Par Maître David DEHARBE, Avocat gérant et Mathilde ELLEBOUDT, Juriste (Green Law Avocats)
Par une décision en date du 31 octobre 2022 (décision n°466125, Association Respire et autres, téléchargeable ci-dessous), le Conseil d’État estime que le contrôle technique des
« deux-roues » doit être mis en œuvre en déclarant illégal le décret du 25 juillet 2022 (JORF n°0171 du 26 juillet 2022).
Pour mémoire, la directive 2014/45/UE du 3 avril 2014 impose aux États membres de mettre en place avant le 1er janvier 2022 un contrôle technique périodique pour les véhicules motorisés de deux ou trois roues de cylindrée supérieure à 125 m3 (OJ L 127, 29.4.2014, p. 51–128). Une dérogation à cette obligation est possible lorsque l’État membre justifie de mesures alternatives.
Le 9 août 2021, le Gouvernement prend un décret qui prévoit la mise en place de ce contrôle technique pour les véhicules précités à partir du 1er janvier 2023 suivant un calendrier d’échelonnement des contrôles et présente des mesures alternatives afin de se conformer aux exigences européennes (JORF n°0185 du 11 août 2021).
Après une suspension en urgence par le juge des référés (CE ord. n° 462679 du 17 mai 2022) deux décisions du 27 juillet 2022 du Conseil d’État avaient censuré les articles 6, 8 et 9 de ce décret (décisions n° 457398 et 456131) : la Haute juridiction administrative annulait le calendrier ainsi défini par le Gouvernement, dès lors qu’il repoussait la date d’entrée en vigueur fixée par la directive 2014/45/UE du 3 avril 2014. Selon le Conseil d’État dès lors que le Gouvernement avait choisi l’obligation de contrôle technique et non la mise en œuvre de mesures alternatives, il était tenu aux termes du droit communautaire dérivé de faire débuter ce contrôle technique dès le 1er janvier 2022.
Finalement par un nouveau décret n°2022-1044 du 25 juillet 2022, le Gouvernement abrogeait le décret du 9 août 2021.
Les associations Respire, Ras-le-Scoot et Paris sans voiture demandent alors au Conseil d’État l’annulation en excès de pouvoir de cette décision d’abrogation.
La Haute juridiction administrative va, à nouveau, annuler ce décret du 25 juillet 2022, et ceci pour deux motifs.
- L'absence de consultation du public
Dans un premier temps, le Conseil d’État estime que le décret d’abrogation aurait dû être précédé d’une consultation du public.
Ainsi, le décret initial et le décret abrogatif auraient dû faire l’objet d’une consultation du public en application de l’article L123-19-1 du code de l’environnement et du principe de participation du public de l’article 7 de la Charte de l’environnement.
En effet selon le Conseil d’État l’abrogation du contrôle technique des 2 et 3 roues a, au sens de ces dispositions, une incidence directe et significative sur l’environnement. En la matière le juge apprécie Pour apprécier ce critère, vous tenez compte de la finalité et de la portée du texte attaqué (CE 25 février 2019, Association One Voice et Ducher, n° 419186).
L’arrêt relève d’abord que l’obligation de contrôle technique prévue par la directive vise non seulement à améliorer la sécurité routière, mais aussi l’état de l’environnement en réduisant la pollution atmosphérique et sonore liée au mauvais état de certains deux-roues motorisés. Ainsi la finalité environnementale du dispositif ne pouvait être relégué au rang d’effet indirect qui permet d’exonérer de procédure de consultation du public (sur cette logique d’un maniement très contestable au demeurant : cf. décision QPC n° 2013-317 du 24 mai 2013).
Or selon les membres du Palais royal, la circulation des deux-roues motorisés a des effets nocifs sur l’environnement, en termes de pollution atmosphérique et sonore, particulièrement dans les zones urbaines.
Il suffit de lire les conclusions du rapporteur public pour comprendre que techniquement le cadre juridique du décret ne correspond pas parfaitement aux enjeux environnementaux de la pollution sonore et atmosphérique.
Ainsi Nicolas AGNOUX décrit dans ses conclusions un contexte réglementaire un peu plus fin que la pétition de principe retenue par l’arrêt :
« En l’espèce, s’agissant d’abord de la portée du texte, l’assujettissement au contrôle technique d’un parc de trois millions de véhicules à moteur et, symétriquement, sa suppression par le décret attaqué, présentent à l’évidence des incidences importantes, en termes d’émissions atmosphériques et de pollution sonore – que l’on pense aux effets liés à l’encrassement des moteurs ou aux débridages illégaux. Certes, le décret du 9 août 2021 ne comporte lui-même aucune prescription sur ces deux sujets, le contenu du contrôle technique pour chaque catégorie de véhicules étant renvoyé à un arrêté (art. R. 323-2), et la directive n’imposant elle- même aucune règle : à la différence des autres véhicules, l’article 6 §3 de la directive laisse aux Etats membres le choix des domaines de contrôle applicables aux véhicules à deux et trois roues. Néanmoins, nous pensons que, même en l’absence d’arrêté d’application, le seul jeu de l’article R. 323-1 du code de la route qui définit le contrôle technique comme assurant la vérification du bon état de marche du véhicule et de son état satisfaisant d’entretien, suffit pour caractériser un impact significatif sur l’environnement ».
Par suite, les associations requérantes sont fondées selon le Conseil d’État à soutenir que le décret attaqué a été pris au terme d’une procédure irrégulière, dès lors que ses dispositions n’ont pas fait l’objet d’une consultation du public préalablement à leur adoption. Et pour la Haute juridiction cette irrégularité est de nature à avoir exercé une influence sur le sens du décret attaqué, et a privé le public de la garantie de voir son avis pris en considération à l’égard d’un acte ayant une incidence directe et significative sur l’environnement.
- la méconnaissance des exigences de la directive 2014/45/UE
Dans un second temps, la Haute juridiction administrative censure au fond les mesures alternatives comme n’étant pas suffisamment efficaces, au regard des exigences de la directive, pour améliorer la sécurité routière des motards et s’agissant d’atteindre l’objectif « zéro décès » dans les transports routiers d’ici à 2050.
Pour justifier l’abrogation du décret d’application de la directive imposant un contrôle technique aux véhicules à 2 et 3 roues, le Gouvernement se prévaut de la clause d’exception de la directive en notifiant à la Commission européenne des mesures alternatives.
Cependant, selon le Conseil d’État les mesures exposées par le Gouvernement ne répondent pas au critère d’efficacité imposé par la directive :
- Soit parce qu’elles ont pour objectif l’unique réduction des nuisances sonores ou des émissions de polluants et n’intéressent pas la sécurité des motards
- Soit parce qu’elles font état de « projets futurs ou simples réflexions » ;
- Ou soit parce qu’elles transposent des mesures définies au niveau européen ;
- Enfin, soit que les mesures concernant spécifiquement la sécurité routière sont en nombre restreint et ne peuvent être regardées comme suffisamment efficaces au regard des exigences de la directive, qui poursuit un objectif de réduction de la mortalité liée à l’utilisation des deux-roues motorisés.
Et le Conseil d’État est très sévère dans son contrôle de la qualification de l’efficacité des mesures alternatives exigées par le droit commentaire pour satisfaire de la sécurité routière des usagers des 2 et 3 roues motorisés. Les juges se considèrent pas final en présence de « mesures n’apparaissent pas comme procédant d’une stratégie cohérente de sécurité routière ».
Pourtant les mesures en causes ne sont pas non plus négligeables au regard d’un contrôle technique :
- La réduction de la vitesse de circulation de tous les véhicules à 80km/h, même si elle vu sa portée limitée par la possibilité ouverte aux départements d'y déroger ;
- La réforme du permis A intervenue en 2016 et celle des permis A1 et A2 intervenue en 2020 ;
- La mise en œuvre de l'obligation du port de gants pour les conducteurs et les passagers de motocyclette, de tricycle à moteur, de quadricycle à moteur ou de cyclomoteur ;
- L'uniformisation des dimensions des plaques d'immatriculation des véhicules à moteur à deux ou trois roues et quadricycles à moteur ;
- L'apposition sur les véhicules lourds d'autocollants « angles morts »;
- La mise en œuvre de campagnes de communication et de prévention visant à améliorer la sécurité de tous les conducteurs de deux-roues motorisés, destinées à ces conducteurs mais aussi à l'ensemble des usagers de la route.
Il est vrai que les statistiques de sécurité routière disponibles font état d’une mortalité routière particulièrement élevée en France pour les conducteurs de deux-roues motorisés, en valeur absolue comme par rapport aux autres États européens.
Comme le relevait le rapporteur public : « En France, le nombre de décès de motocyclistes, qui s’élevait à 704 en 2010 est descendu à 613 en 2016 et 572 en 20214 : cette diminution de 19 % est nettement inférieure à celle de la mortalité routière en général qui a chuté de 26 % dans le même intervalle. Sur les cinq dernières années, la baisse enregistrée est de seulement 7 %, soit un peu moins que l’évolution propre à l’ensemble des usagers. Alors qu’ils représentent 1,6 % du trafic routier, les motards comptent pour 20 % des tués : le risque de perdre la vie est donc 22 fois supérieur au guidon d’une moto qu’au volant d’une voiture, étant souligné que les usagers d’engins de plus de 125 cm3 représentent 86% des tués ».
Ces données mais aussi le fait que le Gouvernement en ayant lui-même renoncé au contrôle technique après l’avoir portant retenu dans un premier temps expliquent sans doute pourquoi le décret attaqué n’est parvient pas à convaincre le juge que les mesures françaises alternatives seraient suffisamment efficaces pour satisfaire à la directive de 2014.
L’annulation pour excès de pouvoir du décret du 25 juillet 2022 a pour effet de faire à nouveau entrer en vigueur le décret du 9 août 2021 (dans sa version partiellement annulée), et donc le contrôle technique des « deux-roues motorisés ».
L’entrée en vigueur du décret est conditionnée à un arrêté d’application portant notamment sur l’échelonnement dans le temps et les conditions de sa mise en œuvre.
Au final on a tout de même un sentiment étrange à la lecture de cette solution qui n’allait pas de soi. Rappelons que le renoncement à imposer aux motards et scotistes un contrôle technique a été une décision politique du Président de la République qui semblait laisser un temps encore en dehors d’une approche technocratique le peu de liberté encore laissé aux deux roues motorisées.
Or même si le Conseil d’État agit ici comme juge communautaire non seulement il se livre à un contrôle qui confine à l’opportunité et il donnera immanquablement le sentiment aux fans d’Easy Rider d’avoir décrété le contrôle technique…