Par David DEHARBE- avocat associé GREEN LAW AVOCATS
La jurisprudence Hambrégie (CE, 22 fév. 2016, n°384821.) du Conseil d’Etat, parfois interprétée de façon bien trop stricte par certaines juridictions du fond, et relative aux capacités techniques et financières exigibles du demandeur à l’exploitation d’une installation classée pour la protection de l’environnement, n’en finit plus de faire des dégâts… Avec son jugement du 14 décembre 2017, le tribunal administratif de Limoges (TA Limoges 14 décembre 2017, Association Sources et rivières du limousin, n° 1500920) inscrit sa jurisprudence dans la série des annulations de projet pour défaut de la démonstration dans le DDAE de ces capacités et montre que le juge peut néanmoins utiliser ses nouveaux pouvoirs détenus depuis l’ordonnance du 26 janvier 2017.
Cette annulation est couplée en l’espèce à un avis d’un commissaire enquêteur jugé irrégulier car ce dernier a osé s’exprimer sur la guérilla contentieuse que mènent certaines associations à la liberté de l’industrie, on se dit que le juge a définitivement perdu de vue la vocation de la police des installations à concilier cette liberté avec les intérêts du voisinage et plus largement de l’environnement …
- Revenons sur ce qui est finalement reproché au commissaire enquêteur.
Aux termes du jugement :« L’intervention de l’association des sources et rivières du Limousin (SRL) n’avait pas d’autre objectif que de décrédibiliser le porteur du projet et les services de l’Etat, juste pour faire du sensationnel et montrer qu’elle existait », qu’« en faisant usage d’affirmations non vérifiées et pouvant avoir des incidences graves, SRL a pris le parti de la facilité et du tout négatif» et en s’interrogeant sur la « légitimité » de l’association à conserver « une habilitation au titre de la représentativité dans les instances régionales », le commissaire enquêteur doit être regardé, par ces remarques dépréciatives portées à l’encontre de l’association requérante, seule à avoir présenté des observations défavorables au projet, exprimé un parti pris initial favorable au projet ; que, dès lors, l’association sources et rivières du Limousin est fondée à soutenir que le commissaire enquêteur a manqué, en l’espèce, à son devoir d’impartialité ». Et au final le Tribunal d’en conclure : « que ce vice n’a pas, en l’espèce, exercé d’influence sur le sens de la décision prise par le préfet de la Creuse, il a privé le public de la garantie qui s’attache à l’expression par le commissaire enquêteur d’une position personnelle, émise de manière objective au vu de l’ensemble du dossier ».
A croire que le public est plus bête de l’administration et qu’il faut le protéger. Assurément il faut le protéger des commissaires enquêteurs ….certainement pas en censurant l’autorisation mais en supprimant cette institution dont la médiation est bien inutile.
En tout état de cause on ne voit pas en quoi cette « garantie » a porté atteinte au principe de participation … Ce défaut de démonstration d’une telle atteinte est sans doute insupportable pour le pétitionnaire.
- Ne l’est pas moins sans doute l’analyse faite en l’espèce de la question des capacités financières.
D’emblée disons-le nous sommes bien conscients des conditions très particulières de la jurisprudence Hambrégie où était en cause un investissement de 772 millions d’euros nécessaire à l’installation d’une centrale à gaz, financés à 30% sur fonds propres et à 70% par dette bancaire! Quand est en cause une usine à gaz comme celle en cause dans l’affaire jugée par le Conseil d’Etat, on pourrait à la rigueur comprendre que le Conseil d’Etat admette que le juge du fond puisse vérifier que les engagements des tiers sont des engagements « fermes ». Mais s’agissant de capacités qui doivent seulement être suffisamment « certaines », on ne saurait absolument pas exiger des établissements bancaires un engagement définitif pour le plus grand nombre des installations classées.
Devant le Tribunal administratif de Limoges était mis en cause le fait que le préfet de la Creuse avait autorisé le propriétaire d’une usine de production d’électricité située sur le territoire de la commune de Saint-Hilaire-le-Château, à disposer de l’énergie de la rivière « Le Thaurion » pour l’exploitation d’une modeste production d’énergie hydroélectrique.
Mais, une association avait demandé au tribunal administratif de Limoges d’annuler cet arrêté.
Or le Tribunal relève « que la notice d’impact produite par M. D. dans le dossier de demande d’autorisation mentionne que ce dernier possède une entreprise de travaux publics basée au Moutier d’Ahun, qu’il réalisera lui-même la partie du projet consacrée au génie civil et qu’il dispose des compétences et des connaissances suffisantes pour assurer ultérieurement le fonctionnement de la centrale avec l’assistance de prestataires spécialisés pour la partie technique ; que, par un courrier du 26 mars 2014 adressé au commissaire enquêteur et joint au dossier d’enquête publique, M. D. a également précisé qu’il «n’avait pas plus de capacités qu’un bon nombre de gestionnaires de ce type d’installation », qu’il était prévu l’assistance de prestataires spécialisés pour la partie électrique et que « pour le reste, [il pensait] pouvoir assumer », étant « responsable d’une petite entreprise de maçonnerie depuis 30 ans après 10 ans de conduite de chantier et qu’à ce jour cette entreprise n’est pas trop en mauvaise posture » ; que, par ce même courrier, s’agissant des capacités financières, l’intéressé s’est borné à exposer qu’un financement était prévu avec un apport personnel de 150 000 euros et que « pour le reste c’est la banque qui jugera de l’opportunité ou non de soutenir ce projet afin de le finaliser » ; que ces seules mentions n’étaient pas suffisantes pour apprécier la capacité technique et financière de l’exploitant à assurer le bon fonctionnement de l’installation en cause ».
Et une nouvelle fois le principe de participation vient en creux interdire la régularisation par une simple Danthonysation du moyen : « les insuffisances de ces indications dans le dossier de demande d’autorisation ont eu pour effet de nuire à l’information complète du public et sont susceptibles d’avoir exercé une influence sur la décision du préfet de la Creuse, l’association sources et rivières du Limousin est fondée à soutenir que la notice d’impact est entachée d’insuffisance au regard des prescriptions précitées du 11° de l’article R. 214-72 du code de l’environnement ».
Mais comment le juge peut-il censurer cette remarque faite d’un réalisme économique qui fait défaut sauf à nier la liberté d’entreprendre et le bon sens : « pour le reste c’est la banque qui jugera de l’opportunité ou non de soutenir ce projet afin de le finaliser ».
Mais si le banquier ne suit pas l’entrepreneur, le projet ne voit pas le jour et d’atteinte à l’environnement il ne peut y avoir : le public et l’administration n’y perdent aucune information. Que veut le juge administratif : que toutes les activités de de France et de Navarre soient exploitées par des entreprises du CAC 40 et de préférence ayant été opérateur historique sur le marché de l’énergie ?
Ainsi la volonté d’entreprendre est sacrifiée sur l’autel d’une jurisprudence mal comprise : la jurisprudence Hambrégie peut être lue dans certains cas comme exigeant des engagements fermes des tiers financeurs de projets car exceptionnellement lourds et dangereux pour l’environnement mais le modèle économique particulier à d’autres secteurs d’activités doit conduire à ne pas faire renoncer le juge à admettre un financement hypothétique pour bon nombres d’installations.
En ce sens le modèle économique du contrat d’achat d’électricité et du complément de rémunération devrait être apprécié par le juge comme une capacité financière suffisante de financement quand bien même par définition un banquier refuse de donner un engagement ferme à un projet éolien encore objet d’un recours contentieux !
De même, la petite installation de production d’électricité citoyenne, même si elle est classée, demeure tributaire d’un financement qui ne reposera pas non plus sur des engagements bancaires fermes mais qui s’ils ne sont pas obtenus empêcheront de toute façon sa réalisation.
Le Conseil d’Etat se doit ainsi d’éclairer les juges du fond sur la raison pour laquelle il a jugé nécessaire dans son considérant de principe de son arrêt Hambrégie de se référer à des capacités techniques suffisamment « certaines ». Gageons que le Tribunal administratif de Lille (TA Lille, 14 déc. 2017, n°1602467, jurisprudence cabinet) et la Cour Administrative d’appel de Douai (CAA Douai, 16 nov. 2017, 15DA01535) qui ont récemment saisi la Haute juridiction de demandes d’avis contentieux sur le sujet vont heureusement expliciter le débat.
Dans l’attente de cette mise au point du Conseil d’Etat, on peut toujours tenter de se réconforter (pour bien terminer cette année 2017 !) , en relevant que le jugement commenté voit le Tribunal administratif de Limoges appliquer les nouveaux pouvoirs qu’il tient de ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017, pour « enjoindre au préfet de la Creuse de reprendre l’instruction à la phase de l’enquête publique » et « inviter [le demandeur à l’exploitation] à préciser les indications relatives à ses capacités techniques et financières » : c’est une des premières applications des pouvoirs désormais prévus par le 1° de l’article L. 181-18 du code de l’environnement.
En effet le Tribunal considère « que l’insuffisance du dossier de demande d’autorisation en tant qu’il se prononce sur les capacités techniques et financières du pétitionnaire, ainsi que le manquement du commissaire enquêteur à son devoir d’impartialité entachent d’irrégularité l’arrêté du 23 mars 2015 attaqué ; que, toutefois, ces vices n’affectent qu’une phase de l’instruction de la demande d’autorisation ; que, dans ces conditions, l’arrêté du 23 mars 2015 doit être annulé en tant que, d’une part, les indications relatives aux capacités techniques et financières de l’exploitation n’ont pas été soumises à l’information du public de manière suffisante lors de l’enquête publique et en tant que, d’autre part, le public a été privé de la garantie qui s’attache à l’expression par le commissaire enquêteur d’une position personnelle, émise de manière objective au vu de l’ensemble du dossier ; que, dès lors, il y a lieu d’enjoindre au préfet de la Creuse de reprendre l’instruction à la phase de l’enquête publique et d’inviter M. D. à préciser les indications relatives à ses capacités techniques et financières ».