Construction : précisions sur la notion d’ouvrage immobilier avec une fonction industrielle (Cass, 4 avril 2019)

Commentaire de Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 4 avril 2019, 18-11.021, Publié au bulletin – Par Me Valentine SQUILLACI, avocat of counsel – Green Law Avocats La notion juridique « d’ouvrage immobilier » conditionne l’application des règles relatives à la responsabilité sans faute des constructeurs et fait l’objet d’une jurisprudence abondante dès lors qu’elle n’est pas définie par le Code Civil. L’article 1792 du code civil dispose que le constructeur est responsable envers celui qui commande la réalisation de la construction (le maître d’ouvrage), pendant 10 ans à compter de la réception, des dommages affectant l’ouvrage, un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement indissociable. En l’absence de définition de ces notions, il est revenu au juge d’en esquisser les contours. Extension du champ de la garantie décennale La Cour de cassation, par un arrêt du 4 avril 2019 (Cass, 3e Civ., 4 avr.2019, n°18-11.021, n°290), poursuit un mouvement d’extension du champ de la garantie décennale par l’adoption d’une conception souple de l’ouvrage immobilier. En effet, elle y réaffirme la notion d’ouvrage immobilier participant à une fonction industrielle. En l’espèce, différentes sociétés assurées au titre de la garantie décennale se sont vues confier la réalisation d’une installation de manutention de bobines d’aciers. Cette installation, composée d’une structure fixe et d’une structure mobile (pont roulant), permettait le déplacement des bobines d’un point à un autre de l’usine. Des désordres étant apparus, le maître d’ouvrage a diligenté une expertise qui a révélé des défauts de conception rendant l’ouvrage impropre à sa destination. Il a donc engagé la responsabilité des différents intervenants afin d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices. La cour d’appel qualifie l’installation d’ouvrage immobilier, ce qui induit l’engagement de la responsabilité des maîtres d’œuvres au titre de la garantie décennale ainsi que la garantie de leurs assureurs responsabilité décennale respectifs. Ces derniers, pourvus en cassation, s’attachent à démontrer que l’installation litigieuse est un élément d’équipement « dont la fonction est purement industrielle ». En effet, avant la réforme de l’assurance-construction opérée par l’ordonnance du 9 juin 2005 et l’introduction de l’article 1792-7, excluant du champ de la responsabilité décennale « les équipements dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage », la jurisprudence avait, de son propre chef, exclu les process industriels du champ d’application de la garantie décennale (Cass, 3e Civ., 4 nov. 1999, 98-12.510, Bull). Les tribunaux considéraient en effet que la défaillance de l’outil de travail compromet l’activité de l’entreprise, mais sans avoir d’incidence sur l’usine qui l’abrite et qui continue à remplir sa fonction d’ »ouvrage ». Ainsi, les juges excluaient du régime de la responsabilité décennale et de l’assurance obligatoire les dommages atteignant les éléments d’équipement exclusivement professionnels, au motif que ces éléments ne sont pas destinés à répondre aux contraintes d’exploitation et d’usage de l’ouvrage. C’est pourquoi les auteurs du pourvoi avaient intérêt à soutenir que l’installation défectueuse constituait un élément d’équipement industriel ne pouvant pas être assimilé à un ouvrage. Ces derniers ont ainsi fait valoir devant la Cour que  : L’installation avait pour finalité la manutention des colis, sa fonction exclusive est donc de permettre l’exercice d’une activité professionnelle ; De surcroît, l’installation fixe pouvait être ôtée ou déplacée sans détériorer le bâtiment ou compromettre son usage. La cour de cassation rejette les arguments des maîtres d’œuvre « ayant relevé que les travaux confiés à la société Couturier concernait des travaux de charpente métallique, couverture, bardage, création de poutres et poteaux métalliques, […] la cour d’appel, qui, motivant sa décision et répondant aux conclusions prétendument délaissées, a pu en déduire, […], que cette installation constituait un ouvrage et que son ancrage au sol et sa fonction sur la stabilité de l’ensemble permettaient de dire qu’il s’agissait d’un ouvrage de nature immobilière, a légalement justifié sa décision de ce chef ; »   Un ouvrage immobilier à fonction industrielle Pour qualifier le bien d’ouvrage immobilier en dépit d’une fonction industrielle affirmée, la cour a recours à la réunion de trois critères : ancrage au sol, importance des travaux et participation de l’installation à l’intégrité de la structure. Un ouvrage immobilier se définit classiquement par l’existence d’un ancrage au sol ou au sous-sol ayant nécessité des travaux de fondation ou d’implantation. C’est en l’espèce ce que retient la cour qui rappelle que « l’ensemble charpente-chemin de roulement était constitué d’une structure fixe ancrée au sol, dont l’ossature reposait sur des poteaux fixes érigés sur des fondations en béton […] ». L’ampleur des travaux semble également avoir été retenue par la Cour afin de qualifier l’ouvrage immobilier : « Mais attendu qu’ayant relevé que les travaux confiés à la société C…concernaient des travaux de charpente métallique, couverture, bardage, création de poutres et poteaux métalliques […] ». L’énumération de ces différents travaux nécessaires à la construction met l’accent sur leur importance. Cette solution est à rapprocher d’un cas à l’occasion duquel la cour avait qualifié d’ouvrage immobilier une canalisation de six kilomètres en dépit de l’absence d’ancrage au sol (Cass. 3e civ., 19 janv. 2017, n° 15-25.283, Bull.). La cour retient enfin la participation de l’installation à l’intégrité de la structure afin de lui reconnaitre la nature d’ouvrage immobilier. En l’espèce, l’installation litigieuse, en sus d’être ancrée au sol, remplissait une fonction au regard de la stabilité de la charpente du bâtiment, ce qui permet à la cour d’écarter la qualification d’élément d’équipement à vocation industrielle. Ici, la Cour de cassation applique une acception stricte de cette notion, acception qui correspond d’ailleurs au texte de l’article 1792-1 issu de la réforme de 2005, donc postérieur aux faits de l’espèce. En effet, l’article 1792-7 dispose que « ne sont pas considérés comme des éléments d’équipement d’un ouvrage […] les éléments d’équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage. » Or en l’espèce, il ressort de la motivation de la cour de cassation que l’installation ne remplissait pas une fonction exclusivement industrielle. La réunion de ces trois critères permet ainsi d’exclure la qualification d’élément d’équipement à vocation industrielle.   Cette solution ou cette méthode d’appréciation de la nature…

Construction: Garantie décennale, assurance obligatoire et dommages aux existants : la tentative de clarification du Sénat par le projet de loi ELAN adopté le 25 juillet 2018

Par Me Valentine SQUILLACI- Avocat (GREEN LAW AVOCATS) Il y a maintenant un an, la Cour de Cassation a créé la surprise sur une question juridique intéressant le domaine de la construction. La Haute juridiction retenait alors que « les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (Cass. 3e civ., 15 juin 2017, n° 16-19.640 confirmé par Civ. 3e, 29 juin 2017, n° 16-16.637, Cass. 3e civ., 14 sept. 2017, n° 16-17.323) En d’autres termes, la garantie décennale n’est donc plus uniquement due par le constructeur d’un ouvrage mais par toute personne intervenant sur un ouvrage pour y installer un élément d’équipement, dissociable ou non (installateur d’une pompe à chaleur, d’une cheminée …) et s’étend aux dommages affectant l’ouvrage existant, dès lors qu’ils rendent ce dernier impropre à sa destination. Afin de tenter de limiter leur garantie dans une telle hypothèse, les assureurs de responsabilité décennale ont invoqué les dispositions de l’article L243-1-1 II) du Code des assurances qui excluent du champ de l’assurance obligatoire les « ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles. » Créant à nouveau la surprise, la Cour de Cassation s’est alors fondée quelques mois plus tard sur une application littérale du texte et a considéré que ces dispositions « ne sont pas applicables à un élément d’équipement installé sur existant » (Cass. 3e civ., 26 oct. 2017, n° 16-18.120).   La Cour de Cassation considère donc aujourd’hui que les dommages aux existants (incorporés ou non) sont couverts par l’assurance obligatoire de responsabilité décennale dès lors qu’ils résultent de l’installation d’un équipement sur existant, et non de la construction d’un ouvrage. Cette position de la Cour de Cassation crée en pratique deux séries de difficultés : D’une part, les simples installateurs d’équipements qui ignorent être désormais tenus à la garantie décennale s’exposent à des poursuites pénales, le défaut de souscription d’une telle assurance étant un délit en application de l’article L243-3 du Code des assurances ; D’autre part, du point de vue des assureurs, le prisme des dommages couverts au titre de l’assurance obligatoire est significativement élargi puisqu’il s’étend désormais aux désordres ayant pour origine un élément d’équipement dissociable d’origine ou installé sur existant. On imagine donc que le lobby des assureurs a activement œuvré pour obtenir une réponse législative à cette « dérive » jurisprudentielle… C’est ainsi que le 25 juillet 2018 le Sénat a adopté le « Projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique » (disponible ici), dit « ELAN », qui prévoit notamment une nouvelle rédaction de l’article L.243-1-1 II) du Code des assurances en ces termes : « II. – Les assurances obligatoires prévues aux articles L. 241‑1, L. 241‑2 et L. 242‑1 ne sont pas applicables et ne garantissent pas les dommages, aux existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles. » La modification est subtile et il n’est pas certain qu’elle sera de nature à modifier la position de la Cour de Cassation… Bien que cette dernière n’ait pas expliqué pourquoi, selon elle, les dispositions de l’article L.243-1-1 II) du Code des assurances « ne sont pas applicables à un élément d’équipement installé sur existant », on peut imaginer que c’est dans la mesure où ce texte évoque un « ouvrage neuf ». Or, cette référence n’a pas été supprimée par le Sénat. Il convient donc de suivre attentivement le travail de la commission mixte paritaire qui a été convoquée après la première lecture du texte par les deux assemblées.

Moulin ayant un droit fondé en titre : reconnaissance de puissance après expertise judiciaire (TA Bordeaux, 1er février 2018- jurisprudence cabinet)

Par Me Fanny Angevin- GREEN LAW AVOCATS Par un jugement en date du 1er février 2018 (jurisprudence cabinet), le Tribunal administratif de Bordeaux a donné raison à un exploitant d’un moulin et a reconnu après une expertise judiciaire une puissance de 628 kW au moulin fondé en titre, équipé d’une micro-centrale hydroélectrique, situé en région Nouvelle Aquitaine. Dans cette affaire, le propriétaire du moulin s’était vu refuser une demande de reconnaissance de la puissance fondée en titre de son moulin à hauteur de 409 kW. Il avait dès lors contesté le refus de l’administration de reconnaître cette puissance. Par un jugement avant dire droit, le Tribunal administratif de Bordeaux a d’abord ordonné que soit menée une expertise en vue de déterminer la consistance du droit fondé en titre du moulin. Cette expertise a évalué la consistance légale attachée au moulin du requérant à 628 kW. Au vu des conclusions du rapport d’expertise, le Tribunal administratif rappelle tout d’abord que la détermination de la puissance fondée en titre s’opère au regard de la hauteur de la chute d’eau et du débit du cours d’eau ou du canal d’amenée et que ce débit doit être apprécié au niveau du vannage d’entée, en aval de ce canal. Puis le Tribunal souligne ensuite que la consistance légale d’un droit fondé en titre s’apprécie selon la puissance maximale dont il peut en théorie disposer et non pas en fonction de la force utile de l’ouvrage : « Considérant qu’un droit fondé en titre conserve la consistance qui était la sienne à l’origine ; qu’à défaut de preuve contraire, cette consistance est présumée conforme à sa consistance actuelle ; que celle-ci correspond, non à la force motrice utile que l’exploitant retire de son installation, compte tenu de l’efficacité plus ou moins grande de ses équipements, mais à la puissance maximale dont il peut en théorie disposer ; que dans le cas où des modifications de l’ouvrage auquel ce droit est attaché ont pour effet d’accroître la force motrice théoriquement disponible, appréciée au regard de la hauteur de la chute d’eau et du débit du cours d’eau ou du canal d’amenée, ces transformations n’ont pas pour conséquence de faire disparaître le droit fondé en titre, mais seulement de soumettre l’installation au droit commun de l’autorisation ou de la concession pour la partie de la force motrice supérieure à la puissance fondée en titre » (voir sur ce point les conclusions éclairantes de M. Xavier de Lesquen dans l’affaire CE, 16 décembre 2016, n°393293). L’administration contestait pourtant les apports du rapport d’expertise et produisait au soutien de ses affirmations une étude critique de l’IRSTEA (Institut national de recherche en science et technologies pour l’environnement et l’agriculture), réalisée postérieurement aux opérations d’expertise. A ce sujet, le Tribunal administratif de Bordeaux a estimé que cette étude ne présentait pas de caractère contradictoire et que les moyens soulevés dans l’étude ne permettaient pas de remettre en cause les estimations réalisées par l’expert dans son rapport.   Le Tribunal administratif de Bordeaux a donc fixé la consistance légale du moulin fondé en titre à hauteur de 628 kW.   Cette décision est particulièrement intéressante pour les propriétaires de moulins fondés en titre. Bien qu’une expertise ait eu lieu et eu pour effet de rallonger la procédure, ce jugement démontre une méthodologie précise de la juridiction quant aux modalités de calcul de la consistance légale et reste un signe positif pour les propriétaires de moulins cherchant à faire reconnaître la puissance de leur ouvrage. Il souligne la nécessité d’inscrire les démarches administratives dans un cadre non seulement juridique strict, mais plus encore d’appuyer les critères juridiques de démonstrations techniques.

Risques naturels: Force majeure et exclusion de la responsabilité du fait de l’ouvrage public en raison d’une conjonction exceptionnelle d’évènements (CE, 15 nov.2017)

Par Me Fanny Angevin- Green Law Avocats Par une décision en date du 15 novembre 2017 n°403367, le Conseil d’Etat a adopté une interprétation extensive du cas de la force majeure. Cette décision revient sur les fortes pluies ayant eu lieu du 30 novembre au 3 décembre 2003 dans la vallée du Rhône et qui ont entraîné des crues du Rhône de grande ampleur, tout particulièrement dans le secteur de la Commune d’Arles. La théorie de la force majeure découle du code civil et notamment des articles 1231-1 et 1351 du code civil (anciens articles 1147 et 1148 du code civil). Cette théorie est exonératoire de responsabilité, tant dans le système de responsabilité civile qu’administrative. Elle a pour effet de rompre le lien de causalité entre une faute commise et un préjudice subi. Trois éléments doivent être réunis afin qu’un cas de force majeure soit retenu : l’extériorité, l’irrésistibilité et l’imprévisibilité du ou des évènements. Dans l’affaire présentée devant le Conseil d’Etat, le remblai de la voie ferrée historique Paris-Lyon-Marseille avait un rôle de protection contre les inondations. En 1980, la SNCF a modifié l’ouvrage en y creusant trois trémies afin de permettre le passage de la circulation automobile sous des ponts-rails. Les trois trémies percées par la SNCF ont cédé le 3 décembre 2003 à la suite des fortes précipitations ayant affecté les eaux du Rhône. La crue a ainsi inondé des quartiers des communes de Tarascon et d’Arles pendant plusieurs semaines. A la suite de ces inondations, des requérants ont souhaité engager la responsabilité de l’Etat, de la SNCF Réseau et SNCF Mobilités au titre de vices de conception et du défaut d’entretien des ouvrages ferroviaires. Ces demandes avaient été rejetées par le Tribunal administratif de Marseille par un jugement du 23 juin 2014, puis par la Cour administrative d’appel de Marseille dans une décision en date du 7 juillet 2016 (n°14MA03622). Les requérants se sont ensuite pourvus en cassation et demandaient au Conseil d’Etat d’effectuer un contrôle de la qualification juridique retenue, à savoir si les faits de l’espèce présentaient bien un cas de force majeure, exonérant les défendeurs de responsabilité. Le Conseil d’Etat répond par l’affirmative et rejette par conséquent le pourvoi des requérants : « […] eu égard à l’ensemble des éléments qu’elle a ainsi relevés, la cour, dont l’arrêt est suffisamment motivé, n’a commis ni erreur de droit ni erreur de qualification juridique en jugeant qu’une conjonction exceptionnelle de phénomènes de grande intensité s’était produite qui présentait un caractère imprévisible et irrésistible et qui caractérisait un cas de force majeure ; » (CE, 15 novembre 2017, n°403367). Néanmoins, à l’analyse, la qualification d’un cas de force majeure ne paraît pas si évidente, comme l’avait pertinemment souligné le Rapporteur public dans cette affaire (Conclusions de Monsieur le Rapporteur Public Olivier Henrard, CE, 15 novembre 2017, n°403367). Il convient, tout d’abord, de revenir sur la condition d’imprévisibilité de l’évènement. Ce critère du cas de force majeure en matière d’inondations n’est retenu que lorsqu’un retour de l’évènement ou son occurrence première n’est pas prévisible. Ainsi, une crue sur un cours d’eau atteignant un niveau déjà connu n’est pas imprévisible (CE, 4 avril 1962, Min. des Travaux publics c/ Sté des d’Armagnac, n°49258). Il en est de même pour une inondation, quelle qu’ait été la violence de la crue qui l’a provoquée, dès lors que plusieurs crues avaient entrainé l’inondation de terrains dans un même secteur (CAA Lyon, 13 mai 1997, n°94LY00923, 94LY01204, voir également en ce sens CE, 12 mars 2014, n°350065 et CE, 13 novembre 2009, n°306992). Cependant, la survenance de plusieurs facteurs qui n’étaient pas imprévisibles isolément, mais dont la conjonction a provoqué le dommage, peut être assimilée à un cas de force majeure (CE, 27 mars 1987, n°590939). Ainsi, ont pu être considérés comme constituant un cas de force majeure, des pluies diluviennes et d’une crue de deux torrents, évènements isolements non imprévisibles, mais dont la conjonction, en raison de l’intensité, peut être assimilée à un cas de force majeure (CE, 6 juillet 2015, n°373267). Dans le cas présent, en l’espace d’un siècle et demi, trois crues comparables avaient eu lieu sur la même zone et durant la décennie précédant la crue de 2003, six crues avaient dépassé le niveau de la crue décennale théorique. La SNCF ne contestait d’ailleurs pas avoir pour projet de conforter ses merlons afin de les rendre plus résistants aux crues. Par conséquent, le caractère imprévisible de la crue était très discutable. Mais c’est en réalité sur le caractère exceptionnel de la conjonction de plusieurs évènements que le Conseil d’Etat a fondé sa décision. En effet, la Haute juridiction relève qu’il convient de caractériser la réunion d’évènements de cas de force majeure en raison de la conjonction de précipitations d’une ampleur exceptionnelle, d’une tempête marine qui a freiné le déversement des eaux du Rhône et enfin d’un débit (bien qu’il soit inférieur à une crue de 1840) ainsi que d’un niveau d’eau provoqués par la crue particulièrement importants. Le Rapporteur public dans ses conclusions sur cette affaire, différait quant à cette interprétation de la Cour administrative d’appel que le Conseil d’Etat a confirmé. En effet, le Rapporteur public soulignait qu’ « il n’est pas contesté que les merlons ont cédé dès le début de la soirée du 3 décembre et que les eaux du Rhône se sont engouffrées dans les brèches du remblai ferroviaire à l’aube du 4 décembre » (Conclusions de Monsieur le Rapporteur public Olivier Henrard, CE, 15 novembre 2017, n°403367). Le Rapporteur public indiquait tout particulièrement que « La tempête, en revanche, ne s’est levée qu’au cours de la nuit pour atteindre son paroxysme à 7 heures du matin, alors que les quartiers Nord de la ville d’Arles étaient déjà inondés. Le rapport rendu par le collège d’experts ne retenait aucune contribution du phénomène marin à l’ampleur des inondations. » (Conclusions de Monsieur le Rapporteur public Olivier Henrard, CE, 15 novembre 2017, n°403367). Ainsi, le Rapporteur public rappelait que la qualification de force majeure est en principe d’interprétation restrictive et que dès lors qu’il…

Immobilier: Un système de chauffage avec système de pompe à chaleur est un « ouvrage », protégé par la garantie décennales au sens de l’article 1792 du Code civil

Aurélien BOUDEWEEL- Green Law Avocat   Par un arrêt en date du 22 novembre 2016, la Cour d’appel de GRENOBLE (CA GRENOBLE, 22 novembre 2016, 1ère civile, n°14/02120) a considéré que l’installation d’une pompe à chaleur est bien un ouvrage au sens de l’article 1792 du Code civil, ce qui emporte un système de garantie intéressant. En l’espèce, des particuliers avaient selon devis d’une société spécialisée dans la matière confié le remplacement de leur chauffage central au gaz par une installation de chauffage par géothermie verticale avec une pompe à chaleur, devant fonctionner avec des capteurs solaires. Les travaux ont été entièrement achevés le 2 octobre 2008 et réglés pour la somme de 12.897,38 euros. Postérieurement, et devant la survenance de désordres, les particuliers avaient assigné l’assureur de la société, entre-temps placée en liquidation judiciaire, afin que soit ordonnée une mesure d’expertise judiciaire. Devant le refus d’intervention de l’assureur, les particuliers avaient assigné cette dernière au titre de la garantie décennale. Par un jugement en date du 20 mars 2014, le Tribunal de grande instance de GRENOBLE avait d’abord débouté les particuliers de leurs demandes. La Cour d’appel de GRENOBLE vient cependant de leur donner raison. Rappelons que l’article 1792 du Code civil énonce que « Tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n’a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d’une cause étrangère ». La mise en jeu de la garantie décennale prévue par l’article 1792 du Code civil suppose la démonstration de trois éléments cumulatifs : L’existence d’un « ouvrage » au sens juridique du terme, La réception de cet ouvrage, Une atteinte à la solidité ou d’une impropriété à sa destination. La Cour d’appel de GRENOBLE a donc réformé le jugement et a retenu la qualification d’ouvrage. On notera qu’elle prend en compte L’importance technique de l’installation, La complexité du circuit et le nombre de circuits, Une analyse préalable des besoin du client, L’intervention de bureaux d’études spécialisés Le montant des travaux, L’objectif poursuivi par les travaux. « (…) A titre liminaire, la cour observe, qu’en première instance, la société X ne contestait pas que la pompe à chaleur litigieuse constituait un ouvrage au sens de l’article susvisé. En l’espèce, les travaux réalisés par la société Y, visant à remplacer totalement le chauffage initial au gaz propane, au regard, de première part, de l’importance technique de l’installation constituée de deux circuits, d’un plancher chauffant en rez de chaussée, de radiateurs au premier étage, d’une pompe à chaleur avec raccordement aux sondes géothermiques au passage du mur et raccordement au kit solaire avec circulateur, nécessitant une analyse des besoins des utilisateurs et une adéquation à ces derniers avec intervention d’un bureau d’étude thermique et fluide outre un maître d’œuvre, de seconde part, du coût élevé des travaux, soit la somme de12.897,38€, et, enfin, de l’objectif d’assurer le chauffage de l’ensemble de l’immeuble, doivent être considérés comme un ouvrage de construction au sens des dites dispositions (…) ». Puis la Cour tire les conséquences du cadre juridique ainsi rappelé, en retenant que le dysfonctionnement rend l’ouvrage impropre à sa destination : « Aux termes de l’article 1792-6 du Code Civil, la réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserve. Si aucun procès-verbal de réception n’a été établi par écrit et signé entre les parties, il ressort des pièces du dossier que l’ouvrage a été réalisé dans son intégralité, qu’il a été mis en fonctionnement et que le maître d’ouvrage avait réglé, au moment de sa livraison, la totalité du prix. Ces éléments caractérisent l’existence de la volonté non équivoque des maîtres de l’ouvrage de le recevoir. A la date d’achèvement des travaux, malgré une mise en route laborieuse, le système de chauffage fonctionnait, de sorte qu’il doit être retenu qu’une réception tacite des travaux est intervenue, sans réserve, le 2 octobre 2008 (…) L’expert, qui conclut à la nécessité de faire réaliser une étude hydraulique et de régulation pour adapter la nouvelle installation géothermique à l’existant, retient le non-respect des règles de l’art dans la mise en œuvre de la pompe à chaleur, une négligence dans la direction et la surveillance des travaux et une imputabilité des désordres à la société Y. L’expert retient une impropriété du système de chauffage installé à sa destination, qui était d’assurer un chauffage satisfaisant dans l’habitation, sans consommation d’énergie excessive et sans surveillance de tous les instants des maîtres de l’ouvrage. Par voie de conséquence, la société Y engage sa responsabilité au titre de la garantie décennale. Le jugement déféré sera réformé sur ce point (…) ». L’arrêt de la Cour d’appel de GRENOBLE met en évidence la difficulté d’appréciation des juridictions du fond quant à la notion « d’ouvrage », laquelle est soumise à une appréciation souveraine au cas par cas. Notons toutefois qu’il est aujourd’hui admis que le système de climatisation installé dans un immeuble accueillant un parc des expositions constituait un ouvrage « par sa conception, son ampleur et l’emprunt de ses éléments d’équipement à la construction immobilière » (Cass. 3e civ., 28 janv. 2009, n° 07-20.891  : JurisData n° 2009-046846). Il en a été jugé de même pour « une pompe à chaleur dont l’installation impliquait des raccordements aérauliques et électriques et un ancrage de l’unité dans la structure de gros-œuvre » (CA Dijon, 21 avr. 2015, n° 13/01661 : JurisData n° 2015-012960). En revanche, l’installation d’une climatisation sur un immeuble existant a été vue comme relevant du régime de la responsabilité de droit commun, lorsqu’elle n’a pas nécessité de travaux particuliers. C’est également le cas dans l’hypothèse où une pompe à chaleur dont les éléments ne sont pas incorporés à l’existant mais reposent sur des supports et que leur pose a fait l’objet de travaux techniquement limités (CA Colmar, 17 févr. 2014, n° 14/0128  : JurisData n° 2014-002852). L’enjeu est important puisqu’une garantie…

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