Par David DEHARBE, avocat gérant (Green Law Avocats)
Par une ordonnance ci-dessous téléchargeable (TA Lille, 26 janvier 2024, ord. n° 2311301), le juge des référés du Tribunal administratif de Lille, sur requête de l’UNION DES SYNDICATS AGRICOLES DE L’AISNE (USAA), l’exécution de l’arrêté du préfet de la région Hauts-de-France, préfet du Nord en date du 27 novembre 2023 fixant les modalités du régime d’autorisation de conversion des prairies permanentes à d’autres usages au sein de la région Hauts-de-France au titre du programme d’actions régional en vue de la protection des eaux contre les nitrates d’origine agricole.
Cette victoire syndicale à l’heure où une révolte contre les normes gronde dans les campagnes et bloque nos autoroutes est évidemment symbolique.
Il convient de préciser qu’ayant plaidé cette affaire, nous ne la commentons sans doute pas avec la neutralité qui s’impose. Mais l’ordonnance mettant pour la première fois (à notre connaissance) le mécanisme du référé spécial de l’article L.123-1-B du code de l’environnement, il apparait pertinent de la diffuser sur le blog de Green Law.
Et avec la réserve qui s’impose on nous autorisera sa présentation, vue du point de vue du requérant.
Avant d’être nommé directeur de cabinet de la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, l’ancien Préfet des Hauts-de-France avait trouvé un tour de passe-passe pour éviter ce qu’il considérait comme un vide juridique menaçant, selon l’État, les prairies permanentes en Hauts-de-France.
En effet, en raison de l’évolution du ratio régional de prairies permanentes fixé par l’arrêté ministériel du 31 octobre 2023 au titre de l’année 2023, arrêté publié le 1er novembre 2023, les terres situées dans la région des Hauts-de-France ne sont plus au nombre de celles pour lesquelles la pratique du retournement des prairies est encadrée au titre de la politique agricole commune.
Or dans l’attente de l’intervention d’un PAR 7 (Programme d’Action Régional), le Préfet a entendu imposer des règles drastiques en termes de dérogations à une interdiction de principe du retournement de prairies en Haut-de-France. Le préfet de la région Hauts-de-France a instauré le 27 novembre 2023, par l’arrêté litigieux, un régime de déclaration préalable en vue du déplacement des prairies permanentes et d’autorisation en ce qui concerne leur conversion, tout en fixant une limite régionale de 300 hectares sur ce point.
Selon l’Union des Syndicats Agricoles de l’Aisne, l’arrêté contesté ayant pour objet de préserver les prairies permanentes régionales en limitant les opérations de retournement constitue dès lors une décision administrative ayant une incidence sur l’environnement au sens de l’article 7 de la Charte de l’environnement et de l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement.
La consultation du public requise en pareil cas n’ayant pas été effectuée, l’Union as saisi le juge des référés sur le fondement des dispositions de l’article L.123-1-B du code de l’environnement, instituant un référé spécial, dispensant de la démonstration de l’Urgence.
En effet, les demandes de suspension présentées sur le fondement de l’article L.123-1-B du code de l’environnement des décisions pour lesquelles la participation du public est requise au titre des dispositions de l’article L.123-1-A du même code doivent être accueillies par le juge des référés dès lors que la décision a été prise sans que la participation du public requise n’ait eu lieu.
Le débat sur l’urgence n’est pas non plus totalement évacué par le droit positif de cette procédure de référé spécial aux termes de l’article L.123-19-3 du code de l’environnement :
«Les dispositions des articles L. 123-19-1 et L. 123-19-2 ne s’appliquent pas lorsque l’urgence justifiée par la protection de l’environnement, de la santé publique ou de l’ordre public ne permet pas l’organisation d’une procédure de participation du public ».
Mais il ne s’agit pas de faire un bilan des urgences : il appartient ici à l’administration de démontrer qu’elle est matériellement empêchée d’organiser la consultation du public sauf à porter atteinte à l’environnement.
Or le juge des référés du Tribunal administratif de Lille considère en l’espèce que l’arrêté querellé était bien soumis à consultation du public en ce qu’il diffère du contenu du PAR6 qui lui y avait été effectivement soumis :
«En l’espèce, si le préfet fait valoir que l’arrêté contesté est pris conformément au sixième programme d’actions régional en vue de la protection des eaux contre les nitrates d’origine agricole à propos duquel le public a été consulté, il résulte de l’instruction que ce programme ne réglemente le retournement que des seules prairies permanentes situées en zone humide, dans le périmètre de protection éloignée d’un captage, au sein d’une aire d’alimentation d’un captage ou encore d’une zone dont les sols présentent une pente supérieure à 7%. Hors ces cas de figure, le programme ne prévoit pas de modalités spécifiques pour le déplacement ou la conversion des prairies permanentes, ces modalités étant l’objet même de l’arrêté litigieux. Par suite, le préfet n’est pas fondé à soutenir que celui-ci a été pris conformément au sixième programme d’actions régional en vue de la protection des eaux contre les nitrates d’origine agricole et à se prévaloir de la consultation du public opérée préalablement à l’édiction de ce programme. Dans ces conditions, il ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l’article L. 123-9-6 du code de l’environnement pour justifier de l’absence de toute participation du public.» (TA Lille, 26 janvier 2024, ord. n° 2311301, point 6).
Or le juge des référés du Tribunal administratif de Lille considère en l’espèce que l’arrêté querellé était bien soumis à consultation du public en ce qu’il diffère du contenu du PAR6 qui lui y avait été effectivement soumis :
«En l’espèce, si le préfet fait valoir que l’arrêté contesté est pris conformément au sixième programme d’actions régional en vue de la protection des eaux contre les nitrates d’origine agricole à propos duquel le public a été consulté, il résulte de l’instruction que ce programme ne réglemente le retournement que des seules prairies permanentes situées en zone humide, dans le périmètre de protection éloignée d’un captage, au sein d’une aire d’alimentation d’un captage ou encore d’une zone dont les sols présentent une pente supérieure à 7%. Hors ces cas de figure, le programme ne prévoit pas de modalités spécifiques pour le déplacement ou la conversion des prairies permanentes, ces modalités étant l’objet même de l’arrêté litigieux. Par suite, le préfet n’est pas fondé à soutenir que celui-ci a été pris conformément au sixième programme d’actions régional en vue de la protection des eaux contre les nitrates d’origine agricole et à se prévaloir de la consultation du public opérée préalablement à l’édiction de ce programme. Dans ces conditions, il ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l’article L. 123-9-6 du code de l’environnement pour justifier de l’absence de toute participation du public.» (TA Lille, 26 janvier 2024, ord. n° 2311301, point 6).
Et toujours selon le juge des référés, contrairement à ce que soutenait le préfet des Hauts-de-France, l’administration aurait pu matériellement organiser la consultation requise et le préfet devait le faire :
« Pour justifier d’une situation d’urgence permettant de s’abstenir d’organiser toute consultation du public à l’occasion de l’édiction de ces deux régimes, le préfet invoque les risques pour la protection de l’environnement et la santé publique résultant de l’absence de toute réglementation de la pratique du retournement de prairies permanentes sur l’ensemble du territoire des Hauts-de-France. Il fait ainsi valoir que les risques de pertes d’azote sont plus importants après un retournement de prairie en été ainsi qu’en automne plutôt qu’au printemps et que l’absence de contrôle de la conversion des prairies permanentes entraînerait une dégradation conséquente de ces surfaces, à l’instar de la perte de 3652 hectares de prairies permanentes survenue en 2019. Toutefois, ces seuls éléments, en l’absence de toute quantification même sommaire de l’ampleur des retournements susceptibles d’intervenir en l’absence de toute réglementation et alors qu’un nouveau programme d’action régional réglementant ces pratiques doit intervenir dans les prochaines semaines, ne caractérisent pas, à eux seuls, l’existence d’une situation d’urgence permettant au préfet de la région Hauts-de-France de ne pas faire application des dispositions précitées de l’article L.123-19-1 du code de l’environnement, l’article L.123-19-3 du même code permettant au surplus à l’autorité préfectorale de réduire les délais prévus par le code de l’environnement pour une telle consultation » (TA Lille, 26 janvier 2024, ord. n° 2311301, point 7).
Un peu en désespoir de cause, le préfet soutenait que la suspension de l’exécution l’arrêté litigieux porterait « à l’intérêt général une atteinte d’une particulière gravité » (au sens de la jurisprudence COMMUNE DE CONFLANS-SAINTE-HONORINE CE, 16 avril 2012, n° 355792). Mais cette dispense exceptionnelle de suspendre exige a fortiori une démonstration et naturellement le juge Lillois ne pouvait que la refuser au préfet.
Cette suspension démontre au final que la guérilla contentieuse que livrent certaines associations au secteur agricole doit aussi inspirer l’action syndicale face à l’intransigeance administrative… La devise de l’USAA mérite d’ailleurs d’être rappelée : « des hommes, des idées des actions ».