Coup d’arrêt aux travaux d’infrastructure des JO 2024

Par Lucas DERMENGHEM, Avocat Of Counsel, GREEN LAW AVOCATS Par une ordonnance en date du 5 mai 2020, le juge des référés de la Cour administrative d’appel de Paris a décidé de suspendre l’exécution de l’arrêté du Préfet de Région Ile-de-France en date du 22 novembre 2019 déclarant d’intérêt général les travaux d’aménagement de l’échangeur de Pleyel (A86) et de Porte de Paris (A1) à Saint-Denis. Pour solliciter la suspension de l’arrêté litigieux, le conseil départemental des parents d’élèves de Seine-Saint-Denis et l’association « Vivre à Pleyel » avaient soulevé toute une série de moyens tenant tant à la légalité externe qu’à la légalité interne de l’acte. En premier lieu, l’ordonnance retiendra l’attention s’agissant de la question de la compétence du juge des référés de la Cour administrative d’appel de Paris. Les requérants s’étaient en effet adressés à cette juridiction en vertu des dispositions dérogatoires de droit commun instituées par le décret n°2018-1249 du 26 décembre 2018 (aujourd’hui codifiées au 5°de l’article R311-2 du code de justice administrative), qui confèrent à la Cour compétence pour connaître en premier ressort des litiges afférents aux « aux opérations d’urbanisme et d’aménagement, aux opérations foncières et immobilières, aux infrastructures et équipements ainsi qu’aux voiries dès lors qu’ils sont, même pour partie seulement, nécessaires à la préparation, à l’organisation ou au déroulement des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ». Le juge des référés a estimé qu’au regard de sa portée et de ses effets, l’arrêté litigieux devait être regardé comme portant effectivement sur les opérations susmentionnées. Après avoir aisément retenu la condition d’urgence requise par l’article L521-1 du code de justice administrative, le juge des référés s’est penché sur l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté préfectoral du 22 novembre 2019. Par un considérant rédigé en des termes relativement cinglants, le juge des référés énonce que plusieurs des moyens soulevés par les requérants sont de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision. Et de citer d’une part le moyen tiré de l’irrégularité de la procédure de concertation avec le public dans la mesure où celui-ci n’a pu avoir accès aux informations suffisantes et pertinentes au sens de l’article L122-1 du code de l’environnement et, d’autre part, le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation, en ce que le Préfet de région n’a pas suffisamment pris en considération l’impact sanitaire négatif du projet, ni son impact sur la dégradation de la qualité de l’air au niveau des sites à proximité des sites sensibles. C’est ce deuxième point qui retiendra davantage notre attention, dans la mesure où il symbolise l’importance prépondérante des enjeux liés à la qualité de l’air en région parisienne, et plus généralement à l’échelle nationale et européenne. Cette décision s’inscrit ainsi dans le cadre d’une jurisprudence de plus en plus fournie du juge administratif à propos de cette problématique. Rappelons sur ce point que la directive européenne 2008/50/CE du 21 mai 2008 dite « Air pur pour l’Europe » impose aux Etats membres une obligation de résultat tenant à ce que les niveaux de certains polluants dans l’air ambiant ne dépassent pas des valeurs limites. A défaut, les Etats  doivent mettre en place des plans relatifs à la qualité de l’air prévoyant des mesures appropriées pour que cette période de dépassement soit la plus courte possible. A cet égard, en octobre 2019, la Cour de Justice de l’Union européenne a reconnu que la France avait manqué à ses obligations au titre de cette directive (lire notre commentaire de cette décision ici). Et, très récemment, la Commission européenne a mis en demeure la France de transposer correctement en droit national les dispositions issues de la Directive 2016/2284 du 14 décembre 2016 concernant la réduction des émissions nationales de certains polluants atmosphériques. Sur le plan interne, la responsabilité de l’Etat français a été reconnue par certains tribunaux administratifs qui ont caractérisé la carence fautive de l’Etat en raison de l’insuffisance des mesures prises pour réduire la pollution de l’air, notamment en Ile-de-France et dans l’agglomération lilloise (voir par exemple : TA Montreuil, 25 juin 2019, n°1802202  / TA Paris, 4 juillet 2019, n°17093334 / TA Lille, 9 janvier 2020, n°1709919 ; lire nos analyses ici et ici). Egalement, les juges ont pu considérer que les plans régionaux adoptés pour améliorer la qualité de l’air ne sont pas satisfaisants pour remplir l’obligation de résultat imposée par l’UE. Dans son jugement du 4 juillet 2019, le tribunal administratif de Paris a ainsi souligné que la persistance des dépassements observés dans la région traduit l’incapacité du plan de protection régional de l’atmosphère d’Ile-de-France à permettre une réduction rapide des valeurs de dioxyde d’azote et de particules fines dans l’air, en méconnaissance des objectifs européens. Et la problématique de la qualité de l’air est en passage de devenir une préoccupation d’autant plus majeure au regard du contexte épidémique actuel, alors que les liens entre pollution de l’air et mortalité liée au Covid-19 ont été mis en évidence par plusieurs études scientifiques. Parmi les plus récentes nous citerons une étude en date du mois d’avril 2020 publiée par des chercheurs de l’université d’Harvard aux Etats-Unis qui concluent, à partir de l’analyse des données d’environ trois mille comités américains, qu’ « une légère augmentation de l’exposition à long terme [dix ou quinze ans] aux particules fines PM2,5 entraîne une forte augmentation du taux de mortalité par Covid-19 ». Récemment, l’association Respire s’est appuyée sur cette étude pour demander au Conseil d’Etat d’enjoindre au gouvernement de prendre toutes les mesures pour limiter les sources de pollution dans ce contexte sanitaire incertain. Même si le Conseil d’Etat a rejeté la requête de l’association (CE, 20 avril 2020, n°440005) il a toutefois  encouragé l’administration à « faire preuve d’une vigilance particulière dans le contexte actuel d’état d’urgence sanitaire, en veillant à ce que soient prises, au besoin préventivement en cas de menace avérée de franchissement des seuils, des mesures propres à éviter la survenue ou au moins à réduire la durée des épisodes de franchissement des seuils (…) ». Dans ce contexte, la décision du juge des référés de la Cour administrative…

Guérilla juridique des associations contre l’épandage

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) La pression des associations de protection de l’environnement contre l’épandage agricole est de plus en plus forte et prend même la forme d’une véritable guérilla en particulier devant le Conseil d’Etat. Première illustration : CE, ord. 20 avril 2020, n° 440005 L’association Respire a demandé au Conseil d’État, Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 7 et 15 avril 2020, d’enjoindre au Gouvernement d’appliquer immédiatement et jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire, les mesures de restriction des épandages agricoles prévues en cas de pics de pollution, par l’arrêté du 7 avril 2016, relatif au déclenchement des procédures préfectorales en cas d’épisodes de pollution de l’air ambiant. L’association requérante saisissait le juge des référés liberté du conseil d’Etat sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, aux termes : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ». L’association Respire faisait valoir que : –    la condition d’urgence est remplie eu égard, en premier lieu, aux difficultés de réduction du nombre de malades, et notamment de ceux gravement atteints par le covid-19 et, en second lieu, à la circonstance que les épandages, auxquels procèdent actuellement les agriculteurs, génèrent, d’une part, des particules fines nocives pour la santé humaine et contribuent, d’autre part, au dépassement des seuils réglementaires de pollution de l’air susceptible d’aggraver la pandémie ; –    la carence de l’Etat à prendre des mesures réduisant la pollution de l’air aux particules PM10 et PM2,5 porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie rappelé notamment par l’article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; –    selon les différentes études, notamment une étude chinoise de 2003 ainsi qu’une étude américaine et italienne de 2020, qu’il existe vraisemblablement un lien étroit entre la pollution de l’air par les particules PM10 et PM2,5 et le développement et l’aggravation des maladies respiratoires et notamment du covid-19 ; –    la carence de l’Etat à prendre des mesures permettant de réduire ces pollutions par l’imposition de mesures de réduction des effets nocifs des épandages agricoles, notamment par la généralisation des règles applicables en cas de pics de pollution, porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et à la santé des français dès lors qu’elle contribue à aggraver la pandémie, les principes de prévention voire de précaution imposant en effet, dans le contexte de pandémie, de prendre ces mesures Ainsi l’Association soutenait que la pollution de l’air par les particules PM10 et PM2,5 constitue un facteur aggravant de la propagation du covid-19 ou, tout au moins, de ses conséquences notamment sur les personnes souffrant par ailleurs de certaines affections respiratoires. Elle réclamait en conséquence que le juge des référés enjoigne au Gouvernement de prendre en urgence des mesures limitant les épandages agricoles pour réduire les émissions de ces particules. Le juge des référés a tout d’abord relevé, se fondant sur les éléments qui lui ont été remis et les précisions réclamées à l’administration lors de l’audience, que, contrairement à 2019, aucun dépassement du seuil d’alerte de pollution n’a été observé entre le 15 mars et le 14 avril 2020, période marquée par une forte réduction des pollutions issue de l’activité industrielle et des transports en raison des mesures de confinement, et que les dépassements du seuil d’information-recommandation avaient été moins importants qu’en 2019. Le juge des référés a estimé que les trois principales études sur lesquelles l’association requérante fondait sa requête et les éléments apportés lors de l’audience ne permettaient pas de conclure à la nécessité de prendre des mesures complémentaires : « il résulte des éléments versés au dossier et des échanges lors de l’audience publique que, en premier lieu, l’étude chinoise, qui porte au demeurant non sur le Covid-19 mais sur le SRAS, concerne la pollution de l’air en général, notamment la pollution au dioxide de carbone laquelle a été fortement réduite à la suite de la très forte diminution des activités de transports, et non la pollution aux seules particules PM10 et PM2,5 visée par l’association requérante dans la présente requête. En deuxième lieu, si l’étude américaine porte sur les conséquences des différences d’exposition aux particules PM2,5 suivant les Etats des Etats-Unis sur la gravité de l’épidémie de covid-19 pour la population concernée, elle se fonde sur une exposition de long terme, retenant des durées d’exposition de plusieurs années minimum et pouvant aller jusqu’à dix à quinze ans, ce qui n’est guère pertinent pour apprécier les conséquences d’une exposition limitée à quelques semaines seulement correspondant aux mesures urgentes et nécessairement provisoires que le juge des référés a le seul pouvoir d’ordonner. En dernier lieu, si l’étude italienne porte sur le lien entre les dépassements du seuil de 50 µg / m³ pour les PM10 survenus en Lombardie sur la période du 10 au 29 février 2020 et sur la virulence de l’épidémie de covid-19 dans cette région à compter du 3 mars de cette année, cette étude, qui au demeurant, n’a, à ce stade, pas encore fait l’objet d’une publication par une revue scientifique dotée d’un comité de lecture, concerne les effets de dépassements du seuil correspondant au seuil d’information et de recommandation de l’arrêté du 7 avril 2016, dépassements qui, outre qu’ils ont été répétés en Lombardie au cours de la période objet de l’étude, conduiraient s’ils survenaient en France, à l’application du dispositif prévu par l’arrêté du 7 avril 2016 qui concerne précisément, ainsi qu’il a été dit, les mesures à prendre pour limiter la survenue et la durée de ces dépassements. » Il faut bien comprendre…

projet de décret sur la mise en place de zone à faibles émissions mobilité (ZFE-m) par les collectivités

Par Maître Lucas DERMENGHEM (Green Law Avocats) Alors que les liens entre la pollution atmosphérique et le Covid-19 ont récemment fait l’objet de travaux scientifiques médiatisés, la publication d’un projet de décret relatif à la mise en place de zones à faibles émissions mobilités (ZFE-m) par les collectivités territoriales ne manquera pas de susciter l’intérêt. Ce projet de décret a pour objet de mettre en application l’article L. 2213-4-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) dans sa version issue de l’article 86 de la loi n° 2019-1429 dite d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 et qui porte sur l’institution des ZFE-m, qui doivent remplacer les anciennes Zones à Circulation Restreinte (ZCR). Pour mémoire, cet article dispose qu’avant le 31 décembre 2020 les collectivités locales pour lesquelles un plan de protection de l’atmosphère (PPA) est adopté, en cours d’élaboration ou en cours de révision doivent obligatoirement instaurer de telles zones « lorsque les normes de qualité de l’air mentionnées à l’article L. 221-1 du même code ne sont, au regard de critères définis par voie réglementaire, pas respectées de manière régulière sur le territoire de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre compétent ». Cet article prévoit par ailleurs qu’après le 1er janvier 2021, la création de ZFE-m sera obligatoire dans un délai de deux ans, lorsque les normes de qualité de l’air ne sont pas respectées de manière régulière, au regard de critères définis par voie réglementaire, sur le territoire de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre compétent et que les transports terrestres sont à l’origine d’une part prépondérante des dépassements. Le projet de décret soumis a été soumis à la consultation du public entre le 23 mars et le 13 avril 2020. Dans un communiqué de presse afférent à cette consultation, le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire a défini la ZFE-m comme « un territoire dans lequel est instaurée une interdiction d’accès, le cas échéant sur des plages horaires et jours déterminés, pour certaines catégories et classes de véhicules qui ne répondent pas à certaines normes d’émissions et donc qui ont un impact nocif sur la santé des résidents de l’ensemble du territoire ». Par ce texte, le Gouvernement prévoit tout d’abord d’instituer un article D. 2213-1-0-2 I dans le CGCT aux fins de définir les collectivités considérées comme ne respectant pas régulièrement les normes relatives à la qualité de l’air. Seront considérées comme ne respectant pas ces normes, les zones administratives de surveillance de la qualité de l’air dans lesquelles l’une des valeurs limites relative au dioxyde d’azote (NO2), aux particules PM10 et PM2,5 (mentionnées à l’article R. 221-1 du code de l’environnement) n’ont pas été respectés au moins trois années sur les cinq dernières. En outre, les communes ou les EPCI à fiscalité propre dont l’autorité exécutive dispose du pouvoir de police de circulation seront considérées comme ne respectant de manière régulière ces valeurs limites lorsque leur territoire est inclus en tout ou partie dans une zone administrative de surveillance de la qualité de l’air. Ensuite, le projet de décret doit instituer dans le CGCT un article D. 2213-1-0-3 relatif aux modalités d’identification des transports terrestres comme étant à l’origine d’une « part prépondérante des dépassements » de valeurs limites, au sens de l’article L2213-4-1 précité. Tel sera le cas : soit lorsque les transports terrestres constituent la première source des émissions polluantes ; soit lorsque les lieux concernés par le dépassement sont situés majoritairement à proximité des voies de circulation. Nul doute que les citoyens et structures associatives dédiées ne manqueront pas de scruter l’application de ce nouveau régime juridique, dans un contexte où plusieurs actions juridictionnelles ont d’ores et déjà été intentées à l’encontre de l’Etat pour carence fautive dans l’application de la législation applicable à la pollution de l’air.

Air : toujours des déclarations de carences sans condamnation à réparer

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Le recours  engagé par l’ex vice-présidente écologiste du Conseil régional du Nord-Pas-de-Calais devant le Tribunal administratif de Lille pour exiger la condamnation de l’Etat à réparer les conséquences sanitaires de carence fautives dans la gestion de la pollution de l’air aura finalement lui aussi fait flop. Le Tribunal administratif de Lille dans un jugement lu en ce début d’année (TA Lille, 9 janvier 2020, n° 1709919), s’il admet à la marge une carence fautive de l’Etat, rejette également (cf. TA Paris, 4 juillet 2019, n° 17093334 ; TA Montreuil_25 juin 2019 n°1802202) les prétentions indemnitaires de la victime requérante pour défaut de causalité avec la pathologie qu’elle invoquait. Ce jugement reconnaît que Mme Sandrine Rousseau est seulement fondée à rechercher la responsabilité de l’Etat pour « carence fautive » dans son obligation de réduire le dépassement de valeurs limites de particules fines – PM10 – et de dioxyde d’azote, dans l’agglomération lilloise. Le Tribunal constate l’insuffisante amélioration de la qualité de l’air, alors pourtant qu’il incombait à l’Etat d’instituer un plan de protection de l’atmosphère pour y remédier en vertu des dispositions du code de l’environnement, qui transposent les articles 13 et 23 de la directive européenne du 21 mai 2008. Mais selon le Tribunal il ne résulte pas de l’instruction que la pathologie de la requérante trouverait directement sa cause dans l’insuffisance des mesures prises par l’Etat au cours de la période 2012-2016 pour limiter au maximum les périodes de dépassement de seuils de concentration en gaz polluants, ou que ces pathologies auraient été aggravées par la carence fautive. Le Tribunal dans le cas lillois rejette encore une violation du droit à un environnement sain au sens de la CEDH, les atteintes à ce droit n’étant pas suffisamment importantes (Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme). De la même façon, le Tribunal rejette la violation des obligations de l’Etat quant aux mesures préfectorales mises en œuvre lors de l’épisode de pollution dans l’agglomération lilloise à la fin de l’année 2016 et en début d’année 2017. Cette solution ne saurait surprendre et confirmes les solutions retenues par plusieurs juridictions administratives (les Tribunaux administratifs de Montreuil, Paris , Grenoble , Lyon …) qui ont été saisies par des victimes de la pollution de l’air ambiant d’actions en responsabilité contre l’Etat et ses services déconcentrés : cf. https://www.green-law-avocat.fr/le-juge-administratif-la-pollution-de-lair-et-le-risque-sanitaire/ Une fois de plus, pour accorder une indemnisation aux victimes du scandale sanitaire de la pollution de l’air, le juge administratif attend une démonstration très étayée des conséquences préjudiciables pour les victimes de la pollution atmosphérique. Le juge est-il trop exigeant ? En fait seule une expertise judiciaire permettra sans doute de forcer le juge administratif à ouvrir la boîte de pandore d’une réparation effective.  Mais sans doute ni le juge (qui ne veut pas prendre l’initiative d’une exposition des deniers publics) ni les requérants (qui veulent un résultat rapide et spectaculaire) ne sont prêts à subir le coût d’une telle expertise qui constitue un procès dans le procès… Pourtant pendant ce temps les victimes silencieuses de la pollution de l’air continuent de souffrir des pics de pollution…

Le juge administratif, la Pollution de l’air et le risque sanitaire

  Par David DEHARBE (Green Law Avocats) Plusieurs juridictions administratives (les Tribunaux administratifs de Montreuil, Paris , Grenoble , Lyon et Lille) ont été saisies par des victimes de la pollution de l’air ambiant d’actions en responsabilité contre l’Etat et ses services déconcentrés. Deux d’entre elles se sont déjà prononcées (TA Paris, 4 juillet 2019, n° 17093334 ; TA Montreuil_25 juin 2019 n°1802202). L’on peut déjà tirer un certain nombre d’enseignements de ces recours au juge. Les fondements de la responsabilité : Sur le principe d’un comportement fautif, trois fondements ont été avancés : la méconnaissance du droit à un air sain, d’une part, celui du respect du domicile entendu par la Cour Européenne des Droits de l’Homme comme conférant un droit de l’homme à l’environnement d’autre part, et enfin, l’échec de la planification réglementaire et des mesures d’urgence dans le domaine de l’air transposée du droit communautaire. Les requérants arguaient d’abord d’une carence fautive du pouvoir réglementaire, qui aurait mal encadré la persistance des dépassements observés depuis plusieurs années en Ile-de-France des valeurs limites de concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote. Sur cette base, le Tribunal de Paris comme de Montreuil ont accueilli le moyen. Ainsi pour le juge parisien (TA Paris), « Il résulte de l’instruction que les valeurs limites de concentration et notamment en particules fines, en dioxyde d’azote, ont été dépassées de manière récurrente en Ile-de-France au cours des années 2012, 2013, 2014, 2015 et 2016. L’année 2016 a été marquée par un épisode de pic de pollution entre les mois de novembre et décembre. Des procédures en manquement ont été engagées par la Commission européenne contre la France, les mises en demeure des 20 novembre 2009 et 18 juin 2015 ont donné lieu à la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne ». Mais comme le souligne fort pertinemment le Tribunal administratif de Montreuil, « Si le dépassement des valeurs limites ne peut constituer, à lui seul, une carence fautive de l’Etat en matière de lutte contre la pollution atmosphérique au sens des dispositions précitées du code de l’environnement, l’insuffisance des mesures prises pour y remédier est en revanche constitutive d’une telle carence ». En fait le juge administratif mobilise le bloc de légalité de transposition du droit communautaire sur le sujet qui combine des seuils de pollution à ne pas dépasser et des instruments de planification réglementaires pour parvenir à ce résultat. En effet, transposant l’article 23 de la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008, « Le plan de protection de l’atmosphère et les mesures mentionnées au deuxième alinéa du I de l’article L. 222-4 ont pour objet, dans un délai qu’ils fixent, de ramener à l’intérieur de la zone la concentration en polluants dans l’atmosphère à un niveau conforme aux normes de qualité de l’air mentionnées à l’article L. 221-1 ou, le cas échéant, les normes spécifiques mentionnées au 2° du I de l’article L. 222-1. (…) ». Et les deux tribunaux administratifs sanctionnent l’échec de la planification réglementaire, du fait de son inefficacité avérée, pour ne pas dire son renoncement à assumer sa vocation préventive : « Eu égard à la persistance des dépassements observés au cours de cette période 2012-2016, le plan de protection de l’atmosphère pour l’Ile-de-France adopté le 7 juillet 2006 et révisé le 24 mars 2013, qui tient lieu de plan relatif à la qualité de l’air prévu par l’article 23 de la directive du 21 mai 2008, ainsi que ses conditions de mise en œuvre, doivent être regardés comme insuffisants au regard des obligations rappelées aux points 3 et 4, dès lors qu’il n’a pas permis que la période de dépassement des valeurs limites soit la plus courte possible » (espèce n° 1802202). De façon plus sévère encore, le Tribunal administratif de Paris relève que « le plan révisé prévoit, d’ici 2020, une diminution des seuils de pollution et, à seulement l’horizon 2025, un passage en dessous des valeurs limites européennes ». En revanche, le Tribunal administratif de Montreuil refuse d’engager la responsabilité des services déconcentrés de l’Etat et plus particulièrement dans leur gestion de l’épisode de pollution de décembre 2016. Pour le Tribunal, les mesures d’urgence ne sont ni tardives ni insuffisantes en termes de règlementation comme de contrôle. Les requérants se prévalaient encore d’une violation de la loi. Mais le Tribunal administratif de Montreuil dénie à l’article L. 220-1 du code de l’environnement toute portée normative. Certes aux termes de cet article, « L’Etat et ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs établissements publics ainsi que les personnes privées concourent, chacun dans le domaine de sa compétence et dans les limites de sa responsabilité, à une politique dont l’objectif est la mise en œuvre du droit reconnu à chacun à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé. Cette action d’intérêt général consiste à prévenir, à surveiller, à réduire ou à supprimer les pollutions atmosphériques, à préserver la qualité de l’air et, à ces fins, à économiser et à utiliser rationnellement l’énergie. La protection de l’atmosphère intègre la prévention de la pollution de l’air et la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre ». Mais pour le juge, « ces dispositions, qui se bornent à fixer des objectifs généraux à l’action de l’Etat, sont par elles-mêmes dépourvues de portée normative et ne sont pas susceptibles d’engager la responsabilité de l’Etat en cas de pollution atmosphérique ». Enfin le TA de Montreuil rejette en ces termes le moyen se réclamant de la CEDH : si pour la juridiction, « Les Etats doivent également s’acquitter d’une obligation positive de garantir le respect du domicile et de la vie privée et familiale, en prenant, avec la diligence requise, les mesures appropriées adaptées à la nature des affaires posant des questions environnementales, en présence d’un risque grave, réel et immédiat pour la vie, la santé ou l’intégrité physique ou encore de nuisances de nature à empêcher de jouir de son domicile », non seulement « les efforts fournis ont toutefois permis une amélioration constante de la qualité de l’air en Ile-de-France depuis une dizaine d’années », mais…