Par David DEHARBE (Green Law Avocats)
La Cour administrative de Bordeaux (CAA Bordeaux, 5e ch., 17 déc. 2019, n° 17BX03677) vient de censurer en ces termes le Tribunal administratif de Poitiers (Tribunal administratif de Poitiers, 27 septembre 2017, N° 1500942) pour avoir rejeté l’intérêt agir à des requérants contre le récépissé de déclaration d’une installation de méthanisation délivré le 1er avril 2014 :
« 4. Il résulte de l’instruction que le projet en litige est implanté dans une zone de bocages dédiée à l’activité agricole. Les pièces du dossier, et notamment des vues aériennes produites par les requérants eux-mêmes, établissent que M. et Mme H…-J…, Mme I…, M. et Mme Q… demeurent …. S’il n’est certes pas établi au dossier que la construction projetée serait visible depuis les demeures des requérants, il n’en reste pas moins que la distance de 750 mètres est relativement faible s’agissant d’une usine destinée à traiter en moyenne 29,9 tonnes de matières par jour.
- A cet égard, les requérants font valoir que l’unité de méthanisation projetée entraînera pour eux des nuisances olfactives. Il résulte de l’instruction que le stockage des déchets avant incorporation dans le digesteur est de nature à émettre des odeurs même si les fumiers acheminés sur le site doivent être entreposés dans des structures bétonnées et bâchées, les digestats liquides stockés dans une structure couverte et les digestats solides placés sous abri. Eu égard aux nuisances olfactives susceptibles d’être engendrées par le processus de méthanisation, alors même que celui-ci ne se réalise pas à l’aire libre, à l’épandage des matières, même si ce processus est moins odorant que lorsqu’il concerne des matières brutes, et à la distance relativement faible qui séparent les bâtiments autorisés des habitations de M. et Mme H…-J…, Mme I…, M. et Mme Q…, ces derniers justifient d’un intérêt suffisant à contester le récépissé de déclaration en litige, sans qu’il soit besoin d’examiner la recevabilité des conclusions présentées par les autres demandeurs de première instance.».
Est-il bien raisonnable de reconnaître un intérêt agir à des requérants aussi éloignés d’une installation de méthanisation, sans une réelle problématique d’épandage ? Les actions juridictionnelles dont sont trop souvent désormais victimes les exploitants d’installations d’élevage et de méthanisation mériteraient sans doute une approche moins subjective de la recevabilité et assurément mieux fondée scientifiquement.
Il serait opportun que le Conseil d’Etat joue ici son rôle pour préserver la filière agricole d’actions contentieuses qui ne devraient pas passer le cap de la recevabilité, tant l’agribashing devient insupportable pour les éleveurs… certaines actions sont tellement menées avec virulences qu’elle peuvent conduire à des renoncements à projet avant même d’être jugées ! L’on sait au demeurant que le financement sur recours, s’il n’est pas impossible, demeure extrêmement coûteux psychologiquement pour le porteur de projet et contre nature dans la culture bancaire française…
Certes on peut se rassurer à la lecture de l’arrêt rendu parc la CAA de Bordeaux, dès lors que la Cour rejette au fond tous les moyens articulés contre le récépissé et en particulier s’agissant de la complétude du dossier (CE, 23 mars 1990, n° 62 644) ou du classement (solution classique s’agissant d’un tonnage journalier : cf. CAA Paris, 5 nov. 1998, n° 97PA01612) :
« En deuxième lieu, il résulte de l’instruction que la demande de récépissé comportait un plan cadastral et un plan de localisation des bâtiments projetés. Il comportait aussi des développements sur la question du traitement des bruits et des odeurs en lien avec le fonctionnement de l’installation. Par suite, le contenu de la demande respectait sur ces points les exigences de l’article R. 512-47 du code de l’environnement.
- En troisième lieu, le dossier de déclaration comportait un volet explicitant le choix du lieu d’implantation de l’installation et son intégration dans le paysage. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, le dossier de déclaration est conforme sur ce point aux exigences de l’article 2.2 de l’annexe I à l’arrêté du 10 novembre 2009 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations classées de méthanisation soumises à déclaration.
- En quatrième lieu, selon la rubrique n° 2781 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement annexée à l’article R. 511-9 du code de l’environnement, les unités de méthanisation qui traitent moins de 30 tonnes par jour relèvent du régime de la déclaration et, au-delà de ce seuil, du régime de l’enregistrement. Le dossier de déclaration déposé par la société Méthane Invest Bleu indique que la quantité totale annuelle d’effluents traités est en moyenne annuelle de 10 910 tonnes, soit 29,9 tonnes par jour et non de 11 910 tonnes, valeur correspondant aux tonnages maximum que l’usine de méthanisation est en mesure de traiter. Par suite, le projet de la société Méthane Bleu Invest relevait du régime de la déclaration et non de celui de l’enregistrement »
Mais l’on relève tout de même un contrôle du récépissé qui dépasse la seule complétude du dossier pour voire le juge se saisir du respect des intérêts protégés par la loi par la décision de délivrance:
« 12. En cinquième et dernier lieu, aux termes de l’article L. 512-8 du code de l’environnement : » Sont soumises à déclaration les installations qui, ne présentant pas de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts visés à l’article L. 511-1, doivent néanmoins respecter les prescriptions générales édictées par le préfet en vue d’assurer dans le département la protection des intérêts visés à l’article L. 511-1 « .
13. Il résulte de l’instruction que le terrain d’assiette du projet se situe dans une zone de nature ne présentant pas, par elle-même, de caractère ou d’intérêt particulier et dépourvue aussi de monuments historiques ou encore de sites protégés. Par ailleurs, l’installation doit fonctionner parmi un ensemble de bâtiments agricoles déjà existants. Dans ces conditions, le préfet ne saurait être regardé comme ayant méconnu les intérêts protégés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement en délivrant le récépissé en litige ».
Effectivement le moyen des requérants sollicitait bien du juge qu’il contrôle le respect de prescriptions techniques par la délivrance dès lors que les appelantes soutenaient que : « l’installation d’une usine de méthanisation va conduire à une industrialisation du site avec l’installation de différentes structures en béton ; le projet est donc de nature à porter atteinte aux paysages environnants ; en délivrant le récépissé, le préfet a méconnu l’article 2 de l’annexe I de l’arrêté du 10 novembre 2009 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations classées de méthanisation soumises à déclaration ; il a aussi méconnu les articles L. 512-8 et L. 512-10 du code de l’environnement ».
Or un tel contrôle contredit la jurisprudence traditionnelle du Conseil d’Etat sur le sujet qui veut que si la déclaration a été régulière en la forme, le préfet se trouve en situation de compétence liée pour délivrer le récépissé, même si d’autres dispositions légales ou réglementaires s’opposent à l’installation en cause (CE, 18 nov. 1925, n° 74320 ; CAA Nantes, 1er juillet 2011,n°11NT00288 ; CAA de Nancy, 26 juin 2012, n° 11NC00636, Aloyse B: JurisData n° 2012-019201 ; CAA Marseille, 7 février 2012, Association avenir d’Alet, n°09MA04671 CE, 26 décembre 2012, Association France Nature Environnement, n°340538 ; CAA Nancy, 13 févr.2014, n°13NC01753).
Reste que certaines cours ont ouvert la brèche d’un contrôle de la « compatibilité » de la déclaration ICPE avec certaines prescriptions de la planification urbanistique : (CAA Paris 29 octobre 2019, req. n° 18PA03945, considérant n° 10). Mais ici ce contrôle repose sur la nouvelle rédaction de l’article L.514-6 du code de l’environnement qui semble fonder cette solution : « la compatibilité d’une installation classée avec les dispositions d’un schéma de cohérence territoriale, d’un plan local d’urbanisme, d’un plan d’occupation des sols ou d’une carte communale est appréciée à la date de l’autorisation, de l’enregistrement ou de la déclaration ».
On le voit, une conception laxiste de l’intérêt à agir n’est pas sans risque au regard de l’évolution du contrôle juridictionnel au fond sur la déclaration ICPE.
Pour autant le cadre contentieux n’est pas non plus figé en la matière. La dématérialisation déjà entrée en vigueur depuis 2016 (mais en pratique contournée par la possibilité de récépissés classiques) deviendra obligatoire à compter du 1er janvier 2021. Or cette dématérialisation fait disparaître le contrôle préfectoral de la régularité de la déclaration. En effet, aux termes de l’article R. 512-48 du code de l’environnement (issu du décret n° 2015-1614 du 9 déc. 2015, art. 2, en vigueur le 1er janv. 2016) « Il est délivré immédiatement par voie électronique une preuve de dépôt de la déclaration ». Mais bien malin celui qui pourra prédire ce que sera le contrôle juridictionnel, en terme de recevabilité ou de moyens opérants qu’il s’agisse de la régularité ou du respect par la déclaration dématérialisée des prescriptions techniques ICPE, voire urbanistiques…