Régularisation de l’insuffisante présentation des capacités financières : le TA d’Amiens se lance !

Par Maître Sébastien BECUE (Green Law Avocat) Aux termes d’un jugement du 29 mai 2018 (n°1601137), le Tribunal administratif d’Amiens a annulé l’arrêté d’autorisation d’exploiter une porcherie pour insuffisance de la présentation des capacités financières dans le dossier soumis à enquête publique. Ce motif d’annulation est devenu extrêmement courant depuis que le Conseil d’Etat a décidé, ex nihilo et sans laisser le temps aux porteurs de projet de s’adapter, que le pétitionnaire doit justifier d’engagements fermes dès le stade de la demande d’autorisation (CE, 22 fév. 2016, n°384821). Parallèlement, le Tribunal a délivré à l’exploitant une autorisation d’exploiter temporaire de 12 mois, le temps que l’instruction soit régularisée et qu’une nouvelle autorisation soit délivrée. La première originalité de cette décision réside dans le choix du Tribunal de la fonder sans aucune référence au nouveau régime contentieux issu de l’autorisation environnementale (1) ; la seconde, dans la prescription finale du Tribunal : le Préfet doit se prononcer à nouveau sur la demande d’autorisation, « après avoir rendu publics les documents permettant d’attester » les capacités financières (2). Une illustration des pouvoirs de plein contentieux « classiques » du juge des installations classées Le Tribunal décide d’annuler l’autorisation tout en délivrant une autorisation provisoire. Pourtant, tous les critères des dispositions issues du I du nouvel article L. 181-18 du code de l’environnement étaient satisfaits. Le Tribunal aurait ainsi pu : soit annuler partiellement l’autorisation en tant que la phase de l’enquête publique avait été viciée (comme l’avait fait le Tribunal administratif de Lille, 25 avril 2017, n°n°1401947, également pour une insuffisance de présentation des capacités financières), soit prononcer un sursis à statuer aux termes d’un jugement avant dire droit dans l’attente de la régularisation du dossier (solution préconisée par le Conseil d’Etat dans son récent avis du 22 mars 2018, n°415852, là aussi dans le cadre de la problématique capacités financières). De même, en complément de cette décision d’annulation partielle ou de sursis à statuer, le Tribunal aurait pu décider d’appliquer cette fois le II de l’article L . 181-18 précité. Il aurait ainsi décidé de ne pas suspendre l’exécution, respectivement : soit des parties non viciées de l’autorisation, soit de l’autorisation elle-même, dans l’attente de sa régularisation dans le cadre du sursis. Mais là encore, le Tribunal a préféré faire usage du pouvoir classique de délivrance d’une « autorisation provisoire » le temps de la régularisation, en se fondant sur l’article L. 171-7 du code de l’environnement tel qu’interprété par la jurisprudence (les modalités de mise en œuvre sont rappelées dans l’avis du 22 mars 2018 précité), et non sur les nouvelles dispositions. Dans les deux cas, le résultat aurait été le même puisque le Tribunal aurait eu la possibilité de préciser dans son jugement que le vice de l’information du public constaté peut être régularisé par la seule mise à disposition du public des documents, tout en permettant à l’exploitant de continuer à exploiter le temps de cette régularisation. Le Tribunal démontre ainsi le caractère en réalité peu novateur des dispositions de l’article L. 181-18 du code de l’environnement : le juge de plein contentieux disposait déjà de ces pouvoirs. 2. Un exemple de «  modalité de régularisation du vice de l’information autre que la reprise de l’ensemble de l’enquête publique » La véritable innovation provient en réalité de l’avis du 22 mars 2018 qui permet la régularisation du vice de l’information du public, jusque-là non régularisable, et non du nouveau texte. Notons néanmoins qu’il est probable que l’ajout dans le texte de l’article L . 181-18 de la possibilité d’une annulation au stade d’une « phase de l’instruction » a certainement joué en rôle dans cette levée de verrou. Nous le chroniquions sur le blog de Green Law Avocats, aux termes d’un récent avis (22 mars 2018, n°415852), le Conseil d’Etat a ainsi clairement précisé que le juge des installations classées, face à une irrégularité procédurale ayant eu pour effet de vicier l’information du public, est susceptible de « fixer des modalités de régularisation adaptées permettant l’information du public, qui n’imposent pas nécessairement de reprendre l’ensemble de l’enquête publique ». A la suite de cette décision, confronté au moyen tiré de l’absence d’autonomie de l’autorité environnementale ayant rendu l’avis sur l’étude d’impact du dossier, le Tribunal administratif d’Orléans (24 avr. 2018, n°1602358) a décidé d’interroger le Conseil d’Etat notamment sur ces modalités de régularisation du vice de l’information du public autres que la reprise de l’ensemble de l’enquête publique. Nous nous interrogions dans notre commentaire : quelles sont ces modalités de publicité qui peuvent se substituer à une nouvelle enquête publique ? Enquête publique complémentaire, simple affichage sur le site internet de la Préfecture, mise en ligne sur le site officiel du demandeur… Doivent-elles d’ailleurs avoir une base légale ou peut-il s’agir de modalités ad hoc ? Surtout, doivent-elles permettre simplement l’information du public, ou également sa participation ? Comment doit raisonner le juge du fond ? En l’espèce, le Tribunal administratif d’Amiens prend ses responsabilités et prescrit directement au Préfet de se prononcer à nouveau sur la demande d’autorisation, « après avoir rendu publics les documents permettant d’attester » les capacités financières. Le Tribunal ne semble ainsi pas juger nécessaire qu’il y ait participation du public, c’est à dire que celui-ci soit en mesure de commenter les documents : ceux-ci doivent simplement être rendus publics. Ce qui somme toute est fort logique : le public aura tout loisir de saisir le juge de la nouvelle autorisation s’il juge les capacités encore insuffisantes et en ce sens le principe de participation est sauf.  Remarquons également que pour le Tribunal les modalités précises du dévoilement des documents restent à l’appréciation du Préfet, sous le contrôle du juge.

Les modalités de régularisation du vice de l’information du public bientôt précisées ?

Par Maître Sébastien BECUE (Green Law Avocats) Nous l’exposions dans un récent article du présent blog, le Conseil d’Etat a décidé, aux termes d’un avis du 22 mars dernier, que le vice de l’information du public est susceptible d’être régularisé devant le juge de plein contentieux de l’autorisation environnementale ; et ce, sans même qu’il soit forcément nécessaire, selon les cas, d’organiser une nouvelle enquête publique. Plus précisément, le Conseil d’Etat exposait que lorsque « le caractère incomplet du dossier d’enquête publique a affecté la légalité de la décision », il est « nécessaire de compléter l’information du public ». Le juge (sous-entendu) du fond « peut alors fixer des modalités de régularisation adaptées permettant l’information du public, qui n’imposent pas nécessairement de reprendre l’ensemble de l’enquête publique ». Pour les spécialistes du contentieux, cet avis, malgré sa richesse impressionnante, a néanmoins semblé ouvrir autant, sinon plus de questions qu’il n’en a résolu… Le Tribunal administratif d’Orléans par un jugement avant dire droit (TA Orléans, 24 avril 2018 n° 1602358 ; téléchargeable ici) s’est chargé de solliciter des éclaircissements au Conseil d’Etat . Après avoir jugé que le moyen tiré du vice de l’information du public résultant de ce que l’avis sur l’étude d’impact du projet aurait été rendu par une autorité environnementale ne disposant pas d’une autonomie réelle au sens de la jurisprudence communautaire (voir notre article sur ce thème) est le seul à être susceptible d’entraîner l’annulation de l’autorisation, le Tribunal se saisit de la demande des défendeurs visant à ce qu’il fasse usage du pouvoir de sursis à statuer dans l’attente d’une régularisation, dont il dispose désormais en vertu du 2° du I de l’article L. 181-18 du code de l’environnement. Le Tribunal rappelle que dans ce cas, le juge doit, dans un jugement avant dire droit : –          préciser les modalités de cette régularisation, –          et indiquer quelle phase doit être regardée comme viciée afin de simplifier la reprise de la procédure administrative. On aurait alors pu imaginer que le Tribunal prescrive directement des modalités de régularisation ou reprenne celles proposées par le défendeur, une solution courageuse mais qui aurait comporté un risque important pour le porteur de projet, potentiellement victime de cette expérimentation procédurale. Mais, sans expliquer plus avant ses doutes, le Tribunal sursoit alors à statuer et pose trois questions au Conseil d’Etat. La première question est relative au caractère régularisable ou non du vice tiré de l’absence d’autonomie réelle de l’autorité environnementale ayant rendu l’avis sur l’étude d’impact. Son raisonnement semble être le suivant. Le droit applicable au moment de la délivrance de l’autorisation imposait que l’avis sur l’étude d’impact soit rendu par une autorité environnementale, la DREAL, qui ne disposait pas d’une autonomie réelle vis-à-vis de l’autorité compétente pour délivrer, le Préfet de région. Or, le Conseil d’Etat a exposé dans son avis que l’autorité compétente doit pour la régularisation faire application des dispositions en vigueur à la date à laquelle l’autorisation a été délivrée. Ainsi, s’il fallait appliquer ces dispositions, la DREAL serait encore saisie de la demande d’avis sur l’étude d’impact et le Préfet de région serait compétent. En cas d’interprétation extensive de l’avis du Conseil d’Etat, la régularisation serait donc impossible En revanche, si l’on tient compte des dispositions applicables au moment de la régularisation pour la définition des mesures de régularisation, la DREAL resterait autorité environnementale mais le Préfet aujourd’hui compétent serait le Préfet de département, du fait de la péremption de l’arrêté d’évocation du Préfet de région ; et il y aurait donc autonomie effective. On constate néanmoins que cette question ne règle du coup pas le cas dans lequel le Préfet de département nouvellement compétent se trouverait également être le Préfet de région, auquel cas il n’y aurait toujours pas autonomie effective entre les deux autorités. Et on a envie d’ajouter : le juge ne pourrait-il pas ordonner une mesure ad hoc, comme par exemple enjoindre à l’administration de saisir la MRAE, autorité environnementale dont l’autonomie est réelle mais qui ne dispose pas encore d’une compétence expresse en matière de projet ? Dans une perspective de sécurité juridique, il apparaît de la responsabilité du gouvernement de créer au plus vite une autorité environnementale indépendante expressément compétente pour donner son avis sur les études d’impact pour les projets, afin justement de permettre cette régularisation. La deuxième question est relative aux modalités de régularisation du vice de l’information du public envisageables par le juge du fond. Autrement dit, quelles sont ces modalités de publicité qui peuvent se substituer à une nouvelle enquête publique ? Enquête publique complémentaire, simple affichage sur le site internet de la Préfecture, mise en ligne sur le site officiel du demandeur… Doivent-elles d’ailleurs avoir une base légale ou peut-il s’agir de modalités ad hoc ? Surtout, doivent-elles permettre simplement l’information du public, ou également sa participation ? Comment doit raisonner le juge du fond ? Sur ce point, on pourrait imaginer que le Conseil d’Etat fournisse quelques pistes au juge du fond en listant les indices qui doivent le guider… La troisième question est relative au degré de précision avec lequel le juge peut formuler l’invitation à régularisation qu’il adresse à l’administration dans son jugement. Cette question est également très intéressante. Indéniablement, avec ce pouvoir, le juge jusque-là principalement cantonné un rôle de censeur malgré les pouvoirs de plein contentieux dont il dispose, se retrouve également prescripteur…

Le droit de l’environnement « bon public » face à la jurisprudence Danthony

Par Me Marie-Coline Giorno et David Deharbe (Green Law Avocat) Dans quarante-huit heures, la jurisprudence dite Danthony sera sous les feux de la rampe en Nord-Pas-de-Calais : les rencontres Interrégionales du droit public organisées à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de LILLE seront consacrées à cette question prégnante « LE JUGE ADMINISTRATIF ET LE VICE DE PROCEDURE : ORTHODOXIE ET /OU PRAGMATISME ? ». Faute de pouvoir assister à cette manifestation, il nous paraît néanmoins opportun d’alimenter le débat que ne manquera pas de susciter l’atelier « Droit des sols Urbanisme et environnement ». Le Conseil d’Etat, aux termes de sa décision dite Danthony, a dégagé un « principe » désormais bien connu : « si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ; que l’application de ce principe n’est pas exclue en cas d’omission d’une procédure obligatoire, à condition qu’une telle omission n’ait pas pour effet d’affecter la compétence de l’auteur de l’acte » (Conseil d’Etat, Assemblée, 23 décembre 2011, Danthony et autres, n° 335033, publié au recueil Lebon). Ainsi, une décision affectée d’un vice de procédure n’est illégale que s’il ressort des pièces du dossier que ce vice a été susceptible d’exercer, dans les circonstances de l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie. Cette décision avait pour objectif de permettre « au juge d’exercer pleinement son office, c’est-à-dire de mesurer la portée exacte du moyen de légalité invoqué, en recherchant si, dans les circonstances de l’espèce, la formalité, même substantielle, a été affectée d’une façon telle qu’elle n’a pu atteindre correctement son objet […] » (Gaelle Dumortier, conclusions sur Conseil d’Etat, Assemblée, 23 décembre 2011, Danthony et autres, n° 335033, publié au recueil Lebon). En pratique, elle a impulsé un tournant quant à l’appréciation par le juge des vices de procédure en droit de l’environnement, même si une partie de la doctrine considère encore que « le changement provoqué par l’arrêt Danthony est […] purement cosmétique » (Julien Bétaille, « Insuffisance de l’étude d’impact : Danthony ne change rien, ou presque », Droit de l’Environnement, n°231, Février 2015, p.65). En effet, elle conduit à régulariser de nombreux vices de procédure (I) sous réserve d’une limite essentielle : qu’il ne soit pas porté atteinte au droit à l’information du public (II). I. La régularisation de multiples vices de procédure en application du principe révélé par la décision Danthony La sanction des vices de procédure ne peut désormais être prononcée que si le juge a vérifié au préalable que ces vices entachaient d’illégalité la décision prise au regard du principe révélé par la décision Danthony (A). A cet égard, il conviendra de souligner que la jurisprudence Danthony, en droit de l’environnement, a pour vocation à s’étendre à l’ensemble des vices de procédure habituellement invoqués devant le juge administratif (B). A. Le refus de sanctionner des vices de procédures en méconnaissance de la décision Danthony Depuis l’intervention de la décision Danthony, un vice de procédure ne peut être sanctionné que si les conditions posées par cette décision sont remplies : le juge doit constater que ce vice a privé les intéressés d’une garantie ou qu’il a eu une influence sur le sens de la décision administrative. A défaut d’avoir procédé à une telle recherche sur les effets du vice de procédure, le juge commet une erreur de droit (CE, 30 janvier 2013, n°347347). Il doit donc expressément préciser dans sa décision en quoi le vice de procédure allégué a constitué, en l’espèce, une insuffisance de nature à avoir nui à l’information complète de la population ou à avoir exercé une influence sur la décision de l’autorité administrative (CE, 7 novembre 2012, n°351411). Dans une décision très récente, le Conseil d’Etat a souligné « que les inexactitudes, omissions ou insuffisances du dossier d’enquête publique ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la décision prise que si elles ont eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative ; que, pour juger illégal l’arrêté attaqué, […] la cour s’est fondée sur l’insuffisance de l’estimation sommaire des dépenses, qui ne tenait pas compte des sommes nécessaires à l’indemnisation de M. A…à raison des restrictions apportées à son activité agricole par les servitudes instituées dans le périmètre de protection ; qu’elle a relevé, pour retenir cette insuffisance, qu’il n’était pas démontré et ni même allégué que les sommes nécessaires à cette indemnisation seraient ” tellement minimes ” que leur omission serait sans incidence sur l’information du public et le choix opéré par l’autorité compétente ; qu’en statuant ainsi, sans rechercher si l’omission alléguée avait effectivement été, en l’espèce, […] de nature à nuire à l’information complète de la population ou avait exercé une influence sur la décision prise, la cour a méconnu, au prix d’une erreur de droit, les principes rappelés ci-dessus » (CE, 10 juin 2015, n°371566, décision rendue non pas sur le fondement du code de l’environnement mais sur le fondement du code de l’expropriation). L’application du principe dégagé par Danthony ne consiste donc pas à examiner si une insuffisance est substantielle ou non. Il ne s’agit pas de vérifier si l’insuffisance concerne un détail minime du projet qui ne peut qu’être sans incidence sur l’information du public et sur le choix opéré par l’autorité administrative. Il convient de véritablement regarder si, l’omission alléguée, avait effectivement été, en l’espèce, de nature à nuire à l’information complète du public ou avait exercé une influence sur la décision prise….

ICPE et Information du public : quand la jurisprudence Danthony vient au secours des exploitants viticoles au détriment des exploitants de carrières (CAA Marseille 19 mai 2015)

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Le Conseil d’Etat, aux termes de sa décision Danthony, a dégagé le « principe » selon lequel : « si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ; que l’application de ce principe n’est pas exclue en cas d’omission d’une procédure obligatoire, à condition qu’une telle omission n’ait pas pour effet d’affecter la compétence de l’auteur de l’acte » (Conseil d’Etat, Assemblée, 23 décembre 2011, Danthony et autres, n° 335033, publié au recueil Lebon). Ainsi, une décision affectée d’un vice de procédure n’est illégale que s’il ressort des pièces du dossier que ce vice a été susceptible d’exercer, dans les circonstances de l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie. Ce principe a ensuite été adapté aux vices pouvant entacher une étude d’impact : «  les inexactitudes, omissions ou insuffisances d’une étude d’impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative » (Conseil d’Etat, 14 octobre 2011, n°323257, mentionné dans les tables du recueil Lebon) Il a également été adapté aux vices affectant un dossier soumis à enquête publique : « les inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant le dossier soumis à enquête publique ne sont susceptibles de vicier la procédure et ainsi d’entacher d’irrégularité l’autorisation que si elles ont eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative » (Conseil d’Etat, 15 mai 2013, n°353010, mentionné aux tables du recueil Lebon). Le droit de l’environnement met fréquemment ce principe en œuvre. La Cour administrative de Marseille nous en donne encore une illustration supplémentaire (CAA Marseille, 19 mai 2015, n°13MA03284). Il s’agit de la décision présentement commentée. Le 1er mars 2011, le Préfet de l’Aude a autorisé la SARL Les Carrières de Pompignan à exploiter une carrière à ciel ouvert au lieu dit ” Plo dal Tablié ” sur le territoire de la commune de Caunes-Minervois. Cette commune comporte un vignoble protégé par une appellation d’origine contrôlée. Le syndicat viticole du Cru minervois et le GAEC du Château de Villerembert-Moureau ont demandé l’annulation de cet arrêté. Il était notamment soutenu que l’arrêté du 1er mars 2011 serait illégal dès lors les avis de l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) et de la commune de Caunes-Minervois n’auraient pas été annexés au dossier d’enquête publique. Par un jugement du 2 juillet 2013, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande d’annulation. Saisie d’un appel contre cette décision, la Cour administrative d’appel de Marseille a censuré son analyse. D’une part, elle précise qu’aux termes de l’article R. 123-6 du code de l’environnement dans sa rédaction alors applicable : « Le dossier soumis à l’enquête publique comprend les pièces suivantes : / (…)8° Lorsqu’ils sont rendus obligatoires par un texte législatif ou réglementaire, les avis émis par une autorité administrative sur le projet d’opération (…) » En particulier, aux termes de l’article L. 512-6 du même code : « Dans les communes comportant une aire de production de vins d’appellation d’origine, l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation consulte l’Institut national de l’origine et de la qualité (…) ». D’autre part, elle rappelle le principe selon lequel « les inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant le dossier soumis à enquête publique ne sont susceptibles de vicier la procédure et ainsi d’entacher d’irrégularité l’autorisation que si elles ont eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative. » Après avoir relevé qu’en l’espèce, le préfet de l’Aude devait, avant d’autoriser l’exploitation de la SARL Les Carrières de Pompignan, consulter l’INAO, elle a constaté que l’INAO avait émis un avis défavorable antérieurement au début de l’enquête publique « motivé par la circonstance que l’exploitation de la carrière de marbre se situait au coeur d’un important vignoble classé en appellation d’origine contrôlée ” Minervois “, que l’activité située dans un secteur particulièrement venté, provoquerait de graves nuisances à l’activité viticole, que la production de poussières générées par l’exploitation aurait un impact néfaste sur le vignoble des domaines alentours et sur la qualité des vins et que cette exploitation industrielle était incompatible avec l’image et la notoriété recherchées par les vignerons pour les vins du secteur ; ». Après avoir fait état de la faible participation du public et du fait que les rares observations contenues dans les registres d’enquête publiques avaient été formulées par des exploitants viticoles, la Cour a estimé « qu’eu égard au public concerné par le projet, notamment constitué d’exploitants viticoles, l’absence dans le dossier d’enquête publique de l’avis, défavorable, de l’INAO a nécessairement eu pour effet de nuire à l’information complète de la population au sujet de l’opération projetée ; que, dans ces conditions, le défaut de production de l’avis de l’INAO au dossier d’enquête publique constitue un vice de nature à entacher d’illégalité l’arrêté litigieux ». La Cour annule donc le jugement attaqué et l’arrêté du préfet de l’Aude du 1er mars 2011.   Cet arrêt est intéressant au regard de l’appréciation très circonstanciée de la Cour. Celle-ci considère que le vice de procédure était ici substantiel au regard, d’une part, de l’existence d’un avis défavorable de l’INAO et, d’autre part, au regard de la population la plus concernée par le projet. Elle en a déduit que le vice de procédure a nui à l’information complète…

Construction irrégulière et travaux d’extension : la régularisation des travaux entrepris irrégulièrement doit concerner l’ensemble de la construction (CE, 13 déc. 2013, n°349081)

Dans un arrêt « Commune de Porspoder » (CE, 13 déc. 2013, n°349081 ; consultable ici), le Conseil d’Etat revient partiellement sur une jurisprudence antérieure selon laquelle un maire ne peut légalement accorder un permis de construire portant extension d’un bâtiment prenant appui sur une partie du même bâtiment construite, elle, sans autorisation (CE, 9 juil. 1986, Mme Thalamy, n°51712). Cette jurisprudence était donc limitée aux seuls cas de figure où les travaux pour lesquels l’autorisation était sollicitée prenaient appui sur les éléments irréguliers de la construction, ou en étaient indissociables. En d’autres termes, la Haute juridiction considérait qu’un permis de construire portant sur une construction existante irrégulièrement érigée ne pouvait être accordé sans que cette dernière soit préalablement régularisée (CE, 25 juin 2003, Daci, n°229023). L’arrêt commenté constitue une remise en cause de la jurisprudence « Thalamy » puisque désormais la régularisation de l’existant édifié sans autorisation est indispensable bien que l’extension du bâti ne prenne pas appui sur la partie construite sans autorisation : « Lorsqu’une construction a fait l’objet de transformations sans les autorisations d’urbanisme requises, il appartient au propriétaire qui envisage d’y faire de nouveaux travaux de déposer une déclaration ou de présenter une demande de permis portant sur l’ensemble des éléments de la construction qui ont eu ou auront pour effet de modifier le bâtiment tel qu’il avait été initialement approuvé ; qu’il en va ainsi même dans le cas où les éléments de construction résultant de ces travaux ne prennent pas directement appui sur une partie de l’édifice réalisée sans autorisation ; » La décision « Commune de Porspoder » rompt avec l’exigence du lien physique entre les travaux pour lesquels une autorisation d’urbanisme est requise et les travaux irrégulièrement construits contenue dans la jurisprudence « Thalamy ». L’abandon du lien physique a déjà pu être identifié dans la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE, sect., 3 mai 2011, Ely, n° 320545), l’arrêt commenté confirme donc ce durcissement. En l’espèce, un particulier avait déposé une déclaration de travaux pour procéder à l’extension de sa maison d’habitation qui avait fait l’objet de transformations préalables sans en obtenir l’autorisation nécessaire. La déclaration de travaux avait été attaqué par des requérants sur le fondement de la jurisprudence « Thalamy ». Le tribunal administratif de Rennes avait rejeté leur requête au motif que la déclaration des travaux d’extension ne prenait pas appui sur « la partie du bâtiment dont l’irrégularité était alléguée », la jurisprudence « Thalamy » n’étant donc pas applicable en l’espèce. Ce raisonnement a donc été censuré par le Conseil d’Etat qui considère que la régularisation de l’ensemble des travaux irréguliers est un préalable nécessaire à la réalisation des travaux d’extension. Dans un deuxième temps, l’arrêt commenté précise : « qu’il appartient à l’administration de statuer au vu de l’ensemble des pièces du dossier, en tenant compte, le cas échéant, de l’application des dispositions de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme issues de la loi du 13 juillet 2006 emportant régularisation des travaux réalisés depuis plus de dix ans» L’article L. 111-12 du code de l’urbanisme dispose que : « Lorsque qu’une construction est achevée depuis plus de dix ans, le refus de permis de construire ou de déclaration de travaux ne peut être fondé sur l’irrégularité de la construction initiale au regard du droit de l’urbanisme ». Cet article qualifié de « pardon administratif » dans la doctrine juridique signifie que l’administration qui refuserait de délivrer un permis de construire ou s’opposerait à une déclaration de travaux ne peut pas le faire au motif que les travaux entrepris sur le même bâtiment depuis plus de dix ans n’ont pas fait l’objet de la délivrance d’un permis ou d’une non opposition à une déclaration préalable de travaux. Ainsi l’article L. 111-12 rompt avec une irrégularité perpétuelle de l’immeuble sur le plan administratif à défaut de régularisation a posteriori et a par la même occasion introduit une sécurité juridique pour tout pétitionnaire en cas de mutation de l’immeuble ou de travaux sur celui-ci. En outre, rappelons que l’introduction de cette prescription administrative décennale participe à une cohérence de la prescription des actions sur les travaux irréguliers puisque l’action pénale est enfermée dans un délai de trois ans à compter de l’achèvement des travaux et qu’en matière civile, l’action en démolition des constructions irrégulières s’éteint dans le délai de droit commun fixé à dix ans. Dans l’arrêt «Commune de Porspoder », le Conseil d’Etat mentionne donc que l’autorité administrative amenée à se prononcer sur une demande de permis de construire ou sur une déclaration de travaux doit prendre en compte, dans sa décision, la possible application de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme qui, le cas échéant permettra la régularisation des constructions irrégulières achevées il y plus de dix ans. Valentin GUNER GREEN LAW AVOCAT