Affaire Grande-Synthe : Requête CEDH jugée irrecevable

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Par David DEHARBE, avocat gérant et Frank ZERDOUMI, Juriste et Docteur en droit public (Green Law Avocats)

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne comporte aucun article consacré explicitement à la protection de l’environnement : le droit à l’environnement n’est donc pas, a priori, un droit fondamental.

Cela étant, la Cour européenne des droits de l’homme a développé une doctrine qui permet de protéger des requérants contre des nuisances ou des dégradations environnementales susceptibles de les affecter directement.

Ainsi, une jurisprudence a été élaborée à partir des articles 2, 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : respectivement le droit à la vie, le droit à un procès équitable, le droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile.

À partir de ces articles, en fonction de leur interprétation, il a été possible d’aboutir à la protection, par la Cour européenne des droits de l’homme, de l’environnement (CEDH 9 décembre 1994, Lopez Ostra c/ Espagne, n° 16790/90 ; CEDH 14 novembre 2000, Sciavilla c/ Italie, n° 36735/97).

En 2018, le maire de la ville de Grande-Synthe (Nord) a demandé au Gouvernement français de prendre toute mesure utile susceptible d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national, afin de respecter les obligations consenties par la France sur le sujet.

N’ayant pas reçu de réponse à sa demande, il saisit le Conseil d’État d’un recours pour excès de pouvoir : la haute juridiction a rejeté sa requête pour manque d’intérêt à agir personnel mais elle a accepté d’examiner les demandes de la commune, menant à plusieurs décisions dites de l’affaire Grande Synthe (CE, 19 novembre 2020, Commune de Grande-Synthe et M. Damien Carême, n°427301 pour en savoir plus voir notre commentaire ; CE, 1er juillet 2021, Commune de Grande-Synthe, n°427301, pour en savoir plus voir notre commentaire ; CE, 10 mai 2023, Commune de Grande-Synthe et autres, n°467982).

Sa demande initiale consistait donc en l’annulation des décisions implicites prises par les autorités publiques afin que soient prises en compte « toutes mesures utiles permettant de faire décroître la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national » ainsi qu’à ce que « soient adoptées des mesures immédiates d’adaptation au changement climatique de la France ».

Enfin, le requérant souhaitait également que soient prises toutes dispositions « d’initiatives législatives et réglementaires utiles » visant à rendre obligatoire la priorité climatique.

Le requérant soutenait que l’État français mettait en danger ses droits fondamentaux susmentionnés en raison des risques climatiques croissants pour sa commune qui était notamment soumise à « une fréquence accrue des précipitations abondantes et une élévation du niveau de la mer, entraînant une augmentation des risques de submersions marines et d’inondations ».

Damien Carême exigeait donc que la Cour européenne des droits de l’homme reconnaisse la violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales par la France du fait de son inaction face à la lutte contre le changement climatique.

La défense de l’État français a principalement tourné autour du fait que le requérant ne pouvait plus être considéré comme une « victime directe » au sens de l’article 34 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

De plus, la défense a considéré que des actions nécessaires ont étés effectuées par la France afin de lutter contre le changement climatique, notamment les engagements internationaux pris dans le cadre de l’Accord de Paris.

L’insuffisance des actions climatiques de la France constituaient-elles une atteinte caractérisée aux articles 2 (droit à la vie) et 8 (droit à la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’Homme ?

En d’autres termes, l’inaction des États face au changement climatique correspondait-elle à une violation des droits de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ?

À l’instar du Conseil d’État, la Cour européenne des droits de l’homme a rejeté la requête, la déclarant irrecevable, faute d’intérêt à agir du requérant (CEDH, CARÊME c. France, 9 avril 2024, req. n°7189/21).

C’est ainsi que la Cour européenne des droits de l’Homme a souligné la nécessité de démontrer un lien direct entre l’inaction climatique de l’État et la violation des droits individuels garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

En somme, la Cour a rejeté la requête de l’ancien maire de Grande-Synthe la déclarant irrecevable aux motifs suivants :

« Le requérant ne justifie d’aucun lien pertinent avec la commune de Grande-Synthe (…) et ne vit pas en France »(CEDH, CARÊME c. France, 9 avril 2024, req. n°7189/21, §83) ;

« Incompatibilité ratione personae avec les dispositions de la Convention, au sens de l’article 35p3 » (CEDH, CARÊME c. France, 9 avril 2024, req. n°7189/21,§88).

Cette décision « sur mesure », pour reprendre l’expression de la Cour européenne des droits de l’homme elle-même, apporte des précisions importantes sur l’action des États en matière de changement climatique : la Cour commence à mettre en perspective le réchauffement planétaire avec les droits de l’Homme.

Au regard du changement climatique, la Cour consacre désormais le statut de victime d’une violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et met en exergue un périmètre d’obligations positives à la charge des États : c’est un progrès substantiel.

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