Par Jérémy TAUPIN – GREEN LAW AVOCATS
Par une décision QPC n°2016-605 du 17 janvier 2017 (Confédération française du commerce de gros et de détail), disponible ici, le Conseil Constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution l’article L. 541-10-9 du code de l’environnement.
Pour rappel, cet article L541-10-9, issu de la loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique (article 93 de la loi) est venu créer un régime de responsabilité élargie des distributeurs de matériaux, produits et équipements de construction à destination des professionnels, en ce qui concerne les déchets issus des mêmes types de matériaux, produits et équipements de construction à destination des professionnels que ces distributeurs vendent.
- I – Le contexte
L’article L. 541-10-9 du code de l’environnement, dans sa rédaction issue de la loi n°2015-992, énonce précisément :
« A compter du 1er janvier 2017, tout distributeur de matériaux, produits et équipements de construction à destination des professionnels s’organise, en lien avec les pouvoirs publics et les collectivités compétentes, pour reprendre, sur ses sites de distribution ou à proximité de ceux-ci, les déchets issus des mêmes types de matériaux, produits et équipements de construction à destination des professionnels, qu’il vend. Un décret précise les modalités d’application du présent article, notamment la surface de l’unité de distribution à partir de laquelle les distributeurs sont concernés par cette disposition. »
Cette disposition a été précisée par le décret n° 2016-288 du 10 mars 2016 portant diverses dispositions d’adaptation et de simplification dans le domaine de la prévention et de la gestion des déchets. L’article 5 de ce décret, entré en vigueur le 1er janvier 2017 est en effet venu créer, au sein de la partie réglementaire du Code de l’environnement, une section 19 au chapitre III du titre IV du livre V.
Cette section, outre diverses définitions contenues au sein du nouvel article D. 543-288, dont celle de “ Distributeur de matériaux, produits et équipements de construction à destination des professionnels”, vient surtout préciser le champ d’application de l’obligation de reprise par le biais du nouvel article D. 543-289, qui énonce :
« Tout distributeur de matériaux, produits et équipements de construction à destination des professionnels qui exploite une unité de distribution, dont la surface est supérieure ou égale à 400 mètres carrés et dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur ou égal à 1 million d’euros, organise la reprise des déchets issus des mêmes types de matériaux, produits et équipements de construction qu’il distribue.
Cette reprise est réalisée sur l’unité de distribution ou dans un rayon maximal de dix kilomètres. Dans le cas où la reprise s’effectue hors de l’unité de distribution, un affichage visible sur l’unité de distribution et sur son site internet quand celui-ci existe, informe les producteurs ou les détenteurs de déchets de l’adresse où se situe le lieu de reprise de déchets. »
La confédération française du commerce de gros et international, à l’appui d’un recours en annulation contre le décret 2016-288, avait posé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) en vue de déterminer la conformité de l’article L. 541-10-9 du Code de l’environnement aux droits et libertés que la Constitution garantit.
La confédération reprochait notamment à la disposition contestée de porter atteinte à la liberté d’entreprendre et au principe d’égalité devant la loi.
Ainsi, concernant l’atteinte à la liberté d’entreprendre, la confédération remettait en cause le fait que, selon elle, les débiteurs de l’obligation de reprise ne soient pas suffisamment définis, que l’étendue de l’obligation de reprise ne soit pas suffisamment encadrée, et ne fasse l’objet d’aucune limite en volume de déchets.
Concernant le principe d’égalité devant la loi, la confédération estimait qu’en réservant l’obligation de reprise des déchets aux seuls distributeurs s’adressant exclusivement à des professionnels du bâtiment et des travaux publics, elles créeraient une rupture d’égalité injustifiée entre ces distributeurs et ceux qui s’adressent, à titre accessoire, aux mêmes professionnels.
Etaient ici principalement visés les grandes surfaces de bricolage, qui, s’adressant principalement aux particuliers, ne sont pas concernées par l’obligation de reprise car ne distribuent des matériaux, produits et équipements de construction à destination des professionnels.
- II – La décision du Conseil Constitutionnel
Le Conseil Constitutionnel a en l’espèce rejeté l’ensemble des griefs invoqués par la confédération requérante, en faisant application de sa propre jurisprudence, notamment en ce qui concerne la liberté d’entreprendre et l’égalité devant la loi.
S’agissant de la liberté d’entreprendre, le Conseil a estimé, en répondant point par point aux arguments de la requérante, que :
« En premier lieu, (…) le législateur a entendu, pour limiter le coût de transport des déchets issus du bâtiment et des travaux publics et éviter leur abandon en pleine nature, favoriser un maillage de points de collecte au plus près des chantiers de construction. Il a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général. À cette fin, il a fait peser l’obligation de reprise sur les distributeurs s’adressant à titre principal aux professionnels du bâtiment et de la construction. En effet, ceux-ci sont les principaux pourvoyeurs des produits, matériaux et équipements de construction dont sont issus ces déchets.
(…)
En deuxième lieu, en désignant les déchets issus de matériaux de même type que ceux vendus par le distributeur, le législateur a suffisamment défini la nature des déchets remis par les professionnels qui font l’objet de l’obligation de reprise.
En troisième lieu, en prévoyant que le distributeur « s’organise, en lien avec les pouvoirs publics et les collectivités compétentes, » le législateur a laissé celui-ci libre de décider des modalités, notamment financières, selon lesquelles il accomplira l’obligation de reprise qui lui incombe.
En dernier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a fait dépendre l’obligation de reprise de l’activité principale du distributeur. Il a ainsi entendu limiter celle-ci dans une mesure telle qu’il n’en résulte pas une dénaturation de cette activité principale. »
S’agissant du principe d’égalité devant la loi, le Conseil a cette fois-ci estimé que :
« Les distributeurs de matériaux de construction qui s’adressent principalement aux professionnels sont les principaux fournisseurs de ces derniers. Ils ne sont donc pas placés, au regard de l’impact de leur activité dans la production des déchets objets de l’obligation de reprise, dans la même situation que les distributeurs s’adressant aux mêmes professionnels à titre seulement accessoire.
Par suite, la différence de traitement instituée par les dispositions contestées repose sur une différence de situation. Elle est en rapport direct avec l’objet de la loi. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit être écarté. »
Sur ce point, le Rapport d’information sur l’application de la loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique (disponible ici), notait déjà, page 178, qu’ « au regard du droit, on peut considérer que le critère retenu est pertinent, puisqu’il distingue le commerce de gros et la vente aux particuliers, même si des artisans peuvent s’approvisionner dans des magasins de bricolage. Au regard de l’objectif général de la loi, la distinction paraît moins pertinente, puisque ce circuit de distribution génère des déchets de même « type de matériaux » que ceux issus des activités commerciales prises en compte par le décret, alors que sont inclus dans le champ de l’obligation des activités ne présentant qu’un lien plus ténu avec l’objet du texte. Mais les grandes surfaces commerciales ne sont pas systématiquement assorties de ventes de matériaux bruts, et ne s’adressent pas majoritairement aux professionnels ».
- III – Une mise en œuvre opérationnelle difficile
Le Conseil Constitutionnel, en mettant en avant l’objectif d’intérêt général poursuivi par le législateur et la différence de situation entre les distributeurs visées par l’obligation de reprise et les grandes surfaces de bricolage (qui elles ne s’adressent pas aux professionnels), a justifié le régime de responsabilité élargie des distributeurs (et non des producteurs ou détenteurs comme cela est souvent le cas) mis en place par l’article L. 541-10-9 du code de l’environnement.
Il reste désormais au Conseil d’Etat, maintenant que la question de la constitutionnalité de l’article L. 541-10-9 a été traitée par le Conseil Constitutionnel, à se prononcer sur la légalité des dispositions du décret 2016-88.
Dans l’intervalle, les distributeurs de matériaux, produits et équipements de construction à destination des professionnels vont devoir mettre efficacement en œuvre les obligations découlant de ces textes, qui s’appliquent depuis le 1er janvier 2017.
Plusieurs incertitudes ne sont cependant pas encore levées.
En effet, si le Conseil Constitutionnel a estimé que le législateur a suffisamment défini la nature des déchets remis par les professionnels qui font l’objet de l’obligation de reprise (il s’agit des déchets issus de l’utilisation des matériaux, produits et équipements de construction du même type que ceux vendus par l’unité de distribution), les modalités de mise en œuvre de l’obligation de reprise, définies à l’article D. 543-289 du code de l’environnement précité, posent encore des difficultés, notamment pour les distributeurs qui, ne pouvant pas effectuer la reprise sur l’unité de distribution, ne peuvent pas non plus trouver de partenaire pour effectuer ladite reprises dans un rayon de dix kilomètres.
A noter que les distributeurs assujettis à l’obligation de reprise peuvent s’adresser à des déchetteries publiques existantes pour que celles-ci intègrent une reprise des déchets provenant des professionnels à qui ils vendent leurs produits.