Conchyliculture : une étude d’incidence ne permet pas de régulariser l’absence d’étude d’impact (TA Poitiers, 18 mai 2017)

Par Me Fanny ANGEVIN – Green Law Avocats Par une décision en date du 18 mai 2017 n°1501183-1502175-1601564-1600480, le Tribunal administratif de Poitiers a annulé l’arrêté du préfet de la Charente-Martime qui autorisait le comité régional de la conchyliculture Poitou-Charentes à implanter des filières conchylicoles dans l’anse de la Malconche, dans le Pertuis d’Antioche et sur le territoire de la commune de Saint-Georges d’Oléron ainsi que son arrêté modificatif. Ce jugement vient rappeler que la réalisation d’une notice d’impact ne peut permettre de couvrir le vice qui entache l’autorisation, qui n’avait pas donné lieu à une saisine au cas pas cas de l’autorité environnementale. Deux associations, deux communes concernées ainsi qu’un particulier étaient à l’origine de requêtes à l’encontre de ces arrêtés. L’intérêt à agir de tous les requérants ne fait aucune difficulté au sein du jugement. Dans sa décision, le TA de Poitiers ne statue que sur le moyen des requêtes relatif à l’absence d’étude d’impact. C’est tout l’intérêt de la decision. En effet, le Tribunal rappelle tout d’abord le contenu des articles L. 122-1 R. 122-2 et R. 122-3 du code de l’environnement, dans leurs versions applicables à l’époque où la décision du préfet a été prise. Ces articles encadrent notamment les conditions dans lesquelles une étude d’impact doit être mise en place. L’article R. 122-2 du code de l’environnement prévoit que les projets doivent être soumis à étude d’impact soit de façon systématique soit après un examen au cas par cas en fonction des critères du tableau annexé au présent article. En l’espèce, le projet portait sur la « mise en place de 313 filières conchylicoles de 100 mètres chacune, chaque filière étant arrimée au sol marin par 3 corps-morts en béton de 2,5 tonnes chacun et par un ancrage à l’extrémité de chaque filière ». Or, les projets de zones de mouillage et d’équipements légers sont soumis à étude d’impact au cas par cas, au sens de la rubrique 10° g) du tableau annexé à l’article R. 122-2 du code de l’environnement. Pourtant, le Tribunal souligne que l’autorité administrative de l’Etat compétente en matière d’environnement n’a pas été saisie par le pétitionnaire d’une demande d’examen de la nécessité ou non de réaliser une étude d’impact. Un vice de procédure était donc établi. Le Tribunal administratif de Poitiers cherche ensuite dans sa décision à évaluer la possibilité de « Danthonyser » ce vice. La juridiction rappelle à ce titre que « si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et les règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou s’il a privé les intéressés d’une garantie ». C’est la fameuse jurisprudence Danthony.   Le Tribunal administratif analyse donc si le vice a été de nature à priver les intéressés d’une garantie ou a influencé le sens de la décision prise. Il estime tout d’abord qu’au vu de l’importance que revêt l’étude d’impact en droit de l’environnement, le respect de cette procédure est constitutif d’une garantie pour le public, dont il a bien été privé en l’espèce. Puis, le Tribunal analyse ensuite si le vice a pu exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative. A ce titre, la juridiction a dû répondre à une question relative à la portée du document d’incidences et notamment à la possibilité de considérer que le document d’incidences pouvait tenir lieu d’étude d’impact. Il est répondu à cette question, bien que légitime en soi au regard des éléments composant généralement un document d’incidences, par la négative. En effet, le Tribunal administratif considère que : la possibilité que le document d’incidences puisse tenir lieu d’étude d’impact n’est expressément prévue par aucune disposition législative ou réglementaire ; que ce document ne comportait pas en l’espèce, en tout état de cause, une analyse suffisante de l’ensemble des effets du projet (tout particulièrement sur le tourisme de l’île d’Oléron). Le Tribunal estime donc que « cette omission a eu pour effet de nuire à l’information complète de la population et a été de nature à exercer une influence sur la décision du préfet quant à l’impact du projet à cet égard ; que dans ces conditions et contrairement à ce qui est soutenu en défense, le défaut de saisine de l’autorité environnementale aux fins de décider si une étude d’impact était requise ou non n’a pu être régularisé par le contenu du document d’incidences, qui ne peut être regardé comme tenant lieu d’étude d’impact ». Ainsi, le Tribunal administratif de Poitiers affirme que le contenu d’un document d’incidences ne peut régulariser l’absence de saisine de l’autorité environnementale aux fins de décider si une étude d’impact est requise. Cette décision doit interpeller les porteurs de projets qui sont confrontés à la procédure au cas par cas d’étude d’impact. Dans les grandes lignes, les porteurs de projet doivent se poser la question de savoir si leur projet est soumis à étude d’impact de manière systématique ou au cas par cas (article R. 122-2 du code de l’environnement) et si les démarches afin de saisir l’autorité environnementale ont été effectuées le cas échéant (article R. 122-3 du code de l’environnement). Bien évidemment, la sécurisation d’un projet nécessite la vérification de beaucoup d’autres éléments. Cette décision doit être appréciée dans le contexte de l’ordonnance n°2016-1058 du 3 août 2016 et du décret n°2016-1110 du 11 août 2016 qui avaient eu pour volonté de réduire le nombre de projets soumis à études d’impacts. Le Tribunal administratif de Poitiers rappelle avec sa décision que les conditions afin de déterminer si le projet est soumis à étude d’impact de manière systématique ou au cas par cas, restent strictes et que l’absence de saisine de l’autorité environnementale n’est que difficilement régularisable. Les porteurs de projet devront donc être particulièrement vigilants en ce qui concerne la possible soumission de leurs projets à étude d’impact et vérifier, le cas échéant,…

L’indépendance se gagne : la réforme de l’Autorité Environnementale issue du Décret du 28 avril 2016

  Par David Deharbe (Green Law Avocat), avec la collaboration de Guillaume Cossu Pour ne pas risquer une possible sanction provenant des institutions de l’Union, la Ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer a fait suite à l’avis motivé de la Commission Européenne rappelant la mauvaise transposition par la France de la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001, en publiant un décret (Décret n°2016-519 du 28 avril 2016 portant réforme de l’autorité environnementale) portant réforme de l’Autorité Environnementale. La situation était pressante : si la Commission menaçait de sanctionner la France sur le fondement du grief précité, le Conseil d’Etat avait pour sa part annulé sur un fondement similaire une partie des dispositions du décret du 2 mai 2012 sur l’évaluation de certains plans et documents suite à un recours de l’association France Nature Environnement (CE, 26 juin 2015, pourvoi n°365876). Cette décision de la Haute Juridiction Administrative faisait elle-même suite à un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE, 20 octobre 2011, n°C-474/10) insistant sur la nécessité d’une « séparation fonctionnelle » entre « l’autorité qui autorise le projet [environnemental et] l’autorité qui en fait l’évaluation » (Gaëlle Guyard, Code Permanent Environnement et Nuisances, Elnet). Un rapport, rédigé par Jacques Vernier, avait dès lors été rendu en mars dernier sur cette nécessaire indépendance (Jacques Vernier, Rapport Moderniser l’évaluation environnementale, mars 2015). Ce décret du 28 avril 2016 institue une modification des articles R.122-6 et suivants du code de l’environnement ainsi que des articles R.104-19 et suivants du code de l’urbanisme tout en modifiant le décret n°2015-1229 du 2 octobre 2015. Ces nombreuses modifications ont eu notamment pour conséquence de « décentraliser » la compétence de l’autorité environnementale : cette fonction se retrouve en effet confiée à des « missions régionales d’autorité environnementale » du Conseil général de l’environnement et du développement durable, alors que cette compétence était auparavant confiée aux préfets de bassin, de région, de Corse ou de départements (cette ancienne attribution variant selon les plans et programmes). Selon le ministère de l’environnement (http://www.developpement-durable.gouv.fr/Segolene-Royal-renforce-l.html), ces missions rendront environ 850 avis par an (avis portant notamment sur des PLU, des SCOT, …), ainsi que 1250 décisions d’espèce sur la nécessité, ou non, pour un plan, de faire l’objet d’une évaluation environnementale préalable à son adoption. Concernant la composition de ces nouvelles missions, 2 membres permanents et 2 membres associés seront choisis de par leurs compétences et connaissances des enjeux environnementaux de la région. Ces missions ne seront composées que d’un seul membre permanent et un seul membre associé en Corse, dans les DOM et les TOM. Ces derniers pourront éventuellement être appuyés par des agents des services régionaux de l’Etat en charge de l’environnement, qui seront dès lors sous l’autorité fonctionnelle des présidents de ces missions (http://www.gouvernement.fr/conseil-des-ministres/2016-04-27/reforme-de-l-autorite-environnementale). C’est donc sur la base de cette nouvelle « hiérarchie » que semble s’apprécier la nouvelle indépendance de l’autorité environnementale : les préfets ne seront plus compétents pour gérer l’évaluation environnementale de certains documents d’urbanisme et ne disposeront théoriquement pas d’une autorité sur les agents s’en occupant. Le préfet de région restera néanmoins informé par transmission des décisions des autorités régionales « lorsque le périmètre du plan, schéma, programme ou autre document de planification est régional » (Décret du 28 avril 2016, Chapitre 1, Article 1). Les décisions seront transmises « aux préfets des départements concernés dans les autres cas »8. Autre modification intéressante, la Commission nationale du débat public se voit prélever une partie de sa compétence en matière environnementale au profit des missions régionales d’autorité environnementale. Les délais de délivrance des décisions et avis de l’autorité environnementale ne sont cependant en aucun cas modifiés. Néanmoins, il convient de constater que l’autorité environnementale ne perd pas toute sa compétence au profit de ses « antennes » régionales : le décret du 28 avril 2016 précise ainsi expressément que « La formation d’autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable pour les plans, schémas, programmes et autres documents de planification dont le périmètre excède les limites territoriales d’une région ou qui donnent lieu à une approbation par décret ou à une décision ministérielle, ainsi que pour les plans, schémas, programmes et autres documents de planification mentionnés aux 4°, 8°, 10°, 14°, 16°, 25°, 27°, 32°, 39° et 40° du I et aux 2° et 5° du II ». Si cette compétence de principe semble particulièrement étendue, celle-ci est complétée par une compétence d’exception permettant à l’autorité de se saisir des dossiers qui lui paraitrait particulièrement complexes ou importants : « La formation d’autorité environnementale peut, de sa propre initiative et par décision motivée au regard de la complexité et des enjeux environnementaux du dossier, exercer les compétences dévolues à la mission régionale d’autorité environnementale. Dans ce cas, la mission régionale d’autorité environnementale transmet sans délai le dossier à la formation d’autorité environnementale » (Décret du 28 avril 2016, Chapitre 1, Article 1). Que doit-on penser de cette nouvelle conception régionale de l’autorité environnementale ? Sans doute qu’il faudra la juger en actes, même si l’indépendance fonctionnelle donne déjà une tendance pleine de nuance. Ainsi on n’aura rarement vu les grands corps de l’Etat aussi surreprésentés pour fonder en scientificité la planification française environnementale (cf. arrêté du 12 mai 2016 portant nomination des membres des missions régionales d’autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable (MRAe)) : les membres permanents appartiennent tous aux corps des mines, des ponts ou de l’inspection générale de l’administration de développement durable. Mais on doit aussi relever que des universitaires, d’anciens magistrats administratifs, des commissaires enquêteurs sont nommés comme membres associés. Gageons que si « l’injustice produit à la fin l’indépendance » (Voltaire), les avis de l’autorité environnementale régionale seront un indicateur plus sincère à l’avenir de la suffisance de l’étude d’impact pour tous les acteurs de l’environnement et en dernier lieu pour le juge …  

L’absence de recours direct contre les dispenses d’évaluation environnementale (CE, 6 avril 2016, n°395916)

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Le Conseil d’Etat vient de dire pour droit que si la décision imposant la réalisation d’une évaluation environnementale est un acte faisant grief susceptible d’être déféré au juge après exercice d’un recours administratif préalable, tel n’est pas le cas de l’acte par lequel l’autorité environnementale décide de dispenser d’évaluation environnementale un plan, schéma, programme ou autre document de planification mentionné à l’article L. 122-4 du code de l’environnement (Conseil d’État, 6ème / 1ère SSR, 06 avril 2016, n°395916, Mentionné dans les tables du recueil Lebon) Un tel acte a le caractère d’une mesure préparatoire à l’élaboration de ce plan, schéma, programme ou document, insusceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir. La décision de dispense d’évaluation environnementale pourra, en revanche, être contestée à l’occasion de l’exercice d’un recours contre la décision approuvant le plan, schéma, programme ou document.  Rappel du contexte L’article L. 113-1 du code de justice administrative autorise les juridictions du fond à sursoir à statuer en attendant l’avis du Conseil d’Etat sur « une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges ». Le tribunal administratif de Melun a, par un jugement n° 1307386 du 17 décembre 2015, utilisé cette procédure car il rencontrait une difficulté sérieuse en matière de dispense d’évaluation environnementale à la suite d’un examen au cas par cas. Les faits de l’espèce étaient les suivants : par une décision du 22 mai 2013, le préfet de Seine-et-Marne a dispensé d’évaluation environnementale l’élaboration du plan de prévention des risques technologiques autour de plusieurs établissements. Un individu a demandé, par la voie du recours en excès de pouvoir, l’annulation de cette décision. Avant de se prononcer sur le fond du litige, le tribunal administratif devait, au préalable, déterminer si ce recours était recevable au regard de la nature de l’acte contesté. Il s’est toutefois retrouvé confronté à une difficulté juridique. Rappelons qu’aux termes du I de l’article L. 122-4 du code de l’environnement, font l’objet d’une évaluation environnementale « les plans, schémas, programmes et autres documents de planification susceptibles d’avoir des incidences sur l’environnement qui, sans autoriser par eux-mêmes la réalisation de travaux ou prescrire des projets d’aménagement, sont applicables à la réalisation de tels travaux ou projet ». Le IV du même article prévoit qu’un décret en Conseil d’Etat définit les plans, schémas, programmes et documents qui font l’objet d’une évaluation environnementale « après un examen au cas par cas effectué par l’autorité administrative de l’Etat compétente en matière d’environnement ». Ca décret a bien été édicté. Désormais, le 2° du tableau du II de l’article R. 122-17 du même code prévoit qu’est susceptible de  « faire l’objet d’une évaluation environnementale après un examen au cas par cas » un « Plan de prévention des risques technologiques prévu par l’article L. 515-15 du code de l’environnement ». Il est donc indéniable qu’un plan de prévention des risques technologiques est susceptible de faire l’objet d’une évaluation environnementale s’il en est décidé ainsi après un examen au cas par cas. En ce qui concerne les voies de recours contre les décisions imposant la réalisation d’une évaluation environnementale, il convient de constater que cette décision est susceptible de recours contentieux lorsque celui-ci est précédé d’un recours administratif préalable devant l’autorité administrative de l’Etat compétente en matière d’environnement qui a pris la décision (article R. 122-18, IV du code de l’environnement), c’est-à-dire, en principe, devant le Préfet de département (article R. 122-17 II, 2° du code de l’environnement). Le code de l’environnement reste, en revanche, muet concernant les éventuels recours contre les décisions de dispense d’évaluation environnementale. C’est la raison pour laquelle le tribunal administratif de Melun a transmis Conseil d’Etat la question suivante : « La décision par laquelle l’autorité administrative compétente en matière d’environnement décide, à l’issue de la procédure d’examen au cas par cas prévue par les dispositions de l’article R. 122-18 du code de l’environnement, de dispenser la personne publique responsable de l’élaboration du plan, schéma ou programme de réaliser une évaluation environnementale présente-t-elle un caractère décisoire permettant aux tiers de former à son encontre un recours contentieux direct. » Cette question implique, en réalité, de répondre à deux sous-questions : Quelle est la nature juridique d’une dispense d’évaluation environnementale ? La dispense environnementale peut-elle être contestée directement par les tiers par la voie du recours en excès de pouvoir ? Au regard de ces différents textes et du silence du code de l’environnement concernant les dispenses d’évaluation environnementale après un examen au cas par cas, le Conseil d’Etat a considéré que : «  Si la décision imposant la réalisation d’une évaluation environnementale est, en vertu du IV de l’article R. 122-18 du code de l’environnement précité, un acte faisant grief susceptible d’être déféré au juge de l’excès de pouvoir après exercice d’un recours administratif préalable, tel n’est pas le cas de l’acte par lequel l’autorité de l’Etat compétente en matière d’environnement décide de dispenser d’évaluation environnementale un plan, schéma, programme ou autre document de planification mentionné à l’article L. 122-4 du code de l’environnement. Un tel acte a le caractère d’une mesure préparatoire à l’élaboration de ce plan, schéma, programme ou document, insusceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir, eu égard tant à son objet qu’aux règles particulières prévues au IV de l’article R. 122-18 du code de l’environnement pour contester la décision imposant la réalisation d’une évaluation environnementale. La décision de dispense d’évaluation environnementale pourra, en revanche, être contestée à l’occasion de l’exercice d’un recours contre la décision approuvant le plan, schéma, programme ou document. » Le Conseil d’Etat raisonne donc en plusieurs temps. En premier lieu, il rappelle que la décision imposant la réalisation d’une évaluation environnementale peut faire l’objet d’un recours en excès de pouvoir si elle est précédée d’un recours administratif préalable. En deuxième lieu, le Conseil d’Etat constate qu’il n’en est rien concernant les dispenses d’évaluation environnementale, celles-ci n’étant pas visées à l’article R. 122-18 du code de l’environnement. En troisième lieu, il se prononce sur la nature juridique de la dispense d’évaluation environnementale. La dispense d’évaluation environnementale constitue, pour le…

Les enjeux environnementaux de l’étude d’impact des parcs éoliens marins

Par Sébastien Bécue – Green Law Avocats Le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) est l’autorité environnementale nationale compétente pour délivrer les avis sur l’évaluation environnementale des projets de parcs marins. Durant l’année 2015, les études d’impact de trois parcs ont été scrutés : Courseulles-sur-Mer, Saint-Nazaire et Fécamp. Dans son rapport annuel, le CGEDD a réalisé une synthèse critique des grandes problématiques qu’il a pu identifier lors de ses analyses (pages 17 à 21 du rapport), un document passionnant qui met en lumière les obstacles que la filière va devoir surmonter pour se développer. En premier lieu, le CGEDD rappelle que l’étude doit porter sur : l’ensemble des composantes du parc: fondations et éoliennes, mais aussi ouvrages de connexion jusqu’au poste de transformation électrique situé à terre et le réseau qui doit accueillir la production ; et sur les phases de construction et de maintenance – négligées par les maîtres d’ouvrage selon le CGEDD. En second lieu, le CGEDD présente les trois grands enjeux communs à tous les parcs éoliens, mais ici adaptés au milieu marin : l’enjeu paysager, pour lequel sont citées, dans le cas du projet de Fécamp, les falaises d’Etretat et de la Côte d’Albâtre ; l’enjeu avifaune, le traditionnel risque de collision et de perte d’habitats, mais aussi le potentiel effet « barrière » au déplacement des oiseaux ; l’enjeu faune sous-marine avec les perturbations sonores importantes que devrait engendrer le chantier de battage des pieux de trente mètres servant aux fondations des éoliennes. A côté de ces enjeux majeurs, trois autres sont identifiés : la conservation des sols sous-marins, la qualité des eaux marines et la pêche professionnelle. En troisième lieu, le CGEDD invite l’Etat a donné un plus grand poids, dans la procédure d’appel d’offres, aux mesures d’évitement, de réduction, de compensation et de suivi des impacts proposées par les candidats. En quatrième et dernier lieu, le CGEDD rappelle le rôle de pilote de ces trois projets et analyse les questions méthodologiques qu’ils ont posées. Le milieu marin étant moins bien connu que le milieu terrestre, la qualité des analyses y est pour le moment inférieure. Les maîtres d’ouvrage sont donc encouragés à tenir compte de ces incertitudes en les présentant dans leurs études d’impact et en privilégiant le scénario du pire ; et l’Etat à s’impliquer dans cette recherche d’une meilleure connaissance du milieu marin. Le CGEDD salue le choix du maître d’ouvrage du projet de Saint Nazaire d’avoir étudié de manière approfondie les perceptions visuelles du parc et procédé à une contre-expertise de l’impact paysager du parc. Au contraire, les insuffisances du projet de Fécamp sur ce thème, notamment au regard du site d’Etretat,  sont rappelées. L’insuffisante prise en compte des impacts sur la qualité de l’eau causés par la corrosion des fondations est pointée. Le CGEDD recommande enfin un suivi des impacts de ces parcs pour le futur et encourage l’Etat à mettre en œuvre une évaluation environnementale globale des impacts cumulés des différents parcs dans des documents de planification.  

Etude d’impact: attention à la suffisance de l’étude et aux compléments apportés post-enquête publique

Le tribunal administratif de Grenoble a rendu le 12 février 2013, un jugement (TA Grenoble, 12 février 2013, n°1101160 et n°1101168) qui intéressera tous les porteurs de projets nécessitant la réalisation d’une étude d’impact par les précisions qu’il apporte tant sur les modalités d’appréciation de la qualité d’une telle étude que sur la date d’appréciation de la complétude de cette étude. On notera d’emblée que la décision d’autorisation d’exécution de travaux et d’aménagement d’un domaine skiable dont était saisi le juge grenoblois dans cette affaire était antérieure aux réformes relatives à l’étude d’impact et à l’enquête publique. Cependant, la solution dégagée, par les termes employés nous parait être totalement applicable aux futures autorisations nécessitant la réalisation d’une étude d’impact. Sur la date d’appréciation de la complétude de l’étude d’impact Pour apprécier la complétude de l’étude d’impact produite pour la demande d’autorisation ayant donné lieu à la décision litigieuse, le juge administratif grenoblois décide de se placer à la date de l’enquête publique. Et cette position, compte tenu de la nécessaire information du public imposée par les textes pour certains projets (voir C. env., art. R. 123-1 et R. 122-2) semble amplement justifiée. En effet, l’article L. 123-1 du code de l’environnement prévoit depuis le 1er juin 2012 que « l’enquête publique a pour objet d’assurer l’information et la participation du public ainsi que la prise en compte des intérêts des tiers lors de l’élaboration des décisions susceptibles d’affecter l’environnement mentionnées à l’article L. 123-2 ». Ainsi, on comprend qu’un dossier de demande d’autorisation dès lors qu’il est soumis à une telle enquête, a non seulement vocation à informer l’autorité administrative décisionnelle mais aussi et surtout à informer le public. Bien qu’au départ réticent à cette idée (voir CAA Nancy, 04 mars 2004, n°99NC00567), le juge administratif a fini par la consacrer dans le considérant de principe suivant, lequel a d’ailleurs été récemment confirmé dans une décision que nous avions commentée ici : « les inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant le dossier soumis à enquête publique ne sont susceptibles de vicier la procédure et ainsi d’entacher d’irrégularité l’autorisation que si elles ont eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative » (CE, 14 octobre 2011, n°323257 ; confirmé par CE, 15 mai 2013, n°353010). Concernant spécifiquement l’étude d’impact, notons que celle-ci doit être obligatoirement jointe au dossier d’enquête publique, et ce depuis de nombreuses années (C. env., art. R. 123-8, 1° ; anc. art. R. 123-6, 2°). Fort de ce contexte réglementaire et jurisprudentiel, c’est tout naturellement que le tribunal administratif de Grenoble décide que : « Considérant qu’eu égard à la finalité des dispositions imposant la réalisation d’une étude d’impact, dont la qualité conditionne la bonne information du public et de l’autorité administrative sur les conséquences du projet envisagé, l’insuffisance du contenu d’une étude d’impact imposée par le Code de l’environnement est susceptible d’entacher d’illégalité les autorisations fondées pour partie sur le résultat de cette étude ; que le contenu de l’étude d’impact réalisé doit être apprécié, à cet effet, à la date de l’enquête publique, la réalisation d’enquêtes complémentaires étant insusceptible de combler d’éventuelles insuffisances à ce stade ». Et une telle solution, si elle est novatrice par sa formulation, préexistait déjà dans de précédentes décisions. Par exemple, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a déjà pu juger qu’un complément à l’étude d’impact produit postérieurement à l’enquête publique ne permet pas de palier l’insuffisance de l’étude d’impact initiale, laquelle vicie la procédure d’autorisation :  « Considérant que si l’étude d’impact mentionne qu’aucun monument protégé au titre de la législation sur les sites inscrits et les monuments historiques n’est recensé dans l’aire d’implantation des éoliennes, il ressort de cette même étude que comme l’a relevé le tribunal, plusieurs édifices protégés sont situés dans un rayon de trois à six kilomètres autour des lignes d’éoliennes projetées ; que l’étude d’impact manque de précisions sur les conséquences de la présence du parc éolien sur l’environnement visuel des monuments historiques protégés, ce qui n’a donc pas permis au public d’opérer cette appréciation ; que si une étude ayant donné lieu à un rapport complémentaire en date du 25 juillet 2007, permet par des photos-montages d’apprécier la visibilité du parc éolien depuis certains édifices protégés, ces nouveaux éléments sont postérieurs à la période de consultation du public et n’ont donc pu ainsi pallier le caractère lacunaire de l’étude d’impact initiale ; que, dès lors, la Société E. n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal a estimé, par ce seul moyen d’annulation, que le permis de construire attaqué était intervenu au terme d’une procédure irrégulière en raison de l’insuffisance de l’étude d’impact ;» (CAA Bordeaux, 30 juillet 2010, n°09BX02233 ;   voir également CAA Douai, 13 novembre 2008, n°08DA00187 ; CAA Douai, 22 janvier 2009, n°08DA00372). Ainsi, le juge grenoblois, en refusant qu’une étude d’impact initialement insuffisante soit complétée  par des éléments produits postérieurement à l’enquête publique, s’inscrit dans une voie jurisprudentielle déjà très largement usitée. Pour autant, il ne faut pas manquer de remarquer la précision qu’il apporte concernant la réalisation d’enquêtes complémentaires. En effet, tout en affirmant la date à laquelle doit être appréciée la suffisance de l’étude d’impact, il prend soin de préciser que  la réalisation d’enquêtes complémentaires est insusceptible de combler d’éventuelles insuffisances de l’étude initiale jointe au dossier de la première enquête publique. On remarquera qu’au sens des nouveaux textes (articles L. 123-13 et R. 123-14 du code de l’environnement) le commissaire enquêteur peut de demander au pétitionnaire de compléter le dossier d’enquête publique par des documents qu’il juge utiles à la bonne information du public. De plus, contrairement à ce que pourrait faire croire cette décision du juge grenoblois, la production de compléments à l’étude d’impact postérieurement à la réalisation de l’enquête publique n’entraine pas de facto l’irrégularité de la procédure d’autorisation. En effet, préalablement à la reconnaissance de l’irrégularité de la procédure, il faut nécessairement que le juge contrôle si les éléments produits venaient pallier une insuffisance de l’étude d’impact…