BRÈVE DE CONTENTIEUX ADMINISTRATIF

Par Maître Thomas RICHET (Green Law Avocats) Contestation d’un refus de transmission d’une QPC, recours pour excès de pouvoir contre une délibération ayant un caractère « préparatoire » et prescription dans le contentieux de l’exécution des marchés publics, telles sont les actualités que nous vous proposons de découvrir dans cette deuxième brève dédiée au contentieux administratif que ne peuvent ignorer les environnementalistes… Contestation du refus opposé par un Tribunal administratif de transmettre une QPC: contester n’est pas réitérer (Conseil d’Etat, 16 mai 2018, M. et Mme B…A…, n° 406984) Afin de contester régulièrement le refus opposé par un Tribunal administratif à une demande de transmission au Conseil d’Etat d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), l’auteur de la QPC doit, à l’occasion de l’appel formé contre le jugement statuant sur le litige, et dans le délai d’appel de deux mois, saisir la juridiction d’appel d’un mémoire motivé et distinct visant à contester ce refus. Cette règle vaut pour le refus de transmission d’une QPC à l’occasion du jugement rendu sur le fond du litige mais également pour le refus opposé par une décision distincte du jugement, à la condition alors, de joindre une copie de cette décision. Dès lors, la contestation du refus de transmission d’une QPC ne peut s’opérer par le dépôt auprès du juge de second degré, après le délai d’appel, d’une nouvelle QPC visant à contester les mêmes dispositions et reposant sur les mêmes moyens (voir pour un même raisonnement dans le cadre d’un pourvoi en cassation : CE, 1er février 2011, SARL Prototype Technique Industrie, n° 342536, publié au recueil Lebon et CE, 29 avril 2013, Agopian, n° 366058, mentionné dans les tables du recueil Lebon). Contestation de la délibération d’une collectivité territoriale ayant un caractère préparatoire : le préfet n’est pas un requérant lambda ! (Conseil d’Etat, 15 juin 2018, Département du Haut-Rhin, n° 411630) En principe, un requérant « lambda » ne peut contester, à l’occasion d’un recours contentieux, un acte dit « préparatoire ». En revanche, le Préfet peut, dans le cadre d’un déféré préfectoral, contester ce type d’acte. En effet, le Conseil d’Etat relève que : « Si un requérant n’est pas recevable à attaquer par la voie du recours pour excès de pouvoir un acte préparatoire, telle une délibération à caractère préparatoire d’une collectivité territoriale, c’est sous réserve des cas où il en est disposé autrement par la loi. Tel est le cas lorsque, sur le fondement des articles L. 2131-6, L. 3132-1 ou L. 4142-1 du code général des collectivités territoriales, le représentant de l’Etat dans le département ou dans la région défère au juge administratif les actes des collectivités territoriales qu’il estime contraires à la légalité, contre lesquels il peut utilement soulever des moyens tenant tant à leur légalité externe qu’à leur légalité interne. » (Voir en ce sens : CE, 15 avril 1996, Syndicat C.G.T. des hospitaliers de Bédarieux, n° 120273 et CE, 30 décembre 2009, Département du Gers, n° 308514). Contentieux de l’exécution des marchés publics : la prescription de l’article L. 110-4 du Code de commerce est inapplicable (Conseil d’Etat, 7 juin 2018, Société FPT Powertrain et autres, n° 416535) Dans un arrêt récent du 7 juin 2018, le Conseil d’état juge que : « la prescription prévue par l’article L. 110-4 du code de commerce n’est pas applicable aux obligations nées à l’occasion de marchés publics ». En l’espèce, les sociétés requérantes soutenaient que le délai de l’action en garantie des vices cachés, qui est un délai de deux ans, se trouvait enfermé dans le délai de prescription de cinq ans des obligations commerciales prévu par l’article L. 110-4 du Code de commerce. Par ailleurs, le Conseil d’état rappelle que les règles relatives à la garantie légale des vices cachés (articles 1641 à 1649 du Code civil) sont applicables à un marché public de fourniture (en ce sens voir CE 24 nov. 2008, n° 291539, Centre hospitalier de la région d’Annecy et CE, 7 avril 2011, Société Ajaccio Diesel, n° 344226). L’action sur ce dernier fondement est donc possible dans un délai de deux ans à compter de la révélation du vice caché.

Le refus d’autorisation d’exploiter une I.C.P.E. s’apprécie au regard du document d’urbanisme en vigueur à la date où le juge statue

Par Maître Jérémy TAUPIN (Green Law Avocats) Par un arrêt du 29 janvier 2011 (Conseil d’Etat, 29 janvier 2011, Société d’assainissement du parc automobile niçois (SAPAN), req. n°405706), le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la question de la date à laquelle le juge doit se placer pour apprécier la compatibilité d’une décision de refus d’autorisation d’exploiter une ICPE avec le plan local d’urbanisme applicable à la zone où se situe l’installation en litig En l’espèce, l’inspection des installations classées avait constaté lors d’une visite sur site que la société exploitante d’une installation de stockage de véhicules hors d’usage ne disposait pas de l’autorisation préfectorale requise. En vue de régulariser son activité, la société avait alors déposé une demande d’autorisation. Le Préfet lui opposa un refus, au motif que l’exploitation de cette installation était incompatible avec le règlement du plan local d’urbanisme applicable. L’exploitant avait donc saisi le tribunal administratif puis la Cour administrative d’appel d’une demande d’annulation de ce refus, sans succès. Au sein de sa décision, le Conseil vient préciser les termes du I de l’article L.514-6 du code de l’environnement. Pour rappel, cet article soumet les autorisations d’exploiter ICPE au contentieux de pleine juridiction. Depuis la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique, il prévoit également, par exception au régime du plein contentieux, que « la compatibilité d’une installation classée avec les dispositions d’un schéma de cohérence territoriale, d’un plan local d’urbanisme, d’un plan d’occupation des sols ou d’une carte communale est appréciée à la date de l’autorisation, de l’enregistrement ou de la déclaration », et non à la date du jugement. Cette modification, issue d’un amendement parlementaire étend le dispositif déjà prévu pour le contentieux de l’autorisation unique (Ordonnance n°2014-355 du 20 mars 2014). Cette disposition dérogatoire (les règles d’urbanisme faisant partie des règles de fond dont le juge apprécie la légalité au jour du jugement) vise à sécuriser les projets, en évitant que les autorités compétentes en matière de planification de l’urbanisme n’empêchent l’implantation d’une ICPE en modifiant les documents d’urbanisme applicables. Avant cette modification législative, le Conseil d’Etat avait déjà pu juger que si le juge du plein contentieux des installations classées, eu égard à son office, fait en principe application des règles du PLU dans sa rédaction en vigueur à la date à laquelle il statue, il résulte de l’intention du législateur (article L. 123-5 du code de l’urbanisme alors applicable) que lorsque, postérieurement à la délivrance d’une autorisation, les prescriptions du plan évoluent dans un sens défavorable au projet, elles ne sont pas opposables à l’arrêté autorisant l’exploitation de l’installation classée. (CE 22 févr. 2016, Sté ERGS et a., req. no367901). La question qu’avait à trancher le Conseil en l’espèce était de savoir si cette exception s’appliquait au refus d’autorisation. Le Conseil estime ici que l’exception a pour finalité, ainsi que cela ressort des travaux parlementaires, à empêcher que l’exploitation d’une ICPE légalement autorisée, enregistrée ou déclarée soit ensuite rendue irrégulière par une modification ultérieure des règles d’urbanisme. Ainsi, elle n’est pas applicable aux refus d’autorisation, d’enregistrement ou de délivrance d’un récépissé de déclaration. Pour les décisions de refus, l’exception prévue par l’article L.514-6 du code de l’environnement ne se justifie donc pas et il est fait application du régime normal du contentieux de la pleine juridiction : la légalité de ces décisions s’apprécie au jour où le juge statue. Dès lors, en appréciant, ainsi qu’elle l’a fait, la compatibilité de la décision de refus contestée du 25 mars 2013 avec le plan local d’urbanisme applicable à la zone où se situe l’installation en litige, au regard des règles de ce plan en vigueur à la date où elle statuait, la cour administrative d’appel (CAA Marseille, 6 oct. 2016, n° 14MA04795) n’a pas commis d’erreur de droit, contrairement à ce que soutenait la société requérante.

Mobiliers urbains sur le Domaine Public : quelles conditions pour conclure une Concession de Service sans publicité ni mise en concurrence préalables ? (CE, 5 fév.2018)

Par Me Thomas RICHET- GREEN LAW AVOCATS Par un arrêt n°416581 rendu le 5 février 2018, le Conseil d’Etat rappelle les différentes conditions nécessaires à la conclusion d’une concession de service sans publicité ni mise en concurrence préalables. Ces conditions avaient été fixées récemment par la Haute juridiction (Cf. Conseil d’Etat, 4 avril 2016, Communauté d’agglomération du centre de la Martinique, req. n° 396191 et Conseil d’Etat, 14 février 2017, Société de manutention portuaire d’Aquitaine et Grand Port Maritime de Bordeaux, req. n° 405157, Publié au recueil Lebon). Dans cette affaire, le conseil de Paris avait approuvé par une délibération n° 2017 DFA 86 de novembre 2017 l’attribution, sans publicité ni mise en concurrence préalables, d’un projet de contrat de concession de service provisoire relatif à l’exploitation de mobiliers urbains d’information à caractère général ou local supportant de la publicité avec la société des mobiliers urbains pour la publicité et l’information (ci-après « SOMUPI »). Cette concession de service avait été conclue suite à une première annulation en avril 2017 d’une procédure de passation, cette fois-ci avec publicité et mise en concurrence préalables, d’une concession de service qui portait sur la même prestation (Cf. Tribunal administratif de Paris, 21 avril 2017, n° 1705054 et n° 1704976 ; confirmé par Conseil d’Etat, 18 septembre 2017, n°410336). La concession signée de gré à gré à la suite à la délibération n° 2017 DFA 86 a été rapidement contestée par deux concurrents (les sociétés Exterion Media France et Clear Channel France) et sa procédure de passation annulée par deux ordonnances du juge des référés précontractuels du Tribunal administratif en date du 5 décembre 2017. Un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat a été formé par la ville de Paris et la SOMUPI. Nous reviendrons successivement sur l’appréciation du Conseil d’Etat sur chacune des conditions nécessaires à la conclusion d’une telle concession, puis sur les autres questions tranchées par l’arrêt. Sur les conditions nécessaires au recours à une concession de service sans publicité, ni mise en concurrence préalables Concernant ces conditions, le Conseil d’Etat rappelle : « qu’en cas d’urgence résultant de l’impossibilité dans laquelle se trouve la personne publique, indépendamment de sa volonté, de continuer à faire assurer le service par son cocontractant ou de l’assurer elle-même, elle peut, lorsque l’exige un motif d’intérêt général tenant à la continuité du service public conclure, à titre provisoire, un nouveau contrat de concession de service sans respecter au préalable les règles de publicité prescrites ; que la durée de ce contrat ne saurait excéder celle requise pour mettre en œuvre une procédure de publicité et de mise en concurrence, si la personne publique entend poursuivre l’exécution de la concession de service ou, au cas contraire, lorsqu’elle a la faculté de le faire, pour organiser les conditions de sa reprise en régie ou pour en redéfinir la consistance ».   Trois conditions sont donc examinées par le juge : La présence d’un motif d’intérêt général tenant à la continuité du service public. L’urgence qui résulte de l’impossibilité pour la personne publique d’assurer ou de faire assurer le service. Cette condition doit être appréciée indépendamment de la volonté de la personne publique. Le caractère provisoire de la concession. Concernant le motif d’intérêt général tenant à la continuité du service public, le juge a estimé en l’espèce qu’il n’existait pas de risque de rupture de la continuité du service public d’information municipale en cas d’interruption du service d’exploitation du mobilier urbain d’information. Ce risque doit être écarté du fait des nombreux autres moyens dont dispose la ville de Paris pour assurer la continuité de l’information municipale. A ce titre, le juge cite les « moyens de communication, par voie électronique ou sous la forme d’affichage ou de magazines, dont dispose la ville de Paris ». La ville de Paris avançait également l’argument selon lequel la conclusion d’un tel contrat, à titre provisoire et de gré à gré, permettait de sauvegarder son intérêt financier lié aux redevances qui étaient reversées par les concessionnaires du mobilier urbain. Cependant, le juge administratif rappelle que : « le motif d’intérêt général permettant, à titre dérogatoire, de conclure un contrat provisoire dans les conditions mentionnées au point précédent doit tenir à des impératifs de continuité du service public » (Cf. considérant 5 de l’arrêt commenté). Concernant l’urgence à conclure une concession de service sans publicité, ni mise en concurrence préalables, le Conseil d’Etat a considéré que la situation dans laquelle se trouvait la ville de Paris n’était pas indépendante de sa volonté. Le juge relève à ce titre qu’alors que la procédure de passation initiale avait été annulée en avril 2017, ce n’est qu’en novembre de la même année que la ville de Paris a décidé de recourir à la procédure d’une concession de service sans publicité, ni mise en concurrence préalables.   Concernant le caractère provisoire de la concession de service, on ignore l’analyse de la Haute juridiction sur cette dernière condition. Il n’y était pas tenu puisque les autres conditions n’étaient pas remplies. Cependant, à la lecture des conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public dans cette affaire, on comprend que cette condition faisait également défaut. En effet, la durée qui était fixée à 20 mois paraissait excessive. Sur les autres questions tranchées par l’arrêt Deux autres points abordés par l’arrêt commenté doivent être mentionnés. Tout d’abord, sur la possibilité pour la ville de Paris de recourir au décret du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession qui prévoit la possibilité de recourir à une concession sans publicité ni mise en concurrence préalables. En effet, il convient de relever qu’il existe également au sein des textes instituant le régime juridique des concessions de services une hypothèse permettant aux acheteurs de conclure ce type de concession (Cf. Ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession et Décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession). Ainsi, l’article 11 du décret précité dispose en effet que : « Les contrats de concession peuvent être conclus sans publicité ni mise en concurrence préalables dans les…

Electricité / TURPE 5 : Annulation a minima, partielle, et reportée dans le temps par le Conseil d’Etat

Par Thomas RICHET – Green Law Avocats Par un arrêt rendu le 9 mars 2018, le Conseil d’Etat a annulé partiellement les délibérations de la Commission de Régulation de l’énergie (CRE) à l’origine du nouveau Tarif d’Utilisation des Réseaux Publics de distribution d’Electricité (TURPE) dit « TURPE 5 ». (Conseil d’Etat, 9ème et 10ème chambres réunies, 9 mars 2018, n°407516). L’élaboration des TURPE est prévue aux articles L. 341-3 et suivants du code de l’énergie. La CRE a pour mission de fixer la méthode de calcul de ces tarifs qui doivent couvrir les coûts d’exploitation, d’entretien et de développement supportés par les gestionnaires de réseaux publics de distribution d’électricité, en ce compris les coûts liés au capital investi pour permettre le financement du développement des réseaux de distribution (article L. 341-2 du code de l’énergie). C’est dans ce cadre juridique que la CRE a, par deux délibérations en date du 17 novembre 2016 et du 19 janvier 2017, fixé la méthode de calcul du nouveau TURPE 5. La société ENEDIS, la société EDF, la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer et la fédération CFE-CGC ENERGIES ont demandé au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir ces deux délibérations. Les requérants avaient soulevé cinq moyens relatifs : A la régularité de la procédure à l’issue de laquelle les délibérations attaquées ont été adoptées ; A la prise en compte des orientations politique énergétique définies par le gouvernement ;  Au mécanisme de régulation incitative mis en place par la CRE ;  aux coûts pris en compte pour la détermination des tarifs d’utilisation réseau public d’électricité ;  et enfin à la structure du tarif. Le Conseil d’Etat n’a retenu que le seul moyen tenant à l’illégalité de la méthode de calcul permettant de déterminer le coût du capital investi par le gestionnaire de réseau pris en compte dans le calcul du TURPE. En effet, le juge administratif a considéré que : « les requérants sont seulement fondés à demander l’annulation de la délibération de la Commission de régulation de l’énergie du 17 novembre 2016 qu’ils attaquent en tant qu’elle n’a pas fait application, pour la détermination du coût du capital investi, en plus de la « prime de risque » du taux « sans risque » aux actifs correspondant, d’une part, aux immobilisations ayant été financées par la reprise, au moment du renouvellement effectif des ouvrages, de provisions constituées lors de la période tarifaire couverte par les tarifs dits « TURPE 2 », pour leur fraction non encore amortie, et d’autre part, aux ouvrages remis par les autorités concédantes au gestionnaire de réseau au cours de cette même période tarifaire, pour cette même fraction. Ils sont par suite également fondés à demander l’annulation de la délibération de la Commission de régulation de l’énergie du 19 janvier 2017 en tant qu’elle a décidé qu’il n’y avait pas lieu de modifier sa première délibération sur ces points » (paragraphe 56 de l’arrêt). Cependant, le Conseil d’Etat a décidé de faire application de sa jurisprudence AC ! (Conseil d’Etat, Assemblée, 11 mai 2014, n°255886, Association AC !, Publié au recueil Lebon) et de moduler dans le temps les effets de sa décision au motif que : « le tarif fixé par la délibération attaquée de la Commission de régulation de l’énergie s’est appliqué à compter du 1er août 2017 et pendant une durée qui, à la date de la présente décision, est inférieure à huit mois. Par ailleurs, l’annulation de cette délibération, telle que définie au point 56 ci-dessus, aurait pour conséquence, s’agissant des effets qu’elle a produits depuis le 1er août 2017, de contraindre le gestionnaire de réseau à adresser à l’ensemble des utilisateurs du réseau public de distribution d’électricité, qui acquittent les tarifs d’utilisation, des factures rectificatives. Ces circonstances justifient que le juge fasse usage de son pouvoir de modulation dans le temps des effets de cette annulation et il y a lieu de prévoir que les effets produits, dans la seule mesure de cette annulation, par la délibération attaquée, seront regardés comme définitifs. Il y a également lieu de ne prononcer cette annulation qu’à compter du 1er août 2018. » (Paragraphe 58 de l’arrêt). En synthèse, le Conseil d’État rejette l’essentiel des critiques dirigées contre ces délibérations mais prononce toutefois une annulation très partielle, s’agissant des modalités de prise en compte, dans le calcul des tarifs, des charges afférentes au capital investi pour permettre le financement du développement de ces réseaux.

1000 VACHES ET LE JUGE ADMINISTRATIF

Par maître THOMAS RICHET (Green Law Avocats) La réforme de l’autorisation environnementale unique par l’ordonnance n°2017-80 du 26 janvier 2017 relative à l’autorisation environnementale s’est efforcée de moderniser les pouvoirs du juge de plein contentieux en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement. Comme toutes les réformes, cette ordonnance apporte son lot d’interrogations… Ainsi la cour administrative d’appel de Douai n’a pas hésité à poser les questions indispensables à la mise en œuvre efficace de ce nouveau dispositif dans le cadre d’une demande d’avis au Conseil d’Etat (CAA Douai, 16 décembre 2017, n°15DA01535, « Association Novissen et autres »). Dans cette affaire dite « des 1000 vaches », le préfet de la Somme a autorisé par un arrêté du 1er février 2013 la SCEA Côte de la Justice (ci-après la « SCEA ») à exploiter un élevage bovin de 500 vaches laitières, un méthaniseur et une unité de cogénération (1,338 MW électrique, 1,75 MW thermiques) sur le territoire de la commune de Buigny-Saint-Maclou et de Drucat-Le-Plessiel. Par un jugement du 30 juin 2015, le tribunal administratif d’Amiens a rejeté la demande de l’association Novissen et autres visant à demander l’annulation de cette autorisation. Ces derniers ont d’interjeté appel devant la cour administrative d’appel de Douai. Après avoir constaté que les justifications en matière de capacités financières étaient insuffisantes et viciaient donc la phase de l’enquête publique (I.), la cour s’est interrogée sur les pouvoirs du juge du plein contentieux en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement (II.). I/La question des capacités financières et de la bonne information du public lors de l’enquête publique Après avoir rejeté de nombreux moyens relatifs notamment à l’incomplétude du dossier de demande initiale, à l’analyse des conditions de remise en l’état du site, à la production de l’avis des personnes publiques au dossier d’enquête, ou encore aux capacités techniques du pétitionnaire, la cour a examiné la problématique des capacités financières de l’exploitant. Cette dernière pose actuellement de réelles difficultés aux juridictions (Cf. Jugement du TA de Lille, portant également une demande d’avis au Conseil d’Etat, en date du 14 décembre 2017, req. n°1602467, « Association « Non au Projet Eolien de Walincourt-Selvigny et Haucourt-en-Cambrésis » et autres »), mais aussi et surtout, aux exploitants (Cf. notre précédent commentaire sur le sujet). L’obstacle des capacités financières Par une lecture combinée des articles L. 521-1 et R. 123-6 du code de l’environnement, la cour indique que, pour permettre une bonne information du public lors de l’enquête publique, le dossier d’enquête doit comprendre la demande d’autorisation initiale et donc les capacités financières prévues au 5° de l’article L. 512-3 du code de l’environnement. En l’espèce, les juges considèrent que les justifications relatives aux capacités financières ne sont pas suffisantes. A ce titre, ils relèvent tout d’abord que le dossier ne comporte « aucune précision sur les capacités financières dont dispose, en propre, la SCEA Côte de la Justice, tels par exemple des éléments de bilans et de comptes de résultats » alors même que le projet nécessite de lourds investissements. En effet, le dossier de demande d’autorisation mentionne un investissement de 12 millions d’euros et la nécessité d’une injection de trésorerie à hauteur de 1,5 millions d’euros. De même, alors que le projet « doit se réaliser sous la forme d’un montage administratif et financier dans lequel [la SCEA] doit bénéficier du soutien financier des sociétés Ramery SA et Ramery environnement, il résulte de l’instruction que ne figurait au dossier aucun élément probant de nature à lui permettre d’accréditer ces allégations ». Enfin, l’atelier de méthanisation ne faisait pas l’objet d’un document prévisionnel d’exploitation, et ce, contrairement à l’atelier laitier. Des études financières confidentielles remises au préfet La SCEA soutenait pourtant que « deux études financières avaient été remises à la préfecture sous condition de confidentialité » et que cette information figurait au sein de la présentation des garanties financières du dossier d’enquête publique. Or, le juge a relevé sur ce point qu’ « il n’est pas établi ni même allégué (…) qu’aucune information concrète n’était susceptible d’être produite dans le dossier soumis à enquête publique, tant en ce qui concerne les éléments financiers de base concernant la SCEA Côte de la Justice ou ses partenaires financiers que la nature juridique des liens les unissant pour la mise en œuvre de ce projet, sans méconnaître d’éventuelles règles de confidentialité qu’il se serait agi de protéger ». On peut s’interroger sur la pertinence de la délivrance d’une telle information au public. En effet, pouvait-il la comprendre ? Etait-elle véritablement nécessaire pour permettre au public de comprendre les caractéristiques du projet et ses enjeux ? On retrouve ici un scénario assez comparable à l’affaire qui  donné lieu à la jurisprudence ARF : là aussi ce sont des informations retirées du dossier d’enquête publique et relatives aux capacités financières du prétendant à l’exploitation d’un incinérateur qui avaient justifié que le Tribunal administratif d’Amiens annule l’autorisation d’exploiter, en considérant que l’irrégularité n’était pas ‘danthonisable” (TA Amiens, 21 avril 2009, Sté ARF, nos 0601680-0601803-0700315/ CAA Douai, 17septembre 2009, N° 09DA00765). Or il est essentiel de rappeler cette précision de l’arrêt ARF du Conseil d’Etat que nombre de juridictions oublient aujourd’hui lorsqu’elles contrôlent la légalité externe du dossier d’enquête publique à l’aune de la régularité de la présentation des capacités techniques et financières : “contrairement à ce qui est soutenu, la cour a ce faisant recherché si, en l’espèce, l’absence de ces indications dans le dossier soumis à l’enquête publique avait eu pour effet de nuire à l’information complète de la population”… C’est bien une obligation du juge d’apprécier au cas par cas si certaines informations sur les capacités financières sont ou non nécessaires au public (CE, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 15/05/2013, 353010). Quoi qu’il en soit, la cour a relevé que l’incomplétude du dossier soumis à enquête publique, du fait de ce manque de justification des capacités financières, a pu nuire à la bonne information du public et que ce vice était de nature à entacher d’illégalité de l’arrêté d’autorisation du préfet. Ayant certainement anticipé cette difficulté, la SCEA a sollicité l’application de l’article L. 181-18 du code de…