Loi ELAN et décret du 10 décembre 2018 : un nouvel assouplissement des contraintes applicables aux antennes relais

Par Thomas RICHET (Green Law Avocats) Soucieux de lutter contre les « zones blanches » du réseau téléphonique et l’accélération du déploiement du très haut débit sur l’ensemble du territoire national, le gouvernement et le législateur ont intégré dans la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ou loi « ELAN ») de nombreuses dispositions permettant de faciliter l’implantation des antennes relais. Ce texte a ensuite été complété par le décret n° 2018-1123 du 10 décembre 2018 relatif à l’extension du régime de la déclaration préalable aux projets d’installation d’antennes-relais de radiotéléphonie mobile et à leurs locaux ou installations techniques au titre du code de l’urbanisme. Assouplissement des exigences en matière d’information des Maires et Présidents d’Intercommunalités (Articles 219 et 220 de la loi ELAN): La loi ELAN a tout d’abord assoupli l’obligation d’information due aux Maires et Présidents d’EPCI au titre de l’article L. 34-9-1 du Code des postes et des communications électroniques (CPCE). Cet article prévoit en effet que toute personne souhaitant exploiter une ou plusieurs installations radioélectriques soumises à l’accord ou l’avis de l’Agence Nationale des Fréquences (ANFR) est tenue de transmettre un dossier d’information au Maire ou au Président de l’EPCI. Avant la loi ELAN, ce dossier devait être transmis deux mois avant le dépôt de la demande d’autorisation d’urbanisme : il doit aujourd’hui l’être un mois avant (article 219 de la loi EALN). Cette modification du CPCE est applicable aux dossiers d’information transmis à compter du 24 novembre 2018. Par ailleurs, jusqu’au 31 décembre 2022, une dérogation au régime d’information précité est prévue pour « les travaux ayant pour objectif l’installation de la quatrième génération du réseau de téléphonie mobile sur un équipement existant » (article 220 de la loi ELAN). Pour ces travaux, une simple information préalable du maire est prévue si le support ne fait pas l’objet d’une « extension ou d’une rehausse substantielle ». Suppression de la possibilité de retirer des décisions d’urbanisme autorisant une antenne relais (article 222 de la loi ELAN): A titre expérimental et jusqu’au 31 décembre 2022, la loi ELAN prévoit que les décisions qui autorisent ou ne s’opposent pas à l’implantation d’antennes de radiotéléphonie mobile ne peuvent plus être retirées, par dérogation à L. 424-5 du Code de l’urbanisme. Concrètement, cela signifie qu’il ne sera plus possible de demander le retrait de l’autorisation dans le cadre d’un recours gracieux : tout recours devra nécessairement être contentieux. Ces dispositions sont applicables aux décisions d’urbanisme prises à compter du 24 décembre 2018, et le Gouvernement devra établir un bilan de cette expérimentation au plus tard le 30 juin 2022. Passage d’un accord à un avis de l’Architecte des Bâtiment de France (ABF) (article 56 de la loi ELAN): Lorsque des travaux sont entrepris dans le périmètre d’un site remarquable, ils sont normalement soumis à l’accord de l’ABF (Art. 632-1 et L. 632-2 du Code du Patrimoine). L’article L. 632-2-1 du Code du patrimoine prévoit toutefois un certain nombre d’hypothèses dans lesquels cet accord est remplacé par un simple avis. La loi ELAN intègre les projets d’antennes relais à cette liste. Précisons que cette nouvelle exception s’applique aux demandes déposées à compter 25 novembre 2018. Exception aux règles de sélection préalable du Code Général de la Propriété des Personnes Publiques (CG3P) (article 221 de la loi ELAN) : Depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques, les personnes publiques sont tenues d’organiser une procédure de sélection préalable des candidats à l’obtention d’un titre visant à occuper ou utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique (cf. Art. L. 2122-1-1 du CG3P). La loi ELAN élargit le champ des exceptions à cette règle (cf. Art. L. 2122-1-2 et L. 2122-1-3 du CG3P) en créant un article L. 2122-1-3-1 qui prévoit que la procédure de sélection préalable ne sera pas applicable lorsque le titre vise à permettre l’implantation et l’exploitation « d’un réseau de communications électroniques ouvert au public ». Assouplissement des règles relatives à la construction en zones Montagne et Littoral (articles 223 et 224 de la loi ELAN): L’article L. 122-3 du Code de l’urbanisme fixe une liste des installations et des ouvrages qui ne sont pas soumises à la loi montagne. La loi ELAN y ajoute l’hypothèse de « l’établissement de réseaux de communications électroniques ouverts au public » si ce type d’installation s’avère nécessaire pour améliorer la couverture du territoire. Les règles de construction en zone littoral sont elles aussi assouplies en faveur des antennes relais. En effet, alors que l’article L. 121-16 du Code de l’urbanisme fixe le principe de l’interdiction des constructions et installations dans la bande littorale des « 100 mètres », l’article L. 121-17 prévoit des exceptions à cette règles lorsque les constructions et installations projetées qui sont nécessaires au service public nécessitent la proximité de l’eau. Plus précisément, cette exception joue pour « l’atterrage des canalisations et à leurs jonctions lorsque ces canalisations et jonctions sont nécessaires à l’exercice des missions de service public définie à l’article L. 121-4 du Code de l’énergie ». L’article 224 de la loi ELAN prévoit que cette exception jouera désormais également pour « l’établissement des réseaux ouverts au public de communication électroniques ». Entrée en vigueur du décret n° 2018-1123 du 10 décembre 2018 relatif à l’extension du régime de la déclaration préalable aux projets d’installation d’antennes-relais de radiotéléphonie mobile et à leurs locaux ou installations techniques au titre du code de l’urbanisme: Le décret n° 2018-1123 du 10 décembre 2018 (qui s’applique aux déclarations préalables déposées à compter du 13 décembre 2018) a modifié l’article R. 421-9 du Code de l’urbanisme de manière à soumettre les projets d’installation d’antenne relais de radiotéléphonie mobile à déclaration préalable dans l’hypothèse où l’antenne et les annexes nécessaires à son fonctionnement présentent une surface de plancher et une emprise au sol comprises entre 5 m² et 20 m², et ce, quelle que soit la hauteur de l’antenne. Jusque-là, de telles constructions étaient soumise à permis de construire, et lorsque l’opérateur avait malgré tout bénéficié d’une déclaration préalable, le moyen pouvait…

Une autorisation loi sur l’eau doit être compatible avec le SDAGE, après une analyse globale (et non pas à l’égard d’une seule orientation selon le Conseil d’Etat)

Par Me Jérémy Taupin, Green Law Avocats Par une décision n°408175 en date du 21 novembre 2018, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser sa jurisprudence relative à la compatibilité des autorisations délivrées au titre de la loi sur l’eau avec les orientations et objectifs d’un schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE). En substance: l’autorisation IOTA doit être compatible avec le SDAGE apprécié dans son ensemble, et non à l’égard d’une seule de ses orientations. Cette décision intéressera l’ensemble des maîtres d’ouvrage dans le domaine de l’aménagement et de la construction, de l’irrigation, de l’hydroélectricité, ou de la protection contre les risques naturels. En l’espèce, la Haute Juridiction était saisie d’un pourvoi contre l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon (req. n° 15LY03104, 15LY03144, décision du 16 décembre 2016) qui avait confirmé l’annulation par le Tribunal administratif de Grenoble de l’autorisation délivrée au titre des dispositions des articles L. 214-1 et suivants du code de l’environnement à la société Roybon cottages. Cette société n’est pas étrangère aux juristes en droit environnement, puisque le projet qu’elle porte, à savoir le Centrer Parc de Roybon, a donné lieu à de nombreux contentieux ces dernières années. L’autorisation d’espèce était donc une autorisation loi sur l’eau, portant notamment sur les aspects relatifs à la maîtrise foncière des mesures compensatoires à la destruction des zones humides. Plusieurs requérants en avaient demandé l’annulation au juge administratif, qui y avait fait droit au motif d’une incompatibilité avec le SDAGE Rhône-Méditerranée du fait de l’insuffisance de ces mesures compensatoires. Le Conseil d’Etat vient ici annuler l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon, estimant que celle-ci a commis une erreur de droit. En effet, et en premier lieu, le Conseil d’Etat rappelle très clairement qu’il résulte des dispositions de l’article L. 212-1 du code de l’environnement, dans sa rédaction applicable au litige, que les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux doivent se borner à fixer des orientations et des objectifs, ces derniers pouvant être, en partie, exprimés sous forme quantitative. Le Conseil estime ensuite que les autorisations délivrées au titre de la législation de l’eau sont soumises à une simple obligation de compatibilité avec ces orientations et objectifs. Or, « pour apprécier cette compatibilité, il appartient au juge administratif de rechercher, dans le cadre d’une analyse globale le conduisant à se placer à l’échelle de l’ensemble du territoire couvert, si l’autorisation ne contrarie pas les objectifs qu’impose le schéma, compte tenu des orientations adoptées et de leur degré de précision, sans rechercher l’adéquation de l’autorisation au regard chaque disposition ou objectif particulier. » Il s’agit ici d’un considérant très intéressant pour l’appréciation du contrôle du rapport de compatibilité opéré par le juge, qui n’avait à notre connaissance jamais été énoncé en ce qui concerne ce rapport précis (autorisation loi sur l’eau à l’égard d’un SDAGE).  Rappelons que Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion d’analyser ce rapport de compatibilité dans d’autres cas. Citons par exemple le rapport autorisation de carrière / Schéma départemental des carrières (CE, 10 janvier 2011, Association oiseaux nature, req. n°317076), ou encore le rapport POS – Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (CE, 25 mars 2001, req. N° 205629). En second lieu, le Conseil d’Etat entend « globaliser le contrôle » à l’égard de l’ensemble des orientations du SDAGE. En effet, il considère qu’il « ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, pour juger que le projet litigieux n’est pas compatible avec le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux 2016-2021 du bassin Rhône-Méditerranée, la cour s’est bornée à le confronter à une seule disposition de ce schéma, l’article 6B-04 relatif à une compensation minimale à hauteur de 100 % de la surface des zones humides détruites par le projet. Ce faisant, la cour n’a pas confronté l’autorisation litigieuse à l’ensemble des orientations et objectifs fixés par le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux 2016-2021 du bassin Rhône-Méditerranée et a, ainsi, omis de procéder à l’analyse globale exigée par le contrôle de compatibilité défini au point précédent. Par suite, elle a commis une erreur de droit. » Ainsi, si le respect du rapport de compatibilité s’impose à toutes les dispositions du SDAGE, le juge ne peut, lors de son contrôle, isoler telle ou telle mesure du SDAGE tout en en laissant d’autres de côté dans son examen. Il doit en effet apprécier la compatibilité de l’autorisation loi sur l’eau au regard d’une analyse globale de tous les objectifs dudit SDAGE, mais ce sans rechercher l’adéquation de l’autorisation au regard chaque disposition ou objectif particulier. Il s’agit d’un exercice complexe qui ne manquera pas d’être mis à l’épreuve par les requérants au sein de leurs écritures à l’encontre de telles autorisations. Cette décision s’inscrit dans un contexte jurisprudentiel cohérent : il est à rapprocher d’une autre récente décision du Conseil d’Etat, ayant trait aux modalités du contrôle exercé par le juge sur l’obligation de comptabilité d’un PLU à un SCOT (CE, 18 décembre 2017, Le Regroupement des organismes de sauvegarde de l’Oise et autre, req. n°395216, précédemment commenté sur le blog), qui énonçait également cette nécessité d’ « analyse globale ».

Urbanisme: faute d’enregistrement sous un moins d’une transaction prévoyant le désistement d’un recours contre un permis de construire, les sommes doivent être rendues !

    Par Me Valentine SQUILLACI- Green Law Avocats La Cour de cassation vient de rappeler une règle souvent méconnue des opposants à des projets de construction ayant obtenu le versement d’une somme d’argent en échange du désistement de leur action (arrêt de la 3ème Chambre de la Cour de Cassation, 20 décembre 2018 n°17-27.814) laquelle applique pour la première fois à notre connaissance la sanction posée par l’article L600-8 du Code de l’Urbanisme en cas d’inobservation de cette obligation. La portée de cette décision montre qu’il ne faut pas négliger l’enregistrement auprès de l’administration fiscale, dans le délai d’un mois de leur conclusion, des transactions prévoyant le désistement du recours pour excès de pouvoir formé contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager en contrepartie du versement d’une somme d’argent ou de l’octroi d’un avantage en nature. A défaut, la transaction ne peut faire l’objet d’une exécution forcée ou, s’il elle l’a déjà été, les sommes versées doivent être remboursées. Les faits ayant donné lieu à l’arrêt sont relativement simples. Un permis de construire obtenu par un promoteur immobilier pour la construction de deux bâtiments a fait l’objet d’un recours par le propriétaire de la parcelle voisine. En cours de procédure devant la juridiction administrative, les deux parties ont conclu une transaction prévoyant, en contrepartie du désistement du recours, la réalisation de mesures compensatoires en nature et le versement d’une somme d’argent par le promoteur. En exécution de la transaction conclue, l’auteur du recours s’est désisté de sa requête en annulation du permis de construire et a sollicité du promoteur le versement de sa somme d’argent. Ce dernier a alors opposé la caducité du protocole en faisant valoir qu’il avait été enregistré tardivement. Celui-ci avait en effet été enregistré plus d’un an après sa conclusion. Or, l’article 635 1. 9° du Code Général des Impôts impose l’enregistrement « dans le délai d’un mois à compter de leur date » de toute « transaction prévoyant, en contrepartie du versement d’une somme d’argent ou de l’octroi d’un avantage en nature, le désistement du recours pour excès de pouvoir formé contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager. » Cette exigence est également contenue dans le Code de l’Urbanisme, dont l’article L600-8 disposait, dans sa version antérieure à la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique : « Toute transaction par laquelle une personne ayant demandé au juge administratif l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager s’engage à se désister de ce recours en contrepartie du versement d’une somme d’argent ou de l’octroi d’un avantage en nature doit être enregistrée conformément à l’article 635 du code général des impôts. La contrepartie prévue par une transaction non enregistrée est réputée sans cause et les sommes versées ou celles qui correspondent au coût des avantages consentis sont sujettes à répétition. L’action en répétition se prescrit par cinq ans à compter du dernier versement ou de l’obtention de l’avantage en nature. Les acquéreurs successifs de biens ayant fait l’objet du permis mentionné au premier alinéa peuvent également exercer l’action en répétition prévue à l’alinéa précédent à raison du préjudice qu’ils ont subi. » Comme le permet l’article 1567 du Code de Procédure Civile, le créancier de l’indemnité transactionnelle a saisi le Président du Tribunal de grande instance, lequel a rendu une ordonnance conférant force exécutoire à la transaction. Le promoteur a alors sollicité devant le Président du tribunal statuant en la forme des référés la rétractation de l’ordonnance, ce qu’il a obtenu. La rétractation a été confirmée par la Cour d’Appel de Grenoble (CA Grenoble, 1re ch., 3 oct. 2017, n° 17/00596). Aux termes de l’arrêt commenté, la Cour de Cassation confirme l’arrêt de la Cour d’Appel, en conséquence, la lourde sanction attachée au défaut d’enregistrement, dans le délai d’un mois de leur conclusion, des transactions prévoyant, en contrepartie du versement d’une somme d’argent ou de l’octroi d’un avantage en nature, le désistement du recours pour excès de pouvoir formé contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager. Selon la Cour de Cassation, cette sanction est l’impossibilité de donner force exécutoire à la transaction, laquelle est illégale en raison du défaut d’enregistrement. L’arrêt de la Cour de Cassation, dont la rédaction est extrêmement pédagogique, permet de tirer les enseignements suivants. D’une part, la sanction prévue par l’article L600-8 alinéa 1er du Code de l’Urbanisme s’applique dès lors que le délai d’un mois prévu par l’article 635 du Code Général des Impôts, « délai de rigueur qui ne peut être prorogé », n’a pas été respecté et ce, « quel que soit le motif du retard ». L’auteur du pourvoi avait fait valoir que la rédaction de l’article L600-8 antérieure à la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 ne mentionnait pas ledit délai, l’alinéa 2 précisant uniquement que la sanction devait s’appliquer à une « transaction non enregistrée ». Ladite loi a en effet modifié l’alinéa 2 de la disposition qui prévoit désormais (depuis son entrée en vigueur le 1er janvier 2019) que la sanction s’applique à « une transaction non enregistrée dans le délai d’un mois prévu au même article 635 ». L’auteur du pourvoi en déduisait qu’antérieurement à la réforme, la sanction ne devait pas s’appliquer à une transaction dont l’enregistrement avait réalisé, bien que tardivement. Cette position n’était pas dénuée de pertinence. L’application littérale de l’ancien alinéa 2 de l’article L600-8 devait en effet conduire à ne pas appliquer la sanction si la transaction avait été enregistrée, même tardivement. La Cour de Cassation a cependant censuré cette interprétation et sa motivation mérite d’être reproduite : « Mais attendu qu’il ressort de la combinaison des articles L. 600-8 du code de l’urbanisme et 635, 1, 9° du code général des impôts que la formalité de l’enregistrement doit être accomplie dans le mois de la date de la transaction et que, à défaut d’enregistrement dans ce délai, la contrepartie prévue par la transaction non enregistrée est réputée sans cause ; Que considérer que le délai d’un mois est dépourvu de sanction et admettre ainsi qu’une transaction ne pourrait être révélée que tardivement serait…

Dérogation « espèces protégées » et « intérêt public majeur » : suspension d’un projet par le CE

  Par Me Jérémy Taupin – Green Law Avocats (jeremy.taupin@green-law-avocat.fr) En droit, l’article L. 411-1 du code de l’environnement instaure un régime de protection de certaines espèces animales et végétales, qu’il est interdit de détruire, d’altérer ou de dégrader. L’article L. 411-2 du même code prévoit toutefois que des dérogations à cette interdiction peuvent être délivrées par le Préfet, « à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle », notamment pour « des raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique ». Bien évidemment ces dérogations tentent à permettent la réalisation de projets d’infrastructure ou d’aménagement de toute nature mais seulement s’ils remplissent cette condition drastique. Par une décision en date du 28 décembre 2018 (CE, req. n°419918) le Conseil d’Etat est venu préciser l’office du juge des référés dans le cadre du contrôle de cette exigence. En l’espèce, un arrêté préfet de la Dordogne en date du 29 janvier 2018 portant autorisation unique au titre de l’article L. 214-3 du code de l’environnement avait permis l’engagement des travaux de construction d’une déviation routière de 3,2 kilomètres, de deux ponts et d’un pont rail autour du village de Beynac-et-Cazenac. L’objectif affiché de ces travaux était de contourner le centre-ville afin de résorber les bouchons qui paralysent, l’été, cette commune située au bord de la Dordogne. Le projet d’aménagement avait également nécessité l’obtention d’une dérogation à l’interdiction de destruction d’une espèce protégée, dérogation intégrée à l’arrêté du 29 janvier 2018 (voir notre série d’articles sur le blog sur l’autorisation environnementale). Dans sa décision n°419918, la Haute Juridiction annule les ordonnances n° 1800972 et n° 1801192 des 3 et 10 avril 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux par lesquelles ce même juge avait rejeté les demandes de suspension de l’exécution de l’arrêté préfectoral du 29 janvier 2018. En effet, après avoir rappelé les dispositions des articles L. 411-1 et -2 du code de l’environnement précités (voir notre précédent article sur le blog au sujet de la motivation des dérogations à l’interdiction de destruction d’une espèce protégée), le Conseil d’Etat estime que le juge des référés du tribunal administratif a dénaturé les pièces du dossier qui lui étaient soumises en jugeant que le moyen tiré de ce que le projet de route de contournement du bourg de Beynac ne répondait pas à une raison impérative d’intérêt public majeur, n’était pas, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée. Pour parvenir à cette conclusion, le Conseil d’Etat à clairement mis en avant dans sa décision la balance des intérêts en présence. Le juge des référés au Conseil d’Etat relève d’abord que la liste des espèces protégées affectées par le projet était importante, puisqu’elle comportait quatre espèces de mammifères semi-aquatiques et terrestres, dix-neuf espèces de chiroptères, quatre-vingt douze espèces d’oiseaux, neuf espèces de reptiles et amphibiens, quatre espèces d’insectes et une espèce de poisson. La route de contournement dont l’arrêté contesté autorisait la réalisation se situait également dans des zones faisant en outre, d’une part, l’objet d’un classement en zone Natura 2000 et, d’autre part, l’objet de protection en vertu d’un arrêté de protection du biotope. Le Conseil d’Etat souligne encore qu’il ressort des pièces des dossiers soumis au juge des référés que le bénéfice attendu de cette déviation « apparaît limité en l’état de ce dossier » eu égard, en premier lieu, à la circonstance que l’accroissement de la circulation automobile à Beynac pendant la période estivale est essentiellement dû au nombre important de touristes qui se rendent dans cette commune pour la visiter, et en second lieu, aux travaux déjà réalisés par cette commune, qui ont permis de réduire l’encombrement de la route qui la traverse grâce à un élargissement de la voie existante rendu notamment possible par la mise en place d’un contournement pour les piétons. Cette décision intéressera donc notamment : les porteurs de projet, à qui il incombe de démontrer efficacement au sein de leurs dossiers que la dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées répond bien à un intérêt public majeur ; mais également l’administration, qui devra très précisément motiver les décisions rendues dans ce domaine (voir en ce sens X. Braud, La consistance de la motivation d’une dérogation à la protection des espèces, note sous TA Toulouse, 10 juill. 2014 et TA Rennes, 17 oct. 2014, Dr envir. n° 231, févr. 2015. ; Dérogation «Espèces protégées » et raisons impératives d’intérêt public majeur : des précisions et des interrogations, note sous CAA Douai, 15 oct. 2015, n° 14DA02064, RJE n° 1/2016, mars 2016). Précisons que si cette décision du Conseil d’Etat suspend l’exécution de l’arrêté et donc les travaux de réalisation du projet d’aménagement, pourtant déjà bien avancés, l’affaire doit encore être jugée sur le fond par le tribunal administratif de Bordeaux.  

L’obligation d’information du vendeur prévue par l’article L. 514-20 du Code de l’Environnement ne s’applique que lorsqu’une ICPE a été implantée sur le terrain vendu (Cass, 22 novembre 2018)

Par Valentine SQUILLACI, Avocat au Barreau de Lille, Green Law Avocats Aux termes de son arrêt du 22 novembre 2018, la Haute juridiction exclut l’application des dispositions de l’article L. 514-20 du Code de l’Environnement dans le cas où le terrain, issu de la division d’un site dont une partie a été le siège d’une installation classée, n’a pas accueilli ladite installation (Cass. Civ. 3ème, 22 novembre 2018, n°17-26.209). Analyse. A l’heure où l’obligation d’information du vendeur d’un terrain pollué est en voie d’expansion puisque les arrêtés d’application relatifs à la détermination des secteurs d’information sur les sols (qui devront faire l’objet d’une information par le vendeur en vertu de l’article L125-6 du Code de l’Environnement) sont en cours d’élaboration, la Cour de Cassation vient de rappeler que les contours de cette obligation doivent être appréciés strictement. L’arrêt rendu le 22 novembre 2018 par la Cour de Cassation (Cass. Civ. 3ème, 22 novembre 2018, n°17-26.209) concerne en effet l’application des dispositions de l’article L. 514-20 du Code de l’Environnement qui mettent à la charge de vendeur d’un terrain sur lequel a été exploité une Installation Classée pour la Protection de l’Environnement (ci-après « ICPE ») l’obligation d’informer l’acquéreur, par écrit, d’une telle exploitation. Le vendeur est également tenu d’informer son cocontractant des « dangers ou inconvénients importants qui résultent de l’exploitation » et dont il aurait connaissance lors de la vente. Faute pour le vendeur de se conformer à ces obligations, il s’expose, au choix de l’acquéreur, à la résolution de la vente, à la restitution d’une partie du prix (qui correspondra en pratique au coût de la dépollution) ou à la réhabilitation du site à ses frais « lorsque le coût de cette réhabilitation ne paraît pas disproportionné par rapport au prix de vente ». Ce dispositif, créé par la loi n°92-646 du 13 juillet 1992 relative à l’élimination des déchets ainsi qu’aux installations classées pour la protection de l’environnement, a été modifié à plusieurs reprises et son évolution illustre le phénomène d’expansion de l’obligation d’information du vendeur. Ainsi, le législateur a ajouté en 2003 l’obligation, pour le vendeur également exploitant de l’installation, d’indiquer par écrit à l’acheteur si son activité a entraîné la manipulation ou le stockage de substances chimiques ou radioactives. Par ailleurs, applicable à l’origine uniquement aux installations soumises à autorisation, l’obligation d’information instituée par L. 514-20 du Code de l’Environnement a été étendue aux installations soumises à enregistrement en 2009 (Ordonnance n° 2009-663 du 11 juin 2009 relative à l’enregistrement de certaines installations classées pour la protection de l’environnement, article 15). Semblant vouloir contenir cette expansion, la Cour de Cassation avait déjà tranché (Civ. 3ème, 9 avril 2008, n°07-10.795) en faveur d’une application littérale du texte en confirmant que cette obligation ne s’étendait pas, d’une part, à la vente d’un terrain sur lequel l’exploitation est en cours (le texte précise en effet que l’obligation s’applique « lorsqu’une installation (…) a été exploitée sur un terrain ») et, d’autre part, aux installations soumises à déclaration (Cass. Civ.3ème, 16 juin 2009, n°07-20-463 ; Cass. Civ. 3ème, 20 juin 2007, n°06-15.663). Aux termes de son arrêt du 22 novembre 2018, la Haute juridiction confirme cette tendance en excluant l’application des dispositions de l’article L. 514-20 du Code de l’Environnement dans le cas où le terrain, issu de la division d’un site dont une partie a été le siège d’une installation classée, n’a pas accueilli ladite installation (I). Dans une telle hypothèse, seule l’obligation d’information de droit commun semble dès lors trouver à s’appliquer (II). L’exclusion de l’application des dispositions de l’article L. 514-20 du Code de l’Environnement faute d’exploitation d’une ICPE sur le terrain vendu A l’origine de l’arrêt commenté, un site industriel ayant été le siège, depuis la fin du 19ème siècle, d’activités de fabrication de pièces automobiles et sur lequel l’exploitant avait été autorisé à exploiter plusieurs activités soumises à la législation relative aux ICPE. A compter de la fin des années 1980, l’exploitant, dont les droits avaient été repris par une autre société, a progressivement cessé ses activités et cédé des portions du site à divers acquéreurs. L’un de ces acquéreurs, ayant acquis trois parcelles du site en 1992 et 1993, a découvert, dans le cadre d’une opération de réaménagement de son terrain, une pollution des sols et des eaux souterraines. Ce dernier a donc poursuivi le vendeur en soutenant notamment que celui-ci ne l’avait pas informé de l’exploitation d’une ICPE sur le site, ni du risque de pollution associé. L’acquéreur a été débouté de ses demandes par les juges du fond (TGI de Bobigny, 6ème Chambre, 5ème section, 10 septembre 2015, n°12/08673 puis CA PARIS, Pôle 4, Chambre 1, 23 juin 2017, 15/20790), ces derniers relevant sur ce point que bien que le site dont était issu le terrain acquis avait effectivement été le siège d’une ICPE, le demandeur n’apportait pas la preuve qu’une ICPE avait été exploitée sur son terrain. L’acquéreur s’est pourvu en cassation en soutenant que l’obligation d’information instituée par l’article L.514-20 du Code de l’Environnement « porte non seulement sur la vente des parties du site sièges des activités relevant du régime de l’autorisation mais également sur la vente de tout terrain issu de la division de ce site ». Ce moyen n’était pas dénué de tout bon sens dès lors qu’il existe en effet un risque important de contamination de la pollution potentiellement liée à l’exploitation d’une installation classée aux parcelles environnantes. Mais la Cour de Cassation refuse d’interpréter ainsi les dispositions de l’article L.514-20 du Code de l’Environnement et rejette ce moyen en affirmant que le texte « nécessite, pour son application, qu’une installation classée ait été implantée, en tout ou partie, sur le terrain vendu ». On notera que la Cour assimile l’exploitation d’une installation classée aux installations ou équipements « de nature, par leur proximité ou leur connexité avec une installation soumise à autorisation, à  modifier les dangers ou inconvénients de cette installation » au sens de l’ancien article R. 512-32 du Code de l’Environnement. Dans la mesure où l’article R512-32 a été abrogé par le Décret 26 janvier 2017 relatif à l’autorisation…