Par David DEHARBE (Green Law Avocats)
Par une décision du 11 février 2019, le Tribunal des Conflits refuse de qualifier d’administratif le contrat de rattachement au périmètre d’équilibre et donne ainsi compétence à la juridiction judiciaire pour connaître des litiges y afférents (TC, 11 février 2019, n°C4148).
Le contrat de rattachement à un périmètre d’équilibre est conclu entre le producteur d’électricité et le responsable d’équilibre chargé de veiller à l’équilibre du réseau dans le périmètre prévu dans le contrat. En effet dans ce cadre contractuel, les écarts constatés entre l’électricité injectée dans le périmètre et celle consommée doivent être compensés financièrement auprès de la société Réseau Transport Electricité (RTE).
Ainsi en vertu de l’article L.321-15 du code de l’énergie :
« Chaque producteur d’électricité raccordé aux réseaux publics de transport ou de distribution et chaque consommateur d’électricité, pour les sites pour lesquels il a exercé son droit prévu à l’article L. 331-1, est responsable des écarts entre les injections et les soutirages d’électricité auxquels il procède. Il peut soit définir les modalités selon lesquelles lui sont financièrement imputés ces écarts par contrat avec le gestionnaire du réseau public de transport, soit contracter à cette fin avec un responsable d’équilibre qui prend en charge les écarts ou demander à l’un de ses fournisseurs de le faire.
Toute personne intervenant sur les marchés de l’électricité est responsable de ses écarts. Elle peut soit définir les modalités selon lesquelles lui sont financièrement imputés ces écarts par contrat avec le gestionnaire du réseau de transport, soit contracter à cette fin avec un responsable d’équilibre qui prend en charge les écarts.
Lorsque les écarts pris en charge par un responsable d’équilibre compromettent l’équilibre des flux d’électricité sur le réseau, le gestionnaire du réseau public de transport peut le mettre en demeure de réduire ces écarts dans les huit jours.
Au terme de ce délai, si la mise en demeure est restée infructueuse, le gestionnaire du réseau public de transport peut dénoncer le contrat le liant au responsable d’équilibre.
Il revient alors au fournisseur ayant conclu avec ce responsable d’équilibre un contrat relatif à l’imputation financière des écarts de désigner un nouveau responsable d’équilibre pour chaque site en cause. A défaut, les consommateurs bénéficient pour chacun de ces sites d’une fourniture de secours dans les conditions prévues à l’article L. 333-3. »
RTE en tant que gestionnaire du réseau public de transport d’électricité assure l’équilibre général du réseau d’électricité français : « Le gestionnaire du réseau public de transport assure à tout instant l’équilibre des flux d’électricité sur le réseau ainsi que la sécurité, la sûreté et l’efficacité de ce réseau, en tenant compte des contraintes techniques pesant sur celui-ci. Il veille également au respect des règles relatives à l’interconnexion des différents réseaux nationaux de transport d’électricité (…) » (art. 321-10 du Code de l’énergie)
C’est dans ce cadre juridique que la société T2S s’est vue opposer le refus de rattachement au périmètre d’équilibre dédié aux obligations d’achats d’EDF (EDF OA) conduisant le Tribunal des conflits à se prononcer sur la nature du contrat de rattachement au périmètre d’équilibre.
Sans grande surprise le juge des conflits fonde son raisonnement sur le principe constant selon lequel un contrat conclu entre deux personnes privées est un contrat de droit privé, sauf :
- Dispositions législatives contraires ;
- Lorsqu’une des parties agit pour le compte d’une personne publique ;
- Lorsque le contrat constitue un accessoire d’un contrat public.
Il s’avère qu’aucune de ces hypothèses ne s’applique au cas d’espèce, de telle sorte que la qualification de contrat de droit privé l’emporte et la compétence subséquente du juge judiciaire.
1. Le responsable d’équilibre n’agit pas pour le compte d’une personne publique
En premier lieu, les juges considèrent que « le responsable d’équilibre n’exerce aucune mission pour le compte d’une personne publique ».
En effet, les responsables d’équilibre s’engagent auprès de RTE à prendre en charge financièrement les écarts entre l’électricité injectée et consommée au sein d’un périmètre d’équilibre.
Il est à noter que RTE créée en 2000, est devenue une société anonyme, filiale du groupe EDF par application de la loi du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières.
Si cette personne morale de droit privé exerce une mission de service public, elle n’agit pas pour autant pour le compte de l’Etat ; pas plus d’ailleurs qu’EDF, en tant que responsable d’équilibre.
Cette solution s’inscrit fait écho à l’arrêt CE, 1er juillet 2010, Société Bionerg, n°333275 selon lequel : « Considérant, en premier lieu, qu’un contrat conclu entre personnes privées est en principe un contrat de droit privé ; qu’il en va toutefois autrement dans le cas où l’une des parties au contrat agit pour le compte d’une personne publique ; que, si en vertu des dispositions précitées de l’article 8 de la loi du 10 février 2000 relatives aux contrats conclus entre Electricité de France et les producteurs d’électricité retenus à la suite d’un appel d’offres, Electricité de France et les producteurs concernés contribuent au service public de l’électricité, et plus particulièrement à l’objectif de réalisation de la programmation pluriannuelle des investissements de production arrêtée par le ministre chargé de l’énergie, les contrats en cause ne peuvent être regardés comme conclus pour le compte d’une personne publique, alors que la production d’électricité ne relève de l’Etat ou d’une autre personne publique, ni par nature ni par détermination de la loi, et est au contraire une activité économique exercée par des entreprises privées ; qu’Electricité de France n’exerce donc dans ce domaine aucune mission pour le compte d’une personne publique et n’est pas placée, pour la mission de service public à laquelle elle contribue, sous l’autorité de l’Etat ou d’une autre personne publique ; qu’au surplus, à supposer que le contrat soit soumis à un régime exorbitant du droit commun, ce qui ne peut résulter des seules conditions relatives à sa passation, cette circonstance serait en tout état de cause sans incidence, s’agissant d’un contrat entre deux personnes privées ; qu’il résulte de ce qui précède que le contrat en cause dans le litige est un contrat de droit privé ; »
C’est donc logiquement que le contrat ne peut être rattaché à une personne publique ; ce critère organique fait ici défaut.
2. Le contrat de rattachement à un périmètre d’équilibre est indépendant au contrat d’achat.
En second lieu, le Tribunal des conflits analyse les rapports entre le contrat de rattachement à un périmètre d’équilibre et le contrat d’achat qui est de nature administrative par détermination de la loi (article L. 314-7 code de l’énergie). En effet, la société EDF soutenait la compétence de la juridiction administrative, au motif que le contrat de rattachement au périmètre est accessoire au contrat d’obligation d’achat et de la création d’un bloc de compétence de nature à garantir une bonne administration de la justice.
En vertu de l’article L. 314-1 du code de l’énergie, il y a une obligation d’achat en vertu de laquelle EDF est tenue de conclure des contrats d’achat d’électricité à la demande des producteurs, lorsque les installations de production sont raccordées aux réseaux publics de distribution :
« Sous réserve de la nécessité de préserver le fonctionnement des réseaux, Electricité de France et, si les installations de production sont raccordées aux réseaux publics de distribution dans leur zone de desserte, les entreprises locales de distribution chargées de la fourniture sont tenues de conclure, lorsque les producteurs intéressés en font la demande, un contrat pour l’achat de l’électricité produite sur le territoire national par les installations dont la liste et les caractéristiques sont précisées par décret parmi les installations suivantes : (…) 2° Les installations de production d’électricité qui utilisent des énergies renouvelables, à l’exception des énergies mentionnées au 3°, ou les installations qui mettent en œuvre des techniques performantes en termes d’efficacité énergétique telles que la cogénération. Les limites de puissance installée des installations de production qui peuvent bénéficier de l’obligation d’achat sont fixées par décret. Les règles de détermination du périmètre d’une installation de production sont fixées par arrêté du ministre chargé de l’énergie… »
Certes, le rattachement d’une installation à un périmètre d’équilibre est nécessaire à l’obtention d’un contrat d’achat d’électricité ; toutefois si les deux contrats demeurent interdépendants, le premier n’est aucunement l’accessoire du second. Pour le Tribunal des conflits « la circonstance que le périmètre d’équilibre auquel le rattachement est demandé soit dédié aux installations bénéficiant de l’obligation d’achat est sans incidence sur la nature de la convention ».
Cette position avait été aussi celle de la Cour de cassation, s’agissant de la relation entre le contrat d’achat et le contrat de raccordement (Cass, 1ère civ., 18 décembre 2014, 13-27.890).
De même pour le Tribunal des conflits « le contrat de raccordement soit l’accessoire du contrat d’achat de sorte que la qualification de contrat administratif conférée à ce dernier par l’article L. 314-7 du code de l’énergie tel qu’il résulte de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 ne s’étend pas au premier » (TC, 8 juillet 2013, Société d’exploitation des énergies photovoltaïques (SEEP) c/ EDF et ERDF, n° 3906, p. 371.).
On sait au demeurant que ces dernières années la « théorie de l’accessoire » tend à faire l’objet d’une interprétation plus stricte afin de ne pas multiplier les exceptions à la compétence judiciaire s’agissant de contrats passés entre personnes privées. Ainsi selon la Cour de cassation, un contrat de vente de gaz naturel contracté pour l’alimentation d’autobus ne constitue pas l’accessoire d’une concession de service public ayant pour objet la gestion du réseau de transport urbain, ceci même s’il existe un « lien étroit » entre eux (Cass, 1ère civ., 6 juin 2018, n°17-20.777).
Cette décision permettra de faciliter le règlement des litiges en matière de contrat de rattachement aux périmètres d’équilibre, qui revient désormais aux juridictions civiles.
Il convient néanmoins de remarquer que le contentieux de l’énergie nécessite bien trop souvent l’intervention du Tribunal des conflits ; de façon dilatoire l’Etat et les entreprises publiques de réseau s’évertuant à imposer au justiciable un débat sur la dualité juridictionnelle en cherchant la protection bienveillante du juge administratif …