QPC relative aux PPRT : Le Conseil d’Etat considère qu’il n’y a pas de rupture d’égalité devant les charges publiques

Nous l’avions déjà évoqué sur ce blog : la QPC était un instrument pertinent s’agissant de l’appréciation du dispositif PPRT à l’égard des propriétaires riverains d’installations Seveso (voir nos brèves ici et là ).  Néanmois, le Conseil d’Etat vient de refuser, par une décision du 23 septembre 2011, de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la rupture d’égalité des citoyens que pourrait créer l’élaboration et l’approbation des PRRT (CE, ss sect. 6 et 1, 23 septembre 2011, n°350384). Le rôle de filtre du Conseil d’Etat Dans cette espèce, la société AUTOIMPIANTI MARINI France avait soulevé, dans le cadre d’une requête en annulation d’un arrêté approuvant le plan de prévention des risques technologiques pour la société TOTAL GAZ, la question de la conformité des dispositions de l’article L. 515- 16 et L. 515-19 du Code de l’Environnement avec les droits et libertés garantis par la Constitution, et invoquait notamment la rupture d’égalité devant les charges publiques. La question ayant été transmise par le président du Tribunal administratif d’Amiens, la Haute juridiction administrative a alors opéré son rôle de filtre des QPC en appliquant les trois conditions nécessaires pour apprécier l’opportunité d’une transmission au Conseil Constitutionnel : – la ou les dispositions contestées doivent être applicables au litige en cours, – la ou les dispositions contestées ne doivent pas avoir déjà été déclarées conformes à la Constitution dans une décision du Conseil constitutionnel, – la question posée doit être nouvelle et présenter un caractère sérieux. Pas d’influence de l’article L. 515-9 du CE sur le litige en cours Le Conseil d’Etat a ici rapidement écarté la problématique soulevée au sujet de l’article L. 515-9 du Code de l’Environnement qui prévoit notamment la conclusion d’une convention entre l’Etat, les exploitants des installations classées concernées et les collectivités territoriales aux fins de fixer leur contribution respective relative au financement des mesures prescrites dans le cadre du PPRT. En effet, cette disposition était sans influence sur le litige en cours, à savoir l’appréciation de la validité du PPRT approuvé. En conséquence, et conformément aux exigences posées par les dispositions de l’article 23-4 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, le Conseil d’Etat a écarté la saisine du Conseil Constitutionnel concernant cette question. Absence de caractères nouveau et sérieux de la question posée selon le Conseil d’Etat Restait l’examen de l’article L. 515-16 du Code de l’Environnement, et plus précisément son alinéa IV qui permet de mettre à la charge des propriétaires, exploitants et utilisateurs riverains des mesures de protection des populations. La société AUTOIMPIANTI MARINI France soutenait que ces dispositions portent atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques mentionné à l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen ainsi qu’au principe général d’égalité visé à son article 6. Néanmoins, la Haute juridiction administrative, après avoir pris le soin de rappeler l’existence de limites fixées par décret concernant ces mesures, la différence de situation entre l’exploitant de l’installation à l’origine du PPRT et les propriétaires riverains qui ne sont sollicités, s’agissant de la mise place de mesures de protection de la population, qu’à titre très subsidiaire, ainsi que l’existence d’avantages fiscaux et d’aides publiques, a jugé que les dispositions déférées n’étaient pas contraires  au principe d’égalité et d’égalité devant les charges publiques. En conséquence, les juges du Palais Royal ont estimé que la question posée ne présentait pas de caractère sérieux, n’était pas nouvelle et ne nécessitait donc pas d’être renvoyée au Conseil constitutionnel. Une telle solution comporte toutefois au moins une faiblesse dans le raisonnement : en effet, une analyse concrète des sujétions imposées au riverain montre qu’elles sont loin d’être négligeables ! Certes, le montant des travaux est limité, mais il s’agit d’une limite à 10% de la valeur de l’habitation, ce qui peut constituer une charge excessive pour certains propriétaires. D’autre part, faut il le rappeler (voir notre brève du 6 décembre 2010 sur la question), le crédit d’impôt a été réduit à 25%. Une décision prévisible de la Haute Juridiction Finalement, une telle solution ne surprend guère lorsque l’on connait la jurisprudence administrative en matière de rupture d’égalité devant les charges publiques. En effet, les juges réfutent systématiquement le moyen tiré d’une rupture d’égalité devant les charges publiques, notamment en matière de servitudes environnementales crées par exemple par les plans de prévention des risques naturels prévisibles ou s’agissant de l’institution de servitudes d’urbanismes prévues à l’article L. 160-5 du Code de l’Urbanisme. A ce titre, et pour la petite histoire, il est intéressant de noter que la société AUTOIMPIANTI MARINI France, demandeur à la question prioritaire de constitutionnalité au cas d’espèce, avait déjà tenté d’invoquer ce même principe de rupture d’égalité devant les charges publiques s’agissant du refus d’indemnisation qu’elle s’était vu opposé concernant des mesures d’éloignement adoptées dans le cadre d’un POS approuvé autour du site exploité par TOTAL GAZ…. La Cour administrative d’appel de Douai, dans un arrêt du 6 août 2010, avait ainsi jugé qu’aucune charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif de sécurité publique poursuivi n’était imposé à la requérante et qu’il n’existait pas de rupture d’égalité devant les charges publiques (CAA DOUAI, 6 août 2010, n°08DA01055, inédit). La voie de la question prioritaire de constitutionnalité n’aurait également pas eu de chances de prospérer puisque le Conseil d’Etat avait, dans un même temps, refusé la saisine du Conseil Constitutionnel s’agissant de la prétendue contrariété des servitudes de l’article L. 160-5 du Code de l’Urbanisme avec le principe d’égalité (CE, ss sect. 9 et 10, 16 juillet 2010, JurisData n° 2010-011682). Il faudra donc trouver un autre fondement pour s’attaquer à la charge financière des servitudes instaurées ou des mesures de protection imposées dans le cadre des PPRT, mais à coeur vaillant, rien d’impossible. Marie Letourmy Avocat au Barreau de Lille Green Law Avocat

ICPE: Le risque d’un arbitraire du juge-administrateur

  Dans l’affaire jugée par le Conseil d’Etat (CE, Conseil d’État, 26 juillet 2011, n°324728), un industriel exploitant  contestait une mise en demeure en considérant que son activité n’était pas classée sous les anciennes rubriques de la nomenclature ICPE applicables au moment de l’introduction de l’instance. Etait en cause une unité de mélange et de compostage de sciures et d’écorces avec des sels d’ammonium (chlorure d’ammonium) provenant de l’industrie, pour produire un amendement organique que le Préfet de la Somme avait voulu en septembre 2002 soumettre cette activité aux rubriques 167 c (traitement de déchets provenant d’installations classées), 2170 (fabrication d’engrais et de supports de culture à partir de matières organiques) et 2260 (broyage et criblage de matières végétales).  Devant le Conseil d’Etat  l’interprétation de la nomenclature de l’industriel triomphe et le Préfet de la Somme est censuré : l’arrêt admet que l’activité de fabrication d’un amendement organique ne relevait pas des rubriques précitées. Reste que le Conseil prenant en compte la nomenclature en vigueur au jour où il statue au fond et faisant application d’une nouvelle rubrique couvrant l’activité décide lui-même de mettre en demeure l’industriel de déposer une D.A.E. : « cette activité relève dorénavant de la rubrique n° 2780 de la nomenclature des installations classées, qui vise notamment le compostage de rebuts de fabrication de denrées alimentaires végétales et de boues d’industries agroalimentaires ; que la quantité de matières traitées est supérieure à vingt tonnes par jour ; qu’il suit de là que la société requérante doit régulariser sa situation administrative en déposant une demande d’autorisation au titre de la rubrique n° 2780 ; qu’il y a lieu de la mettre en demeure de déposer une telle demande dans le délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision ». Cet arrêt fera sans doute beaucoup d’encre, même si ce n’est pas la première fois que « le juge administratif inflige une sanction administrative à l’exploitant d’une installation classée qui fonctionne dans des conditions irrégulières » (cf. D. Gillig, CAA Nancy, 9 janv. 2006, n° 04NC00704, Duval : Juris-Data n° 2006-294661, Environnement n° 6, Juin 2006, comm. 70). On sait que le juge a encore admis pouvoir aggraver les prescriptions techniques qui lui étaient déférées (CAA Bordeaux, 14 nov. 2006, n° 03BX01988, Sté Toupnot).  On voudrait juste faire une remarque sur l’origine historique de ce qu’il convenu d’appeler les « pouvoirs du juge administrateur ». Initialement en admettant qu’il puisse substituer son appréciation à cette de l’administration le juge entendait surtout protéger les industries naissantes de l’arbitraire administratif et de refus d’autorisation abusifs. Ainsi très tôt le Conseil d’Etat a admis qu’il pouvait délivrer l’autorisation illégalement refusée (CE, 7 févr. 1873, Bourgeois : Rec. CE 1873, p. 124. – CE, 20 mai 1881, Bridot : Rec. CE 1881, p. 519.. – CE, 15 mai 1903, Clerget : Rec. CE 1903, p. 356. – CE, 20 janv. 1929 : Rec. CE 1929, p. 111. – CE, 13 mars 1937, Delanos : Rec. CE 1937, p. 313. – CE, 27 nov. 1957, Ville Meudon : Rec. CE 1957, p. 924.. – CE, 16 nov. 1962 : AJDA 1963, p. 170) et d’ailleurs cette tradition s’est perpétuée (par ex. : CE, sect., 15 déc. 1989, Min. env. c/ Sté Spechinor : Juris-Data n° 1989-646026 ; Rec. CE 1989, p. 254. – CAA Nancy, 19 avr. 2004, Min. Écologie et Développement durable : LPA 5 août 2004, p. 21, note D. Gillig. – CAA Nancy, 21 juin 2004, SARL Kaibacker : Environnement 2004, comm. 112, obs. D. Gillig – CAA Douai, 1re ch., 2 oct. 2008, no 08DA00161, Sté BPE Lecieux, in CPEN), le principe jurisprudentiel trouvant au demeurant un encrage textuel depuis 1992 (cf. l’article L. 514-6 du code de l’environnement ). Aujourd’hui ce même pouvoir voir un industriel soutenir pendant près de dix ans une thèse devant le juge qui n’est finalement invalidée que par un changement de la nomenclature la neuvième année du procès. Il est effectivement très élégant de ne pas avoir laissé à la charge du demandeur les frais irrépétibles. De la même façon l’annulation peut constituer une certaine garantie en cas de poursuite pénale pour exploitation sans titre.  Mais on ne doit pas craindre de poser alors cette question fondamentale : qui protège l’industriel des erreurs d’administration du Conseil d’Etat ? Or dans notre cas on se permettra d’en relever une, du moins que l’on peut soupçonner à la seule lecture de l’arrêt : si l’administration a mis en demeure l’exploitant de déposer une DAE c’est qu’il a mené l’activité controversé et comme le reconnaît l’arrêt lui-même à ce moment il menait une activité qui n’avait pas à être classée et qui donc bénéficie des droits acquis consacrés par l’article L 513-1 du code de l’environnement  bafoués par le juge lui-même … rappelons qu’aux termes de cette disposition « Les installations qui, après avoir été régulièrement mises en service, sont soumises, en vertu d’un décret relatif à la nomenclature des installations classées, à autorisation, à enregistrement ou à déclaration peuvent continuer à fonctionner sans cette autorisation, cet enregistrement ou cette déclaration, à la seule condition que l’exploitant se soit déjà fait connaître du préfet ou se fasse connaître de lui dans l’année suivant la publication du décret ». Et au demeurant on doit encore remarquer que la mise en demeure s’avère la première étape obligée des sanctions administratives. Ainsi on ne peut manquer de considérer que la solution retenue revient à appliquer un classement plus sévère à une situation antérieurement constituée. Mais l’arrêt comporte ici une précision importante qui fait au moins tomber la thèse des droits acquis : « qu’il résulte de l’instruction que la fabrication d’amendements organiques par la SOCIETE LANVIN S.A. utilise désormais des matières premières issues de l’industrie agro-alimentaire ». Bref c’est un changement de process dans la production de l’amendement qui rend cette activité justiciable de la nouvelle rubrique n°  2170 car ce n’est qu’à exploitation à l’identique que la jurisprudence admet traditionnellement les droits…