projets éoliens.
Enfin, le juge constate que le dossier de demande d’autorisation comprend une rubrique spécifique aux capacités techniques et financières du demandeur qui mentionne le chiffre d’affaires de la société pétitionnaire pour les années 2008 à 2010, le montant des investissements annuels et les modalités de financement des parcs éoliens.
Il en déduit alors que l’autorité administrative a été en mesure d’apprécier la capacité financière du pétitionnaire à assumer l’ensemble des obligations susceptibles de découler du fonctionnement, de la cessation éventuelle de l’exploitation et de la remise en état du site.
Pour apprécier les capacités financières du demandeur, le juge administratif suit donc un raisonnement « en entonnoir » (Groupe international – filiale française – société porteuse du projet) et se fonde tant sur l’examen des mégawatts produits par les éoliennes déjà installées que sur ceux prévus par les installations en projet.
Ce raisonnement devrait permettre de guider les pétitionnaires lors de la rédaction de leur dossier de demande d’autorisation d’exploiter.
4) Sur le vice de procédure tiré de la consultation irrégulière de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS)
Plusieurs arguments des requérants concernaient la consultation irrégulière de la CNDPS.
En premier lieu, la CDNPS était irrégulièrement composée lorsqu’elle s’est prononcée sur le projet. Le Tribunal administratif de Caen applique une nouvelle fois le principe dégagé dans la décision Danthony du Conseil d’Etat et vérifie si cette omission a nui à l’information du public et de l’autorité administrative ou a été de nature à exercer une influence sur la décision (CE, 23 décembre 2011, n°335033, Publié au recueil Lebon). Tel n’a pas été le cas en l’espèce donc le juge administratif écarte cet argument.
En deuxième lieu, la CDNPS n’aurait pas suffisamment eu communication de l’avis du service territorial de l’architecture et du patrimoine de l’Orne. Ce moyen est rapidement écarté par le juge, l’avis du service territorial de l’architecture et du patrimoine ayant été intégralement retranscrit dans le rapport de l’inspection des installations classées qui a lui-même été communiqué à la CDNPS.
En troisième et dernier lieu, les requérants soutenaient que la CDNPS du département voisin aurait dû être consultée en raison de la situation géographique de l’opération projetée et des incidences qu’elle pouvait avoir sur les paysages, les monuments et les sites protégés des départements voisins. Néanmoins, le Tribunal administratif a relevé qu’aucune disposition n’exigeait la consultation de la CDNPS du département voisin.
5) Sur l’atteinte aux paysages
Les requérants faisaient également valoir que le projet portait atteinte aux paysages. Le juge administratif se fonde notamment sur les prescriptions de l’arrêté attaqué pour écarter le moyen. A cet égard, il relève que l’arrêté préfectoral attaqué impose une prescription à l’exploitant en matière de paysages et renvoie à l’ensemble des mesures de prévention, de réduction, compensation et d’accompagnement auxquelles s’est engagé le pétitionnaire.
6) Sur la mise en œuvre des mesures compensatoires, de prévention, de réduction et d’accompagnement
Enfin, les requérants soutenaient que les mesures compensatoires, de prévention, de réduction et d’accompagnement auxquelles le pétitionnaire s’était engagé ne pourront être mises en œuvre. Le juge écarte rapidement ce moyen en rappelant qu’il appartenait aux services de l’Etat de s’assurer, pendant l’exploitation de l’installation, du respect des mesures prescrites et de celles auxquelles l’exploitant s’est engagé.
Pour conclure, il ressort de ce premier jugement que le juge administratif semble assez souple dans son appréciation du dossier de demande d’autorisation d’exploiter un parc éolien. Ainsi, il n’hésite pas à utiliser le principe dégagé dans la décision Danthony du Conseil d’Etat pour considérer que les vices de procédure ne sont pas substantiels. De même, les lacunes du DDAE sont analysées selon le standard de jugement de la vocation informative du dossier. Enfin, lorsque le dossier lui semble quelque peu fragile ou insuffisant, le juge se repose alors sur les prescriptions de l’arrêté attaqué pour estimer que le projet sera suffisamment encadré.
Cette position est tout à fait compréhensible dans la mesure où le processus conduisant à l’exploitation d’un parc éolien est très long et que deux études d’impact sont notamment requises (une concernant le dossier de permis de construire, l’autre concernant le dossier de demande d’autorisation d’exploiter). Les prescriptions préfectorales viennent également encadrer le projet. Enfin, durant la phase d’exploitation du parc, les services de l’Etat contrôleront également le respect de l’arrêté préfectoral d’autorisation par l’exploitant.
Au regard de l’encadrement de la procédure, le juge n’a donc pas pour objectif de bloquer un projet qui, s’il est arrivé jusqu’à ce stade du processus, doit tout de même être considéré comme abouti et respectueux des intérêts en présence. Il se borne donc surtout à vérifier qu’il n’est pas porté atteinte aux intérêts protégés par l’article L. 511-1 du code de l’environnement.
Maître Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat)