Les polices environnementales : un enjeu pour les magistrats… et les avocats !

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) A l’heure où les magistrats disent s’organiser pour mener la grande croisade environnementale (L’association française des magistrats pour le droit de l’environnement et le droit de la santé environnementale – AFME – est née d’un groupe de discussion qui réunit 200 magistrats du siège et du parquet, dont quelques premiers présidents et procureurs généraux) et où le législateur se saisit de l’écocide, le Conseil d’Etat donne les grandes lignes d’une réformes des polices environnementales. Dans un rapport (téléchargeable ici) sur « les pouvoirs d’enquête de l’administration », paru le 6 juillet, la Haute juridiction prône un grand ménage dans les polices de l’environnement. Certes le rapport rappelle le travail déjà engagé en 2012 et poursuivi en 2016 par le législateur. ” L’ordonnance n° 2012‐34 du 11 janvier 2012 portant simplification, réforme et harmonisation des dispositions de police administrative et de police judiciaire du code de l’environnement, a défini un socle commun de dispositions applicables à 25 polices environnementales, qui présentent des caractères hétérogènes et sont mises en œuvre par de très nombreuses catégories d’agents. La refonte a été opérée selon le même parti légistique de séparation des dispositions relatives aux contrôles administratifs et à la police judiciaire que celle des livres II et IX du code rural et de lapêche maritime. Les dispositions antérieures reposaient sur des procédures propres à chaque police, certaines entièrement pénales (chasse, déchets), d’autres mettant en œuvre un corps unique de pouvoirs de contrôle pouvant aboutir, dans une situation donnée, à une combinaison de réponses administratives et judiciaires (installations classées). L’harmonisation des pouvoirs opérée en 2012 a été faite « par le haut », en consolidant des régimes de contrôle qui obéissaient à des logiques différentes ou procédaient de constructions ad hoc dans le cas des polices des déchets, de la lutte contre le bruit et des enseignes et pré‐enseignes. Ces pouvoirs ont été étendus par l’ordonnance du 10 février 2016 portant diversesdispositions en matière nucléaire aux inspecteurs de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et par la loi du 24 juillet 2019 portant création de l’office français de la biodiversité aux agents chargés des forêts qui, lorsqu’ils sont également investis de missions de police judiciaire en application du code de l’environnement, interviennent dans les conditions définies par le celui‐ci et non par le code forestier. Les dispositions de ce code relatives à la recherche et à la constatation des infractions, qui ne sont plus utilisées à une échelle significative, n’ont cependant pas été abrogées. ” (pp. 57-58 du rapport) Et finalement on constate que cette réforme ne laisse son autonomie réelle qu’au régime des contraventions de grande voirie, qui sanctionne avec tellement de singularité les atteintes au domaine public. Il est principalement mis en œuvre pour la protection du domaine public naturel. Il repose sur un simple pouvoir de constatation par procès‐verbal, complété par celui de relever l’identité des contrevenants dans le cas des agents chargés de la police des ports maritimes et du domaine public fluvial. Mais la plus haute juridiction administrative fait surtout cette critique cinglante du code de l’environnement : “70 catégories d’agents compétents pour rechercher et constater les infractions en matière environnementaleLes compétences pour la recherche et la constatation des infractions en matière environnementale sont définies par 28 articles du code de l’environnement, relatifs à 25 polices environnementales, qui visent chacun, outre les officiers de police judiciaire et les inspecteurs de l’environnement, jusqu’à 14 catégories d’agents – soit au total plus de 70 catégories, pour autant que ce nombre puisse être déterminé précisément, compte tenu de l’effet des renvois indirects à des listes fixées par d’autres textes – parfois abrogés – ou d’autres codes. Elles sont le résultat d’une stratification historique qui n’a jamais été réexaminée depuis la création de la plupart de ces polices, y compris lorsque les dispositions relatives aux pouvoirs de ces agents ont été harmonisées, en 2012. La justification de ces attributions de compétences a été oubliée. Il ne s’en dégage pas de logique d’intervention claire, même si l’on peut supposer que ces listes ont parfois été conçues, au fil de l’évolution des textes relatifs à ces différentes polices, en fonction d’une combinaison de critères tenant à la couverture territoriale, aux spécificités des milieux et à la complémentarité et à la connexité des expertises, ainsi qu’à une forte demande sociale de contrôle. Elles reflètent souvent un « saupoudrage » des compétences, conçu à des époques où les administrations spécialisées en matière environnementale n’avaient pas encore émergé. Si des chefs de file et des mécanismes de coordination existent désormais dans la plupart des cas, le ministère de la transition écologique ne dispose de données sur la mise en œuvre, de ces pouvoirs que pour certaines de ces catégories“. Et le Conseil d’Etat de préconiser le regroupement dans les rubriques suivantes, autour de logiques d’intervention communes, qui peuvent également se rattacher aux différents livres du code de l’environnement : ” 1° (Livre II) Police de l’eau et des milieux aquatiques, relevant des inspecteurs de l’environnement des DDTM et de l’Office français de la biodiversité,2° (Livre II) Polices des pollutions en mer811 , relevant du contrôle des affaires maritimes, et de façon incidente des autres capacités maritimes de l’Etat (marine nationale, douanes, Ifremer) et des officiers des ports,3° (Livre III) Polices des espaces naturels (littoral, parcs nationaux, réserves naturelles, sites, circulation motorisée dans les espaces naturels), exercées par les agents des établissements chargés de leur conservation, par les agents des DREAL et par les agents chargés de la police du domaine public (DDTM),4° (Livre IV) Protection de la faune et de la flore (accès aux ressources génétiques, espèces protégées, chasse, pêche), exercée par l’Office français de la biodiversité, par les agents des établissements chargés des espaces naturels et de l’ONF, et sur certains enjeux par les agents des douanes, avec les gardes champêtres, les gardes particuliers et les agents de développement des fédérations de chasse et de pêche,5° (Livre IV, se substituant au code forestier) Police de la forêt, relevant de l’Office national des forêts, des DDTM…

ICPE défaillante : vers une présomption du préjudice écologique ?

Par Maître Sébastien BECUE, Avocat of Counsel (Green Law Avocats) Par une ordonnance statuant sur l’action civile en date du 22 juin 2020, publiée par Actu-environnement, le Tribunal judiciaire de Pau a condamné la société SOBEGI, qui traite les gaz résiduaires rejetés par les exploitants des plateformes du bassin de Lacq, à verser à l’association SEPANSO PYRENEES ATLANTIQUES : 10.000 euros de dommages et intérêt en réparation du préjudice écologique et 5.000 euros en réparation du préjudice environnemental collectif La SOBEGI avait été condamnée le 24 février 2020 à une amende de 20.000 euros, par le même Tribunal, pour non-satisfaction, pendant presqu’une année et demi, d’une mise en demeure de respecter le seuil d’émission de poussière prescrit dans son arrêté préfectoral d’exploitation de son installation classée pour la protection de l’environnement (I.C.P.E.). Comme toutes les décisions en la matière, finalement assez rares, la lecture du jugement ouvre des questions passionnantes. Sur la réparation du préjudice écologique, préjudice matériel, objectif, résultant de l’atteinte à l’environnement Pour mémoire, l’article 1247 du code civil, sur lequel se fonde notamment le Tribunal, prévoit que, pour être qualifié de préjudice écologique et être réparable, l’atteinte à l’environnement doit constituer : une atteinte non négligeable ; aux éléments et aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement. Si la qualification juridique opérée par le Tribunal n’est pas très explicite, il n’en reste pas moins qu’on trouve dans les développements une caractérisation de ces exigences. Le Tribunal commence par rappeler que les enquêtes de la DREAL et de la gendarmerie n’ont pas permis d’établir un lien de causalité entre les nuisances ayant justifié la plainte de l’association et les émissions. Il aurait pu en conclure que la condition relative à l’existence d’une atteinte n’est pas remplie, précisément parce que la preuve de l’existence d’un atteinte sur l’environnement ou la santé humaine n’a pas été rapportée. Mais ce n’est pas le cas : à l’inverse, le Tribunal caractérise l’existence d’un préjudice écologique, et donc d’une atteinte sur l’environnement ou la santé humaine : d’une part, du fait du non-respect, avéré, du seuil d’émission de poussières, seuil dont il rappelle qu’il a « bien été fixé pour protéger l’environnement et la santé humaine ». Ce non-respect a donc, par lui-même, et « de toute évidence, des conséquences sur l’environnement » ; et, d’autre part, du fait de l’ampleur de du dépassement du seuil : jusqu’à 60 fois le seuil d’émission autorisé ! Notons que cette prise en compte l’ampleur du dépassement permet aussi de s’assurer du caractère non-négligeable de l’atteinte. Doit-on s’étonner que le Tribunal condamne sans avoir vérifié l’existence d’un lien de causalité prouvé entre le dépassement du seuil et une atteinte particulière à l’environnement ou à la santé humaine ? A notre sens, non, le Tribunal condamne l’exploitant pour une pollution de l’environnement objectivement démontrée : une introduction extrêmement importante de poussières dans l’atmosphère. Peu importe de savoir, et c’est là tout l’intérêt de la notion du préjudice écologique, si cette introduction a eu un impact objectivable sur l’homme ou sur toute autre composante de l’environnement. Que penser de l’évaluation à  au doigt mouillé, à 10.000 euros du préjudice écologique résultant de l’émission de poussières dans l’atmosphère ? Rappelons que le Tribunal était tenu, dès lors qu’il avait reconnu l’existence d’un préjudice écologique, de le chiffrer. C’est en effet qu’a jugé la Cour de cassation dans le cadre d’un arrêt censurant la Cour d’appel de Rennes qui avait décidé de ne pas indemniser l’association partie civile au motif que cette dernière n’avait pas rapporté de chiffrage convaincant d’évaluation du préjudice, alors « qu’il lui incombait de chiffrer, en recourant, si nécessaire, à une expertise, le préjudice écologique dont elle avait reconnu l’existence, et consistant en l’altération notable de l’avifaune et de son habitat, pendant une période de deux ans, du fait de la pollution de l’estuaire de la Loire » (Crim., 22 mars 2016, n°13-87.650). Cette évaluation à 10.000 euros du préjudice est non justifiée méthodologiquement. Mais c’est parfaitement logique, dès lors qu’il n’existe pas encore de proposition méthodologique précise d’évaluation de ce type de préjudice, contrairement à la mortalité piscicole par exemple. Est-ce qu’une expertise aurait été utile ? Difficile à dire… Précisons encore qu’en l’espèce la violation d’une prescription de l’arrêté d’autorisation après mise en demeure permet d’escamoter le débat sur l’autonomie de la responsabilité pour dommage écologique : selon les exigences du droit commun, la faute se déduit naturellement du non respect de la prescription de police et surtout de la mise en demeure. Mais l’ordonnance aurait gagné à être plus explicite sur ce point car l’on sait que certains considèrent l’article 1246 du code civil (“Toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer”) créé par l’article de la la loi sur la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, comme ayant institué un nouveau régime de responsabilité sans faute, du seul fait d’une atteinte à l’environnement. Sur la réparation du préjudice environnemental collectif, préjudice moral, résultant de l’atteinte à l’environnement Le Tribunal reprend directement dans le jugement la définition du préjudice environnemental collectif issue de la nomenclature du professeur NEYRET, à savoir : « les atteintes portées à des intérêts humains dépassant la somme des intérêts individuels et qui nuisent à la défense de l’environnement sous ses différents aspects ». Puis le Tribunal, pour répondre à l’argumentation en défense : rappelle que l’association a bien fourni des efforts destinés à lutter contre la pollution résultant du dépassement de seuil d’émission de poussières, en participant aux instances de surveillance du bassin de Lacq et en ayant porté plainte à l’encontre de l’exploitant ; et qu’en conséquence l’exploitante doit verser à l’association une somme de 5.000 euros en réparation du « préjudice environnemental collectif ». Il nous semble que le Tribunal commet une erreur en s’intéressant à l’action de l’association pour caractériser l’existence d’un « préjudice environnemental collectif », dès lors que, comme le rappelle le professeur NEYRET, celui-ci concerne l’atteinte portée aux intérêts humains, au-delà des intérêts individuels – et donc en l’espèce au-delà de l’intérêt de l’association. Si ce préjudice…

Mesures conservatoires en cas de pollution d’un cours d’eau : le JLD n’a pas à exiger la démonstration préalable d’une faute pénale

Par maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Par un arrêt en date du 28 janvier 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation (Cass. Crim, 28 janvier 2020, n°19-80.091) : opte pour une interprétation de l’article L. 216-13 du Code de l’environnement en nette faveur de la protection de l’environnement, et au détriment de l’exploitant s’agissant des mesures conservatoires susceptibles d’être prononcées par le juge des libertés et de la détention (JLD) en matière de pollution des eaux. L’affaire portée devant la Haute-Juridiction concernait la pollution du cours d’eau « La Brévenne », relevée en juillet 2018 à hauteur d’une station de traitement et d’épuration dont l’exploitation avait été confiée par un syndicat intercommunal à la société Suez Eau France. L’enquête pénale révélant une pollution des eaux supérieure aux normes règlementaires, le Procureur de la République, sur demande d’une fédération, avait saisi le JLD sur le fondement de l’article L. 216-13 du code de l’environnement d’une requête tendant au prononcé de mesures conservatoires à l’encontre de l’exploitant lui enjoignant de cesser tout rejet dans le milieu aquatique dépassant les seuils fixés. Le JLD ayant fait droit à cette requête pour une durée de six mois, le syndicat intercommunal et la Société Suez Eau France ont interjeté appel. Ces derniers ont alors obtenu du Président de la chambre de l’instruction la suspension par ordonnance de l’exécution de la décision du JLD en application du dernier alinéa de l’article L. 216-13 du Code de l’environnement, puis l’infirmation de l’ordonnance prononçant les mesures conservatoires par un arrêt du 9 novembre 2018, décision objet du pourvoi en cassation formé par la fédération. A ce stade, rappelons qu’en matière de mesures conservatoires, l’alinéa premier de l’article L. 216-13 permet au Procureur de la République, agissant d’office ou à la demande de l’autorité administrative, de la victime ou d’une association agrée de protection de l’environnement, de saisir le JLD d’une requête en cas de non-respect des articles L. 181-12, L. 211-2, L. 211-3 et L. 214-1 à L. 214-6 du Code de l’environnement tendant au prononcé de toute mesure utile, y compris la suspension ou l’interdiction des opérations menées en infraction à la loi pénale. La loi n°2016-1087 dite « loi Biodiversité » a d’ailleurs modifié ces dispositions, portant la durée maximale des mesures utiles pouvant être ordonnées par le juge à un an au lieu de trois mois, précisant que ces mesures portent sur « les opérations menées en infraction à la loi pénale » et non plus sur « l’activité en cause ». Clé de lecture de l’arrêt commenté, ces mesures conservatoires sont susceptibles d’être prononcées à l’encontre des personnes physiques et personnes morales « concernées » par ces opérations menées en infraction à la loi pénale.   A cet égard, la chambre de l’instruction avait infirmé l’ordonnance du JLD à la suite d’une analyse « géographique » sinon ‘codistique’ de l’article L. 216-13. En effet, les juges d’appel avaient relevé que ces dispositions étaient insérées dans le Code de l’environnement au sein d’une sous-section 2 intitulée « sanctions pénales », elle-même figurant dans une section 2 « dispositions pénales » d’un chapitre VI consacré aux « contrôles et sanctions » du titre du Code de l’environnement relatif à l’eau et aux milieux aquatiques et marins. De cette localisation de l’article L. 216-13, la chambre de l’instruction en avait déduit que le JLD ne pouvait prononcer des mesures conservatoires sur le fondement de ces dispositions qu’après avoir nécessairement démontré la commission par les personnes concernées d’une faute de nature à engager leur responsabilité pénale. Autrement dit, parce que ces dispositions figuraient au sein d’une sous-section intitulée « sanctions pénales », les juges d’appel en avaient déduit que la démonstration de l’imputabilité de l’infraction aux personnes concernées était une condition préalable obligatoire au prononcé de mesures conservatoires. Cette lecture est censurée par la chambre criminelle, qui préfère, elle, adopter une interprétation à la fois autonome et téléologique de l’article L. 216-13 en faveur de la protection de l’environnement : Sans tenir compte de la localisation de l’insertion de ces dispositions, la Cour de cassation considère à l’inverse que le prononcé, lors d’une enquête pénale, de mesures conservatoires par le JLD destinées à faire cesser une pollution ou à en limiter les effets n’est pas subordonné à la caractérisation d’une faute de la personne concernée de nature à engager sa responsabilité pénale. Favorable à la protection de l’environnement, la solution n’est pas étonnante, et ce pour plusieurs raisons : – En premier lieu, rappelons que la loi pénale est d’interprétation stricte (art. L. 111-4 du Code pénal). Rapporté à cette décision, la démonstration d’une imputabilité apparaît rapidement comme une condition excessive lorsque le texte évoque comme potentiels sujets au prononcé de mesures conservatoires les « personnes concernées ». Partant, cette condition d’imputabilité aurait pu paraître admissible si le texte avait plutôt visé, par exemple, les personnes « en cause ». – En deuxième lieu, et surtout, la solution retenue par la chambre criminelle se fonde sur une interprétation autonome qui se veut conforme à l’esprit de ces dispositions. Pour cause, dans sa décision, la Cour rappelle la finalité du prononcé de mesures conservatoires, à savoir faire cesser une pollution dans un but de préservation de l’environnement et de la sécurité sanitaire. Fondamentalement provisoires, des mesures conservatoires poursuivent donc une finalité préventive et non répressive. Ajouté à cela que ces dernières répondent à une situation d’urgence, il était donc profondément incohérent vis-à-vis du sens et de la portée du texte de faire dépendre leur prononcé de la démonstration d’une faute de nature à engager la responsabilité pénale de la personne concernée, elle inscrite dans une temporalité nettement différente. – Enfin, en troisième et dernier lieu, la lecture censurée  s’avérait d’une rigueur juridique discutable. Pour cause, accorder une telle importance à cette interprétation dans un contexte d’inflation législative, conduisant à des insertions parfois hasardeuses de dispositions, fragilisait nettement la solution retenue par la chambre de l’instruction. Reste que comme souvent cette lecture environnementale de  la loi se fait au détriment des exploitants pouvant se voir, à l’instar de la société Suez Eau France et du SIVU, imposer des mesures conservatoires à l’occasion d’une…

Le droit répressif des ICPE en pratique : le bilan critique du CGEDD

Par Maître Ségolène REYNAL (Green Law Avocats) Le Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD) a commis un rapport sur l’utilisation des sanctions introduites par l’ordonnance n°2012-34 du 11 janvier 2012 réformant la police de l’environnement, dont le texte est entré en application le 1er juillet 2013. Le Conseil fait trois constatations. I/ L’ordonnance 2012-34 a fait évoluer le régime juridique de façon majeure Avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance il existait 27 polices spéciales de l’environnement. Cette multiplicité de dispositions illustrait un manque de cohérence. C’est pourquoi l’ordonnance n°2012-34 a procédé à l’harmonisation de ces législations en renforçant les outils visant à réprimer des situations irrégulières qui conduisent à des atteintes à l’environnement et/ou faussent la concurrence entre les entreprises. Son objectif est de simplifier, réformer et unifier les dispositions de police administrative et judiciaire du Code de l’environnement. L’ordonnance a introduit de nouvelles sanctions : au plan administratif l’amende et l’astreinte administrative, et au plan pénal la transaction pénale et l’audition pénale (introduite par l‘article L.172-8 du Code de l’environnement, lui-même visé par l’ordonnance). La circulaire de la DGPR du 19 juillet 2013 en fixe les conditions d’application. Que ce soit par sa nature ou par sa taille, chaque ICPE appelle des pratiques et des choix de sanctions appropriés. En élargissant la palette des sanctions possibles, l’ordonnance marque une avancée dans la capacité d’adaptation de l’action publique. Rappelons que le contrôle des ICPE est opéré soit de manière planifiée soit sur plainte. Les visites conduisent à des constats qui sont classables en trois catégories : les infractions délictuelles, les non conformités aux prescriptions et le manque de renseignements. Les inspecteurs de l’environnement disposent désormais de cinq modalités de sanctions administratives : la consignation ; les travaux d’office ; la suspension du fonctionnement de l’installation ; l’amende et l’astreinte. Les deux dernières sanctions ont été prévues par l’ordonnance n°2012-34. L’amende administrative est la seule sanction pécuniaire, tandis que l’astreinte est une mesure de coercition visant à obtenir la satisfaction des motifs de la mise en demeure. La transaction pénale permet d’accélérer le traitement des infractions modérées et non intentionnelles. Elle est plus souple et plus rapide que les poursuites pénales. Elle s’inscrit dans une logique de proportionnalité de la réponse pénale. L’audition pénale par les inspecteurs ICPE doit permettre de consolider les enquêtes préalables aux poursuites. La circulaire CRIM/2017/G3 du 20 mars 2017 encadre cette possibilité. Néanmoins l’audition pénale est peu plébiscitée par l’inspection des installations classées. La réglementation des installations classées intègre parfaitement la notion de « droit à l’erreur » à travers l’exercice du contradictoire et la possibilité de prendre en compte les observations de l’exploitant, suite à une mise en demeure. Par ailleurs, les inspecteurs de l’environnement équilibrent bien les fonctions de conseil et le contrôle. A ce jour aucun contentieux spécifique aux nouvelles sanctions n’a été porté à la connaissance de la mission. Les préfets ont « compétence liée » en matière de mise en demeure et de sanctions administratives. Au pénal, le procureur a autorité sur les inspecteurs de l’environnement. II/ Une disparité frappante dans l’application des mesures : une harmonisation inachevée Il ressort du bilan réalisé par le CGEDD que les nouvelles sanctions prévues par l’ordonnance n°2012-34 répondent aux principes d’efficacité, d’équité d’exemplarité auxquels les services sont tenus. Néanmoins un certain nombre de difficultés dans la mise en place de ces mesures apparait. Le Conseil constate d’abord une application localisée dans certaines régions. En 2016, seules 5 régions dépassent plus de 10 procédures – amendes et astreintes- quand, dans six régions, aucun des départements n’en a mis en œuvre. Peu de service ont mis en œuvre la transaction pénale. Dans les régions où les mesures ont été éprouvées, seule la mise en œuvre des amendes et astreintes administratives a augmenté. Sur l’année 2015/2016, les amendes ont augmenté de 100% et les astreintes administratives de 65%. D’une manière générale, les procédures de mise en demeure permettent d’aboutir aux mises en conformité requises. Les difficultés évoquées ont plusieurs causes :  L’incohérence perçue de certains textes relatifs aux polices de l’environnement (montant des amendes, différences sur leur maximum et sur leur « proportionnalité ») Le défaut de références (absence de barème d’amende et d’astreinte) Les freins à la recherche d’efficacité dans la conduite des procédures (mise en œuvre de l’autorisation environnementale qui limite les capacités de projection des services vers d’autres procédures et la complexité de la chaîne de recouvrement des amendes et astreintes) La difficulté d’apprentissage et de maitrise d’une nouvelle procédure (identification du destinataire de la sanction, imputation des amendes, justification des montants) La relation avec les parquets est contrastée. Les consignes qu’ils donnent sont favorables aux alternatives aux poursuites quand les atteintes à l’environnement sont faibles et quand il peut y être remédié efficacement. En revanche les infractions seraient poursuivies dans les autres cas. En sens inverse, les services des ICPE craignent que leur mise en action de procédures pénales ne soit pas suivies d’effet. Cela peut conduire à ne pas mettre en œuvre les poursuites pénales alors que le contexte le justifierait. De telles situations sont inconfortables et malvenues au regard du principe d’équité. Elles renvoient au besoin de disposer de lignes directrices claires de la part de chaque parquet au travers du protocole que prévoit la circulaire CRIM/2015-9/G4 du 21 avril 2015 du ministre de la justice. A titre d’exemple les services des ICPE de Bretagne ont signé un protocole avec chaque procureur de la région concernant les procédures pénales en matières d’ICPE agricoles. Il faut bien garder en tête que les ICPE regroupent des réalités très diverses qu’il faut prendre en compte. Les stratégies et les pratiques doivent s’adapter à chaque ICPE en distinguant un effet « taille » de l’installation, un effet « chiffre d’affaires » et un effet « type d’activité ». Il est recommandé d’adapter sa façon de dialoguer avec les exploitants, sa manière de fonder les mises en demeure puis de prononcer les sanctions en tenant compte de la singularité de chaque ICPE. En conclusion, il semble selon le rapport que peu de services aient replacé et exploité les apports de l’ordonnance de 2012…