Révision du cadre des déchets : une proposition de la commission en gestation

Révision du cadre des déchets : une proposition de la commission en gestation

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocat) La Commission européenne procède actuellement à une analyse d’impact dans le cadre de la préparation de la révision de la directive-cadre relative aux déchets (Directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008). La gestion des déchets entre dans le champ d’application de la politique environnementale (article 192 du TFUE), qui vise à préserver, protéger et améliorer la qualité de l’environnement, à protéger la santé humaine et à utiliser les ressources naturelles de manière prudente et rationnelle. La directive-cadre relative aux déchets (dite DCD) établit une hiérarchie des déchets qui favorise la prévention de la production de déchets plutôt que (dans l’ordre) la préparation en vue du réemploi, le recyclage, d’autres options de valorisation des déchets, et l’élimination de ceux-ci. En 2018, seulement 38 % du volume total de déchets urbains produits dans l’UE ont été recyclés contre 48 % en 2019. Ce pourcentage varie considérablement d’un État membre à l’autre (oscillant entre 10 % et plus de 60 %). Plus de la moitié des États membres risquent de ne pas atteindre les objectifs de préparation en vue du réemploi et de recyclage des déchets municipaux établis pour 2025. Les processus sous- optimaux de collecte, de tri et de traitement des déchets entraînent une perte de ressources et un plus grand impact sur l’environnement et la santé humaine. Par ailleurs, les données disponibles indiquent que certaines huiles usagées peuvent encore être éliminées de façon illégale, ce qui entraîne une pollution. Cette révision a dès lors pour objectifs de limiter la production de déchets, d’accroître le réemploi et d’augmenter le rapport coût-efficacité de la préparation au réemploi et au recyclage de qualité, notamment pour les huiles usagées et les textiles. La révision étudiera les possibilités de simplification pour rendre la législation plus claire et réduire la charge pesant sur les citoyens et les entreprises. Dans le cadre de cette analyse d’impact, la Commission examinera également les options stratégiques relatives à la fixation d’objectifs au niveau de l’UE pour la réduction du gaspillage alimentaire. La stratégie de l’UE «De la ferme à la table» appelle la définition de tels objectifs. Dans ce contexte, la Commission mène actuellement une consultation publique afin de collecter des données supplémentaires sur les performances existantes, de recueillir des avis et des informations sur le problème, la faisabilité et les incidences éventuelles (économiques, sociales et environnementales) de mesures alternatives (notamment quelles sont les possibilités), de rassembler des exemples de bonnes pratiques et des avis sur la subsidiarité d’actions possibles. Après avoir lancé un appel à contribution en janvier, la Commission européenne lance une consultation du public du 24 mai au 16 août en vue de la révision de la directive-cadre sur les déchets.

Stocamine : l’Etat piégé par le défaut des capacités techniques et financières !

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) La Cour administrative d’appel de Nancy par la décision du 15 octobre 2021 (CAA Nancy, 15 octobre 2021, Collectivité européenne d’Alsace, Association Alsace nature, Association consommation, logement et cadre de vie – Union départementale du Haut-Rhin, n° 19NC02483, 19NC02516, 19NC02517) a annulé l’arrêté du 23 mars 2017 autorisant la société des mines de potasse d’Alsace (MDPA) à maintenir pour une durée illimitée un stockage souterrain de déchets dangereux dans le sous-sol de la commune de Wittelsheim. Un  retour sur cette décision qui a fait l’objet d’un pourvoi de l’Etat s’impose. La société Stocamine a été créée pour exploiter un stockage souterrain de déchets dangereux, non-radioactifs à environ 600 mètres sous terre, dans une couche de sel gemme, sous les couches de potasse qui avaient été anciennement utilisées par la société MDPA. Ce stockage, destiné à accueillir jusqu’à 320 000 tonnes de déchets dans le sous-sol du territoire de la commune de Wittelsheim, avait été autorisé pour une durée de 30 ans par le préfet du Haut-Rhin le 3 février 1997. 44 000 tonnes de déchets étaient stockées lorsqu’un incendie s’est produit en 2002 dans l’un des blocs de la structure de stockage, obligeant à interrompre le stockage de nouveaux déchets. Par un arrêté du 23 mars 2017, le préfet du Haut-Rhin a autorisé la société MDPA, qui avait repris la société Stocamine, à maintenir pour une durée illimitée le stockage déjà effectué, après retrait d’une part importante des déchets contenant du mercure (désormais réalisé à 95%) et d’une partie des déchets phytosanitaires contenant du zirame. Le département du Haut-Rhin, la région Grand Est, l’association Alsace Nature et la commune de Wittenheim ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d’annuler cet arrêté. Par un jugement du 5 juin 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ces demandes. Le département du Haut‑Rhin, auquel s’est substituée depuis lors la collectivité européenne d’Alsace, l’association Alsace Nature et l’association Consommation, logement et cadre de vie – union départementale du Haut‑Rhin ont fait appel du jugement devant la cour administrative d’appel de Nancy. L’Etat dans cette affaire a été victime d’une stratégie contentieuse qui fait bien des dégâts lorsqu’elle est intelligemment convoquée par les requérants : elle consiste à critiquer tout autant l’étude d’impact d’un projet industriel que les capacités techniques pour le mener. En fait il faut bien le concéder, très souvent les juristes confrontés à la complexité des moyens se réclamant de la suffisance des études d’impact et des prescriptions imposées par les préfets à un projet industriel se sentent plus alaise avec le débat sur les capacités financières à le mener. Le droit de l’environnement a systématisé dans les autorisations ICPE (et aujourd’hui dans le régime de l’autorisation environnementale) la présence dans les demandes d’autorisation des capacités techniques et financières de l’exploitant, avec un régime aggravé pour certaines installations ;  une telle exigence étant renforcée pendant la durée d’exploitation pour un certains nombres d’installations (Carrières, installations de stockage de déchets, Seveso et stockage souterrain en couches géologiques profondes de produits dangereux). Ainsi comme le rappelle la Cour, en application des articles L. 541-26 et l’article L. 552-1 du code de l’environnement  « la prolongation illimitée d’une autorisation de stockage souterrain en couches géologiques profondes de produits dangereux ne peut être délivrée, sous le contrôle du juge de plein contentieux, si l’exploitant ne dispose pas de capacités techniques et financières propres ou fournies par des tiers de manière suffisamment certaine, le mettant à même de mener à bien ce projet et d’assumer l’ensemble des exigences susceptibles de découler du prolongement de l’autorisation au regard des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement, ainsi que des garanties de toute nature qu’il peut être appelé à constituer à cette fin ». Or sans doute parce qu’elle avait l’Etat pour actionnaire unique, la société MDPA n’a pas, à l’appui de sa demande ayant débouché sur l’arrêté préfectoral attaqué, justifié de « l’existence d’un engagement ferme de l’Etat à assumer les coûts du projet ». On retrouve ici la jurisprudence Hambrégie (CE, 22 fév. 2016, n°384821) qui a fait tant de dégâts en contentieux éoliens … La Cour constate encore en l’espèce  que « La dissolution de la société exploitante et le maintien de sa personnalité morale uniquement pour les besoins de la finalisation de la liquidation s’opposent ainsi à ce qu’elle puisse être reconnue comme disposant des capacités financières suffisantes pour assurer une exploitation dont la particularité est d’être illimitée dans le temps ». Enfin la Cour considère au surplus que le « préfet du Haut-Rhin, en ne procédant pas à une nouvelle évaluation des garanties financières précédemment constituées par l’exploitant, a méconnu les dispositions de l’article L. 515-7 du code de l’environnement ». Certes  l’Etat en qualité d’exploitant en est en principe dispensé. Mais la Cour juge que « Le seul fait que l’Etat soit l’unique actionnaire de la société MDPA ne saurait permettre d’apprécier cette société comme transparente dès lors, notamment, que, du fait de son placement en liquidation, la société exploitante ne peut plus être représentée que par son liquidateur. L’Etat, en dépit de sa qualité d’unique actionnaire, est sans droit, ni qualité pour se substituer au liquidateur et ne saurait, dans ces conditions, être regardé comme assurant la direction effective de la société ». Immanquablement et alors que l’Etat n’a semble-t-il cherché à tenter une régularisation de ce vice, le juge conclut au défaut des capacités techniques et financières et considère qu’ “une telle insuffisance a été, en l’espèce, de nature à nuire à l’information complète du public” Cette annulation a sans doute sa raison d’être mais elle escamote le vrai sujet : la suffisante évaluation scientifique au moyen de l’étude d’impact de l’innocuité en l’espèce du stockage en couche profonde des déchets …

Le Conseil constitutionnel saisi d’une QPC à l’encontre de l’article 541-30-2 du code de l’environnement

Par Maître DAvid DEHARBE (Green Law Avocats) La FNADE (la Fédération Nationale des Activités de Dépollution) a saisi le Conseil d’Etat de la légalité du décret n° 2021-838 du 29 juin 2021 qui crée l’article R. 541-48-2 du code de l’environnement prévoyant les modalités de justification du respect des critères de performance de tri par un tiers accrédité en application de l’article L. 541-30-2 du code de l’environnement. A cette occasion la FNADE a posé une question prioritaire de constitutionnalité à l’encontre de cette disposition de cette disposition législative issue de l’article 91 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (loi dite Agec). L’article L. 541-30-2 du code de l’environnement prévoit que les installations de stockage de déchets non dangereux non inertes doivent prioriser la réception de résidus de tri des activités de valorisation, lorsqu’elles traitent des déchets issus d’une collecte séparée et satisfont à des critères de performance. Ces critères de performance ont été fixés par le décret précité et son arrêté d’application (arrêté du 29/06/21 pris pour l’application de l’article L. 541-30-2 du code de l’environnement relatif aux critères de performances d’une opération de tri des déchets non dangereux non inertes : JO n° 157 du 8 juillet 2021)). Ainsi les exploitants d’installation de stockage de déchets non-dangereux non inertes sont tenus de réceptionner les déchets produits par les activités de préparation en vue de la réutilisation, de recyclage et de valorisation ainsi que les résidus de tri qui en sont issus lorsqu’ils justifient qu’ils satisfont aux critères de performance selon les modalités prévues par l’arrêté précité. La FNADE reproche à l’article L541-30-2 du code de l’environnement de méconnaître la liberté contractuelle et la liberté d’entreprendre, toutes deux garanties par la constitution. Le Conseil d’Etat a décidé de renvoyer cette QPC au Conseil constitutionnel… affaire à suivre.

Rejet au fond et pour défaut d’intérêt à agir du recours d’une société voisine du site d’implantation d’une unité de méthanisation (TA Orléans, n°1601026 – jurisprudence cabinet)

Une autorisation ICPE d’une installation de production de biogaz située en zone industrielle a été contestée par une SCI (propriétaire de la parcelle voisine) et une société déclarant mener une activité de réparation de groupes électrogènes sur le voisin. Le tribunal rejette à la fois au fond et pour défaut d’intérêt à agir du recours d’une société voisine du site d’implantation d’une unité de méthanisation (TA Orléans, 20 mars 2018, n°1601026 – jurisprudence cabinet) Il reprend le considérant de la jurisprudence Nord Broyage (CE, 30 janvier 2013, n°347347) pour rappeler les conditions de l’intérêt à agir d’un établissement commercial à l’encontre de l’autorisation d’exploiter dont bénéficie une autre entreprise: “Considérant qu’un établissement commercial ne peut se voir reconnaître la qualité de tiers recevable à contester devant le juge une autorisation d’exploiter une installation classée pour la protection de l’environnement délivrée à une entreprise, fût-elle concurrente, que dans les cas où les inconvénients ou les dangers que le fonctionnement de l’installation classée présente pour les intérêts visés à l’article L. 511-1 sont de nature à affecter par eux-mêmes les conditions d’exploitation de cet établissement commercial ; qu’il appartient à ce titre au juge administratif de vérifier si l’établissement justifie d’un intérêt suffisamment direct lui donnant qualité pour demander l’annulation de l’autorisation en cause, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour lui l’installation classée, appréciés notamment en fonction de ses conditions de fonctionnement, de la situation des personnes qui le fréquentent ainsi que de la configuration des lieux.” Puis le Tribunal expose en détail pourquoi il estime qu’en l’espèce la société requérante n’a pas établi qu’il existe un risque que ses conditions d’exploitation (entreposage et réparation semble t-il de groupes électrogènes) soient affectées par le fonctionnement de l’installation. Sur le fond, le Tribunal rejette succinctement les moyens soulevés, en tout état de cause trop peu étayés pour pouvoir faire l’objet d’une analyse poussée.

Légalité d’une autorisation unique expérimentale de construire et d’exploiter une installation de méthanisation (TA Caen, 10 juillet 2018, n°170087)

Une autorisation unique d’une installation de méthanisation / cogénération soumise à autorisation unique expérimentale (valant permis de construire et autorisation d’exploiter) était contestée par des voisins. Aux termes de cette décision (TA Caen, 10 juillet 2018, n°170087, jurisprudence du cabinet), le Tribunal a rejeté leur requête et écarté les nombreux moyens invoqués par les requérants. On peut retenir en particulier l’absence en l’espèce de nécessité d’une demande de dérogation “espèces protégées”; l’indépendance de l’autorité environnementale (le rôle d’autorité environnementale avait été joué par un service de la DREAL alors que le préfet de département avait délivré l’autorisation). Le Tribunal relève à juste titre que :”qu’eu égard à l’interprétation des dispositions de l’article 6 de la directive du 27 juin 2001 donnée par la CJUE dans son arrêt rendu le 20 octobre 2011 dans l’affaire C-474/10, et à la finalité identique des dispositions des deux directives relatives au rôle “des autorités susceptibles d’être concernées par le projet, en raison de leurs responsabilités spécifiques en matière d’environnement”, il résulte clairement des dispositions de l’article 6 de la directive du 13 décembre 2011 que, si elles ne font pas obstacle à ce que l’autorité publique compétente pour autoriser un projet ou en assurer la maîtrise d’ouvrage soit en même temps chargée de la  consultation en matière environnementale, elles imposent cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce qu’une entité administrative, interne à celle-ci, dispose d’une autonomie réelle, impliquant notamment qu’elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée et de donner un avis objectif sur le projet concerné ;” la complétude et la suffisance des études d’impact et de dangers (risques relatif à l’eau, scénario de référence, mesures ERC, risque foudre, modalités d’évacuation des eaux pluviales, étude des impacts liés au poste d’injection, trafic routier). Les dispositions prises par l’exploitant ont été déterminantes là encore. la légalité du POS de la commune d’implantation; la suffisante prise en compte des risques de pollution des eaux, d’inondation, d’explosion, d’émissions de gaz dangereux, proximité ligne THT…Une vraie question de preuve à apporter par les requérants en matière de présence d’une source (ce qui serait valable pour les cours d’eau, la distance avec les tiers, ou des périmètres) a été abordée par le Tribunal. Ce dernier a retenu que les avis techniques d’un bureau d’études n’étaient pas utilement contredits par les opposants. Les mémoires de l’exploitant en réponse à l’avis de l’autorité environnementale, aux services consultés, et aux observations de l’enquête publique ont également permis de compléter et préciser le dossier initial. L’arrêté d’autorisation prévoyant des prescriptions exigeantes et adaptées a été également été retenu par la juridiction dans son appréciation. Le dossier de demande d’autorisation était en l’espèce solide et adapté aux enjeux, notamment sur les modalités de gestion des eaux.