Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats)
Par sa décision n° 2020-807 DC du 3 décembre 2020, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dont il avait été saisi par plus de soixante députés.
La décision était attendue, plusieurs éminents praticiens environnementalistes ayant sinon purement et simplement annoncé la prochaine consécration du principe de non régression par le Conseil du moi invité les sages à s’engager sur cette voie.
Il est vrai que le juge constitutionnel avait déjà effleuré la question mais sous l’angle particulier de la légalisation du principe qu’il avait validée en ces termes (CC, 4 août 2016, n° 2016-737 DC) :
« Les dispositions de [l’article L. 110-1 par un 9° du code de l’environnement] contestées énoncent un principe d’amélioration constante de la protection de l’environnement, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment. Ce principe s’impose, dans le cadre des dispositions législatives propres à chaque matière, au pouvoir réglementaire. Contrairement à ce que soutiennent les sénateurs requérants, ces dispositions ne sont donc pas dépourvues de portée normative. Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d’adopter, pour la réalisation ou la conciliation d’objectifs de nature constitutionnelle, des modalités nouvelles dont il lui appartient d’apprécier l’opportunité. Il peut également à cette fin modifier des textes antérieurs ou abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions. Dans l’un et l’autre cas, il ne saurait priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel. Les griefs tirés de ce que les dispositions contestées méconnaîtraient l’art. 2 de la Déclaration de 1789 et les art. 3, 39 et 44 de la Constitution doivent donc être écartés. Les dispositions contestées ont pour objet de favoriser l’amélioration constante de la protection de l’environnement et ne font pas obstacle à ce que le législateur modifie ou abroge des mesures adoptées provisoirement en application de l’art. 5 de la Charte de l’environnement pour mettre en œuvre le principe de précaution. Dès lors le grief tiré de ce que ces dispositions méconnaîtraient le principe de précaution est inopérant. Les dispositions du dernier alinéa de l’art. 2 de la loi déférée ne sont entachées d’aucune inintelligibilité » (cf. RJE 2017. 693, note Dellaux).
Or l’affaire n° 2020-87DC donnait effectivement l’occasion au Conseil de se positionner sur la constitutionnalisation du principe de non régression alors que pour sa part en avait déjà précisé la portée contentieuse pour le sanctionner (CE 8 déc. 2017, Féd. Allier Nature, n° 404391: AJDA 2017. 2438, obs. Pastor ; Dr. envir. 2018. 48 ; concl. Dutheillet de Lamothe : RJE. 2018. 187) et en préciser la portée à l’endroit des actes des actes administratifs (sur la jurisprudence administrative cf. Brett, « Le traitement contentieux du principe de non- régression de la protection de l’environnement par le juge administratif: une application stricte et des incertitudes », RJE 2018. 634) en exccluant en particulier son opposabilité directe aux décision individuelle (CE 17 juin 2019, Assoc. Les Amis de la Terre France, n° 421871 A: AJDA 2019. 1253, note de Montecle) .
Avec loi ASAP, le Conseil constitutionnel était en particulier saisi de trois disposition de la loi qui devaient permettre d’accélérer les procédures d’autorisation installations classées pour la Protection de l’Environnement et de desserrer certaines contraintes pesant sur elles.
Et on peut en tirer trois enseignements :
I/ Les nouveaux droits acquis reconnus aux installations en cours d’autorisation ou d’enregistrement sont constitutionnels.
Le Conseil constitutionnel s’est notamment prononcé sur l’article 34 de la loi déférée aménageant les conditions de mise aux normes des installations soumises à autorisation ou enregistrement existantes et à celles dont les demandes étaient complètes mais pas encore abouties.
Aux termes du code de m’environnement, les articles L. 512-5, L. 512-7 et L. 512-10 prévoient que les arrêtés ministériels fixant les règles générales et prescriptions techniques applicables aux installations soumises à autorisation et les prescriptions générales applicables aux installations soumises à enregistrement ou déclaration s’imposent de plein droit aux installations nouvelles et que ces arrêtés déterminent les délais et conditions dans lesquels ils s’appliquent aux installations existantes.
L’article 34 de la loi déférée précise que, sauf motif tiré de la sécurité, de la santé ou de la salubrité publiques ou du respect des engagements internationaux de la France, notamment du droit de l’Union européenne, d’une part, ces mêmes délais et conditions s’appliquent aux projets ayant fait l’objet d’une demande d’autorisation ou d’enregistrement complète à la date de publication de l’arrêté et, d’autre part, les prescriptions relatives aux dispositions constructives concernant le gros œuvre ne peuvent faire l’objet d’une application aux installations existantes ou aux projets ayant fait l’objet d’une demande d’autorisation ou d’enregistrement complète à la date de publication de l’arrêté. Il précise enfin qu’une demande d’autorisation ou d’enregistrement est présumée complète lorsqu’elle répond aux conditions de forme prévues par le code de l’environnement.
Les députés requérants soutenaient que ces dispositions méconnaissent les articles 1er (droit de vivre dans un environnement sain) et 3 de la Charte de l’environnement (principe de prévention) ainsi que le principe de non-régression du droit de l’environnement.
Les députés requérants reprochaient d’abord à ces dispositions d’étendre aux projets en cours d’instruction, ayant fait l’objet d’une demande d’autorisation complète, les facilités de longues dates accordées aux installations existantes pour se mettre en conformité avec de nouvelles prescriptions en matière environnementale. Cette facilité classique du droit des ICPE a pu être interprétée comme participant du principe de confiance légitime (TA Strasbourg, 8 déc. 1994, Entreprise de transports Freymuth, concl. J. Pommier, AJDA 1995.555, note M. Heers, RFD adm. 1995.963). Ainsi les installations existantes bénéficient dans cette mesure de droits acquis que la législateur a voulu étendre aux installations en cours d’autorisation ou d’enregistrement.
Ils contestaient, par ailleurs l’absence d’application, à ces mêmes projets et aux installations existantes, de ces prescriptions lorsqu’elles concernent le gros œuvre.
Ils critiquaient, enfin, le fait que la demande soit présumée complète dès lors qu’elle répond aux seules conditions de forme prévues par le code de l’environnement.
Pour sa part, le Conseil constitutionnel relève d’emblée cette limite que le législateur a posé à l’extension des droits acquis : ils « ne sont pas applicables lorsqu’y fait obstacle un motif tiré de la sécurité, de la santé ou de la salubrité publiques ou du respect des engagements internationaux de la France, notamment du droit de l’Union européenne ».
Ensuite le Conseil constatent que « les dispositions contestées se bornent à reporter la mise en œuvre des règles et prescriptions protectrices de l’environnement fixées par l’arrêté ministériel et à aligner leurs modalités d’application sur celles retenues pour les installations existantes. Elles ne dispensent donc nullement les installations prévues par ces projets de respecter ces règles et prescriptions ».
Par ailleurs pour le juge constitutionnel le législateur a entendu éviter des conséquences disproportionnées d’une mise aux normes immédiates (considérant n° 12).
Enfin et surtout, le conseil souligne que « les dispositions contestées ne font pas obstacle, en tant que de besoin, à l’édiction par le préfet, pour chaque projet, de prescriptions particulières complétant ou renforçant les règles et prescriptions générales fixées par arrêté ministériel ». On pourrait d’ailleurs ajouter que s’il ne le faisait pas lorsque les intérêts protégés par la loi (via l’article L511-1 du code de l’environnement) sont menacés par le projet soumis à autorisation ou enregistrement, le préfet commettrait une erreur d’appréciation que pourrait censurer le juge administratif.
Au total le Conseil en conclut : « Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées ne méconnaissent ni l’article 1er ni l’article 3 de la Charte de l’environnement et que, en tout état de cause, elles n’entraînent pas de régression de la protection de l’environnement. Les griefs doivent donc être écartés ».
Le principe de non régression a ainsi bien été mis en œuvre par la loi ASAP selon le conseil constitutionnel ; mais en faisant cette contestation « en tout état de cause », le juge constitutionnel semble bien s’être dispensé d’identifier la non régression comme un principe de valeur constitutionnelle s’imposant au législateur !
La consécration constitutionnelle du principe annoncée ou à tout le moins prônée par certains a été repoussée à une espèce qui s’y prête peut-être plus … l’affaire 2020-809 DC encore pendante et afférente à la Loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières, auxquels.
Devant le Conseil constitutionnel, les groupes socialiste (SER), écologiste (EST) communiste (CRCE), ainsi que plusieurs sénateurs du groupe RDSE, font valoir la réintroduction provisoire des néonicotinoïdes comme étant incompatible avec la Charte de l’environnement et le principe de non-régression du droit de l’environnement, dès lors que l’on compte selon eux plus de 1 200 études scientifiques attestant de leurs effets graves et persistants sur l’ensemble de la biodiversité. Affaire à suivre et on devrait être fixés au plus tard le 10 décembre …
II/ L’exécution anticipée de certains travaux de construction avant la délivrance de l’autorisation environnementale est constitutionnelle.
Etaient également critiqué l’article 56 de la loi déférée qui permet au préfet d’autoriser l’exécution anticipée de certains travaux de construction avant la délivrance de l’autorisation environnementale.
Le Conseil constitutionnel relève, au regard des mêmes exigences constitutionnelles, que l’autorisation préfectorale ne peut concerner que les travaux dont la réalisation ne nécessite pas l’une des décisions exigées au titre des législations spéciales couvertes par l’autorisation environnementale. Parmi ces décisions figurent l’autorisation pour l’émission de gaz à effet de serre, l’autorisation de défrichement, la dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d’intérêt géologique, d’habitats naturels, d’espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats ou encore l’absence d’opposition au titre du régime d’évaluation des incidences Natura 2000.
En outre, cette autorisation ne peut être accordée au pétitionnaire qu’après que le préfet a eu connaissance de l’autorisation d’urbanisme. Il s’y ajoute qu’elle peut être contestée devant le juge administratif dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir ou d’un référé-suspension. À cet égard, cette autorisation ne peut intervenir qu’après que la possibilité de commencer les travaux, avant la délivrance de l’autorisation environnementale, a été portée à la connaissance du public dans le cadre de la procédure de consultation prévue à l’article L. 181-9 du code de l’environnement ou en application du paragraphe I de l’article L. 181-10 de ce même code. La décision spéciale, qui doit être motivée et désigner les travaux dont l’exécution peut être anticipée, ne peut elle-même être prise avant l’expiration du délai courant à partir de la fin de cette procédure de consultation et fait l’objet des mêmes modalités de publicité que l’autorisation environnementale.
III/ Le passage de la consultation électronique (en lieu et place de l’enquête publique) pour les autorisations environnementales de droit commun est constitutionnel.
L’article 44 de la loi déférée modifie les modalités de consultation du public sur certains projets ayant des incidences sur l’environnement.
Plus précisément, article L. 181-9 du code de l’environnement prévoit que l’instruction de la demande d’autorisation environnementale des installations classées pour la protection de l’environnement et des installations, ouvrages, travaux et activités soumis à autorisation au titre de la loi sur l’eau se déroule en trois phases : une phase d’examen, une phase d’enquête publique et une phase de décision. Les dispositions des 1° et 2° du I de l’article 44 de la loi déférée substituent une « phase de consultation du public » à la phase d’enquête publique et modifient par conséquent l’article L. 181-10 du code de l’environnement relatif à cette deuxième phase.
Ces dispositions prévoient que la consultation du public continuera d’être réalisée sous la forme d’une enquête publique chaque fois que celle-ci est requise par l’article L. 123¬2 du code de l’environnement, notamment pour les projets de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements devant comporter une évaluation environnementale, mais aussi lorsque l’autorité qui organise la consultation « estime, pour le projet concerné, qu’une enquête publique doit être organisée, en fonction de ses impacts sur l’environnement ainsi que des enjeux socio-économiques qui s’y attachent ou de ses impacts sur l’aménagement du territoire ». Dans les autres cas, la consultation sera réalisée conformément aux dispositions de l’article L. 123-19 du code de l’environnement qui instituent une procédure de participation du public par voie électronique.
Enfin, le 3° du I et le II de l’article 44 modifient par coordination les dispositions de l’article L. 181-31 du code de l’environnement et celles de l’article L. 2391-3 du code de la défense en ce qui concerne les projets d’installations, ouvrages, travaux et activités relevant du ministre de la défense.
Les députés requérants soutenaient que ces dispositions, du fait de leur imprécision, donneraient au préfet une latitude excessive pour déterminer si le projet en cause doit être soumis à une enquête publique ou à une simple procédure de consultation par voie électronique. Le législateur aurait ainsi méconnu selon eux l’étendue de la compétence que lui confère l’article 7 de la Charte de l’environnement. Ils reprochaient également à ces dispositions de ne pas comporter de critères relatifs à la protection de la santé publique, ce qui contreviendrait aux articles 1er et 7 de la même charte.
Mais là encore le brevet de constitutionnalité est délivré par le Conseil :
« en application des dispositions contestées, une telle enquête n’est plus requise que lorsque le préfet chargé d’organiser la consultation l’estime nécessaire en raison « de ses impacts sur l’environnement ainsi que des enjeux socio-économiques qui s’y attachent ou de ses impacts sur l’aménagement du territoire ». En retenant de tels critères, qui imposent au préfet d’apprécier l’importance des incidences du projet sur l’environnement pour déterminer les modalités de participation du public, le législateur a suffisamment défini les conditions d’exercice du droit protégé par l’article 7 de la Charte de l’environnement. »
Ainsi après un grand toilettage ou devrait-on dire lessivage législatif (!) la procédure de l’autorisation environnementale aura permis cette révolution tout de même très paradoxale : une ICPE soumise à autorisation car réputée dangereuse pour l’environnement peut désormais, avec l’aval du Conseil constitutionnel, être dispensée d’étude d’impact comme d’enquête publique …
Mais ceux qui pratiquent le droit de l’environnement, même auprès des industriels le savent bien : ce serait juridiquement très risqué de céder aux sirènes d’une telle simplification même constitutionnalisée car reste à passer le contrôle du juge administratif qui peut toujours être saisi et qui ne manquera pas de l’être !
Et la morale de cette histoire qui reste à écrire par le juge administratif pourrait alors sanctionner bien plus brutalement la régression et inaugurer un nouvel adage : simplifier ce que l’on ne comprend pas est dangereux…