Après Lubrizol : vers une expertise indépendante des risques industriels ?

Par maître Lucas DERMENGHEM (Green law avocats) L’épaisse fumée dans laquelle l’incendie de l’usine Lubrizol a plongé les rouennais le 26 septembre 2019 a fait resurgir dans le débat public la question des risques liés aux activités industrielles et ranimé le débat quant aux solutions permettant de réduire au maximum leur survenance. C’est dans ce contexte que la mission d’information de l’Assemblée nationale sur l’incendie du Lubrizol, présidée par le député Christophe Bouillon (PS), a déposé auprès du bureau de l’Assemblée nationale une proposition de loi n°2527 « relative à la création de l’Autorité de sûreté des sites SEVESO : plus de transparence et de sécurité à l’égard de la population ». Au titre de l’exposé des motifs de cette proposition de loi, la mission d’information a d’abord rappelé que plusieurs évolutions du cadre législatifs sont allées dans le sens d’un renforcement de la sécurité et de la sûreté des sites industriels : loi « Bachelot » n°2003-699 du 30 juillet 2003, décrets et arrêtés ministériels du 26 mai 2014 transposant la directive européenne dite « Seveso 3 ». Toutefois, la mission d’information fait le procès non pas d’une réglementation insuffisante mais de « failles inhérentes à notre système de contrôle des sites industriels pour l’environnement et la sécurité de la population » et pointe notamment le manque de « moyens institutionnels pour assurer la surveillance » des 1312 sites SEVESO référencés sur le territoire national. A l’inverse des sites nucléaires contrôlés par une instance spécifique (l’Autorité de Sûreté Nucléaire), les sites SEVESO sont dépourvus de toute autorité de contrôle indépendante. En effet, leur surveillance est assurée par les Directions Régionales de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (D.R.E.A.L), également chargées de réglementer les 500 000 sites relevant de la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement (I.C.P.E) en France. Accomplissant en parallèle une kyrielle de missions étatiques, les D.R.E.A.L font également face à un manque de moyens humains et matériels, entrainant une baisse substantielle du nombre d’inspections des sites I.C.P.E et par là-même une défaillance dans la maîtrise du danger lié aux sites les plus sensibles. Face à cette lacune, la mission d’information propose la création d’une Autorité de sûreté des sites SEVESO, instance « indépendante du gouvernement, avec des inspecteurs dédiés » qui « rendrait public ses rapports et injonctions ». Pour ce faire, elle serait dotée d’un budget propre ainsi que d’un pouvoir de sanction et « ses effectifs ne seraient pas soumis au plafond d’emplois. ». Cette autorité aurait vocation rebâtir le lien de confiance profondément ébranlé entre la population et les industries en tant que « médiateur, un tiers de confiance, qui puisse intervenir et accompagner les décideurs en cas d’accident ». La création d’une telle autorité est notamment soutenue par le Syndicat national des ingénieurs de l’industrie et des mines (Sniim), représentant les inspecteurs des installations. Le gouvernement a quant à lui émis d’autres pistes de réflexion en vue de renforcer la maîtrise du risque lié à ces sites. Ainsi, le 11 février 2020, la ministre de la Transition écologique et solidaire a proposé un « Plan d’action Lubrizol » comprenant notamment : une augmentation des contrôles de 50% d’ici la fin du quinquennat ; La création d’un bureau d’enquête accidents indépendant et dédié aux risques technologiques afin de tirer toutes les conséquences en cas de survenance d’un accident majeur. Si les pistes d’amélioration ne manquent pas, le cabinet Green Law Avocats ne peut que saluer cette proposition de loi qui fait écho à une réflexion engagée peu de temps après l’incendie de Lubrizol et suggérant l’idée de la création d’une « Autorité de sûreté des risques technologiques » (lire en ce sens : David DEHARBE et Lucas DERMENGHEM, « Pour une Autorité de sûreté des risques technologiques ! », Droit de l’Environnement, N°283, nov. 2019, page 409). Les auteurs avaient notamment constaté que si l’étude de dangers du site Lubrizol avait prévu l’hypothèse de l’incendie, elle n’avait pas forcément perçu l’ampleur des conséquences pouvant en découler. Cette étude souffrait également de n’avoir pas fait l’objet de la moindre contre-expertise par les services de contrôle depuis sa réalisation en 2009.

DOMMAGE DE POLLUTION MINIER DE L’EXPLOITANT DISPARU : L’ETAT DOIT INDEMNISER LES PREJUDICES DE JOUISSANCE ET DANS LES CONDITIONS D’EXISTENCE

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Par un jugement du 31 octobre, le tribunal administratif de Lyon (TA Lyon, 31 oct. 2019, n°1708503) a considéré que l’Etat est tenu de garantir les dommages issus d’une pollution des sols causée par l’activité antérieure d’une exploitation minière quand bien même l’exploitant n’existerait plus. Pour une meilleure compréhension du jugement, il convient de rappeler les dispositions de l’article L. 155-3 du Code minier (disponible ici), qui dispose que « L’explorateur ou l’exploitant ou, à défaut, le titulaire du titre minier est responsable des dommages causés par son activité. Il peut s’exonérer de sa responsabilité en apportant la preuve d’une cause étrangère. Sa responsabilité n’est limitée ni au périmètre du titre minier ni à sa durée de validité. En cas de disparition ou de défaillance du responsable, l’État est garant de la réparation des dommages causés par son activité minière. Il est subrogé dans les droits de la victime à l’encontre du responsable ». En l’espèce, les propriétaires d’un moulin rénové, sur le territoire de la commune de Les Salles, situé dans le périmètre d’un ancien secteur minier, font état d’une pollution sur leur territoire. Une étude sanitaire avait été réalisée par un groupement d’intérêt public et avait révélé une pollution importante sur le terrain d’assiette de leur propriété, mais aussi de la cave de leur habitation. Cette pollution au plomb n’était pas anodine. Les requérants avaient adressé une réclamation préalable au préfet de la Loire, afin d’obtenir la réparation des conséquences dommageables de cette pollution. Leur réclamation était restée sans réponse, ces derniers saisissent le TA de Lyon afin d’obtenir une indemnisation. Les juges font tout d’abord une appréciation de la pollution au regard de l’usage antérieur du terrain. Afin d’établir le lien de causalité, les juges se fondent sur l’étude réalisée par le groupement d’intérêt public ainsi qu’un arrêté préfectoral en date du 3 juillet 2019. Les résultats des divers prélèvements réalisés pour ladite étude démontrent que la contamination au plomb affecte non seulement le terrain, mais également la cave d’habitation des requérants. Si la pollution n’est pas issue de l’activité de l’ancienne fonderie exploitée de 1730 à 1844 sur la même parcelle, elle est en revanche issue des déchets ayant pour origine l’ancienne activité minière située sur le secteur proche de Saint-Martin-La-Sauveté. Les juges relèvent que « La pollution dont se plaignent M. B… et Mme A… apparaît donc directement en lien avec cette activité ». Le lien de causalité entre les dommages issus de la pollution relève ici de l’identification des polluants par une analyse des sols. Si l’ancien exploitant minier, ou les autres responsables de cette pollution au plomb ont aujourd’hui disparu, la juridiction estime que « les intéressés sont fondés, en application des dispositions de l’article L. 155-3 du code minier, à solliciter la garantie de l’État en réparation des dommages subis du fait de cette activité minière ». Les dispositions du Code miner encadrent la responsabilité de l’exploitation, et à titre subsidiaire celle de l’État. Classiquement, l’exploitant ou à défaut le titulaire d’un titre minier est responsable des dommages de son activité. Il est difficile pour l’exploitant de se dégager de sa responsabilité en cas de dommage. Dans ce cas, la responsabilité civile de l’exploitant pourra être engagée, et cela même après la fermeture du complexe minier (Cass., 3e civ., 24 sept. 2014, Synd. assainissement Orne aval c/ Sté des Mines de Sacilor-Lormines n° 11-22386). L’exploitant ne peut invoquer sa non-responsabilité que par la preuve d’une cause étrangère. L’utilisation de cet article s’apprécie souvent au regard de l’apparition tardive des effets pervers de pollutions parfois mal renseignée ou même dissimulée. La loi permet une réparation et une responsabilité de l’État dans deux cas spécifiques. L’article L. 155-3 du code minier précité, précise que l’État est garant de la réparation des dommages causés par une activité minière, et ce dès lors qu’il y a disparition ou défaillance du responsable. La notion de disparition est aisée à comprendre, elle agit dans le cas où l’on est dans l’impossibilité d’identifier formellement le responsable de l’activité, que cela soit sa disparition physique ou morale. Dans le cas de la défaillance, cela signifie que l’exploitant n’est plus en capacité d’assumer ces obligations. Cela peut notamment être le cas lors d’une incapacité financière (au sens de la circulaire   du 25 juill. 2000, relative à la mise en œuvre des articles 75-1 à 75-3 du Code minier). Cette deuxième hypothèse n’a pas été envisagée en l’espèce. Il est à noter que la procédure de délivrance d’un permis d’exploitation prend en considération la capacité financière du futur exploitant (CE, 13 juillet 2006, Société Geotech International, n° 273184). Dans notre espèce, les requérants demandent une indemnisation de leurs préjudices de jouissance de leur bien et d’un trouble dans leurs conditions d’existences.  Ils obtiennent gain de cause : «  il résulte de l’instruction que le remblaiement du terrain de M. B… et Mme A… avec des stériles issus de l’activité minière exploitée sur le secteur de Saint-Martin-la-Sauveté a entraîné une pollution au plomb mise en évidence à partir de 2014 par l’étude Géodéris, dont les résultats provisoires ont été portés à la connaissance des requérants lors d’une réunion du 13 novembre 2014. Dès le 21 novembre 2014, l’agence régionale de santé Rhône-Alpes les a invités à faire mesurer le dosage de la plombémie dans leur sang et celui de leurs enfants, puis de se soumettre à un suivi médical régulier afin de surveiller l’augmentation éventuelle de ce taux. Par un arrêté du 13 avril 2016, le préfet de la Loire a instauré des restrictions sanitaires d’utilisation, de mise sur le marché et la surveillance des productions animales et végétales issues notamment des parcelles appartenant aux requérants, classées à la fois en zone de protection et en zone de surveillance. Toute activité agricole s’est ainsi trouvée interdite sur leur terrain, ainsi que la consommation et la cession de toute production d’un éventuel jardin potager, dont la culture est déconseillée. Les requérants doivent également suivre de strictes recommandations sanitaires générales, telles que l’interdiction de laisser…

refus de suspension d’arrêtés anti-pesticides : le TA de Cergy prend le maquis !

Par Maître David DEHARBE (Associé Gérant – Green Law Avocats) Par un arrêté du 20 mai 2019, le maire de Sceaux a interdit l’utilisation du glyphosate et d’autres substances chimiques sur le territoire de sa commune. Par ailleurs, le 13 juin 2019, l’utilisation de pesticides a été interdite par le maire de Gennevilliers pour l’entretien de certains espaces de son territoire. Le préfet des Hauts-de-Seine a demandé au juge des référés du tribunal administratif de suspendre ces décisions. C’est une première, par deux ordonnances du 8 novembre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise rejette les déférés-suspension du préfet des Hauts-de-Seine relatifs aux arrêtés des maires de Sceaux et de Gennevilliers interdisant l’utilisation du glyphosate et des pesticides (TA Cergy-Pontoise, Ordonnance du 8 novembre 2019, n°1912597 et 1912600). Pour cette juridiction, « eu égard à la présomption suffisamment établie de dangerosité et de persistance dans le temps des effets néfastes pour la santé publique e l’environnement des produits que l’arrêté attaqué interdit sur le territoire de la commune de Gennevilliers et en l’absence de mesures réglementaires suffisantes prises par les ministres titulaires de la police spéciale, le maire de cette commune a pu à bon droit considérer que les habitants de celle-ci étaient exposés à un danger grave, justifiant qu’il prescrive les mesures contestées, en vertu des articles L. 2212-1, L. 2212-2 et L. 2212-4 précités du code général des collectivités territoriales, et ce alors même que l’organisation d’une police spéciale relative aux produits concernés a pour objet de garantir une cohérence au niveau national des décisions prises, dans un contexte où les connaissances et expertises scientifiques sont désormais largement diffusées et accessibles ». Le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise prend ainsi à contre-pied les juges des référés de Besançon (TA Besançon, ord. 16 septembre 2019, n°1901464) et de Rennes (TA Rennes, ord. 27 août 2019, n°54-035-02/54-10-05/49-02-04/49-05-02 ) On relève en particulier que le juge des référés a constaté que les produits phytopharmaceutiques constituent un danger grave pour les populations exposées et que l’autorité administrative n’a pas pris de mesures suffisantes en vue de la protection de la santé publique :   « Il ne saurait être sérieusement contesté que les produits phytopharmaceutiques visés par l’arrêté en litige, qui font l’objet d’interdictions partielles mentionnées à l’article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime précité, constituent un danger grave pour les populations exposées, notamment celles mentionnées au I de ce même article et définies à l’article 3 du règlement (CE) n° 1107/2009 ou celles présentes à proximité des espaces et lieux mentionnés à l’article L. 253-7-1  du  même  code ». En l’espèce, les maires de Sceaux et Gennevilliers ont interdit l’utilisation de ces produits dans les espaces fréquentés par le public, en raison notamment de l’importance des populations vulnérables sur leur territoire. Le juge des référés a estimé qu’eu égard à la situation locale, c’est à bon droit que ces maires ont considéré que les habitants de leurs communes étaient exposés à un danger grave, justifiant qu’ils interdisent l’utilisation des produits en cause : « La  commune  de  Gennevilliers,  qui  compte  plus  de  46 000  habitants,  soutient  qu’elle subit une pollution considérable du fait des infrastructures majeures de transport présentes sur  son  territoire  et  que  l’arrêté  attaqué  limite  l’interdiction  des  produits  phytopharmaceutiques qu’il liste à l’entretien des jardins et espaces verts des entreprises, des copropriétés, des bailleurs privés  et  privés  sociaux,  des  voies  ferrées  et  des  tramways  et  leurs  abords,  des  abords  des  autoroutes et routes qui la  traversent, où l’usage de ces produits est encore autorisé. La commune se prévaut, en outre, de l’importance des populations vulnérables sur son territoire et notamment celles accueillies dans ses treize écoles, trois collèges et un lycée et dans l’établissement de santé spécialisé   en   rééducation   fonctionnelle.   » (ord. n°  1912597) « La commune de Sceaux, qui compte plus de 20 000 habitants, fait valoir que les espaces verts couvrent la moitié de son territoire et que l’entretien des deux tiers d’entre eux n’est pas visé par  les  interdictions  des  produits  phytosanitaires  mentionnées  précédemment,  ce  qui concerne de nombreux espaces et équipements fréquentés par le grand public. Elle se prévaut, en outre, de  l’importance  des  populations  vulnérables  sur  son  territoire  parmi  lesquelles  les  enfants  qui  sont  accueillis  dans  huit  crèches,  huit  écoles,  deux  collèges  et  quatre  lycées  ainsi  que  les  personnes  âgées  résidant  notamment  dans  les  quatre  établissements  de  santé  situés  sur ce territoire. » (ord. n° 1912600) Cette motivation n’est certainement pas un revirement de jurisprudence mais d’appréciation de la situation de l’épandage des produits phytosanitaires. D’ailleurs, la juridiction ne manque pas d’emblée de faire valoir : « Il  résulte  des  dispositions  précitées  que  la  police  spéciale  relative  à  l’utilisation  des  produits  phytopharmaceutiques  a  été  attribuée  au  ministre  de  l’agriculture.  S’il appartient  au  maire,  responsable  de  l’ordre  public  sur  le  territoire  de  sa  commune,  de  prendre  les  mesures  de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, il ne saurait s’immiscer dans l’exercice de cette police spéciale qu’en cas de danger grave ou imminent ou de circonstances locales particulières. » En effet de longue date le Conseil d’Etat a prévu une exception à l’interdiction qu’il fait au maire de s’immiscer dans une police spéciale environnementale : cette solution s’impose avec rigueur sous réserve d’un péril imminent relevant d’une appréciation locale. Rappelons ici les arrêts de principe. Si,  en  vertu  de  ces  dispositions du  code  général  des  collectivités  territoriales, il appartient au maire, responsable de l’ordre public sur le territoire de sa commune, de prendre les mesures  de  police  générale  nécessaires  au  bon  ordre,  à  la  sûreté,  à  la  sécurité et  à  la  salubrité publiques, il ne saurait en aucun cas s’immiscer, par l’édiction d’une règlementation locale, dans l’exercice d’une police spéciale que le législateur a organisée à l’échelon national et confiée à l’État, sauf péril imminent. La solution jurisprudentielle est ancienne (CE, 22 janv. 1965, n° 56871,  Alix, Lebon p. 44 – CE, 15 janv. 1986, n° 47836,  Sté PEC-Engineering – Conseil d’Etat, 29 sept. 2003, Houillères du bassin de Lorraine…

Arrêtés couvre-feu pour prévenir les troubles de voisinage : contrôle étroit du juge

 Par Maître Jérémy TAUPIN (Green Law Avocats) Souvent les riverains se sentent démunis face aux troubles de voisinages dont ils sont victimes en milieux urbains et dans des zones où le vouloir vivre ensemble semble très difficile au quotidien. Pour y remédier certains élus locaux ont décidé de mobiliser leur pouvoir de police administrative en prenant des arrêtés « couvre-feu ». Ils ne sont pas forcément illégaux mais comme l’appelé le juge des référés du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, ils font l’objet d’un contrôle juridictionnel étendu. Ainsi, le jour du 230e anniversaire de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen a d’abord été l’occasion pour le juge des référés du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, saisi par la Ligue des droits de l’homme sur le fondement des dispositions de l’article L.521-1 CJA, de préciser les règles applicables en matière de concours entre polices administratives générales au sein de communes où la police est étatisée (TA Cergy-Pontoise ord. 26 août 2019, Ligue des droits de l’homme, n° 1910034 et n° 1910057). Des arrêtés « couvre-feu » pris par les maires de Meudon et Sèvres Au début de l’été 2019, les maires de deux communes de la banlieue ouest de Paris avaient proscrit par arrêté les rassemblements « non liés à des manifestations ou fêtes publiques » à certaines heures de la soirée ou de la nuit, et sur des secteurs délimités de leurs communes respectives : le maire de Meudon avait interdit, sur un périmètre restreint de sa commune et pour une période d’un an courant à compter du 10 juin 2019, les regroupements de personne non liés à des rassemblements autorisés ; à Sèvres, le maire n’avait empêché ce type de réunion que jusqu’au 30 septembre 2019, sur une petite portion de son territoire communal, mais sur une plage horaire plus importante. La Ligue des droits de l’homme a alors intenté une action en référé-suspension devant le juge administratif. La requérante estimait que les actes administratifs édictés par les deux édiles, à défaut d’être « nécessaires et adaptés », portaient en tout état de cause une atteinte « disproportionnée » à deux grandes libertés publiques : la liberté d’aller et venir et la liberté de réunion des personnes susceptibles de circuler sur le territoire concerné. Outre le vice d’incompétence du maire pour édicter de telles dispositions – nous y reviendrons – le périmètre géographique et l’amplitude horaire présents dans les deux arrêtés étaient contestés. La reconnaissance de la compétence du maire pour réprimer les troubles du voisinage dans les communes où la police est étatisée Dans les deux espèces, le juge des référés a, prima facie, reconnu l’existence d’une situation d’urgence, nécessaire au vu des dispositions de l’article L.521-1 CJA pour qu’il fasse usage de ses pouvoirs. Les deux ordonnances du 26 août 2019 ont ensuite permis au juge administratif de préciser l’étendue des compétences du maire en matière de police administrative générale dans des communes où la police est étatisée. Le magistrat statuant en référé a opéré une combinaison entre l’article L.2212-2 et l’article L.2214-4, deux textes de la partie législative du Code général des collectivités territoriales relatifs aux pouvoirs de police du maire (L.2212-2) et du Préfet (L.2214-4) en matière de répression des troubles à l’ordre public. « Dans les communes où la police est étatisée, le maire est compétent pour réprimer les atteintes à la tranquillité publique en ce qui concerne les troubles du voisinage, le représentant de l’Etat étant pour sa part compétent pour réprimer les autres atteintes à la tranquillité publique au sens des dispositions du 2° de l’article L.2212-2 CGCT ». La reconnaissance de la compétence du maire reposait donc sur la qualification par le juge des actes proscrits au sein des arrêtés : seule la qualification de troubles de voisinage portant atteinte à la tranquillité publique pouvait emporter compétence municipale, écartant au passage la compétence légale du Préfet par le jeu de la combinaison des deux dispositions précitées. C’est chose faite dans les deux espèces « eu égard aux atteintes à la tranquillité publique que vise à prévenir l’arrêté attaqué, qui doivent être regardées comme consistant en des troubles du voisinage, le moyen tiré de l’incompétence du maire de Sèvres (Meudon) ne peut être regardé comme étant de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ». On remarquera que la qualification de trouble de voisinage est particulièrement motivé dans les deux ordonnances. S’agissant de la commune de Sèvres, l’Ordonnance relève  que « à Sèvres, le tribunal constate « ces troubles ont donné lieu à des plaintes de riverains faisant état de rassemblements de plusieurs personnes en soirée et jusque dans la nuit, caractérisés notamment par du tapage nocturne, des mouvements de scooter, de la consommation de substance illicites, des stationnements illégaux, des déjections et des dégradations de véhicules particuliers, et, le cas échéant, des repas sauvages. S’agissant du centre d’art et de culture, situé aux abords d’un secteur résidentiel, ces troubles se manifestent notamment de nuit et en dehors même de toute activité du centre. Ces plaintes sont matérialisées, sur une période incluant la fin de l’hiver et le printemps 2019, par des interventions auprès du maire de particuliers, deux mains courantes de riverains (rue du Val et rue Hélène Loiret), par quatre mains courantes des services de la police municipale (rue du Val, place Jules Janssen et rue Basse de la Terrasse), et par une restitution d’une réunion d’un comité de quartier. A cet égard, il ressort de ces pièces que la police municipale de Meudon est intervenue, sur signalement de particuliers, avec des résultats inégaux et sans pouvoir verbaliser les intéressés, en l’absence de prérogative en ce sens, les services de la police d’Etat ne pouvant donner suite dans tous les cas à ces interventions, ou intervenant avec retard par rapport au signalement des faits, en raison notamment de la diminution de leurs effectifs dans les Hauts-de-Seine. S’agissant de la rue du Cerf, une tentative de médiation avec les personnes intéressées, organisée en avril 2019, n’a pas abouti. Aucun équipement en caméras de vidéo-surveillance n’existe dans les secteurs concernés eu…

Le maire et les pesticides : pas d’immixtion !

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) L’on sait que la jurisprudence du Conseil d’Etat (en matière d’ICPE, d’antennes relais, d’arrêté anti-OGM et d’installations de compteurs électriques communicants) est désormais parfaitement établie en matière de risques environnementaux ou sanitaires encadrés par une police spéciale, très souvent confiée au préfet département et/ou à un Ministre. Si,  en  vertu  de  ces  dispositions du  code  général  des  collectivités  territoriales, il appartient au maire, responsable de l’ordre public sur le territoire de sa commune, de prendre les mesures  de  police  générale  nécessaires  au  bon  ordre,  à  la  sûreté,  à  la  sécurité et  à  la  salubrité publiques, il ne saurait en aucun cas s’immiscer, par l’édiction d’une règlementation locale, dans l’exercice d’une police spéciale que le législateur a organisée à l’échelon national et confiée à l’État. Et le principe de précaution ne saurait faire échec à cette solution : s’il est applicable à toute autorité publique dans ses domaines d’attributions, ne saurait avoir ni pour objet ni pour effet de permettre à une autorité publique d’excéder  son  champ  de  compétence  et  d’intervenir  en  dehors  de  ses  domaines d’attributions (CE, du 26 octobre 2011, n°326492). C’est sur cette base jurisprudentielle que le tribunal administratif de Rennes a ordonné mardi 27 août (par une ordonnance référencée n° 1904033) la suspension de l’arrêté pris par Daniel Cueff, le maire de Langouët (Ille-et-Villaine), limitant l’épandage de pesticides sur sa commune à plus de 150 mètres des habitations (la décision est téléchargeable ici). Pourtant la défense du premier magistrat de Langouët s’est efforcée de puiser au plus de la hiérarchie des normes française pour essayer de justifier qu’en vertu de la police générale un maire puisse tout de même réglementer la prévention d’un risque environnemental et sanitaire. Ainsi une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) a été posée au juge des référés. La défense mettait en cause  la  conformité au troisième alinéa de l’article 72 de la Constitution des  articles  L.253-7,L.253-7-1,  R.253-45,  D.253-45-1  du  code  rural  et  de  la pêche  maritime  et  L.1311-1  et  L.1311-2  du  code  de  la  santé  publique en tant qu’ils instituent une  police spéciale  des  produits phytopharmaceutiques centralisée et déconcentrée mais non décentralisée privant sans motif la collectivité locale de tout pouvoir réglementaire. Mais pour le juge des référés du Tribunal administratif de Rennes, « il résulte des  termes  mêmes  des  articles  34  et  72 de  la  Constitution que  les collectivités territoriales s’administrent librement et disposent d’un pouvoir règlementaire  pour l’exercice de leurs compétences, dans les conditions prévues par la loi. Il n’en résulte aucune obligation pour le législateur de définir les circonstances dans lesquelles il  entend  réserver  à l’État ou à ses représentants, plutôt qu’aux collectivités  territoriales,  le  pouvoir  de  règlementer certaines  matières  et  encore  moins  de  justifier  des  raisons  de  son  choix.  Par ailleurs, les dispositions constitutionnelles précitées n’interdisent pas au législateur qui organise à l’échelon national une police spéciale dans un domaine particulier de prévoir que l’autorité administrative compétente soit désignée par la voie règlementaire ». De même, la défense invoquait encore l’inconventionnalité du principe de non immixtion de la police générale dans le cercle de la police spéciale en sollicitant que soit posée une question préjudicielle à la CJUE : «En cas de carence avérée d’un Etat membre pour promulguer sur toute l’étendue du territoire national les mesures concrètes de protection des personnes vulnérables exigées par les articles 12 de la directive n°2009/128/CE du 21 octobre 2009 et 3 du règlement  du Parlement européen  et  du  Conseil  n°1107/2009  du  21  octobre  2009,  les  principes  de  primauté  et d’effectivité du droit de l’Union, emportent-ils le droit et/ou le devoir pour toute autorité locale disposant  d’un  pouvoir  de  police  sanitaire,  de  prendre,  sur  l’étendue  de  sa  compétence territoriale, des mesures, au moins provisoires, de protection des personnes vulnérables au sens des textes précités?». Le juge refuse cette transmission au motif principal qu’un doute sérieux suffit pour prononcer la suspension. Mais il ajoute encore ce motif sans doute bien plus discutable : « En tout état de cause, aucun des textes et principes du droit de l’Union européenne invoqués par la commune de Langouët ne peut être sérieusement interprété comme emportant, en cas de carence ou de retard d’un État  membre,  le  droit pour toute collectivité territoriale disposant d’un pouvoir de police sanitaire, de prendre, dans la limite de sa compétence territoriale, des mesures de protection des personnes vulnérables, ne serait-ce qu’à titre provisoire. ». Ce d’autant que l’utilisation  des  produits phytopharmaceutiques,  qui,  quoique régie par le droit de l’Union européenne, fait l’objet de textes nationaux incomplets, en violation des articles 12 de la directive n°2009/128/CE du 21 octobre 2009 et 3 du règlement du Parlement européen et du Conseil  n°1107/2009  du  21  octobre  2009, en  ce  qu’ils  omettent  totalement  la protection des riverains des zones traitées, ainsi que l’a relevéle Conseil d’État dans sa  décision du  26  juin  2019  (nos 415426,  415431)  statuant  sur  une  requête  en annulation du décret du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et l’utilisation des produits  phytopharmaceutiques  et  de  leurs  adjuvants. Ainsi   le Conseil d’Etat dans son arrêt du 26 juin dernier avait donné au gouvernement jusqu’au 26 décembre pour revoir le dispositif sur l’application des pesticides et prévoir des mesures de protection des riverains. Daniel Cueff, a été le premier maire de France à avoir pris, le 18 mai dernier, un arrêté interdisant l’utilisation de pesticides «à une distance inférieure à 150 mètres de toute parcelle cadastrale comprenant un bâtiment à usage d’habitation ou professionnel». Depuis plusieurs maires et conseils municipaux ont décidé et voté la limitation des épandages de pesticides à plus de 150 mètres des habitations (le Perray-en-Yvelines, le conseil municipal d’Us dans le Val d’Oise)… ce contentieux va s’étoffer, affaires à suivre.