Le Conseil d’Etat s’est refusé à annuler certaines dispositions de l’instruction 6 E-2 11 du 1er avril 2011 relative à l’imposition forfaitaire sur les entreprises en réseaux (IFER) (CE, 26 novembre 2011, SNC Parc éolien de Saint-Léger et SAS Parc éolien du bois Clergeons).

 

La haute juridiction administrative a estimé que le relèvement de 140 % du tarif de l’IFER applicable aux installations terrestres de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent, aux installations de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique hydraulique des courants et aux centrales de production d’énergie électrique d’origine photovoltaïque (régime déterminé par l’article 108 de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 et repris dans l’instruction contestée) était tout à la fois conforme à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

 

Balayant une à une les prétentions des sociétés demanderesses qui contestaient les dispositions d’une instruction administrative reprenant et commentant les dispositions législatives relatives à l’IFER, le Conseil d’Etat valide la hausse vertigineuse de cette imposition dont le tarif a grimpé de 2,913 euros/ KW à 7 euros / KW en 2011.

 

Statuant en premier lieu sur la recevabilité des requêtes en annulation de l’instruction formées par les sociétés, les juges du Palais-Royal ont seulement admis la recevabilité des recours appuyés sur les dispositions intéressant la hausse du tarif de l’imposition, rejetant en cela toute possibilité de recours contre les dispositions entourant les modalités de répartition de l’imposition entre les collectivités territoriales. Plus précisément, le Conseil d’Etat reconnaît aux sociétés un intérêt à agir suffisant pour demander l’annulation du § 18 de la circulaire relatif au tarif de l’IFER (en tant que redevables) mais non pas pour demander l’annulation du § 169 de l’instruction relatif à la répartition du produit de l’imposition. Ici, la rédaction de la décision ne renseigne pas sur la motivation du Conseil d’Etat pour justifier de l’absence d’intérêt suffisant à former un recours en excès de pouvoir à l’encontre de ces dernières dispositions.

L’on sait que, depuis la décision « Mme Duvignères » (CE, 18 décembre 2002, aff. n° 233618), les dispositions d’une circulaire ou d’une instruction – quand bien même se limitent-elles à reprendre des dispositions législatives existantes – peuvent désormais être contestées devant le juge administratif dès lors qu’elles revêtent un caractère impératif : depuis 2002, toute disposition impérative à caractère général d’une circulaire ou d’une instruction doit être regardée comme faisant grief, alors même qu’elle se bornerait à réitérer une règle déjà contenue dans une norme juridique supérieure, le cas échéant en en reprenant les termes exacts. Reste que pour que le recours en excès de pouvoir soit admis, la procédure administrative contentieuse exige des requérants de justifier d’un intérêt suffisant à obtenir l’annulation d’un acte administratif. Il semble que pour le Conseil d’Etat, la répartition du produit de l’imposition soit sans incidence sur la situation des entreprises qui, en tout état de cause, sont assujetties à l’imposition quelle que soit la clé de répartition de l’IFER entre les communes, les intercommunalités à fiscalité propre et les départements : redevables de l’imposition, elles se sont pas directement impactées par les conditions de répartition de l’imposition entre les collectivités territoriales même si ces dernières sont favorables aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre.

 

Du point de vue du Conseil d’Etat, seul le recours en excès de pouvoir formé contre les dispositions de l’article 18 de l’instruction est donc recevable. Toutefois, le Conseil d’Etat s’est refusé à admettre que ces dispositions portent atteinte aux articles 6 et 13 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) ou même à certaines dispositions de la Convention européenne des droits de l’Homme (art. 1er du protocole additionnel à la CEDH et article 14 de la convention).

 

Relativement à la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), soulevée par mémoire distinct et motivé, le Conseil d’Etat refuse d’opérer le renvoi des dispositions contestées au motif qu’elle ne présente pas un caractère sérieux ni nouveau. Ce sont, en effet, les conditions posées tenant à la recevabilité de la QPC (inscrite à l’article 61-1 de la Constitution et précisée par l’article 23-2 de l’ordonnance n°58-1061 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel) : la disposition contestée doit être applicable au litige, ne pas avoir été déclarée conforme à la Constitution (sauf changement de circonstances), être nouvelle et présenter un caractère sérieux. Les deux premières conditions ne suscitaient pas de remarques particulières dès lors que l’on est en présence d’une instruction à caractère impératif reprenant des dispositions législatives (cf. CE, 9 juillet 2010, Mathieu, aff. n° 339081) et que le Conseil constitutionnel n’a pas eu à examiner les dispositions législatives contestées reprises dans l’instruction. Par contre, le Conseil d’Etat devait examiner le caractère sérieux et nouveau de la question.

 

Reprenant le considérant de principe posé dans la décision n°79-107 DC du 12 juillet 1979, le Conseil d’Etat rappelle que le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente les différences de situation ni à ce qu’ il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit (cf. également : CC, 21 janvier 2011, n° 2010-88 QPC, « Mme Boisselier »).

Du point de vue de la jurisprudence fiscale, le Conseil d’Etat estime que le choix du législateur de traiter différemment les entreprises productrices d’électricité n’est pas contraire à la Constitution puisque la question n’est ni nouvelle ni sérieuse. Pour le Conseil d’Etat, il n’existe pas de rupture du principe d’égalité devant la loi fiscale ni devant l’impôt. Ainsi, la jurisprudence du Conseil constitutionnel laisse apparaître que suite au remplacement de la taxe professionnelle par la contribution économique territoriale, avec la création de l’IFER, le législateur a entendu préserver les ressources des collectivités territoriales en soumettant les entreprises en réseaux à cette nouvelle imposition sans pour autant créer de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques (CC, déc. n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, Loi de finances pour 2010).

Suivant la décision du Conseil d’Etat commentée, le relèvement du tarif de l’IFER opéré par l’article 108 de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 s’explique par les buts poursuivis par le législateur, à savoir : inciter financièrement les collectivités territoriales à implanter des installations de production d’électricité et développer une meilleure répartition de ces installations sur le territoire. Aussi, il existerait une différence de situation entre les entreprises éoliennes ou hydrauliques et celles du nucléaire ou du thermique justifiant une différence de traitement entre elles motivée par des raisons d’intérêt général en rapport avec la loi. Ce faisant, le juge administratif s’en remet à la complaisante souplesse de la jurisprudence constitutionnelle en matière de législation économique (qu’il s’agisse, par exemple, d’encourager l’épargne, de stimuler la croissance et l’emploi ou encore de soutenir la consommation), laquelle admet la constitutionnalité de dispositions incitatives et inégalitaires !

Ensuite, toujours en reprenant à son profit la jurisprudence constitutionnelle (CC, 21 janvier 2011, n° 2010-88 QPC, « Mme Boisselier », op. cit. ), le Conseil d’Etat écarte toute rupture du principe d’égalité devant les charges publiques : il n’existe pas de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques entre les entreprises, le dispositif législatif n’aboutissant pas à faire peser sur les entreprises redevables une charge manifestement excessive au regard de leurs faculté contributives ! Il est vrai, qu’en droit fiscal, les classifications établies entre les catégories de contribuables (et les différences de traitement qui en découlent) résultent d’arbitrages politiques que le Conseil constitutionnel prend garde de ne pas heurter ( du fait de son refus de se reconnaître un pouvoir d’appréciation aussi large que le Parlement) !

Par effet de cascade, en se saisissant lui-même de la jurisprudence constitutionnelle sur la recevabilité de la QPC, le Conseil d’Etat se tient également à l’écart de telles considérations. Ainsi, le tarif de l’IFER lui apparaît être établi sur des critères objectifs et rationnels cohérents avec les motifs d’intérêt général sur lesquels ils prennent appui. Malheureusement, la haute juridiction administrative ne développe d’analyse réelle des ces buts d’intérêt général … aussi, pourrait-on avancer que la carotte financière se doit d’être suffisamment alléchante pour amener les collectivités et les intercommunalités à accepter les parcs éoliens sur leur territoire (d’autant que leur démultiplication sur le territoire est ardemment souhaitée par le Grenelle de l’environnement), quelles qu’en soient les conséquences sur les entreprises évoluant dans le secteur éolien (même une hausse exponentielle du tarif de l’IFER) ! Dès lors, les objectifs du Grenelle de l’environnement et la volonté de limiter l’impact de la suppression de la taxe professionnelle pour les collectivités territoriales et leurs groupements l’emportent sur l’alourdissement des charges pesant sur les entreprises !

 

 

Enfin, ce sont les mêmes considérations « politiques » qui entrent en ligne de compte dans le rejet de l’invocation de la violation du paragraphe 1 du protocole additionnel à la CEDH comme de l’article 14 de la CEDH. Certes, l’article 1er du protocole additionnel à la CEDH pose le droit au respect de ses biens pour une personne physique et l’interdiction de privation de sa propriété mais, parallèlement, la Cour européenne des droits de l’homme admet les ingérences dans ce droit à la condition qu’il existe un rapport de proportionnalité acceptable entre les exigences d’intérêt général et l’atteinte aux biens des personnes, sachant que la Cour reconnaît elle-aussi une large marge d’appréciation au législateur dès lors que les décisions en cause tendent à régler des problèmes politiques ou économiques ressortissant de la compétence des Etats (CEDH, 4 janvier 2008, n° 25834/05 et 27815/05, Imbert de Tremiolles c/France). L’influence de cette jurisprudence européenne est très nette dans la décision du Conseil d’Etat commentée, le juge administratif y rappelant les considérations d’intérêt général justifiant l’atteinte aux biens des sociétés requérantes, la marge d’appréciation laissée au législateur et l’absence d’atteinte disproportionnée à ces biens. De même, la méconnaissance de l’article 14 de la CEDH dont l’objet est d’assurer la jouissance des droits et libertés inscrits dans la Convention sans aucune distinction n’est pas reconnue.

 

 

In fine, cette décision du Conseil d’Etat confirme la très large marge d’appréciation dont bénéficie le législateur en matière fiscale : les fondements politiques de la matière sont toujours assortis d’un contrôle retenu du juge ! Reste que la situation peut apparaître choquante en présence d’une hausse d’imposition à hauteur de 140 % pour les assujettis…

 

 

Patricia Demaye-Simoni

Maître de conférences en droit public