Coup d’arrêt aux travaux d’infrastructure des JO 2024

Par Lucas DERMENGHEM, Avocat Of Counsel, GREEN LAW AVOCATS Par une ordonnance en date du 5 mai 2020, le juge des référés de la Cour administrative d’appel de Paris a décidé de suspendre l’exécution de l’arrêté du Préfet de Région Ile-de-France en date du 22 novembre 2019 déclarant d’intérêt général les travaux d’aménagement de l’échangeur de Pleyel (A86) et de Porte de Paris (A1) à Saint-Denis. Pour solliciter la suspension de l’arrêté litigieux, le conseil départemental des parents d’élèves de Seine-Saint-Denis et l’association « Vivre à Pleyel » avaient soulevé toute une série de moyens tenant tant à la légalité externe qu’à la légalité interne de l’acte. En premier lieu, l’ordonnance retiendra l’attention s’agissant de la question de la compétence du juge des référés de la Cour administrative d’appel de Paris. Les requérants s’étaient en effet adressés à cette juridiction en vertu des dispositions dérogatoires de droit commun instituées par le décret n°2018-1249 du 26 décembre 2018 (aujourd’hui codifiées au 5°de l’article R311-2 du code de justice administrative), qui confèrent à la Cour compétence pour connaître en premier ressort des litiges afférents aux « aux opérations d’urbanisme et d’aménagement, aux opérations foncières et immobilières, aux infrastructures et équipements ainsi qu’aux voiries dès lors qu’ils sont, même pour partie seulement, nécessaires à la préparation, à l’organisation ou au déroulement des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ». Le juge des référés a estimé qu’au regard de sa portée et de ses effets, l’arrêté litigieux devait être regardé comme portant effectivement sur les opérations susmentionnées. Après avoir aisément retenu la condition d’urgence requise par l’article L521-1 du code de justice administrative, le juge des référés s’est penché sur l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté préfectoral du 22 novembre 2019. Par un considérant rédigé en des termes relativement cinglants, le juge des référés énonce que plusieurs des moyens soulevés par les requérants sont de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision. Et de citer d’une part le moyen tiré de l’irrégularité de la procédure de concertation avec le public dans la mesure où celui-ci n’a pu avoir accès aux informations suffisantes et pertinentes au sens de l’article L122-1 du code de l’environnement et, d’autre part, le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation, en ce que le Préfet de région n’a pas suffisamment pris en considération l’impact sanitaire négatif du projet, ni son impact sur la dégradation de la qualité de l’air au niveau des sites à proximité des sites sensibles. C’est ce deuxième point qui retiendra davantage notre attention, dans la mesure où il symbolise l’importance prépondérante des enjeux liés à la qualité de l’air en région parisienne, et plus généralement à l’échelle nationale et européenne. Cette décision s’inscrit ainsi dans le cadre d’une jurisprudence de plus en plus fournie du juge administratif à propos de cette problématique. Rappelons sur ce point que la directive européenne 2008/50/CE du 21 mai 2008 dite « Air pur pour l’Europe » impose aux Etats membres une obligation de résultat tenant à ce que les niveaux de certains polluants dans l’air ambiant ne dépassent pas des valeurs limites. A défaut, les Etats  doivent mettre en place des plans relatifs à la qualité de l’air prévoyant des mesures appropriées pour que cette période de dépassement soit la plus courte possible. A cet égard, en octobre 2019, la Cour de Justice de l’Union européenne a reconnu que la France avait manqué à ses obligations au titre de cette directive (lire notre commentaire de cette décision ici). Et, très récemment, la Commission européenne a mis en demeure la France de transposer correctement en droit national les dispositions issues de la Directive 2016/2284 du 14 décembre 2016 concernant la réduction des émissions nationales de certains polluants atmosphériques. Sur le plan interne, la responsabilité de l’Etat français a été reconnue par certains tribunaux administratifs qui ont caractérisé la carence fautive de l’Etat en raison de l’insuffisance des mesures prises pour réduire la pollution de l’air, notamment en Ile-de-France et dans l’agglomération lilloise (voir par exemple : TA Montreuil, 25 juin 2019, n°1802202  / TA Paris, 4 juillet 2019, n°17093334 / TA Lille, 9 janvier 2020, n°1709919 ; lire nos analyses ici et ici). Egalement, les juges ont pu considérer que les plans régionaux adoptés pour améliorer la qualité de l’air ne sont pas satisfaisants pour remplir l’obligation de résultat imposée par l’UE. Dans son jugement du 4 juillet 2019, le tribunal administratif de Paris a ainsi souligné que la persistance des dépassements observés dans la région traduit l’incapacité du plan de protection régional de l’atmosphère d’Ile-de-France à permettre une réduction rapide des valeurs de dioxyde d’azote et de particules fines dans l’air, en méconnaissance des objectifs européens. Et la problématique de la qualité de l’air est en passage de devenir une préoccupation d’autant plus majeure au regard du contexte épidémique actuel, alors que les liens entre pollution de l’air et mortalité liée au Covid-19 ont été mis en évidence par plusieurs études scientifiques. Parmi les plus récentes nous citerons une étude en date du mois d’avril 2020 publiée par des chercheurs de l’université d’Harvard aux Etats-Unis qui concluent, à partir de l’analyse des données d’environ trois mille comités américains, qu’ « une légère augmentation de l’exposition à long terme [dix ou quinze ans] aux particules fines PM2,5 entraîne une forte augmentation du taux de mortalité par Covid-19 ». Récemment, l’association Respire s’est appuyée sur cette étude pour demander au Conseil d’Etat d’enjoindre au gouvernement de prendre toutes les mesures pour limiter les sources de pollution dans ce contexte sanitaire incertain. Même si le Conseil d’Etat a rejeté la requête de l’association (CE, 20 avril 2020, n°440005) il a toutefois  encouragé l’administration à « faire preuve d’une vigilance particulière dans le contexte actuel d’état d’urgence sanitaire, en veillant à ce que soient prises, au besoin préventivement en cas de menace avérée de franchissement des seuils, des mesures propres à éviter la survenue ou au moins à réduire la durée des épisodes de franchissement des seuils (…) ». Dans ce contexte, la décision du juge des référés de la Cour administrative…

Les procédures d’urbanisme et environnementales à l’épreuve du covid-19

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) La situation exceptionnelle qui nous touche en ce moment n’épargne ni le droit de l’urbanisme  ni le droit de l’environnement. En effet l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période (ci-après appelée « l’ordonnance ») est venue modifier certains délais applicables, afin de s’adapter à cette situation inédite, cela conformément à l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (ci-après appelée « la loi »). L’ordonnance se présente en trois parties : le titre Ier relatif aux dispositions générales relatives à la prorogation des délais ; le titre II relatif aux autres dispositions particulières aux délais et procédures en matière administrative ; le titre III relatif aux dispositions diverses et finales. Sur la prorogation des délais En premier lieu apportons des précisions sur la période concernée. Le I de l’article 1er de l’ordonnance énonce : « Les dispositions du présent titre sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 22 mars 2020 susvisée ». L’article 4 de la loi indique que « l’état d’urgence sanitaire est déclaré pour une durée de deux mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi ». A première vue, la fin de l’état d’urgence sanitaire serait donc le 24 mai 2020, la loi susmentionnée étant entrée en vigueur le 24 mars 2020. Ainsi les délais qui expirent entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020 (1 mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire) pourront bénéficier de la prorogation (ci-après appelée « la période »). Notons néanmoins que la prorogation de l’état d’urgence sanitaire au delà de la durée prévue est possible (article L.3131-13 du code de la santé publique). De même il peut y être mis fin avant l’expiration du délai fixé (article L.3131-14 du code de la santé publique). S’agissant des mesures prorogées en particulier, l’article 3 énonce : « Les mesures administratives ou juridictionnelles suivantes et dont le terme vient à échéance au cours de la période définie au I de l’article 1er sont prorogées de plein droit jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la fin de cette période : 1° Mesures conservatoires, d’enquête, d’instruction, de conciliation ou de médiation ; 2° Mesures d’interdiction ou de suspension qui n’ont pas été prononcées à titre de sanction ; 3° Autorisations, permis et agréments ; 4° Mesures d’aide, d’accompagnement ou de soutien aux personnes en difficulté sociale ; 5° Les mesures d’aide à la gestion du budget familial. Toutefois, le juge ou l’autorité compétente peut modifier ces mesures, ou y mettre fin, lorsqu’elles ont été prononcées avant le 12 mars 2020 ». Le 3° vise donc, pour le droit de l’urbanisme et de l‘environnement, les permis de construire, d’aménager, de démolir, les déclarations préalables mais aussi les autorisations d’exploiter au titre de la réglementation des ICPE et les autorisations environnementales qui arrivent à échéance durant cette période ; qui sont donc prorogés jusqu’au 24 août a priori. Il s’agit ici des autorisations déjà délivrées et qui devaient expirer pendant la période. Notons que la prorogation ne constitue ni une suspension, ni une interruption des délais mais un report du terme extinctif initialement prévu, à la date limite prévue, en l’occurrence le 24 août. Il convient de d’indiquer que l’article 2 de l’ordonnance énonce que : « Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.». En matière d’urbanisme, est notamment ici concernée la formalité imposée par l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme qui consiste en la notification dans un délai de 15 jours de son recours à l’auteur de la décision et au titulaire de l’autorisation, à peine d’irrecevabilité.   2. Sur les délais d’instruction L’article 7 énonce : « Sous réserve des obligations qui découlent d’un engagement international ou du droit de l’Union européenne, les délais à l’issue desquels une décision, un accord ou un avis de l’un des organismes ou personnes mentionnés à l’article 6 peut ou doit intervenir ou est acquis implicitement et qui n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, suspendus jusqu’à la fin de la période mentionnée au I de l’article 1er. Le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir pendant la période mentionnée au I de l’article 1er est reporté jusqu’à l’achèvement de celle-ci. Les mêmes règles s’appliquent aux délais impartis aux mêmes organismes ou personnes pour vérifier le caractère complet d’un dossier ou pour solliciter des pièces complémentaires dans le cadre de l’instruction d’une demande ainsi qu’aux délais prévus pour la consultation ou la participation du public ». Précisions étant faite que les organismes ou personnes visées à l’article 6 sont entendus largement : il s’agit des administrations de l’Etat, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics administratifs ainsi que des organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale. Ainsi, les délais d’instruction qui ont commencé à courir avant le 12 mars 2020 et qui n’avaient pas expiré avant cette date, sont suspendus jusqu’au 24 juin 2020. De même les délais d’instruction qui auraient dû commencer à courir pendant la période concernée sont reportés : ils commenceront à courir le 25 juin 2020 a priori….

Le droit répressif des ICPE en pratique : le bilan critique du CGEDD

Par Maître Ségolène REYNAL (Green Law Avocats) Le Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD) a commis un rapport sur l’utilisation des sanctions introduites par l’ordonnance n°2012-34 du 11 janvier 2012 réformant la police de l’environnement, dont le texte est entré en application le 1er juillet 2013. Le Conseil fait trois constatations. I/ L’ordonnance 2012-34 a fait évoluer le régime juridique de façon majeure Avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance il existait 27 polices spéciales de l’environnement. Cette multiplicité de dispositions illustrait un manque de cohérence. C’est pourquoi l’ordonnance n°2012-34 a procédé à l’harmonisation de ces législations en renforçant les outils visant à réprimer des situations irrégulières qui conduisent à des atteintes à l’environnement et/ou faussent la concurrence entre les entreprises. Son objectif est de simplifier, réformer et unifier les dispositions de police administrative et judiciaire du Code de l’environnement. L’ordonnance a introduit de nouvelles sanctions : au plan administratif l’amende et l’astreinte administrative, et au plan pénal la transaction pénale et l’audition pénale (introduite par l‘article L.172-8 du Code de l’environnement, lui-même visé par l’ordonnance). La circulaire de la DGPR du 19 juillet 2013 en fixe les conditions d’application. Que ce soit par sa nature ou par sa taille, chaque ICPE appelle des pratiques et des choix de sanctions appropriés. En élargissant la palette des sanctions possibles, l’ordonnance marque une avancée dans la capacité d’adaptation de l’action publique. Rappelons que le contrôle des ICPE est opéré soit de manière planifiée soit sur plainte. Les visites conduisent à des constats qui sont classables en trois catégories : les infractions délictuelles, les non conformités aux prescriptions et le manque de renseignements. Les inspecteurs de l’environnement disposent désormais de cinq modalités de sanctions administratives : la consignation ; les travaux d’office ; la suspension du fonctionnement de l’installation ; l’amende et l’astreinte. Les deux dernières sanctions ont été prévues par l’ordonnance n°2012-34. L’amende administrative est la seule sanction pécuniaire, tandis que l’astreinte est une mesure de coercition visant à obtenir la satisfaction des motifs de la mise en demeure. La transaction pénale permet d’accélérer le traitement des infractions modérées et non intentionnelles. Elle est plus souple et plus rapide que les poursuites pénales. Elle s’inscrit dans une logique de proportionnalité de la réponse pénale. L’audition pénale par les inspecteurs ICPE doit permettre de consolider les enquêtes préalables aux poursuites. La circulaire CRIM/2017/G3 du 20 mars 2017 encadre cette possibilité. Néanmoins l’audition pénale est peu plébiscitée par l’inspection des installations classées. La réglementation des installations classées intègre parfaitement la notion de « droit à l’erreur » à travers l’exercice du contradictoire et la possibilité de prendre en compte les observations de l’exploitant, suite à une mise en demeure. Par ailleurs, les inspecteurs de l’environnement équilibrent bien les fonctions de conseil et le contrôle. A ce jour aucun contentieux spécifique aux nouvelles sanctions n’a été porté à la connaissance de la mission. Les préfets ont « compétence liée » en matière de mise en demeure et de sanctions administratives. Au pénal, le procureur a autorité sur les inspecteurs de l’environnement. II/ Une disparité frappante dans l’application des mesures : une harmonisation inachevée Il ressort du bilan réalisé par le CGEDD que les nouvelles sanctions prévues par l’ordonnance n°2012-34 répondent aux principes d’efficacité, d’équité d’exemplarité auxquels les services sont tenus. Néanmoins un certain nombre de difficultés dans la mise en place de ces mesures apparait. Le Conseil constate d’abord une application localisée dans certaines régions. En 2016, seules 5 régions dépassent plus de 10 procédures – amendes et astreintes- quand, dans six régions, aucun des départements n’en a mis en œuvre. Peu de service ont mis en œuvre la transaction pénale. Dans les régions où les mesures ont été éprouvées, seule la mise en œuvre des amendes et astreintes administratives a augmenté. Sur l’année 2015/2016, les amendes ont augmenté de 100% et les astreintes administratives de 65%. D’une manière générale, les procédures de mise en demeure permettent d’aboutir aux mises en conformité requises. Les difficultés évoquées ont plusieurs causes :  L’incohérence perçue de certains textes relatifs aux polices de l’environnement (montant des amendes, différences sur leur maximum et sur leur « proportionnalité ») Le défaut de références (absence de barème d’amende et d’astreinte) Les freins à la recherche d’efficacité dans la conduite des procédures (mise en œuvre de l’autorisation environnementale qui limite les capacités de projection des services vers d’autres procédures et la complexité de la chaîne de recouvrement des amendes et astreintes) La difficulté d’apprentissage et de maitrise d’une nouvelle procédure (identification du destinataire de la sanction, imputation des amendes, justification des montants) La relation avec les parquets est contrastée. Les consignes qu’ils donnent sont favorables aux alternatives aux poursuites quand les atteintes à l’environnement sont faibles et quand il peut y être remédié efficacement. En revanche les infractions seraient poursuivies dans les autres cas. En sens inverse, les services des ICPE craignent que leur mise en action de procédures pénales ne soit pas suivies d’effet. Cela peut conduire à ne pas mettre en œuvre les poursuites pénales alors que le contexte le justifierait. De telles situations sont inconfortables et malvenues au regard du principe d’équité. Elles renvoient au besoin de disposer de lignes directrices claires de la part de chaque parquet au travers du protocole que prévoit la circulaire CRIM/2015-9/G4 du 21 avril 2015 du ministre de la justice. A titre d’exemple les services des ICPE de Bretagne ont signé un protocole avec chaque procureur de la région concernant les procédures pénales en matières d’ICPE agricoles. Il faut bien garder en tête que les ICPE regroupent des réalités très diverses qu’il faut prendre en compte. Les stratégies et les pratiques doivent s’adapter à chaque ICPE en distinguant un effet « taille » de l’installation, un effet « chiffre d’affaires » et un effet « type d’activité ». Il est recommandé d’adapter sa façon de dialoguer avec les exploitants, sa manière de fonder les mises en demeure puis de prononcer les sanctions en tenant compte de la singularité de chaque ICPE. En conclusion, il semble selon le rapport que peu de services aient replacé et exploité les apports de l’ordonnance de 2012…

Chantiers de la simplification du droit de l’environnement : régresser ou ne pas régresser, telle est la question… ! (CE, 8 déc.2017- annulation partielle rubrique nomenclature étude d’impact)

Par Me Sébastien BECUE (GREEN LAW AVOCATS) Aux termes d’une décision du 8 décembre 2017 (n°404391) destinée à être mentionnée aux Tables, le Conseil d’Etat supprime, sur le fondement du principe de non-régression du droit de l’environnement, une partie du contenu de la rubrique n°44 « Equipements sportifs, culturels ou de loisirs et aménagements associés » de la nomenclature déterminant les projets soumis à étude d’impact figurant en annexe à l’article R. 122-2 du code de l’environnement. Analyse. Une apparente double régression Une association de protection de l’environnement introduit un recours en annulation à l’encontre des paragraphes (a) et (d) de cette rubrique, dans leur rédaction issue de la dernière révision d’ampleur du régime de l’évaluation environnementale par le décret n°2016-1110 du 11 août 2016.Ces dispositions prévoient la soumission à étude d’impact au cas par cas, c’est-à-dire après avis de l’autorité environnementale statuant sur l’opportunité de la réalisation d’une étude d’impact au regard des caractéristiques d’un projet donné : pour l’aménagement de pistes permanentes de courses et d’essais pour véhicules motorisés d’une emprise supérieure ou égale à 4 hectares (a), et  la construction d’équipements sportifs et de loisirs, ne figurant dans aucune autre rubrique du tableau, susceptibles d’accueillir plus de 5 000 personnes (d). Auparavant : l’ancienne rubrique n°44 disposait qu’étaient soumis à évaluation environnementale systématique les aménagement de terrains pour la pratique de sports ou loisirs motorisés d’une emprise totale supérieure à 4 hectares ; et au cas par cas les aménagement de moins de 4 hectares, et l’ancienne rubrique n°38 prévoyait qu’étaient soumis au régime systématique les équipements culturels, sportifs ou de loisirs susceptibles d’accueillir plus de 5 000 personnes ; et au cas par cas ceux susceptibles d’accueillir plus de 1 000 personnes et moins de 5 000 personnes.  A première vue, et c’était là l’argumentation de l’association, il semble bien que ces « déclassements » puissent être qualifiés de « régression » de la protection de l’environnement, à tout le moins dans le sens courant du terme, à savoir une évolution en sens inverse d’un phénomène qui cesse de progresser. En effet, d’une part, certains projets soumis systématiquement à évaluation environnementale bénéficient désormais du régime plus favorable de l’examen au cas par cas, ce qui peut permettre à certains d’entre eux de ne pas faire l’objet d’une évaluation, en considération de leurs caractéristiques et de leurs impacts supposés sur l’environnement et la santé humaine. D’autre part, certains projets qui faisaient l’objet d’un examen au cas par cas ne sont plus, en aucun cas, soumis à évaluation, sans même d’examen au cas par cas.    L’invocation d’un principe aux contours et à la portée normative encore flous L’association requérante fonde son argumentation sur le principe législatif de non-régression, qui figure à l’article L. 110-1 du code de l’environnement depuis l’intervention de la loi 2016-1087 du 8 août 2016 dite « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysage ». Ce nouveau principe directeur du droit de l’environnement, « selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ». Lors de son contrôle de la conformité du principe à la Constitution, le Conseil constitutionnel lui a reconnu une portée normative en ce qu’il« s’impose, dans le cadre des dispositions législatives propres à chaque matière, au pouvoir réglementaire » (décision n°2016-737 DC du 4 août 2016). Restait donc à savoir comment le Conseil d’Etat allait contrôler concrètement le respect de cette injonction faite à l’exécutif, légitimement saluée par les associations de protection de l’environnement mais également source de crainte pour les porteurs de projets qui réclament de longue date une véritable simplification du droit de l’environnement. Une application pragmatique du principe de non-régression La décision du Conseil d’Etat ne propose pas directement de guide général de mise en œuvre du principe. Saisi d’une question relative à son application au régime juridique de l’évaluation environnementale, l’appréciation du Conseil d’Etat est bornée à ce domaine du droit de l’environnement. Confronté à deux types possibles de régression, le Conseil d’Etat différencie. Il n’y pas régression quand une règlementation « déclasse » un type de projet de la soumission systématique vers la soumission au cas par cas. En effet, les projets compris dans la catégorie déclassée resteront soumis à évaluation environnementale si l’autorité environnementale estime, après une analyse concrète des caractéristiques de l’espèce, que les risques pour l’environnement méritent d’être étudiés. C’est un témoignage important de confiance dans la capacité des administrations assurant le rôle d’autorité environnementale à déterminer quels sont les projets. Il est clair que cette confiance s’explique notamment par l’exigence dont a récemment fait preuve le Conseil d’Etat vis-à-vis de cette institution, dont il a été confirmé dans la douleur qu’elle doit être fonctionnellement indépendante de l’autorité qui délivre l’autorisation (voir notre article L’autorité environnementale est morte, vive l’autorité environnementale !). Il y a présomption de régression lorsqu’une catégorie de projets ne peut plus faire l’objet d’une évaluation environnementale alors que les projets y étaient soumis auparavant. La forme négative choisie pour la rédaction de la phrase est révélatrice : dans ce cas, il y a bien, dans ce cas, régression « en principe ». Cette présomption est néanmoins réfragable : il est possible de démontrer la légitimité d’une telle soustraction. Pour cela, le type de projet devenu insusceptible d’être évalué doit également être insusceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine. Le Conseil d’Etat liste les indices permettant de justifier ce choix : la nature, les dimensions, la localisation, du type de projet, et rappelle que cette appréciation se fait au regard des connaissances scientifiques, comme le prévoit l’article L. 110-1 précité. En l’espèce, il estime que le bilan est négatif : l’association requérante a démontré, sans être efficacement contredite par l’exécutif, que ces types de projets peuvent avoir des incidences notable sur l’environnement « lorsqu’ils sont localisés dans ou à proximité de lieux où les sols, la faune ou la flore sont particulièrement vulnérables ». Le Conseil d’Etat tranche ainsi in concreto, au regard du dossier qui lui est soumis, constitué en toute logique des argumentations respectives…

Affichage électoral : le TA de Grenoble rappelle les règles de mise en demeure préalable à un titre exécutoire

Par Fanny ANGEVIN – Green Law Avocats Le Tribunal administratif de Grenoble a récemment eu à traiter de la question de l’affichage sauvage en matière électorale (jugement en date du 4 avril 2017 n°1502189). Une commune avait en effet émis un titre exécutoire à l’encontre de l’association F… sans l’avoir préalablement mis en demeure de procéder à la remise en état des lieux. Le Tribunal administratif de Grenoble considère qu’en ayant omis cette mise en demeure, le titre exécutoire devait être annulé. Ce jugement évoque notamment les règles d’affichage en matière électorale, en cette période d’élections présidentielles. Rappel des règles applicables. Le fait d’apposer ou bien de faire apposer ou encore de maintenir après mise en demeure administrative, une enseigne ou une préenseigne, en l’absence de déclaration du dispositif (articles L. 581-6 et L. 581-26 du code de l’environnement) peut faire l’objet d’une procédure administrative (amende de 1500 euros) (articles L. 581-26 à L. 581-33 du code de l’environnement). Par ailleurs, le fait d’apposer, de faire apposer ou de maintenir après mise en demeure une publicité, une enseigne ou une préenseigne en l’absence d’autorisation de l’autorité administrative, ou pour affichage dans certains lieux ou encore sans avoir observé les dispositions particulières prévues par le règlement local de publicité (article L. 581-34 du code de l’environnement) peut également faire l’objet de sanctions pénales (amende de 7500 euros). L’article L. 581-35 du code de l’environnement, prévoit que : « Est puni des mêmes peines que l’auteur de l’infraction, celui pour le compte duquel la publicité est réalisée, lorsque la publicité ou le dispositif publicitaire ne comporte pas les mentions visées à l’article L. 581-5 ou lorsque celles-ci sont inexactes ou incomplètes.    Dans le cas d’une publicité de caractère électoral, l’autorité administrative compétente met en demeure celui pour le compte duquel cette publicité a été réalisée de la supprimer et de procéder à la remise en état des lieux dans un délai de deux jours francs. Si cette mise en demeure est suivie d’effet, les dispositions de l’alinéa précédent ne sont pas applicables. » Ainsi, en cas d’affichage sauvage de caractère électoral, l’autorité administrative compétente doit mettre en demeure la personne pour le compte duquel la publicité a été réalisée, de supprimer cette publicité et de remettre en état les lieux sous deux jours francs. C’est cette règle de l’obligation de mise en demeure qu’une commune a omis d’effectuer avant de procéder à l’exécution d’office des travaux d’enlèvement des affiches contestées. Une commune avait en effet émis un titre exécutoire à l’encontre de l’association F… national sans l’avoir préalablement mis en demeure de procéder à la remise en état des lieux. Le Tribunal administratif de Grenoble considère donc qu’en ayant omis cette mise en demeure, le titre exécutoire devait être annulé : « Considérant que l’association F…N… soutient que la commune d’E. n’a pas effectué la mise en demeure prévue par les dispositions précitées avant de procéder à l’exécution d’office des travaux d’enlèvement des affiches contestées ; que la commune ne conteste pas cette absence de mise en demeure ; qu’il s’ensuit qu’elle a méconnu les dispositions précitées en émettant un titre exécutoire à l’encontre de l’association Front national sans préalablement la mettre en demeure de procéder à la remise en état des lieux ; que le titre ainsi contesté doit être annulé et ce, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête ; » (TA Grenoble, 4 avril 2017, n°1502189). Une attention tout particulière devra donc être maintenue sur la question de l’affichage électoral sauvage et des modalités de mise en demeure, par les communes en cette période d’élections présidentielles, pendant laquelle ces dernières sont évidemment très souvent confrontées à ce type de situation.