Par Me Valentine SQUILLACI- Avocat (GREEN LAW AVOCATS)
Il y a maintenant un an, la Cour de Cassation a créé la surprise sur une question juridique intéressant le domaine de la construction.
La Haute juridiction retenait alors que « les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (Cass. 3e civ., 15 juin 2017, n° 16-19.640 confirmé par Civ. 3e, 29 juin 2017, n° 16-16.637, Cass. 3e civ., 14 sept. 2017, n° 16-17.323)
En d’autres termes, la garantie décennale n’est donc plus uniquement due par le constructeur d’un ouvrage mais par toute personne intervenant sur un ouvrage pour y installer un élément d’équipement, dissociable ou non (installateur d’une pompe à chaleur, d’une cheminée …) et s’étend aux dommages affectant l’ouvrage existant, dès lors qu’ils rendent ce dernier impropre à sa destination.
Afin de tenter de limiter leur garantie dans une telle hypothèse, les assureurs de responsabilité décennale ont invoqué les dispositions de l’article L243-1-1 II) du Code des assurances qui excluent du champ de l’assurance obligatoire les « ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles. »
Créant à nouveau la surprise, la Cour de Cassation s’est alors fondée quelques mois plus tard sur une application littérale du texte et a considéré que ces dispositions « ne sont pas applicables à un élément d’équipement installé sur existant » (Cass. 3e civ., 26 oct. 2017, n° 16-18.120).
La Cour de Cassation considère donc aujourd’hui que les dommages aux existants (incorporés ou non) sont couverts par l’assurance obligatoire de responsabilité décennale dès lors qu’ils résultent de l’installation d’un équipement sur existant, et non de la construction d’un ouvrage.
Cette position de la Cour de Cassation crée en pratique deux séries de difficultés :
- D’une part, les simples installateurs d’équipements qui ignorent être désormais tenus à la garantie décennale s’exposent à des poursuites pénales, le défaut de souscription d’une telle assurance étant un délit en application de l’article L243-3 du Code des assurances ;
- D’autre part, du point de vue des assureurs, le prisme des dommages couverts au titre de l’assurance obligatoire est significativement élargi puisqu’il s’étend désormais aux désordres ayant pour origine un élément d’équipement dissociable d’origine ou installé sur existant.
On imagine donc que le lobby des assureurs a activement œuvré pour obtenir une réponse législative à cette « dérive » jurisprudentielle…
C’est ainsi que le 25 juillet 2018 le Sénat a adopté le « Projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique » (disponible ici), dit « ELAN », qui prévoit notamment une nouvelle rédaction de l’article L.243-1-1 II) du Code des assurances en ces termes :
« II. – Les assurances obligatoires prévues aux articles L. 241‑1, L. 241‑2 et L. 242‑1 ne sont pas applicables et ne garantissent pas les dommages, aux existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles. »
La modification est subtile et il n’est pas certain qu’elle sera de nature à modifier la position de la Cour de Cassation…
Bien que cette dernière n’ait pas expliqué pourquoi, selon elle, les dispositions de l’article L.243-1-1 II) du Code des assurances « ne sont pas applicables à un élément d’équipement installé sur existant », on peut imaginer que c’est dans la mesure où ce texte évoque un « ouvrage neuf ».
Or, cette référence n’a pas été supprimée par le Sénat.
Il convient donc de suivre attentivement le travail de la commission mixte paritaire qui a été convoquée après la première lecture du texte par les deux assemblées.