Stocamine : confinement définitif et droit des générations futures

Stocamine : confinement définitif et droit des générations futures

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Par Frank ZERDOUMI et Mathieu DEHARBE, juristes (Green Law Avocats)

En France, il a fallu attendre 1995 pour que la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, dite loi Barnier, reconnaisse le droit de chacun à vivre dans un environnement sain, et dix années supplémentaires pour que ce droit soit constitutionnalisé par la Charte de l’environnement dont l’article 1er dispose que chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé.

Le droit à l’environnement est aussi une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative (voir notre commentaire sur CE, 20 mai 2022, n° 451129 ).

Le 3 février 1997, le Préfet du Haut-Rhin a autorisé la société Stocamine, devenue la société des mines de potasse d’Alsace, à exploiter, pour une durée de trente ans au titre des installations classées pour la protection de l’environnement, un stockage souterrain réversible de déchets industriels d’une capacité de 320 000 tonnes au sein de cavités salines situées dans le sous-sol du territoire de la commune de Wittelsheim, à environ 550 mètres de profondeur.

De 1999 à 2002, environ 44 000 tonnes de déchets ont été stockées.

Le 10 septembre 2002, un incendie s’est déclaré dans le bloc 15 de la structure de stockage.

À la suite de cet incendie, il a été décidé de mettre fin à l’apport de déchets. Restait à résoudre la question des déchets déjà stockés.

Le 8 janvier 2015, la société des mines de potasse d’Alsace a sollicité la prolongation de l’autorisation d’exploitation pour une durée illimitée. Précisément, elle a demandé l’autorisation de fermer le site de stockage et de confiner les déchets restants.

Le 23 mars 2017, le Préfet du Haut-Rhin a pris un arrêté par lequel il a fait droit à cette demande : il a donc délivré cette autorisation.

Le 15 octobre 2021, la Cour administrative d’appel de Nancy a annulé cet arrêté.

Le 28 septembre 2023, le Préfet du Haut-Rhin a pris un nouvel arrêté autorisant la prolongation, pour une durée illimitée, de l’autorisation donnée à la société des mines de potasse d’Alsace – anciennement Stocamine – de stockage souterrain en couches géologiques profondes, de produits dangereux, non radioactifs, sur le territoire de la commune de Wittelsheim.

La collectivité européenne d’Alsace et plusieurs personnes ont demandé au juge des référés du Tribunal administratif de Strasbourg de suspendre l’exécution de cet arrêté et, le 9 octobre 2023, l’Association Alsace Nature et sept autres requérants, ainsi que la collectivité européenne d’Alsace, l’Association Consommation, logement et cadre de vie – Union départementale du Haut-Rhin, l’Association Cité Langenzug, l’Association Alternatiba Soultz et les communes de Wittenheim et d’Ungersheim ont déposé trois requêtes au fond devant ce même Tribunal, afin d’obtenir l’annulation dudit arrêté.

Le 7 novembre 2023, les juges des référés du Tribunal administratif de Strasbourg ont suspendu l’exécution de cet arrêté : ils ont estimé que le confinement illimité de ces déchets était susceptible de porter atteinte à la gestion équilibrée et durable de la ressource, en méconnaissance du droit des générations futures à satisfaire leurs propres besoins et à vivre dans un environnement sain (voir notre commentaire sur TA de Strasbourg, 7 novembre 2023, n° 2307183 ).

Le 16 février 2024, le Conseil d’État a annulé cette ordonnance et a rejeté la demande de suspension de l’exécution de l’arrêté préfectoral en litige (CE, 16  février 2024, n° 489591 ).

Dans la mesure où les trois requêtes tendaient à l’annulation du même arrêté préfectoral, elles ont donné lieu à un seul jugement.

L’autorisation de stockage pour une durée illimitée est-elle légale ?

Le Tribunal administratif de Strasbourg a répondu à cette question par l’affirmative, infirmant ainsi l’ordonnance rendue par le juge des référés (décision commentée : TA de Strasbourg 17 juin 2025, n° 2307182, 2308280, 2402016 ).

Au titre de la légalité externe, le Tribunal administratif a écarté les moyens suivants :

Concernant le bilan écologique, l’article L. 515-7 du Code de l’environnement dispose que :

« […] A l’issue d’une période de fonctionnement autorisé de vingt-cinq ans au moins, ou si l’apport de déchets a cessé depuis au moins un an, l’autorisation peut être prolongée pour une durée illimitée, sur la base d’un bilan écologique comprenant une étude d’impact et l’exposé des solutions alternatives au maintien du stockage et de leurs conséquences ».

Selon la juridiction de première instance, l’ensemble des substances trouvées ont été prises en compte et le choix de n’en retenir que neuf dans le champ de l’étude se justifie par le fait qu’elles seules présentaient un tonnage, une toxicité et une mobilité constituant un risque pour la nappe (décision commentée : TA de Strasbourg 17 juin 2025, n° 2307182, 2308280, 2402016, point 27 ).

Par ailleurs, elle note que les requérants ne démontrent pas que l’exposé des solutions alternatives serait incomplet et de nature à nuire à l’information du public ou à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative (décision commentée : TA de Strasbourg 17 juin 2025, n° 2307182, 2308280, 2402016, point 30 ).

En somme, le Tribunal administratif de Strasbourg a jugé que le déstockage total ou partiel des déchets n’était plus envisageable dans des conditions acceptables de sécurité pour le personnel et de risques pour l’environnement.

Entre autres constatations, il a notamment mis en exergue que les technologies robotiques envisagées par les requérants constituaient seulement des aides à la surveillance du stockage écologique profond.

En conséquence, elles ne pouvaient pas servir à des opérations complexes de déstockage.

Concernant la légalité interne, les juges du fonds ont écartés les moyens suivants :

À cette occasion, le Tribunal considère que le confinement définitif est  la seule solution envisageable : il consiste à construire des barrières en béton autour des blocs contenant les déchets et à remblayer les puits qui y donnent accès : l’objectif est d’assurer une étanchéité (décision commentée : TA de Strasbourg 17 juin 2025, n° 2307182, 2308280, 2402016, point 38 ).

D’ailleurs, il n’a pas manqué d’indiquer que cette mesure ne porte pas atteinte au droit des générations futures qui  en plus d’avoir une valeur constitutionnelle s’impose tant aux autorités publics qu’aux autorités publique (décision commentée : TA de Strasbourg 17 juin 2025, n° 2307182, 2308280, 2402016, point 41 ).

Ce droit découle d’une interprétation faites par le Conseil constitutionnel de la Charte de l’environnement :

« Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. » (article 1er ).

« Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. » (article 7 ).

Pour mémoire, les Sages ont rappelé que le législateur doit s’assurer que les choix du présent ne doivent compromettre la droit capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard (voir notre commentaire sur CC, 27 octobre 2023, n° 2023-1066 QPC, point 6 ).

En l’occurrence, le déstockage n’est pas possible et le confinement prévu par le projet constitue la mesure la plus susceptible de préserver la ressource en eau et donc le droit des générations futures :

« Toutefois, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, dans la mesure où il ne résulte pas de l’instruction qu’un déstockage soit encore possible dans une temporalité compatible avec les effets cumulés des phénomènes de convergence des galeries et de fluage du sel, le projet autorisé par la décision attaquée constitue désormais, en l’état des meilleures techniques disponibles, la mesure la plus susceptible de préserver la ressource en eau et par suite le droit des générations futures à satisfaire leurs propres besoins » (décision commentée : TA de Strasbourg 17 juin 2025, n° 2307182, 2308280, 2402016, point 44 ).

Certes, le juge administratif doit être le garant de la protection de l’environnement et du droit des générations futures à vivre dans un environnement sain.

Cela étant, il doit aussi faire preuve de pragmatisme et mettre en perspective les demandes des associations de protection de l’environnement avec ce qu’il est possible de faire sans danger. Dès lors, les demandes des associations et de l’ensemble des requérant n’étaient pas justifiées, voire déraisonnables.

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