Stocamine : l’Etat piégé par le défaut des capacités techniques et financières !

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) La Cour administrative d’appel de Nancy par la décision du 15 octobre 2021 (CAA Nancy, 15 octobre 2021, Collectivité européenne d’Alsace, Association Alsace nature, Association consommation, logement et cadre de vie – Union départementale du Haut-Rhin, n° 19NC02483, 19NC02516, 19NC02517) a annulé l’arrêté du 23 mars 2017 autorisant la société des mines de potasse d’Alsace (MDPA) à maintenir pour une durée illimitée un stockage souterrain de déchets dangereux dans le sous-sol de la commune de Wittelsheim. Un  retour sur cette décision qui a fait l’objet d’un pourvoi de l’Etat s’impose. La société Stocamine a été créée pour exploiter un stockage souterrain de déchets dangereux, non-radioactifs à environ 600 mètres sous terre, dans une couche de sel gemme, sous les couches de potasse qui avaient été anciennement utilisées par la société MDPA. Ce stockage, destiné à accueillir jusqu’à 320 000 tonnes de déchets dans le sous-sol du territoire de la commune de Wittelsheim, avait été autorisé pour une durée de 30 ans par le préfet du Haut-Rhin le 3 février 1997. 44 000 tonnes de déchets étaient stockées lorsqu’un incendie s’est produit en 2002 dans l’un des blocs de la structure de stockage, obligeant à interrompre le stockage de nouveaux déchets. Par un arrêté du 23 mars 2017, le préfet du Haut-Rhin a autorisé la société MDPA, qui avait repris la société Stocamine, à maintenir pour une durée illimitée le stockage déjà effectué, après retrait d’une part importante des déchets contenant du mercure (désormais réalisé à 95%) et d’une partie des déchets phytosanitaires contenant du zirame. Le département du Haut-Rhin, la région Grand Est, l’association Alsace Nature et la commune de Wittenheim ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d’annuler cet arrêté. Par un jugement du 5 juin 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ces demandes. Le département du Haut‑Rhin, auquel s’est substituée depuis lors la collectivité européenne d’Alsace, l’association Alsace Nature et l’association Consommation, logement et cadre de vie – union départementale du Haut‑Rhin ont fait appel du jugement devant la cour administrative d’appel de Nancy. L’Etat dans cette affaire a été victime d’une stratégie contentieuse qui fait bien des dégâts lorsqu’elle est intelligemment convoquée par les requérants : elle consiste à critiquer tout autant l’étude d’impact d’un projet industriel que les capacités techniques pour le mener. En fait il faut bien le concéder, très souvent les juristes confrontés à la complexité des moyens se réclamant de la suffisance des études d’impact et des prescriptions imposées par les préfets à un projet industriel se sentent plus alaise avec le débat sur les capacités financières à le mener. Le droit de l’environnement a systématisé dans les autorisations ICPE (et aujourd’hui dans le régime de l’autorisation environnementale) la présence dans les demandes d’autorisation des capacités techniques et financières de l’exploitant, avec un régime aggravé pour certaines installations ;  une telle exigence étant renforcée pendant la durée d’exploitation pour un certains nombres d’installations (Carrières, installations de stockage de déchets, Seveso et stockage souterrain en couches géologiques profondes de produits dangereux). Ainsi comme le rappelle la Cour, en application des articles L. 541-26 et l’article L. 552-1 du code de l’environnement  « la prolongation illimitée d’une autorisation de stockage souterrain en couches géologiques profondes de produits dangereux ne peut être délivrée, sous le contrôle du juge de plein contentieux, si l’exploitant ne dispose pas de capacités techniques et financières propres ou fournies par des tiers de manière suffisamment certaine, le mettant à même de mener à bien ce projet et d’assumer l’ensemble des exigences susceptibles de découler du prolongement de l’autorisation au regard des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement, ainsi que des garanties de toute nature qu’il peut être appelé à constituer à cette fin ». Or sans doute parce qu’elle avait l’Etat pour actionnaire unique, la société MDPA n’a pas, à l’appui de sa demande ayant débouché sur l’arrêté préfectoral attaqué, justifié de « l’existence d’un engagement ferme de l’Etat à assumer les coûts du projet ». On retrouve ici la jurisprudence Hambrégie (CE, 22 fév. 2016, n°384821) qui a fait tant de dégâts en contentieux éoliens … La Cour constate encore en l’espèce  que « La dissolution de la société exploitante et le maintien de sa personnalité morale uniquement pour les besoins de la finalisation de la liquidation s’opposent ainsi à ce qu’elle puisse être reconnue comme disposant des capacités financières suffisantes pour assurer une exploitation dont la particularité est d’être illimitée dans le temps ». Enfin la Cour considère au surplus que le « préfet du Haut-Rhin, en ne procédant pas à une nouvelle évaluation des garanties financières précédemment constituées par l’exploitant, a méconnu les dispositions de l’article L. 515-7 du code de l’environnement ». Certes  l’Etat en qualité d’exploitant en est en principe dispensé. Mais la Cour juge que « Le seul fait que l’Etat soit l’unique actionnaire de la société MDPA ne saurait permettre d’apprécier cette société comme transparente dès lors, notamment, que, du fait de son placement en liquidation, la société exploitante ne peut plus être représentée que par son liquidateur. L’Etat, en dépit de sa qualité d’unique actionnaire, est sans droit, ni qualité pour se substituer au liquidateur et ne saurait, dans ces conditions, être regardé comme assurant la direction effective de la société ». Immanquablement et alors que l’Etat n’a semble-t-il cherché à tenter une régularisation de ce vice, le juge conclut au défaut des capacités techniques et financières et considère qu’ “une telle insuffisance a été, en l’espèce, de nature à nuire à l’information complète du public” Cette annulation a sans doute sa raison d’être mais elle escamote le vrai sujet : la suffisante évaluation scientifique au moyen de l’étude d’impact de l’innocuité en l’espèce du stockage en couche profonde des déchets …

Les polices environnementales : un enjeu pour les magistrats… et les avocats !

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) A l’heure où les magistrats disent s’organiser pour mener la grande croisade environnementale (L’association française des magistrats pour le droit de l’environnement et le droit de la santé environnementale – AFME – est née d’un groupe de discussion qui réunit 200 magistrats du siège et du parquet, dont quelques premiers présidents et procureurs généraux) et où le législateur se saisit de l’écocide, le Conseil d’Etat donne les grandes lignes d’une réformes des polices environnementales. Dans un rapport (téléchargeable ici) sur « les pouvoirs d’enquête de l’administration », paru le 6 juillet, la Haute juridiction prône un grand ménage dans les polices de l’environnement. Certes le rapport rappelle le travail déjà engagé en 2012 et poursuivi en 2016 par le législateur. ” L’ordonnance n° 2012‐34 du 11 janvier 2012 portant simplification, réforme et harmonisation des dispositions de police administrative et de police judiciaire du code de l’environnement, a défini un socle commun de dispositions applicables à 25 polices environnementales, qui présentent des caractères hétérogènes et sont mises en œuvre par de très nombreuses catégories d’agents. La refonte a été opérée selon le même parti légistique de séparation des dispositions relatives aux contrôles administratifs et à la police judiciaire que celle des livres II et IX du code rural et de lapêche maritime. Les dispositions antérieures reposaient sur des procédures propres à chaque police, certaines entièrement pénales (chasse, déchets), d’autres mettant en œuvre un corps unique de pouvoirs de contrôle pouvant aboutir, dans une situation donnée, à une combinaison de réponses administratives et judiciaires (installations classées). L’harmonisation des pouvoirs opérée en 2012 a été faite « par le haut », en consolidant des régimes de contrôle qui obéissaient à des logiques différentes ou procédaient de constructions ad hoc dans le cas des polices des déchets, de la lutte contre le bruit et des enseignes et pré‐enseignes. Ces pouvoirs ont été étendus par l’ordonnance du 10 février 2016 portant diversesdispositions en matière nucléaire aux inspecteurs de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et par la loi du 24 juillet 2019 portant création de l’office français de la biodiversité aux agents chargés des forêts qui, lorsqu’ils sont également investis de missions de police judiciaire en application du code de l’environnement, interviennent dans les conditions définies par le celui‐ci et non par le code forestier. Les dispositions de ce code relatives à la recherche et à la constatation des infractions, qui ne sont plus utilisées à une échelle significative, n’ont cependant pas été abrogées. ” (pp. 57-58 du rapport) Et finalement on constate que cette réforme ne laisse son autonomie réelle qu’au régime des contraventions de grande voirie, qui sanctionne avec tellement de singularité les atteintes au domaine public. Il est principalement mis en œuvre pour la protection du domaine public naturel. Il repose sur un simple pouvoir de constatation par procès‐verbal, complété par celui de relever l’identité des contrevenants dans le cas des agents chargés de la police des ports maritimes et du domaine public fluvial. Mais la plus haute juridiction administrative fait surtout cette critique cinglante du code de l’environnement : “70 catégories d’agents compétents pour rechercher et constater les infractions en matière environnementaleLes compétences pour la recherche et la constatation des infractions en matière environnementale sont définies par 28 articles du code de l’environnement, relatifs à 25 polices environnementales, qui visent chacun, outre les officiers de police judiciaire et les inspecteurs de l’environnement, jusqu’à 14 catégories d’agents – soit au total plus de 70 catégories, pour autant que ce nombre puisse être déterminé précisément, compte tenu de l’effet des renvois indirects à des listes fixées par d’autres textes – parfois abrogés – ou d’autres codes. Elles sont le résultat d’une stratification historique qui n’a jamais été réexaminée depuis la création de la plupart de ces polices, y compris lorsque les dispositions relatives aux pouvoirs de ces agents ont été harmonisées, en 2012. La justification de ces attributions de compétences a été oubliée. Il ne s’en dégage pas de logique d’intervention claire, même si l’on peut supposer que ces listes ont parfois été conçues, au fil de l’évolution des textes relatifs à ces différentes polices, en fonction d’une combinaison de critères tenant à la couverture territoriale, aux spécificités des milieux et à la complémentarité et à la connexité des expertises, ainsi qu’à une forte demande sociale de contrôle. Elles reflètent souvent un « saupoudrage » des compétences, conçu à des époques où les administrations spécialisées en matière environnementale n’avaient pas encore émergé. Si des chefs de file et des mécanismes de coordination existent désormais dans la plupart des cas, le ministère de la transition écologique ne dispose de données sur la mise en œuvre, de ces pouvoirs que pour certaines de ces catégories“. Et le Conseil d’Etat de préconiser le regroupement dans les rubriques suivantes, autour de logiques d’intervention communes, qui peuvent également se rattacher aux différents livres du code de l’environnement : ” 1° (Livre II) Police de l’eau et des milieux aquatiques, relevant des inspecteurs de l’environnement des DDTM et de l’Office français de la biodiversité,2° (Livre II) Polices des pollutions en mer811 , relevant du contrôle des affaires maritimes, et de façon incidente des autres capacités maritimes de l’Etat (marine nationale, douanes, Ifremer) et des officiers des ports,3° (Livre III) Polices des espaces naturels (littoral, parcs nationaux, réserves naturelles, sites, circulation motorisée dans les espaces naturels), exercées par les agents des établissements chargés de leur conservation, par les agents des DREAL et par les agents chargés de la police du domaine public (DDTM),4° (Livre IV) Protection de la faune et de la flore (accès aux ressources génétiques, espèces protégées, chasse, pêche), exercée par l’Office français de la biodiversité, par les agents des établissements chargés des espaces naturels et de l’ONF, et sur certains enjeux par les agents des douanes, avec les gardes champêtres, les gardes particuliers et les agents de développement des fédérations de chasse et de pêche,5° (Livre IV, se substituant au code forestier) Police de la forêt, relevant de l’Office national des forêts, des DDTM…

La loi littorale est opposable aux antennes relais

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Le Conseil d’Etat confirme dans un avis en date du 11 juin 2021 (n°449840) que les stations relais de téléphonie mobile sont, à l’instar de toute autre construction, soumises aux exigences de la loi Littoral et ne peuvent donc être implantées, sur le territoire des communes littorales, qu’au sein ou en continuité des espaces urbanisés. Cette avis contentieux interdit désormais les implantations en espaces agricoles, naturels ou d’urbanisation diffuse des communes littorales. Par un jugement n° 1802531 du 17 février 2021, enregistré le 17 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le tribunal administratif de Rennes, avant de statuer sur une demande tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté du 4 décembre 2017 par lequel le maire de la commune de Plomeur ne s’est pas opposé à la déclaration préalable de travaux déposée par la société Free Mobile pour l’installation d’une station relais de téléphonie mobile sur un terrain situé au lieudit Poullelestr, a décidé, par application des dispositions de l’article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d’Etat, en soumettant à son examen la question suivante : dans les communes littorales, les infrastructures de téléphonie mobile sont-elles constitutives d’une extension de l’urbanisation soumise au principe de continuité posé par les dispositions de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme, dans sa version applicable au litige ? Aux termes du premier alinéa de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable au litige : ” L’extension de l’urbanisation se réalise soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement. ” Aux termes du premier alinéa de l’article L. 121-10 du même code : ” Par dérogation aux dispositions de l’article L. 121-8, les constructions ou installations liées aux activités agricoles ou forestières qui sont incompatibles avec le voisinage des zones habitées peuvent être autorisées, en dehors des espaces proches du rivage, avec l’accord de l’autorité administrative compétente de l’Etat après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites. ” L’article L. 121-11 du même code précise : ” Les dispositions de l’article L. 121-8 ne font pas obstacle à la réalisation de travaux de mise aux normes des exploitations agricoles, à condition que les effluents d’origine animale ne soient pas accrus. ” Enfin, aux termes du premier alinéa de l’article L. 121-12 du même code : ” Les ouvrages nécessaires à la production d’électricité à partir de l’énergie mécanique du vent ne sont pas soumis aux dispositions de l’article L. 121-8, lorsqu’ils sont incompatibles avec le voisinage des zones habitées. “ Selon le Conseil d’Etat, il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu ne permettre l’extension de l’urbanisation dans les communes littorales qu’en continuité avec les agglomérations et villages existants et a limitativement énuméré les constructions, travaux, installations ou ouvrages pouvant néanmoins y être implantés sans respecter cette règle de continuité. L’implantation d’une infrastructure de téléphonie mobile comprenant une antenne-relais et ses systèmes d’accroche ainsi que, le cas échéant, les locaux ou installations techniques nécessaires à son fonctionnement n’est pas mentionnée au nombre de ces constructions. Par suite, elle doit être regardée comme constituant une extension de l’urbanisation soumise au principe de continuité avec les agglomérations et villages existants au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme. Il en va de même dans la rédaction qu’a donnée la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique au premier alinéa de cet article, qui dispose depuis lors que : ” L’extension de l’urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et villages existants. “ Voilà une précision qui méritait d’être apportée par le juge administratif … Espérons que les opérateurs de téléphonie n’obtiennent pas comme ils en ont l’habitude un passe droit du législateur !

Manèges et troubles anormaux sur le domaine public

Par maître Isabeau LESTIENNE (Green Law Avocats) Par un jugement du 23 décembre 2020 (TA Lyon 23 décembre 2020 1606996 et 1608567), le tribunal administratif de Lyon a admis la demande indemnitaire d’une riveraine de Lyon pour obtenir réparation des préjudices qu’elle subissait du fait de l’installation de la « Grande Roue » sur la place Bellecour. Depuis 2006, le maire de Lyon autorise les exploitants de l’attraction foraine la « Grande roue » à installer celle-ci sur la place Bellecour. L’installation est autorisée chaque année  pour une durée de 100 jours et fonctionne sur de larges amplitudes d’horaires. La requérante soutenait que la responsabilité de la commune devait être engagée, même en l’absence de faute, en raison de la dégradation de son état de santé du fait du fonctionnement de la « Grande roue ». Elle réclamait 562 464 euros en réparation du préjudice professionnel et 40 000 euros en réparation des préjudices de toute nature que lui ont causés les autorisations du maire de Lyon d’installer une attraction foraine sur le domaine public.  Le tribunal, prenant appui sur le rapport judiciaire d’expertise médicale du 10 novembre 2011, a constaté que la requérante présentait différents symptômes affectant tant « son équilibre physique que psychologique et qui sont liés au mouvement circulaire de l’attraction foraine de type « Grande roue » située à proximité des fenêtres de son habitation principale, qui, dans leur majorité, ouvrent sur cette place ». Ces préjudices relatifs aux troubles physiques et psychiques provoqués par les effets lumineux pendant les phases d’exploitation de la « Grande Roue » avaient déjà été reconnus par la Cour administrative d’appel de Lyon (2 avril 2015 n°14LY00178). Effectivement dans cette affaire le juge avait admis le caractère anormal et spécial du préjudice concernant les troubles de toute nature dans ses conditions d’existence. Ce préjudice est anormal en raison du caractère invalidant des vertiges dont est affecté la requérante et spécial puisqu’il est susceptible d’affecter les seuls riverains de la place victimes de vertiges dus à la stimulation optocinétique que peut générer ce type d’installation. Le tribunal constate alors que les troubles subis par la requérante outrepassent ceux qu’un riverain du domaine public doit normalement supporter et ne sont pas équivalents à ceux auxquels sont communément exposés les riverains des axes de circulation. Le juge considère donc que la requérante est fondée à demander réparation de ce préjudice anormal. Cependant le tribunal recadre le montant du préjudice réclamé par la requérante et fixe celui-ci à 12 000 euros. En effet le tribunal a estimé que la requérante n’avait pas démontré que ses arrêts de travail prolongés après l’enlèvement de la « Grande roue » étaient bien imputables au manège ni même son placement en invalidité.

Phytosanitaires : les maires out !

Par Maëliss LOISEL (Juriste Green Law Avocats) Par trois jugements en date du 8 octobre 2020, n°1916081, n°1915489, n° 2000727, le Tribunal administratif de Cergy Pontoise a annulé des arrêtés anti-pesticides, pris respectivement par les maires des communes d’Us, de Pierrelay et de Bessancourt. Ces jugements faisaient suite à une requête introduite par le Préfet du Val d’Oise sur le fondement des dispositions de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales (procédure contentieuse dite du déféré préfectoral).   Le Préfet demandait l’annulation de ces trois arrêtés par lesquels les maires avaient interdit l’utilisation de tout produit phytosanitaire contenant du glyphosate ou de tout produit phytopharmaceutique à une distance inférieure à 150 mètres de toute parcelle comprenant un bâtiment à usage d’habitation, ou à usage professionnel. Cette interdiction était applicable sans limite de temps et pouvait être cantonnée à 100 mètres dans certaines configurations sur la commune d’Us. Ces arrêtés ont été suspendus par ordonnances du juge des référés du Tribunal administratif de Cergy Pontoise (9 janvier 2020 n°1915493, 15 janvier 2020 n°1916079, 6 février 2020 n°2000726) qui ont été confirmées par 2 arrêts du juge des référés de la Cour d’appel de Versailles le 25 juin 2020 (n°20VE00615, n°20VE00340). Le juge des référés avait alors considéré, notamment pour retenir la suspension de l’arrêté de la Commune de Pierrelay qu’ : « Il résulte des dispositions précitées que la police spéciale relative à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques a été attribuée au ministre de l’agriculture. S’il appartient au maire, responsable de l’ordre public sur le territoire de sa commune, de prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, il ne saurait s’immiscer dans l’exercice de cette police spéciale qu’en cas de danger grave ou imminent ou de circonstances locales particulières » Si ces circonstances n’ont pas été reconnues en l’espèce, le juge des référés du Tribunal de Cergy Pontoise avait déjà eu l’occasion par deux décisions très remarquées de reconnaitre que de telles circonstances justifiaient le maintien d’arrêtés pris par les maires des communes de Gennevilliers et de Sceaux, interdisant sur leur territoire, l’utilisation de pesticides (TA Cergy-Pontoise, Ordonnance du 8 novembre 2019, n°1912597 et 1912600, refus de suspension d’arrêtés anti-pesticides : le TA de Cergy prend le maquis !, David DEHARBE, 11 novembre 2019, TA Cergy-Pontoise, Ordonnance du 25 novembre 2019 N° 1913835). Or par ces décisions du 8 octobre 2020,  le juge du fond du Tribunal administratif de Cergy Pontoise a adopté une solution de rupture, en  considérant que la police spéciale de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et phytosanitaires était une police exclusive de toute intervention, même résiduelle, du maire. Le Tribunal a choisi de suivre l’argumentaire de son rapporteur public Mme Corinne Charlery, qui préconisait de transposer la solution retenue en matière de police spéciale des OGM ou d’antennes relai (CE 24 sept. 2012, n° 342990, Commune de Valence, Lebon, CE, ass., 26 oct. 2011, n° 326492, Commune de Saint-Denis, Lebon ; n° 329904, Commune des Pennes-Mirabeau, Lebon). Mais si la question en jurisprudence est tranchée concernant les antennes relai ou les OGM et plus récemment les compteurs électriques communicants (CE 11 juill. 2019, n° 426060, Commune de Cast, Lebon), la solution n’était pas acquise, concernant la police spéciale des produits phytosanitaires. Des solutions plus ou moins strictes ont été prises jusqu’alors dans ce domaine, notamment concernant l’arrêté « anti pesticides » pris par le maire de Langouët  (TA Rennes 27 août 2019 n°1904033, TA Rennes, 25 oct. 2019, n° 1904029, Préfet d’Ille-et-Vilaine, AJDA 2019. 2148) et en particulier le Tribunal administratif de Cergy Pontoise reconnaissait jusqu’alors la possibilité d’une immixtion exceptionnelle du maire dans la police spéciale environnementale. (TA Cergy Pontoise, ordonnances du 8 nov. 2019, n° 1912597, et 1912600 précitées et concernant notre affaire, TA Cergy Pontoise ordonnances du 9 janvier 2020 n°1915493, 15 janvier 2020 n°1916079, 6 février 2020 n°2000726). Ces ordonnances ont été annulées ou confirmées en appel (CAA Versailles  ordonnances du 14 mai 2020, n°19VE03891 et n°19VE03892,  et du 25 juin 2020 n°20VE00615, n°20VE00340) mais le juge des référés de la Cour n’a pas remis en cause, par principe, la possibilité pour le maire d’intervenir en présence de circonstances locales particulières ou de péril grave et imminent, il avait simplement reconnu que des telles circonstances n’étaient pas établies en l’espèce. Le Tribunal administratif de Cergy Pontoise dans sa formation collégiale et au fond opère par les trois nouveaux jugements commentés un revirement dans son approche tenant à l’appréciation de la légalité des arrêtés anti-pesticides que proposait le juge des référés : non seulement le juge du fond opte pour une conception stricte de l’exclusivité accordée à la police spéciale en matière de réglementation de l’utilisation des produits phytosanitaires et phytopharmaceutiques,  mais il l’impose même à supposer une carence des autorités de police spéciale. Ces jugements feront l’objet d’un commentaire approfondi au Bulletin Juridiques des Collectivités Locales (BJDC).