Eau : travaux d’extension des réseaux d’eau à la charge exclusive des propriétaires
Par Maître David DEHARBE, avocat gérant et Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)
Il est de jurisprudence constante (CE, 21 juin 1993, n° 118491 ) qu’une commune ne peut prendre en charge les dépenses incombant à des personnes privées pour l’exécution de travaux ne présentant pas un intérêt général pour la commune.
Tous les ouvrages nécessaires pour amener les eaux usées à la partie publique du branchement sont à la charge exclusive des propriétaires (Code de la santé publique, article L. 1331-4 ).
D’ailleurs, le fait qu’un propriétaire ait rencontré des difficultés techniques à se raccorder ne saurait justifier que la commune doive supporter les frais de ce raccordement (CAA Bordeaux, 27 décembre 2001, n° 99BX01100 ).
Encore récemment, le juge administratif a été saisi d’un contentieux de refus d’extension des réseaux d’eau potable et d’assainissement en raison de la nature du branchement (décision commentée : TA de Saint-Pierre-et-Miquelon, n° 2300691 du 21 juillet 2025 ).
En 2004, Monsieur et Madame A ont acquis une maison d’habitation implantée sur une parcelle située lieu-dit Savoyard à Saint-Pierre.
Le 31 mai 2023, ils ont demandé par courrier à la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon de réaliser des travaux d’extension des réseaux publics de distribution d’eau potable et d’assainissement des eaux usées, afin que ces réseaux soient installés au droit de leur propriété. Précisément, ils ont demandé à l’Administration de réaliser ces travaux par la pose d’une canalisation le long de la bande de terre leur servant d’accès à la route des Laveuses.
Le 18 septembre 2023, le Président de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon a, par courrier, rejeté leur demande tendant à la réalisation de travaux d’extension des réseaux publics d’assainissement et d’eau potable, afin que ceux-ci soient installés au droit de la parcelle dont ils étaient propriétaires, située lieu-dit Savoyard à Saint-Pierre.
Le 17 novembre 2023, Monsieur et Madame A ont saisi le Tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon afin d’obtenir l’annulation du courrier de rejet du 18 septembre 2023, ainsi que l’obligation pour la collectivité de réaliser les travaux d’extension des réseaux publics d’assainissement et d’eau potable afin que ceux-ci soient installés au droit de leur propriété.
Les requérants ont mis en exergue trois arguments.
D’abord, des réseaux publics d’assainissement et d’eau potable ont été implantés au début des années 2000 au lieu-dit Savoyard, qui est relié au bourg de Saint-Pierre par une voie privée affectée à la circulation générale.
Ensuite, le terrain qu’ils ont acquis en 2004 n’a pas été raccordé à ces réseaux publics, à la différence des fonds voisins, alors qu’ils bénéficiaient eux aussi d’un accès à la parcelle, par l’intermédiaire d’une servitude de passage perpétuelle.
Enfin, les travaux d’extension des réseaux publics d’assainissement et d’eau potable qu’ils ont sollicités ont été acceptés par le propriétaire de la parcelle et ne présentaient pas un coût excessif.
La décision de rejet du Président de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon est-elle légale ?
Le Tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a répondu à cette question par l’affirmative, car le raccordement en eau potable de la partie privée du branchement au réseau public est à la charge du propriétaire (décision commentée : TA de Saint-Pierre-et-Miquelon, n° 2300691 du 21 juillet 2025 ).
Comme il a été précisé plus haut, Monsieur et Madame A ont demandé à l’Administration de réaliser des travaux d’extension du réseau public d’assainissement, afin que celui-ci soit installé au droit de leur propriété par la pose d’une canalisation le long de la bande de terre leur servant d’accès à la route des Laveuses.
S’agissant de l’extension du réseau d’assainissement, le tribunal administratif a rappelé le régime de la prise en charge figurant aux dispositions des articles L. 1331-1, L. 1331-2, L. 1331-3 et L. 1331-4 du code de la santé publique :
L’article L. 1331-1 du code de la santé publique dispose : « Le raccordement des immeubles aux réseaux publics de collecte disposés pour recevoir les eaux usées domestiques et établis sous la voie publique à laquelle ces immeubles ont accès soit directement, soit par l’intermédiaire de voies privées ou de servitudes de passage, est obligatoire dans le délai de deux ans à compter de la mise en service du réseau public de collecte (…) ». L’article L. 1331-2 du même code dispose : « Lors de la construction d’un nouveau réseau public de collecte ou de l’incorporation d’un réseau public de collecte pluvial à un réseau disposé pour recevoir les eaux usées d’origine domestique, la commune peut exécuter d’office les parties des branchements situées sous la voie publique, jusque et y compris le regard le plus proche des limites du domaine public. / (…) Ces parties de branchements sont incorporées au réseau public, propriété de la commune qui en assure désormais l’entretien et en contrôle la conformité. / La commune est autorisée à se faire rembourser par les propriétaires intéressés tout ou partie des dépenses entraînées par ces travaux, diminuées des subventions éventuellement obtenues et majorées de 10 % pour frais généraux, suivant des modalités à fixer par délibération du conseil municipal (…) ». L’article L. 1331-3 du même code dispose : « Dans le cas où le raccordement se fait par l’intermédiaire d’une voie privée, et sans préjudice des dispositions des articles L. 171-12 et L. 171-13 du code de la voirie relatives à l’assainissement d’office et au classement d’office des voies privées de Paris, les dépenses des travaux entrepris par la commune pour l’exécution de la partie publique des branchements, telle qu’elle est définie à l’article L. 1331-2, sont remboursées par les propriétaires, soit de la voie privée, soit des immeubles riverains de cette voie, à raison de l’intérêt de chacun à l’exécution des travaux, dans les conditions fixées au dernier alinéa de l’article L. 1331-2. » L’article L. 1331-4 du même code dispose : « Les ouvrages nécessaires pour amener les eaux usées à la partie publique du branchement sont à la charge exclusive des propriétaires et doivent être réalisés dans les conditions fixées à l’article L. 1331-1. Ils doivent être maintenus en bon état de fonctionnement par les propriétaires. » (décision commentée : TA de Saint-Pierre-et-Miquelon, n° 2300691 du 21 juillet 2025 ).
En somme, il résulte de ces dispositions que le réseau public d’assainissement, établi sous la voie publique, s’étend jusqu’au branchement en limite de domaine public (CAA de Marseille, 24 janvier 2020, n° 18MA00435, point 4 ; CAA de Marseille, 21 novembre 2023, n° 22MA01564, point 3 ).
D’ailleurs, le raccordement, qui correspond à la partie des canalisations qui relie l’immeuble particulier au branchement incorporé au réseau public, directement ou par l’intermédiaire d’une propriété privée, est à la charge exclusive des propriétaires, soit de l’immeuble riverain, soit des propriétés privées (CAA de Marseille, 24 janvier 2020, n° 18MA00435, point 4 ; CAA de Marseille, 21 novembre 2023, n° 22MA01564, point 3 ).
Dans ce dernier cas, les travaux à effectuer sous ces propriétés pour assurer leur raccordement à l’égout jusqu’à la limite du domaine public sont à la charge des propriétaires de ces terrains (CAA de Marseille, 24 janvier 2020, n° 18MA00435, point 4 ; CAA de Marseille, 21 novembre 2023, n° 22MA01564, point 3 ).
En l’espèce, le Tribunal a jugé que la commune peut opposer un refus à la demande d’extension du réseau d’assainissement en ce que les travaux portent sur la partie privative du branchement :
« (…) cette bande de terre d’une largeur de trois mètres est distincte de la voie privée de la route des Laveuses. Étant affectée au seul usage des requérants, pour assurer le désenclavement de leur parcelle, et non à la circulation générale, cette bande de terre ne constitue pas une voie privée et ne dessert en outre que leur seule construction. Il s’ensuit que les travaux sollicités par M. et Mme A, qui visent à installer une canalisation d’une quarantaine de mètres entre la limite de leur propriété et la voie privée, le long de la bande de terre grevée de la servitude de passage, portent sur la réalisation d’ouvrages nécessaires pour amener les eaux usées de leur construction à la partie publique du branchement, située sous la route des Laveuses. De tels travaux ne se rapportent dès lors pas à l’extension du réseau public existant, mais concernent la partie privative du branchement au réseau public d’assainissement, qui relève de la charge exclusive des propriétaires conformément à l’article L. 1331-4 cité au point précédent du code de la santé publique. Dans ces conditions, la commune de Saint-Pierre a légalement pu, sans commettre d’erreur d’appréciation, rejeter la demande d’extension du réseau d’assainissement de M. et Mme A. Le moyen ainsi soulevé n’est dès lors pas fondé. Il doit, par suite, être écarté » (décision commentée : TA Saint-Pierre-et-Miquelon, 21 juillet 2025, n° 2300691, point 6 ).
Pour ce qui est du réseau d’eau potable, le tribunal a rappelé les obligations des collectivités territoriales dans les demandes d’exécution de travaux de raccordement :
« qu’il appartient aux communes ou aux établissements publics de coopération intercommunale compétents de délimiter, dans le respect du principe d’égalité devant le service public, les zones de desserte dans lesquelles ils sont tenus, tant qu’ils n’en ont pas modifié les délimitations, de faire droit aux demandes de réalisation de travaux de raccordement, dans un délai raisonnable, pour toutes les propriétés qui ont fait l’objet des autorisations et agréments visés à l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme. Ce délai doit s’apprécier au regard, notamment, du coût et de la difficulté technique des travaux d’extension du réseau de distribution d’eau potable et des modalités envisageables de financement des travaux. En dehors des zones de desserte ou en l’absence de délimitation par le schéma de telles zones, la collectivité apprécie la suite à donner aux demandes d’exécution de travaux de raccordement, dans le respect du principe d’égalité devant le service public, en fonction, notamment, de leur coût, de l’intérêt public et des conditions d’accès à d’autres sources d’alimentation en eau potable. » (décision commentée : TA Saint-Pierre-et-Miquelon, 21 juillet 2025, n° 2300691, point 8 ).
D’une part au sein des zones de desserte, elles doivent faire droit aux demandes de réalisation de travaux dans un délai raisonnable pour les propriétés autorisées ou agrées (CE, 26 janvier 2021, n° 431494, point 4 ).
D’autre part en dehors de ces zones, elles décident des suites à donner aux demandes selon le coût, l’intérêt public et les conditions d’accès aux autres sources (CE, 26 janvier 2021, n° 431494, point 4 ).
En l’occurrence à nouveau, la commune pouvait rejeter la demande d’extension du réseau public d’eau potable sachant que les travaux s’effectuent sur la partie privative du branchement au réseau :
« Il ressort des pièces du dossier qu’un réseau public de distribution d’eau potable a été mis en place, y compris les branchements permettant le raccordement des constructions, dans le secteur du lieu-dit Savoyard, dont il est constant qu’il a été délimité en zone de desserte en matière de distribution d’eau potable, et ce notamment sous la partie nord de la route des Laveuses, au niveau de l’extrémité de la bande de terre permettant l’accès à la propriété des requérants, à une quarantaine de mètres de celle-ci. Par courrier du 31 mai 2023, M. et Mme A. ont demandé à l’administration de réaliser des travaux d’extension du réseau public d’assainissement, afin que celui-ci soit installé au droit de leur propriété par la pose d’une canalisation le long de la bande de terre leur servant d’accès à la route des Laveuses. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit précédemment au point 6. que cette servitude de passage ne dessert que la seule construction des requérants et ne constitue ainsi pas une voie privée ouverte à la circulation générale. Il s’ensuit que les travaux sollicités par M. et Mme A., qui visent à installer le long de la bande de terre grevée de la servitude de passage une canalisation d’une quarantaine de mètres entre la limite de leur propriété et le branchement public du réseau de distribution d’eau potable, situé au niveau de la voie privée, portent sur la réalisation d’une canalisation relevant du réseau intérieur de distribution d’eau potable destinée à équiper la propriété des requérants. De tels travaux ne se rapportent dès lors pas à l’extension du réseau public existant, mais concernent la partie privative du branchement au réseau public d’eau potable, qui relève de la charge exclusive du propriétaire concerné. Dans ces conditions, la commune de Saint-Pierre a légalement pu, sans commettre d’erreur d’appréciation, rejeter la demande d’extension du réseau d’eau potable de M. et Mme A. Le moyen ainsi soulevé n’est dès lors pas fondé. Il doit, par suite, être écarté. » (décision commentée : TA Saint-Pierre-et-Miquelon, 21 juillet 2025, n° 2300691, point 10 ).
Au-delà de la bonne foi qui peut fonder la demande des propriétaires, il n’en demeure pas moins qu’en matière de deniers publics, l’Administration et le juge restent vigilants quant à la répartition des charges entre la commune et les administrés.
Besoin d’un avocat sur le sujet, contactez :


