Par Marie-Coline GIORNO, avocate of counsel (Green Law Avocats)
Les projets de décrets fixant les conditions requises à l’article L. 211-2-1 du code de l’énergie pour qu’un projet d’installation de production hydroélectrique et autres installations de production d’énergie soient réputées répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens de l’article L. 411-2 du code de l’environnement sont en consultation publique jusqu’au 24 novembre 2023 (téléchargeables ci-dessous et pour accéder à la consultation, cliquer ici).
Après avoir rappelé le contexte dans lequel ces projets de décrets interviennent (I), nous examinerons leur contenu (II).
I. Rappel du contexte
Pour mémoire, selon l’article L. 411-2 du code de l’environnement, pour qu’une dérogation espèces protégées soit accordée, il convient de démontrer cumulativement :
- Qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante ;
- Que la dérogation ne nuit pas au maintien dans un état de conservation favorable des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ;
- Et que l’on se trouve dans au moins l’un des cinq cas énumérés par le code. L’un de ces cas tient au fait que le projet doit être réalisé pour des « raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ».
Le Conseil d’État a précisé dans un avis de 2022 les conditions de soumission à dérogation « espèces protégées » (CE, Section, 9 décembre 2022, n°463563, Publié au recueil Lebon). Il ressort de cette décision que le juge doit tenir compte d’une part, des mesures d’évitement et de réduction et, d’autre part, doit vérifier l’existence d’une « atteinte suffisamment caractérisée ».
Ce relatif assouplissement n’a pas empêché le maintien du caractère strict des conditions d’octroi de la dérogation et, en particulier, de la raison impérative d’intérêt public majeur.
Pour rappel, ce critère est jugé prépondérant par le Conseil d’État et s’apprécie indépendamment de son atteinte potentielle sur les espèces protégées (CE, 3 juin 2020, n°425395).
Ce critère était rarement rempli en matière de projets de développement d’énergies renouvelables. Ainsi, le Conseil d’État a notamment validé ce critère en Bretagne, dans la forêt de Lanouée, en considération de spécificités marquées de cette région du point de vue de l’indépendance énergétique (CE, 15 avril 2021, n°430500) ou pour des projets éoliens en mer au regard de leur contribution jugée déterminante aux objectifs nationaux (CE, 29 juillet 2022, n°443420).
A l’inverse, le Conseil d’État considérait que ce critère n’était pas rempli en présence d’une « contribution modeste à la politique énergétique nationale de développement de la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie dans une zone qui compte déjà de nombreux parcs éoliens » et où « les bénéfices socio-économiques du projet seraient limités et principalement transitoires » (CE, 10 mars 2022, n°439784) ou « pour une centrale hydro-électrique de petite taille, permettant de couvrir la consommation électrique d’environ 5 000 habitants, dont il n’est pas établi qu’elle s’inscrivait dans un plan plus large de développement de l’énergie renouvelable » (CE 15 avril 2021, min. c./ Association FNE Midi-Pyrénées, n° 432158, inédit).
La difficulté d’accorder des dérogations à la destruction d’espèces protégées au développement de projets dans le domaine des énergies renouvelables était telle que la Commission européenne elle-même, dans une recommandation du 18 mai 2022 relative à l’accélération des procédures d’octroi de permis pour les projets dans le domaine des énergies renouvelables et à la facilitation des accords d’achat d’électricité (document C(2022)3219 final) , a recommandé aux États membres de faire les faire présumer « relever d’un intérêt public supérieur ».
Cette recommandation a été reprise par un règlement temporaire du 22 décembre 2022 établissant un cadre en vue d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables, publié au Journal officiel de l’Union européenne le 29 décembre suivant par lequel le Conseil européen indique en effet que la planification, la construction et l’exploitation d’installations de production d’énergie à partir de sources renouvelables, le raccordement de ces installations au réseau et le réseau connexe proprement dit, ainsi que les actifs de stockage sont présumés relever de l’« intérêt public supérieur et de l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques » lors de « la mise en balance des intérêts juridiques dans chaque cas », pour les décisions de délivrance des dérogations prévues par les directives « Habitats », « Eau » et « Oiseaux » (voir l’article sur ce règlement sur le blog du cabinet, ici).
C’est dans ce cadre qu’est intervenue la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (dite loi « APER », JORF n°0060 du 11 mars 2023). L’article 19 de cette loi a créé, aux articles L. 211-2-1 du code de l’énergie et L. 411-2-1 du code de l’environnement, une présomption de raison impérative d’intérêt public majeur pour les projets d’installations de production d’énergies renouvelables.
Il s’agit d’une présomption conditionnelle, dès lors que le projet pour en bénéficier doit satisfaire à des conditions fixées par décret. Ces conditions doivent tenir compte de :
- La puissance prévisionnelle de l’installation ;
- La contribution globale attendue des installations de puissance similaire à la réalisation de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).
Les projets de décrets exigés par cette loi sont actuellement en consultation publique.
II. Contenu des projets de décrets
Les projets de décrets relatifs aux conditions requises à l’article L. 211-2-1 du code de l’énergie pour qu’un projet d’installation de production hydroélectrique et autres installations de production d’énergie soient réputées répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens de l’article L. 411-2 du code de l’environnement prévus par l’article 19 de la loi « APER » du 10 mars 2023 sont en consultation publique jusqu’au 24 novembre 2023.
Deux projets de décrets sont prévus :
- Un projet de décret relatif aux conditions requises à l'article L.211-2-1 du code de l'énergie et à l’article 12 de la loi n° 2023-491 du 22 juin 2023, pour qu’un projet d’installation de production hydroélectrique soit réputé répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens de l’article L. 411‑2 du code de l’environnement (téléchargeable ci-dessous) (2.1.) ;
- Un projet de décret relatif aux conditions requises à l'article L.211-2-1 du code de l'énergie et à l’article 12 de la loi n° 2023-491 du 22 juin 2023, pour qu’un projet d’installation de production d’énergies renouvelables ou de réacteur électronucléaire soit réputé répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens de l’article L. 411‑2 du code de l’environnement consultable (téléchargeable ci-dessous) (2.2.).
2.1. Sur le projet de décret relatif l'hydroélectricité
Les seuils proposés pour l’hydroélectricité dans le projet de décret sont les suivants :
- 3 MW sur le territoire métropolitain continental ;
- 1 MW en zone non interconnectée (sur le territoire de la Corse, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte, La Réunion, Saint-Pierre-et-Miquelon et les îles Wallis et Futuna).
Ces seuils ne s’appliquent pas aux projets hydroélectriques situés sur les cours d’eau classés en Liste 1 au titre de l’article L. 214-17 du code de l’environnement. En effet, il s’agit de cours d’eau sur lesquels aucune autorisation générant un nouvel obstacle à la continuité écologique ne peut être octroyée. Ces seuils ne sont pas non plus applicables à l’énergie osmotique et hydrolienne, qui ne font pas l’objet d’objectifs spécifiques dans la PPE.
La puissance totale du parc doit également être inférieure à l’objectif maximal de puissance du parc hydroélectrique sur le territoire concerné tel que défini dans la PPE.
2.2. Sur le projet de décret relatif aux projets d’installation de production d’énergies renouvelables – hors hydroélectricité – ou de réacteur électronucléaire
Le projet de décret distingue les différentes énergies.
Sont réputés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens du c du 4° du I de l’article L. 411‑2 du code de l’environnement les projets répondant aux conditions suivantes.
Pour l’énergie photovoltaïque
Les seuils proposés pour l’énergie photovoltaïque dans le projet de décret sont les suivants :
- Une puissance prévisionnelle de l’installation est supérieure ou égale à 2,5 MWc sur le territoire métropolitain continental ;
- La puissance prévisionnelle de l’installation est supérieure ou égale à 1 MWc en zone non interconnectée (sur le territoire de la Corse, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte, La Réunion, Saint-Pierre-et-Miquelon et les îles Wallis et Futuna).
La puissance totale du parc doit également être inférieure à l’objectif maximal de puissance du parc de production photovoltaïque sur le territoire concerné tel que défini par la PPE.
Pour l’éolien terrestre
Les seuils proposés pour l’éolien terrestre dans le projet de décret sont les suivants :
- Une puissance prévisionnelle de l’installation est supérieure ou égale à 2,5 MWc sur le territoire métropolitain continental ;
- La puissance prévisionnelle de l’installation est supérieure ou égale à 1 MWc en zone non interconnectée (sur le territoire de la Corse, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte, La Réunion, Saint-Pierre-et-Miquelon et les îles Wallis et Futuna).
Sauf s’il s’agit d’un renouvellement de parc, la puissance totale du parc éolien terrestre doit également être inférieure à l’objectif maximal de puissance du parc éolien terrestre sur le territoire concerné tel que défini dans la PPE.
Pour le biogaz produit à la suite d'un processus de méthanisation
Pour le biogaz produit à la suite d’un processus de méthanisation, les seuils prévus dans le projet de décret, en territoire métropolitain continental ou en zone non interconnectée, concernant les installations dont la production annuelle prévisionnelle de l’installation est supérieure ou égale à 12 GWh PCS/an.
La puissance totale du parc d’installations de production de biogaz suite à un processus de méthanisation doit également être inférieure à l’objectif maximal de puissance du parc d’installation de production de biogaz sur le territoire concerné tel que défini par la PPE.
Pour l’énergie solaire thermique
Les seuils proposés pour l’énergie solaire thermique dans le projet de décret sont les suivants :
- La puissance prévisionnelle de l’installation est supérieure ou égale à 2,5 MW sur le territoire métropolitain continental ;
- La puissance prévisionnelle de l’installation est supérieure ou égale à 1 MW (sur le territoire de la Corse, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte, La Réunion, Saint-Pierre-et-Miquelon et les îles Wallis et Futuna).
La puissance totale du parc de production solaire thermique doit également être inférieure à l’objectif maximal de puissance du parc de production solaire thermique sur le territoire concerné tel que défini par la PPE.
Pour les projets de stockage d’énergie dans le système électrique
Les projets concernés sont, selon l’énergie visée, ceux répondant aux seuils précités.
Ce projet de décret prévoit également des seuils permettant de faire présumer d’une raison impérative d’intérêt public majeur les projets de réacteurs électronucléaires ou d’entreposage de combustibles nucléaires.
Ces projets de décret soulèvent deux difficultés :
- D’une part, dès lors qu’il s’agit seulement d’une présomption, il paraît possible de la renverser mais aucune précision n’est donnée sur ce sujet ou sur les conditions qui seraient alors requises ;
- D’autre part, les seuils fixés manquent d’ambition et ne permettront probablement pas à l’Etat d’atteindre les objectifs de développement des énergies renouvelables qu’il s’est fixé.
A titre d’exemple, selon les statistiques officielles de l’éolien terrestre d’août 2023, 57 % de la capacité totale du parc éolien terrestre français correspond à des installations dont la puissance unitaire est comprise entre 8 et 12 MW. En visant uniquement les parcs supérieurs à 9MW, le projet de décret ne permet même pas à 60% des projets éoliens terrestres de bénéficier d’une présomption.
L’accélération du développement des énergies renouvelables s’en trouve donc vivement ralentie.
En conclusion, il paraît nécessaire pour tous les porteurs de projets d’énergies renouvelables (et toutes les personnes sensibles à leur développement) de participer à la consultation du public pour solliciter un abaissement de ces seuils afin qu’un nombre plus important de projets d’énergies renouvelables puissent bénéficier d’une présomption de raison impérative d’intérêt public majeur. Cet abaissement n’exonèrera pas du respect des deux autres conditions requises à l’article L. 411-2 du code de l’environnement et permettrait, à notre sens, de garantir également une protection effective de la biodiversité.
Ainsi, il deviendra possible de véritablement accélérer la transition énergétique de la France sans nuire à sa transition écologique.
La consultation publique se termine le 24 novembre 2023.