L’indemnisation des victimes d’essais nucléaires précisée

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Par un arrêt en date du 27 janvier 2020 le Conseil d’Etat est venu préciser la portée de la dernière modification de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais français dans sa rédaction issue de la loi n°2018-1317 du 28 décembre 2018 (CE, 27 janvier 2020, n°429574). En l’espèce, était en cause une demande d’indemnisation formulée en mars 2013 par Monsieur D. auprès du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) après qu’il eut contracté un cancer de la vessie suite à un séjour en Polynésie française de juin 1971 à décembre 1972. Cette demande lui a d’abord été refusée par l’administration puis par le Tribunal administratif de Dijon par un jugement du 28 février 2017. La Cour administrative d’appel de Lyon est ensuite venue annuler ce jugement en faisant application de la loi du 5 janvier 2010 modifiée par la loi du 20 mars 2017 et de la position du Conseil d’Etat voulant que la présomption de causalité légalement prévue ne puisse être renversée que si l’administration démontre que la pathologie de l’intéressé résulte exclusivement d’une cause étrangère à celle des essais nucléaires (CE, 28 juin 2017, n°409777). Le requérant satisfaisant aux conditions de temps, de lieu et de pathologie pour présumer la causalité entre l’exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie, elle a enjoint au CIVEN de réexaminer la demande de M.D dans un délai de 6 mois. C’est contre cet arrêt que le CIVEN s’est pourvu en cassation, soutenant à l’appui de ses prétentions que les juges du second degré avaient commis une erreur de droit en ne faisant pas application de la loi du 28 décembre 2018, pourtant entrée en vigueur avant que la Cour ne se prononce. Le législateur ne s’étant pas préoccupé de l’application dans le temps de ces nouvelles dispositions, il revenait aux juges du Palais Royal de se prononcer sur cette question. Avant tout, rappelons que la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais français créée un droit de créance au bénéfice des personnes ayant développé  une maladie radio-induite suite à une exposition aux rayonnements ionisants issue d’essais nucléaires. Dès l’origine, cette loi a prévu un régime d’indemnisation favorable aux victimes en instaurant une présomption de causalité, sous réserve que le demandeur remplisse les conditions susvisées. Cette présomption pouvait être renversée si l’administration démontrait un « risque négligeable », notion floue qui a par la suite été abandonnée par le législateur dans une loi n° 2017-256 du 28 février 2017. Cette notion ambiguë a alors été substituée par l’indication selon laquelle cette « présomption ne peut être renversée que si l’administration établit que la pathologie de l’intéressé résulte exclusivement d’une cause étrangère à l’exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires, en particulier parce qu’il n’a subi aucune exposition à de tels rayonnements » (CE, 28 juin 2017, n°40977). Mais cette présomption étant devenue quasi-irréfragable le législateur est de nouveau intervenu pour introduire une modification prévoyant une hypothèse de renversement de la présomption de causalité lorsque « la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l’intéressé a été inférieure à la limite de dose efficace pour l’exposition de la population à des rayonnements ionisants fixée dans les conditions prévues au 3° de l’article L. 1333-2 du code de la santé publique » (art. 232 loi 28 décembre 2018), à savoir 1 millisievert (mSv) par an (voir article R.1333-11 du Code de santé publique). Dès lors si les conditions pour bénéficier de l’indemnisation sont réunies il y aura une présomption de causalité sauf si la dose annuelle limite n’est pas dépassée. En premier lieu, cet arrêt du Conseil d’Etat retiendra notre attention en ce qu’il qualifie le sens qu’il convient de donner à l’article 232 de la loi n°2018-1317 du 28 décembre 2018. Selon lui il rend plus aisé la démonstration par le CIVEN d’une présomption de causalité renversée, la preuve d’une cause exclusivement étrangère étant a priori plus difficile à apporter que la démonstration que le seuil n’est pas atteint. Cependant, en qualifiant de la sorte la nature de cette dernière évolution législative le Conseil d’Etat ne vient pas pour autant affirmer qu’elle permettra au CIVEN de renverser systématiquement la présomption de causalité, chaque cas d’espèce étant en effet différent. Indépendamment du fait que cette réforme soit ou non favorable à l’indemnisation des victimes elle a pour avantage indéniable de rendre plus clair le niveau de bascule de la présomption en ne laissant plus au CIVEN le soin de déterminer le seuil de renversement ou non de la présomption. Cela étant dit, après avoir rappelé les conditions ouvrant droit au bénéfice de l’indemnisation la Haute juridiction administrative s’est penchée sur la question de l’application dans le temps de la nouvelle réforme issue de la loi n°2018-1317 du 28 décembre 2018. Ainsi, contrairement à ce qu’avait suggéré le rapporteur public dans ses conclusions, à savoir procéder à une application immédiate de la nouvelle loi aux droits non définitivement acquis, le Conseil d’Etat a jugé que la loi de 2018 ne trouvait pas à s’appliquer aux demandes d’indemnisation formulées antérieurement à son entrée en vigueur : « En modifiant les dispositions du V de l’article 4 de la loi du 5 janvier 2010 issues de l’article 113 de la loi du 28 février 2017, l’article 232 de la loi du 28 décembre 2018 […] doit être regardé, en l’absence de dispositions transitoires, comme ne s’appliquant qu’aux demandes qui ont été déposées après son entrée en vigueur, intervenue le lendemain de la publication de la loi du 28 décembre 2018 au Journal officiel de la République française ». Par ce considérant, le Conseil d’Etat a décidé que les conditions du droit à l’indemnisation devaient être celles posées par la loi en vigueur à la date de la demande d’indemnisation présentée au CIVEN, sauf indication contraire expressément prévue par le…

Distance d’épandage : pas de suspension

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Comme nous l’avions évoqué, le Conseil d’Etat a statué en référé sur la possibilité de déroger aux distances d’épandages dans certains départements ce 15 mai 2020 par deux ordonnances (CE, ord. 15 mai 2020, n° 440346, Collectif des maires antipesticides et CE, ord. 15 mai 2020, n°440211, Association générationsfutures et autres). En effet, l’arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques a instauré des distances de sécurité entre les zones traitées et les bâtiments habités, appelées ZNT pour Zone de Non Traitement. Ces zones sont de dix mètres pour les cultures dont la hauteur est supérieure à cinquante centimètres, de cinq mètres pour les cultures basses et vingt mètres pour les produits les plus dangereux. Ces distances peuvent être divisées par deux, à condition que l’agriculteur soit équipé de dispositifs anti-dérive et qu’une charte d’engagement entre agriculteurs et riverains soit signée par le préfet après consultation publique. Par ces temps difficiles de confinement, le Ministère de l’agriculture avait permis cette réduction des distances, sans la consultation publique. Par un premier recours, le collectif des maires antipesticides demandait au juge des référés de suspendre l’exécution du décret et de l’arrêté du 27 décembre 2019 précisant les distances minimales de sécurité pour l’épandage des pesticides près des habitations. Par un second recours, neuf associations demandaient la suspension d’une instruction technique du 3 février 2020 publiée par le ministre de l’Agriculture qui autorisait les agriculteurs, dans certaines conditions, à réduire les distances minimales fixées par l’arrêté et le décret du 27 décembre 2019, ainsi que la suspension d’un communiqué de presse et d’une lettre de mise en œuvre publiés le 30 mars 2020 sur le site du ministère de l’Agriculture qui permettaient, dans le contexte lié à l’épidémie de covid-19, de procéder à un épandage selon des distances minimales réduites avant même que le projet de charte soit approuvé par le préfet et même soumis à concertation publique. S’agissant du recours présenté par le collectif des maires antipesticides, le Conseil d’Etat, rappelle la première demande déjà jugée le 14 février 2020. De nouveaux éléments sont présentés ici, dont une étude néerlandaise. Le collectif a précisé en outre le contexte particulier créé par l’épidémie de covid-19 et l’existence d’un lien entre la pollution de l’air et le développement des maladies respiratoires en général et du covid-19 en particulier. Le Conseil d’Etat estime néanmoins : « 8. Toutefois, il résulte des éléments versés au dossier et des échanges lors de l’audience publique que l’étude néerlandaise, qui porte sur le cas particulier de la culture horticole dans laquelle l’usage des pesticides est particulièrement important, si elle souligne la grande capacité de dispersion des produits en cause, n’apporte aucun élément nouveau sur les effets d’une exposition à ces produits, qui plus est à des doses plus réduites compte tenu de leur diminution avec l’éloignement, sur la santé. Par ailleurs, si certaines études récentes, en particulier une étude italienne versée au dossier par le requérant, souligne la correlation entre les dépassements répétés du seuil de 50 µg / m³ pour les PM10 dans l’air survenus en Lombardie sur la période du 10 au 29 février 2020 et la virulence de l’épidémie de covid-19 dans cette région à compter du 3 mars de cette année, ces études ne portent pas sur la question spécifique des effets à court et moyen termes de l’épandage de pesticides à des fins agricoles sur la santé des habitants des zones situées à proximité. Elles n’apparaissent pas, en l’état de l’instruction, de nature à remettre en cause l’avis rendu sur ce sujet par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail le 4 juin 2019 qui recommandait les distances minimales de sécurité que l’arrêté du 27 décembre 2019 a retenu ». Ainsi les éléments présentés sont toujours insuffisants pour les juges qui estiment donc que la condition d’urgence n’est pas remplie. S’agissant du recours des associations, la Haute juridiction, qui statuait le 15 mai soit après le déconfinement, a relevé dans un premier temps, s’agissant de l’instruction technique, que : « 10. Il résulte cependant de l’instruction que les distances minimales en cause sont conformes aux préconisations de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail dans son avis du 4 juin 2019 au vu duquel a été pris l’arrêté, avis qui est fondé sur des calculs d’exposition des riverains aux produits en cause lorsqu’ils sont effectivement présents à leur domicile au moment de leur épandage, comme c’est particulièrement le cas dans la période actuelle. En outre, la mesure en cause, si elle permet aux agriculteurs, dans les départements dans lesquels un projet de charte d’engagements a été élaboré conformément aux exigences des articles D. 253-46-1-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime et de l’arrêté du 4 mai 2017 modifié et de son annexe 4, et soumis effectivement à la concertation publique, notamment par la mise en oeuvre effective des mesures de publicité prévues par l’article D. 253-46-1-3 de ce code, d’appliquer le contenu du projet de charte sans attendre son approbation par le préfet, n’a ni pour objet ni pour effet de priver les populations concernées de l’information à laquelle elles ont droit sur l’existence et le contenu d’un projet de charte ni du bénéfice d’une concertation effective avant l’approbation du projet de charte par le préfet. Dans ces conditions, il n’apparaît pas que cette mesure soit de nature à présenter un risque imminent pour la santé ni à compromettre la concertation prévue par les articles R. 253-46-1-1 et suivants du même code ». Le Conseil d’Etat précise ici que l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail prend en compte la situation lorsque les riverains sont chez eux. Il précise également que la mesure concerne les départements dans lesquels un projet de charte d’engagements a déjà été élaboré. Cette instruction, dont les effets prendront fin le 30 juin, ne présente donc pas un risque imminent pour la santé et…

projet de décret sur la mise en place de zone à faibles émissions mobilité (ZFE-m) par les collectivités

Par Maître Lucas DERMENGHEM (Green Law Avocats) Alors que les liens entre la pollution atmosphérique et le Covid-19 ont récemment fait l’objet de travaux scientifiques médiatisés, la publication d’un projet de décret relatif à la mise en place de zones à faibles émissions mobilités (ZFE-m) par les collectivités territoriales ne manquera pas de susciter l’intérêt. Ce projet de décret a pour objet de mettre en application l’article L. 2213-4-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) dans sa version issue de l’article 86 de la loi n° 2019-1429 dite d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 et qui porte sur l’institution des ZFE-m, qui doivent remplacer les anciennes Zones à Circulation Restreinte (ZCR). Pour mémoire, cet article dispose qu’avant le 31 décembre 2020 les collectivités locales pour lesquelles un plan de protection de l’atmosphère (PPA) est adopté, en cours d’élaboration ou en cours de révision doivent obligatoirement instaurer de telles zones « lorsque les normes de qualité de l’air mentionnées à l’article L. 221-1 du même code ne sont, au regard de critères définis par voie réglementaire, pas respectées de manière régulière sur le territoire de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre compétent ». Cet article prévoit par ailleurs qu’après le 1er janvier 2021, la création de ZFE-m sera obligatoire dans un délai de deux ans, lorsque les normes de qualité de l’air ne sont pas respectées de manière régulière, au regard de critères définis par voie réglementaire, sur le territoire de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre compétent et que les transports terrestres sont à l’origine d’une part prépondérante des dépassements. Le projet de décret soumis a été soumis à la consultation du public entre le 23 mars et le 13 avril 2020. Dans un communiqué de presse afférent à cette consultation, le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire a défini la ZFE-m comme « un territoire dans lequel est instaurée une interdiction d’accès, le cas échéant sur des plages horaires et jours déterminés, pour certaines catégories et classes de véhicules qui ne répondent pas à certaines normes d’émissions et donc qui ont un impact nocif sur la santé des résidents de l’ensemble du territoire ». Par ce texte, le Gouvernement prévoit tout d’abord d’instituer un article D. 2213-1-0-2 I dans le CGCT aux fins de définir les collectivités considérées comme ne respectant pas régulièrement les normes relatives à la qualité de l’air. Seront considérées comme ne respectant pas ces normes, les zones administratives de surveillance de la qualité de l’air dans lesquelles l’une des valeurs limites relative au dioxyde d’azote (NO2), aux particules PM10 et PM2,5 (mentionnées à l’article R. 221-1 du code de l’environnement) n’ont pas été respectés au moins trois années sur les cinq dernières. En outre, les communes ou les EPCI à fiscalité propre dont l’autorité exécutive dispose du pouvoir de police de circulation seront considérées comme ne respectant de manière régulière ces valeurs limites lorsque leur territoire est inclus en tout ou partie dans une zone administrative de surveillance de la qualité de l’air. Ensuite, le projet de décret doit instituer dans le CGCT un article D. 2213-1-0-3 relatif aux modalités d’identification des transports terrestres comme étant à l’origine d’une « part prépondérante des dépassements » de valeurs limites, au sens de l’article L2213-4-1 précité. Tel sera le cas : soit lorsque les transports terrestres constituent la première source des émissions polluantes ; soit lorsque les lieux concernés par le dépassement sont situés majoritairement à proximité des voies de circulation. Nul doute que les citoyens et structures associatives dédiées ne manqueront pas de scruter l’application de ce nouveau régime juridique, dans un contexte où plusieurs actions juridictionnelles ont d’ores et déjà été intentées à l’encontre de l’Etat pour carence fautive dans l’application de la législation applicable à la pollution de l’air.

Après Lubrizol : vers une expertise indépendante des risques industriels ?

Par maître Lucas DERMENGHEM (Green law avocats) L’épaisse fumée dans laquelle l’incendie de l’usine Lubrizol a plongé les rouennais le 26 septembre 2019 a fait resurgir dans le débat public la question des risques liés aux activités industrielles et ranimé le débat quant aux solutions permettant de réduire au maximum leur survenance. C’est dans ce contexte que la mission d’information de l’Assemblée nationale sur l’incendie du Lubrizol, présidée par le député Christophe Bouillon (PS), a déposé auprès du bureau de l’Assemblée nationale une proposition de loi n°2527 « relative à la création de l’Autorité de sûreté des sites SEVESO : plus de transparence et de sécurité à l’égard de la population ». Au titre de l’exposé des motifs de cette proposition de loi, la mission d’information a d’abord rappelé que plusieurs évolutions du cadre législatifs sont allées dans le sens d’un renforcement de la sécurité et de la sûreté des sites industriels : loi « Bachelot » n°2003-699 du 30 juillet 2003, décrets et arrêtés ministériels du 26 mai 2014 transposant la directive européenne dite « Seveso 3 ». Toutefois, la mission d’information fait le procès non pas d’une réglementation insuffisante mais de « failles inhérentes à notre système de contrôle des sites industriels pour l’environnement et la sécurité de la population » et pointe notamment le manque de « moyens institutionnels pour assurer la surveillance » des 1312 sites SEVESO référencés sur le territoire national. A l’inverse des sites nucléaires contrôlés par une instance spécifique (l’Autorité de Sûreté Nucléaire), les sites SEVESO sont dépourvus de toute autorité de contrôle indépendante. En effet, leur surveillance est assurée par les Directions Régionales de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (D.R.E.A.L), également chargées de réglementer les 500 000 sites relevant de la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement (I.C.P.E) en France. Accomplissant en parallèle une kyrielle de missions étatiques, les D.R.E.A.L font également face à un manque de moyens humains et matériels, entrainant une baisse substantielle du nombre d’inspections des sites I.C.P.E et par là-même une défaillance dans la maîtrise du danger lié aux sites les plus sensibles. Face à cette lacune, la mission d’information propose la création d’une Autorité de sûreté des sites SEVESO, instance « indépendante du gouvernement, avec des inspecteurs dédiés » qui « rendrait public ses rapports et injonctions ». Pour ce faire, elle serait dotée d’un budget propre ainsi que d’un pouvoir de sanction et « ses effectifs ne seraient pas soumis au plafond d’emplois. ». Cette autorité aurait vocation rebâtir le lien de confiance profondément ébranlé entre la population et les industries en tant que « médiateur, un tiers de confiance, qui puisse intervenir et accompagner les décideurs en cas d’accident ». La création d’une telle autorité est notamment soutenue par le Syndicat national des ingénieurs de l’industrie et des mines (Sniim), représentant les inspecteurs des installations. Le gouvernement a quant à lui émis d’autres pistes de réflexion en vue de renforcer la maîtrise du risque lié à ces sites. Ainsi, le 11 février 2020, la ministre de la Transition écologique et solidaire a proposé un « Plan d’action Lubrizol » comprenant notamment : une augmentation des contrôles de 50% d’ici la fin du quinquennat ; La création d’un bureau d’enquête accidents indépendant et dédié aux risques technologiques afin de tirer toutes les conséquences en cas de survenance d’un accident majeur. Si les pistes d’amélioration ne manquent pas, le cabinet Green Law Avocats ne peut que saluer cette proposition de loi qui fait écho à une réflexion engagée peu de temps après l’incendie de Lubrizol et suggérant l’idée de la création d’une « Autorité de sûreté des risques technologiques » (lire en ce sens : David DEHARBE et Lucas DERMENGHEM, « Pour une Autorité de sûreté des risques technologiques ! », Droit de l’Environnement, N°283, nov. 2019, page 409). Les auteurs avaient notamment constaté que si l’étude de dangers du site Lubrizol avait prévu l’hypothèse de l’incendie, elle n’avait pas forcément perçu l’ampleur des conséquences pouvant en découler. Cette étude souffrait également de n’avoir pas fait l’objet de la moindre contre-expertise par les services de contrôle depuis sa réalisation en 2009.

DOMMAGE DE POLLUTION MINIER DE L’EXPLOITANT DISPARU : L’ETAT DOIT INDEMNISER LES PREJUDICES DE JOUISSANCE ET DANS LES CONDITIONS D’EXISTENCE

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Par un jugement du 31 octobre, le tribunal administratif de Lyon (TA Lyon, 31 oct. 2019, n°1708503) a considéré que l’Etat est tenu de garantir les dommages issus d’une pollution des sols causée par l’activité antérieure d’une exploitation minière quand bien même l’exploitant n’existerait plus. Pour une meilleure compréhension du jugement, il convient de rappeler les dispositions de l’article L. 155-3 du Code minier (disponible ici), qui dispose que « L’explorateur ou l’exploitant ou, à défaut, le titulaire du titre minier est responsable des dommages causés par son activité. Il peut s’exonérer de sa responsabilité en apportant la preuve d’une cause étrangère. Sa responsabilité n’est limitée ni au périmètre du titre minier ni à sa durée de validité. En cas de disparition ou de défaillance du responsable, l’État est garant de la réparation des dommages causés par son activité minière. Il est subrogé dans les droits de la victime à l’encontre du responsable ». En l’espèce, les propriétaires d’un moulin rénové, sur le territoire de la commune de Les Salles, situé dans le périmètre d’un ancien secteur minier, font état d’une pollution sur leur territoire. Une étude sanitaire avait été réalisée par un groupement d’intérêt public et avait révélé une pollution importante sur le terrain d’assiette de leur propriété, mais aussi de la cave de leur habitation. Cette pollution au plomb n’était pas anodine. Les requérants avaient adressé une réclamation préalable au préfet de la Loire, afin d’obtenir la réparation des conséquences dommageables de cette pollution. Leur réclamation était restée sans réponse, ces derniers saisissent le TA de Lyon afin d’obtenir une indemnisation. Les juges font tout d’abord une appréciation de la pollution au regard de l’usage antérieur du terrain. Afin d’établir le lien de causalité, les juges se fondent sur l’étude réalisée par le groupement d’intérêt public ainsi qu’un arrêté préfectoral en date du 3 juillet 2019. Les résultats des divers prélèvements réalisés pour ladite étude démontrent que la contamination au plomb affecte non seulement le terrain, mais également la cave d’habitation des requérants. Si la pollution n’est pas issue de l’activité de l’ancienne fonderie exploitée de 1730 à 1844 sur la même parcelle, elle est en revanche issue des déchets ayant pour origine l’ancienne activité minière située sur le secteur proche de Saint-Martin-La-Sauveté. Les juges relèvent que « La pollution dont se plaignent M. B… et Mme A… apparaît donc directement en lien avec cette activité ». Le lien de causalité entre les dommages issus de la pollution relève ici de l’identification des polluants par une analyse des sols. Si l’ancien exploitant minier, ou les autres responsables de cette pollution au plomb ont aujourd’hui disparu, la juridiction estime que « les intéressés sont fondés, en application des dispositions de l’article L. 155-3 du code minier, à solliciter la garantie de l’État en réparation des dommages subis du fait de cette activité minière ». Les dispositions du Code miner encadrent la responsabilité de l’exploitation, et à titre subsidiaire celle de l’État. Classiquement, l’exploitant ou à défaut le titulaire d’un titre minier est responsable des dommages de son activité. Il est difficile pour l’exploitant de se dégager de sa responsabilité en cas de dommage. Dans ce cas, la responsabilité civile de l’exploitant pourra être engagée, et cela même après la fermeture du complexe minier (Cass., 3e civ., 24 sept. 2014, Synd. assainissement Orne aval c/ Sté des Mines de Sacilor-Lormines n° 11-22386). L’exploitant ne peut invoquer sa non-responsabilité que par la preuve d’une cause étrangère. L’utilisation de cet article s’apprécie souvent au regard de l’apparition tardive des effets pervers de pollutions parfois mal renseignée ou même dissimulée. La loi permet une réparation et une responsabilité de l’État dans deux cas spécifiques. L’article L. 155-3 du code minier précité, précise que l’État est garant de la réparation des dommages causés par une activité minière, et ce dès lors qu’il y a disparition ou défaillance du responsable. La notion de disparition est aisée à comprendre, elle agit dans le cas où l’on est dans l’impossibilité d’identifier formellement le responsable de l’activité, que cela soit sa disparition physique ou morale. Dans le cas de la défaillance, cela signifie que l’exploitant n’est plus en capacité d’assumer ces obligations. Cela peut notamment être le cas lors d’une incapacité financière (au sens de la circulaire   du 25 juill. 2000, relative à la mise en œuvre des articles 75-1 à 75-3 du Code minier). Cette deuxième hypothèse n’a pas été envisagée en l’espèce. Il est à noter que la procédure de délivrance d’un permis d’exploitation prend en considération la capacité financière du futur exploitant (CE, 13 juillet 2006, Société Geotech International, n° 273184). Dans notre espèce, les requérants demandent une indemnisation de leurs préjudices de jouissance de leur bien et d’un trouble dans leurs conditions d’existences.  Ils obtiennent gain de cause : «  il résulte de l’instruction que le remblaiement du terrain de M. B… et Mme A… avec des stériles issus de l’activité minière exploitée sur le secteur de Saint-Martin-la-Sauveté a entraîné une pollution au plomb mise en évidence à partir de 2014 par l’étude Géodéris, dont les résultats provisoires ont été portés à la connaissance des requérants lors d’une réunion du 13 novembre 2014. Dès le 21 novembre 2014, l’agence régionale de santé Rhône-Alpes les a invités à faire mesurer le dosage de la plombémie dans leur sang et celui de leurs enfants, puis de se soumettre à un suivi médical régulier afin de surveiller l’augmentation éventuelle de ce taux. Par un arrêté du 13 avril 2016, le préfet de la Loire a instauré des restrictions sanitaires d’utilisation, de mise sur le marché et la surveillance des productions animales et végétales issues notamment des parcelles appartenant aux requérants, classées à la fois en zone de protection et en zone de surveillance. Toute activité agricole s’est ainsi trouvée interdite sur leur terrain, ainsi que la consommation et la cession de toute production d’un éventuel jardin potager, dont la culture est déconseillée. Les requérants doivent également suivre de strictes recommandations sanitaires générales, telles que l’interdiction de laisser…