Par Mathieu DEHARBE, juriste (Green Law Avocats)
Cela fait près d’une décennie que le législateur engage une sortie progressive de la France des énergies fossiles comme en témoigne l’adoption de plusieurs textes :
- La loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (JORF n°0189 du 18 août 2015) ;
- La loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement (JORF n°0305 du 31 décembre 2017) ;
- La loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat (JORF n°0261 du 9 novembre 2019) ;
- La loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (JORF n°0196 du 24 août 2021).
Dans ce contexte de limitation du recours aux énergies fossiles, les sociétés European Gas Limited et EG Lorraine se sont vues refuser l’octroi de leurs permis exclusifs de recherches d’hydrocarbures liquides ou gazeux.
Les deux sociétés ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d’annuler les décisions par lesquelles le ministre chargé des mines a rejeté leur demande.
Pour refuser ces permis exclusifs de recherches d’hydrocarbures, le ministre s’est fondé sur les choix de politique énergétique de la France résultant :
- D’une part, de ses engagements dans le cadre de l'accord de Paris sur le climat du 12 décembre 2015 ;
- D’autre part, des orientations et objectifs de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique (JORF n°0189 du 18 août 2015) pour la croissance verte tendant notamment à promouvoir le développement des énergies renouvelables et à réduire les consommations d'énergie fossile.
Alors que le tribunal administratif de Strasbourg a annulé les décisions de refus litigieuses, la cour administrative d’appel de Nancy a rejeté l’appel formé par le ministre.
Pour la juridiction d’appel, l’administration ne pouvait rejeter la demande des sociétés pétitionnaires au seul motif que le projet méconnaissait les objectifs de cette politique énergétique.
Pour mémoire en droit minier, l’administration peut refuser un permis au regard des capacités du demandeur et de l’impact immédiat du projet sur son environnement (ancien article L. 122-2 du code minier ; article L.161-1 du code minier ; article 6, décret n°2006-648 du 2 juin 2006).
Pour autant, ces décisions de refus du ministre peuvent-elles se reposer sur un motif d’intérêt général fondé sur la réduction des émissions de gaz à effet serre ?
Saisi du pourvoi contre cet arrêt, le Conseil d’État répond par l’affirmative et en déduit que la cour administrative a commis une erreur de droit (CE, 24 juillet 2024, point 4, req. n°471780 et 471782).
A titre liminaire, la Haute juridiction souligne que l’État a une compétence exclusive dans la délivrance d’autorisations d’explorer et d’exploiter les ressources naturelles du sous-sol relevant du régime des mines (CE, 24 juillet 2024, point 3, n°471780 et 471782).
Ensuite, le Conseil d’État note que « Ce régime ne confère aucun droit à l’attribution d’un permis exclusif de recherches pour les opérateurs qui en font la demande alors même qu’ils justifieraient des capacités techniques et financières nécessaires pour mener à bien de tels travaux. » (CE, 24 juillet 2024, point 3, n°471780 et 471782).
En effet, il ressort de sa jurisprudence que « Le droit minier français repose sur un régime d’autorisation administrative, duquel ne découle aucun droit, pour les opérateurs concernés, à l’attribution d’un permis exclusif de recherches » (CE 27 juin 2018, Société Esso Guyane française Exploitation et Production (EGFEP) et autre, n°419316, point 21).
Enfin s’inspirant du régime des refus d’autorisations d’occupation du domaine public (CE, 25 jan. 2017, Commune de Port-Vendres, n° 395314, point 4), le juge de cassation en déduit que le refus de délivrer le permis peut reposer sur un motif d’intérêt général en rapport avec l’objet de l’autorisation en cause (CE, 24 juillet 2024, point 3, n°471780 et 471782).
Aux yeux de la Haute juridiction, la limitation du réchauffement climatique par la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation des énergies fossiles constitue un tel motif pour fonder un refus d’octroi de permis de recherches d’hydrocarbures (CE, 24 juillet 2024, point 3, n°471780 et 471782).
A la lecture des conclusions rendues sur cette affaire par Frédéric PUIGSERVER, la consécration de ce motif d’intérêt général s’explique pour plusieurs raisons.
Premièrement depuis la loi du 22 août 2021 Climat et Résilience (JORF n°0196 du 24 août 2021), l’article L. 100-3 du code minier dispose que :
Deuxièmement, compte tenu de la responsabilité de l’Etat en matière de gestion de la ressource et de définition de la politique des mines, ce dernier doit être mesure de s’opposer, pour des raisons d’intérêt général, à des travaux de recherche, avant que des droits se constituent (CE, 18 déc. 2019, Société IPC Petroleum France SA, n°421004, point 7 ; conclusions Frédéric PUIGSERVER, page 6).
Troisièmement, le respect des engagements de l’Etat en matière de réduction des émissions de GES semble constituer un intérêt général adéquat comme en témoigne Stéphane Hoynck dans ses conclusions rendues sur l’affaire Société IPC Petroleum France SA :
« La contribution des énergies fossiles au réchauffement climatique est largement documentée. Il est vrai (…) que la production d’hydrocarbures en France est limitée24, et que son impact environnemental est dès lors faible, comparé aux hydrocarbures qui sont importés et consommés en France. Mais en tant que tel cet argument ne conduit pas à dénier l’intérêt d’agir du côté de la production (…), et nous ne sommes pas loin de penser qu’une volonté d’exemplarité, face à un enjeu mondial, n’est pas illégitime pour faire avancer cet objectif de lutte contre le réchauffement climatique » (citées dans conclusions, Frédéric PUIGSERVER, page 6).
Pour autant, le rapporteur public, Frédéric PUIGSERVER, appelle à la prudence en indiquant que tout motif d’intérêt général ne suffit pas à fonder un refus de délivrance de l’autorisation :
« Au contraire, lorsque l’objet de cette demande porte sur « un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales [de] l’obtenir »25, l’administration ne pourrait, sans erreur de droit, opposer un tel motif (voir, pour le refus de nomination d’un notaire dans les zones dites d’installation dites d’installation libres : CE 25 juin 2018, Garde des sceaux, ministre de la justice c. M. B…, n° 412970 ; voir aussi, pour les titres de séjour : CE Sect. 4 févr. 2015, Ministre de l’intérieur c. M. C…, n° 383267 et autre, concl. B. Bourgeois-Machureau).
L’administration a une responsabilité particulière dans la gestion d’une ressource et que le législateur lui a laissé une marge de manœuvre suffisante, elle est fondée à opposer un motif d’intérêt général à une demande d’accès à cette ressource (voir, en matière de contrôle des structures des exploitations agricoles agricole : CE 12 déc. 2023, ministre de l’Agriculture et de l’alimentation c. M. A… et GAEC de la Ruais, n° 462416, point 5). » (conclusions Frédéric PUIGSERVER, pages 6 et 7).
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