Certificats d’économie d’énergie : les limites du pouvoir de sanction du ministre

Certificats d’économie d’énergie : les limites du pouvoir de sanction du ministre

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Par Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)

Comme l’a rappelé le rapporteur public Bastien Lignereux dans ses conclusions sur l’affaire « Paris Habitat OPH », le fonctionnement du dispositif des certificats d’économies d’énergie repose sur l’obligation mise à la charge des fournisseurs d’énergie de produire, en fin de période, un nombre de certificats calculé en fonction des quantités d’énergie qu’ils fournissent : ils peuvent obtenir ces certificats en réalisant des économies d’énergie qui leur permettent de se voir délivrer des certificats, ou en les acquérant auprès d’un tiers (conclusion, CE 20 décembre 2024 n° 475348, page 1).

À l’origine, en cas de manquement tel que la délivrance indue de certificats d’économies d’énergie, la sanction était une amende, plafonnée en fonction du chiffre d’affaires de l’intéressé, à la gravité du manquement et à la situation.

Mais la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a enrichi la palette répressive dont disposait l’Administration en ajoutant à l’amende la faculté d’annuler des certificats d’économies d’énergie de l’intéressé, d’un volume égal à celui concerné par le manquement (JORF n°0189 du 18 août 2015).

Quant à la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, elle a ajouté la possibilité d’annuler les certificats acquis par les personnes n’ayant pas mis en place – ou de façon incomplète – les dispositifs de détection de certificats frauduleux mentionnés à l’article L. 221-8 du Code de l’énergie (JORF n°0196 du 24 août 2021).

Suite à une demande de l’office public de l’habitat Paris Habitat, la ministre de la transition énergétique a délivré à cet établissements public industriel et commercial (EPIC) des certificats d’économies d’énergie.

Le 7 septembre 2022, l’Administration a adressé une mise en demeure à l’Office, dans laquelle elle l’a informé que l’absence de mise en conformité, dans le délai d’un mois, de manquements identifiés à l’issue d’un contrôle de 22 opérations, était susceptible d’entraîner à son égard l’application de sanctions prévues à l’article L. 222-2 du Code de l’énergie.

Le 25 avril 2023, la ministre de la transition énergétique a prononcé l’annulation de certificats d’économies d’énergie correspondant à un volume de 42 884 235 kilowattheures cumulés actualisés (dits « précarité »), ainsi que l’annulation de certificats d’économies d’énergie correspondant à un volume de 16 956 334 kilowattheures (dits « classiques ») : elle a donc sanctionné l’office en annulant la totalité des certificats d’économies d’énergie accordés au titre de 7 opérations estimées non conformes.

Le 23 juin 2023, l’office public de l’habitat Paris Habitat a déposé deux requêtes devant le Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation de ces deux décisions ou, au moins, la réduction du quantum de ces sanctions. Les deux requêtes ont été jointes pour statuer par une même décision.

La ministre chargée de l’énergie peut-elle prononcer l’annulation de certificats d’économies d’énergie en cas de manquement ? Quelle est l’ampleur de ces annulations ?

Le Conseil d’État a répondu à la première question par l’affirmative, mais il a précisé que l’annulation ne peut porter que sur le volume des certificats d’économies d’énergie concernés par ledit manquement (décision commentée : CE, 20 décembre 2024 n° 475348).

L’article L. 222-2 du Code de l’énergie prévoit que :

« En cas de manquement à des obligations déclaratives, le ministre met l’intéressé en demeure de se conformer à ses obligations dans un délai déterminé. Il peut rendre publique cette mise en demeure.

Lorsque l’intéressé ne se conforme pas dans les délais fixés à cette mise en demeure ou lorsque des certificats d’économies d’énergie lui ont été indûment délivrés, le ministre chargé de l’énergie peut :

1° Prononcer à son encontre une sanction pécuniaire dont le montant est proportionné à la gravité du manquement et à la situation de l’intéressé, sans pouvoir excéder le double de la pénalité prévue au premier alinéa de l’article L. 221-4 par kilowattheure d’énergie finale concerné par le manquement et sans pouvoir excéder 4 % du chiffre d’affaires hors taxes du dernier exercice clos, porté à 6 % en cas de nouveau manquement à la même obligation ;

2° Le priver de la possibilité d’obtenir des certificats d’économies d’énergie selon les modalités prévues au premier alinéa de l’article L. 221-7 et à l’article L. 221-12 ;

3° Annuler des certificats d’économies d’énergie de l’intéressé, d’un volume égal à celui concerné par le manquement ;

4° Suspendre ou rejeter les demandes de certificats d’économies d’énergie faites par l’intéressé ;

5° Annuler les certificats d’économies d’énergie acquis par les personnes qui n’ont pas mis en place ou qui ont mis en place de façon incomplète les dispositifs mentionnés à l’article L. 221-8.

Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article. »

Après avoir rappelé les dispositions des articles L. 221-9, L. 222-1 et L. 222-2 du Code de l’énergie, le Conseil d’État affirme que :

« Il résulte de ces dispositions que le ministre chargé de l’énergie peut, en cas de manquement aux dispositions relatives aux certificats d’économies d’énergie, prononcer, dans le respect du principe de proportionnalité qui s’applique à toute sanction administrative, une ou plusieurs des sanctions qu’elles prévoient. Il peut notamment, en application du 3° de l’article L. 222-2 du code de l’énergie, prononcer l’annulation de certificats d’économies d’énergie d’un volume égal à celui concerné par le manquement. Ces dispositions n’ont cependant ni pour objet ni pour effet de lui permettre de prononcer l’annulation de l’ensemble des certificats d’économies d’énergie accordés au titre de l’opération affectée par le manquement, mais seulement celle d’un volume de certificats égal à celui concerné par ce manquement » (CE, 20 décembre 2024, n° 475348, point 7).

La ministre en charge de l’énergie a donc pu sanctionner l’office : encore fallait-il que la sanction soit proportionnée à la gravité des faits.

En sommes, la sanction serait disproportionnée si elle ne vise pas uniquement les volumes de certificats concernés par le manquement.

Cette approche découle de l’interprétation stricte des dispositions législatives  répressives précitées comme le relève le rapporteur public dans ses conclusions  :

« La lettre de la loi, qui est d’interprétation stricte s’agissant d’une disposition répressive, prévoit seulement l’annulation d’un volume de certificats égal à celui « concerné par le manquement » : l’administration ne saurait aller au-delà en annulant des certificats correspondant à des économies d’énergie qui ne sont affectées d’aucune irrégularité, quand bien même elles auraient été réalisées à raison d’une opération affectée par ailleurs d’un manquement qui entache d’autres économies qu’elle a permis de réaliser. » (conclusion, CE 20 décembre 2024 n° 475348, pages 11 et 12).

Relevant que la ministre a annulé à tort l’ensemble des certificats d’énergie, le Conseil d’État a réformé la sanction litigieuse en ramenant l’annulation de certificats correspondants à un volume correspondant au manquement, soit 2 759 450 kWh cumac dits « classiques » et 7 391 827 kWh cumac dits « précarité ».

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