Future déclaration I.C.P.E. : feu le récépissé papier ! (projet de décret)

Par David DEHARBE (Green Law Avocat) Le Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a mis en ligne et soumet à consultation publique en vertu de l’article L120-1 du code de l’environnement, un projet de décret (téléchargeable via ce lien) visant à simplifier la procédure de déclaration des I.C.P.E. et à totalement la dématérialiser par voie électronique au 1er janvier 2016. Cette consultation est ouverte du 26 février 2015 au 19 mars 2015 (Consultation publique du Medde, “CSPRT du 24 mars 2015 : réforme de la dématérialisation de la procédure de déclaration des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE)”, du 26 février 2015). Objet de la consultation : la télédéclaration pour les installations de classe D Le présent projet s’inscrit dans le cadre de la dématérialisation de la procédure de déclaration des installations classées pour la protection de l’environnement (I.C.P.E.) qui est l’une des mesures de simplification décidée par le Gouvernement lors du comité interministériel pour la modernisation de l’action publique (CIMAP) du 2 avril 2013. La date opérationnelle de mise en place est fixée au 1er janvier 2016. Ce projet doit faciliter les échanges entre les entreprises et les administrations, réduire les délais de procédures et permettre la constitution d’une base de données nationale unique des installations classées relevant du régime de la déclaration. Il comporte deux volets complémentaires : – une adaptation de la procédure de déclaration des installations classées relevant du régime de la déclaration, objet du présent projet de décret modifiant diverses dispositions du code de l’environnement concernant la procédure de déclaration des installations classées pour la protection de l’environnement relevant du régime de la déclaration, – une dématérialisation du processus de déclaration (télédéclaration), avec la mise à disposition d’un outil national harmonisant la procédure et assurant un rôle pédagogique auprès des déclarants. Prenons bien la mesure de la masse de documents qui seront ainsi à termes dématérialisés : aujourd’hui la France comporte environ 440 000 installations soumises à déclaration pour un bon millier d’inspecteurs I.C.P.E.. Le projet de décret comporte notamment les dispositions suivantes : – la mise en œuvre de la procédure dématérialisée à compter du 1er janvier 2016 et la suppression de la possibilité de déclaration « papier » à compter du 1er janvier 2021 ; – la mise en place de formulaires homologués (Cerfa) ; – la délivrance immédiate d’une preuve de dépôt de la déclaration par voie électronique. Cette preuve de dépôt informe le déclarant des prescriptions générales applicables à l’installation ; – la mise à disposition des arrêtés de prescriptions générales sur le site internet de la préfecture ; – la mise à disposition de la preuve de dépôt de la déclaration sur le site internet de la préfecture pendant une durée minimale de 3 ans – une procédure de télédéclaration pour l’édiction de prescription spéciales aux installations de classe D ; – une procédure de télédéclaration pour le changement d’exploitant de classe D. La “preuve de dépôt immédiate” remplacera le “récépissé” On remarquera surtout que ce nouveau dispositif imposerait au préfet un délai de 15 jours à compter de la date de délivrance de la preuve de dépôt pour « demander des compléments » au télédéclarant (nouveau dernier alinéa de l’article R.512-48). La possibilité de solliciter d’énigmatiques « compléments » est dangereuse. Sur quoi portent ces compléments ? Seraient-ils à comprendre comme s’ajoutant à la liste des documents exigibles au titre du formulaire qui doit préciser par un arrêté ministériel les éléments requis du télédéclarant ? Sachant que le projet décret ne liste plus limitativement les pièces actuellement exigées par l’actuel article R. 512-47 du code l’environnement. Rappelons que selon le droit en vigueur, « Lorsqu’il estime que la déclaration est en la forme irrégulière ou incomplète, le préfet invite le déclarant à régulariser ou à compléter sa déclaration ». Et la compétence du Préfet est ici liée : selon la jurisprudence non seulement le Préfet ne peut exiger une pièce non requise par l’article R512-47 mais de surcroit le Préfet ne peut refuser un récépissé motif pris de ce que l’installation ne serait pas en mesure de respecter ses prescriptions générales ICPE ou même celles d’urbanisme (CAA Nancy, 25 juill.2014, n°13NC01649, MEDDE, AJDA novembre 2014, p.222 – cf. également : CAA Marseille 7 février 2012, Association avenir d’Alet, req. n° 09MA04671 et CAA Nancy 26 juin 2012, M.B, req. n° 11NC00636). Ce qui importe c’est le caractère complet de la déclaration pour une activité dont la rubrique relève d’un tel classement : comme le rappelle le Conseil d’Etat « le préfet est tenu de refuser de donner récépissé d’une déclaration irrégulière ou incomplète » (CE, 23 mars 1990, n° 62644, M. et Mme Montagne). En fait on peut sans doute se rassurer sur l’intention des auteurs du décret par la délivrance « immédiate » de la preuve de dépôt accompagnée des prescriptions techniques générales d’origine préfectorales et/ou ministérielles. Sans doute la demande de « complément » doit-elle être accompagnée d’un accusé réception assorti des prescriptions, sauf à ce que le classement ou sa rubrique soient en eux-mêmes contestés par l’administration. Mais le danger de demandes abusives de compléments pouvant anticiper un débat sur le respect des prescriptions n’est pas non plus à exclure… On soulignera enfin que le futur  II de l’article R. 512-50 du code de l’environnement avalise l’hypothèse que certaines installations déclarées puissent être régies par le régime de la la déclaration au sein d’un même établissement comportant une installation classée soumise à autorisation, ceci au-delà de l’effet attractif du régime aggravant posé en principe par l’article R512-32 (c. env.)  : “les dispositions des arrêtés relatifs aux prescriptions générales prévus à l’article L.512-10 sont applicables aux installations classées soumises à déclaration incluses dans un établissement qui comporte au moins une installation soumise au régime de l’autorisation dès lors que ces installations ne sont pas régies par l’arrêté préfectoral d’autorisation”. Toutes ces questions trouveront une réponse après la consultation publique et plus précisément à compter du 1er janvier 2016, date d’entrée du…

NOUVELLE ANNULATION D’UN S.R.E. OU LE BRASSAGE D’AIR EN VIDE JURIDIQUE … (TA Bordeaux, 12 fév.2015)

Par Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Après l’annulation par le juge administratif du Schéma Régional Eolien (SRE) d’Ile-de-France (TA Paris, 13 novembre 2014, n°1304309 : voir notre analyse sur ce sujet ici), vient le tour du SRE d’Aquitaine. Aux termes d’un jugement du 12 février 2015, n°1204157 , le Tribunal administratif de Bordeaux a annulé le SRE d’Aquitaine (téléchargeable avec ce lien : TA Bordeaux, 12 février 2015, n°1204157). Le SRE en Aquitaine a été approuvé par arrêté du préfet de la région Aquitaine en date du 6 juillet 2012. Cet arrêté a été modifié pour intégrer la liste des communes ayant un territoire favorable à l’éolien par un arrêté du préfet de la région Aquitaine en date du 28 septembre 2012. Ensuite, le schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie (SRCAE) en Aquitaine a été adopté et a intégré le SRE en Aquitaine par arrêté du préfet de la région Aquitaine en date du 15 novembre 2012. Les requérants demandaient l’annulation de l’arrêté du 6 juillet 2012 et de la décision implicite par laquelle le préfet a rejeté leur recours gracieux du 6 septembre 2012, celle de l’arrêté du 28 septembre 2012 et celle de l’arrêté du 15 novembre 2012 en tant qu’il intègre le SRE en Aquitaine au SRCAE en Aquitaine ; Dans un premier temps, le Tribunal s’est prononcé sur les nombreuses fins de non recevoir invoquées par le Préfet de la région Aquitaine. Ainsi, après s’être longuement étudié l’intérêt à agir des multiples requérants et la capacité pour agir de certains d’entre eux, le Tribunal a examiné la fin de non-recevoir opposée par le préfet tirée de ce que les arrêtés attaqués ne seraient pas des actes susceptibles de recours contentieux. Le Conseil Constitutionnel s’était déjà prononcé sur le statut juridique des SRCAE et des SRE dans une décision QPC du 7 mai 2014 rendue dans le cadre du litige sur le SRE d’Ile-de-France (cc, 7 mai 2014, décison qpc n°2014-395 : voir notre analyse ici), qui précisait que ces documents constituent des « décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement » au sens de l’article 7 de la Charte de l’environnement. Le Tribunal a, tout d’abord, rappelé cette analyse. Il a ensuite considéré qu’ « à la date des arrêtés attaqués, les dispositions de l’article L. 314-10 du code de l’énergie réservaient la création des zones de développement de l’éolien dans les parties du territoire régional favorables au développement de l’énergie éolienne définies par le schéma régional éolien et que les nouvelles dispositions de l’article L. 553-1 du code de l’environnement, entrées en vigueur le 17 avril 2013, soit postérieurement aux arrêtés attaqués, prévoient que la délivrance de l’autorisation d’exploiter une installation éolienne d’une hauteur de mât supérieure à 50 mètres « tient compte des parties du territoire régional favorables au développement de l’énergie éolienne définies par le schéma régional éolien ». Il a ajouté qu’ « il ressort des termes mêmes du schéma régional éolien en Aquitaine que « seuls sont désormais envisageables les projets de ZDE [zones de développement éolien] situés dans des communes identifiées dans le présent schéma comme “favorables à l’éolien” ». Il en a alors conclu que le schéma régional éolien en Aquitaine avait, par sa nature et ses effets directs ou indirects, le caractère d’une décision faisant grief et qu’il était, dès lors, susceptible de recours pour excès de pouvoir. Dans un second temps, le Tribunal se prononce sur les conclusions à fin d’annulation. A cet égard, le Tribunal considère que le schéma régional éolien est entaché d’un vice de procédure substantiel dans la mesure où il n’a fait l’objet d’aucune étude environnementale. Une solution analogue avait été dégagée par le Tribunal administratif de Paris dans son jugement du 13 novembre 2014 (TA Paris, 13 novembre 2014, n°1304309 : voir notre analyse sur ce sujet ici) même si les motifs retenus alors différaient quelque peu. Le Tribunal annule, en conséquence, les décisions attaquées par les requérants. Sans qu’il soit nécessaire de commenter plus la décision du Tribunal administratif de Bordeaux, celle-ci s’inscrivant dans la droite ligne du jugement du Tribunal administratif de Paris, il convient néanmoins de se poser la question suivante : le SRE a été annulé… et après ? Le SRE, qui a vocation à être annexé à un SRCAE, a pour objet de fixer des objectifs et des orientations en matière de préservation de l’environnement. Selon le premier alinéa du paragraphe I de l’article L. 222-4 du code de l’environnement, le paragraphe VI de l’article L. 229-26 du même code, ainsi que l’article L. 1214-7 du code des transports, le “plan de protection de l’atmosphère”, le “plan climat-énergie territorial” et le “plan de déplacements urbains” doivent être compatibles avec le SRCAE. En l’absence de SRE annexé au SRCAE, la compatibilité avec le SRCAE demeure mais il n’existe plus aucune exigence de compatibilité avec le SRE, celui-ci étant inexistant. La compatibilité des éventuels plans de protection de l’atmosphère, plans climat-énergie territoriaux ou plans de déplacements urbains avec le vide juridique laissé par un SRE annulé est, par conséquent, forcément assurée. De même, en ce qui concerne plus particulièrement l’implantation d’éoliennes, à la date des arrêtés attaqués, les dispositions de l’article L. 314-10 du code de l’énergie réservaient la création des zones de développement de l’éolien dans les parties du territoire régional favorables au développement de l’énergie éolienne définies par le schéma régional éolien. Par ailleurs, les nouvelles dispositions de l’article L. 553-1 du code de l’environnement, entrées en vigueur le 17 avril 2013, soit postérieurement aux arrêtés attaqués, prévoient que la délivrance de l’autorisation d’exploiter une installation éolienne d’une hauteur de mât supérieure à 50 mètres « tient compte des parties du territoire régional favorables au développement de l’énergie éolienne définies par le schéma régional éolien ». Certes, l’annulation des SRE présente un intérêt en tant qu’elle supprime des zones qui avaient été qualifiées – peut-être à tort – de favorables au développement de l’éolien et dans lesquelles l’exploitation d’éoliennes aurait été privilégiée par…

Contentieux I.C.P.E. éolien : premier jugement, premières tendances

La loi Grenelle 2 (Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement) a inséré l’article L. 553-1 dans le code de l’environnement. Cette nouvelle disposition soumet désormais les installations de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent au régime des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Le décret n° 2011-984 du 23 août 2011 a créé une nouvelle rubrique (n° 2980) soumettant les éoliennes industrielles au régime d’autorisation. L’instruction des dossiers de demande d’autorisation au titre de la législation sur les ICPE a été longue et souvent laborieuse, les premiers arrêtés d’autorisation d’exploiter des éoliennes ont finalement été pris et, cinq ans après la loi Grenelle 2, les premiers jugements sur ces arrêtés sont enfin rendus. Le jugement du Tribunal administratif de Caen (TA caen 4 déc. 2014 n° 1301339), objet du présent commentaire, est l’une de ces premières décisions – à notre connaissance, c’est sans la toute la première. En l’espèce, par un arrêté du 17 janvier 2013, le Préfet de l’Orne a délivré à la société Centrale éolienne les Hauts-Vaudois une autorisation d’exploiter onze éoliennes et un poste de livraison sur le territoire des communes de Montgaroult et Sentilly. De nombreux requérants dont l’association de défense des Monts ont saisi le Tribunal administratif de Caen d’une demande d’annulation de cet arrêté. Aux termes d’un jugement du 4 décembre 2014 (TA Caen, 4 décembre 2014, n°1301339, Association Défense Des Monts et autres), les juges du fond ont rejeté la requête en écartant chacun des moyens qui étaient invoqués devant eux. Cette décision est particulièrement intéressante en ce qu’elle donne un premier aperçu de l’appréciation du juge sur les différents moyens susceptibles d’être invoqués à l’encontre d’un recours dirigé contre un arrêté d’autorisation d’exploiter des éoliennes industrielles. Douze moyens étaient invoqués en l’espèce. Il conviendra d’examiner uniquement les moyens propres à la législation sur les ICPE qui présentent un intérêt particulier. 1) Sur le vice de procédure tiré de la méconnaissance du 7° de l’article R. 512-6 du code de l’environnement Aux termes de l’article R. 512-6 du code de l’environnement, dans sa version alors applicable : « I.-A chaque exemplaire de la demande d’autorisation doivent être jointes les pièces suivantes : (…) 7° Dans le cas d’une installation à implanter sur un site nouveau, l’avis du propriétaire, lorsqu’il n’est pas le demandeur, ainsi que celui du maire ou du président de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d’urbanisme, sur l’état dans lequel devra être remis le site lors de l’arrêt définitif de l’installation ; ces avis sont réputés émis si les personnes consultées ne se sont pas prononcées dans un délai de quarante-cinq jours suivant leur saisine par le demandeur ». En l’espèce, l’opérateur éolien a bien sollicité l’avis des maires des communes concernées par l’implantation d’éoliennes sur l’état dans lequel le site devra être remis lors de l’arrêt définitif de l’installation. Néanmoins, ces courriers n’ont pas été joints à la demande d’autorisation. Pour examiner le caractère substantiel ou non de ce vice de procédure, le Tribunal administratif de Caen fait une application du principe dégagé dans la décision Danthony du Conseil d’Etat et vérifie si cette omission a nui à l’information du public et de l’autorité administrative ou a été de nature à exercer une influence sur la décision (CE, 23 décembre 2011, n°335033, Publié au recueil Lebon). Tel n’a pas été le cas en l’espèce, ce qui conduit le Tribunal administratif de Caen à écarter le moyen. 2) Sur le vice de procédure tiré de l’insuffisance de l’étude d’impact prévue par les articles R. 512-6 et R. 512-8 du code de l’environnement En matière ICPE, le dossier de demande d’autorisation doit comprendre une étude d’impact dont le contenu est défini par les dispositions de l’article R. 512-8 du code de l’environnement Différents arguments étaient invoqués à l’encontre de cette étude d’impact mais la réponse apportée par le Tribunal à certains des arguments est parfois particulièrement intéressante. • L’insuffisance de l’étude d’impact sur l’incidence du projet sur les chiroptères Les requérants soutenaient que les impacts des éoliennes sur les chiroptères avaient été insuffisamment étudiés. Le Tribunal administratif de Caen est très prolixe sur cet argument et étaye fortement sa réponse. Après avoir rappelé les études réalisées pour apprécier les impacts du projet sur les chauves-souris et après avoir détaillé l’ensemble des mesures prises pour limiter les impacts du projet sur les populations de chiroptères, le Tribunal administratif de Caen souligne que l’arrêté attaqué impose, en outre, à l’exploitant des mesures de prévention et de compensation qui ne seront levées qu’en cas de constat d’absence de mortalité des chauves-souris. La réponse très détaillée à cet argument témoigne du caractère sensible de cette question dans cette affaire. Il est vrai, qu’en l’espèce, les recommandations du groupe Eurobats sur les distances à respecter entre une éolienne et les haies et boisements les plus proches n’étaient pas respectées. Pour justifier néanmoins du caractère suffisant de l’étude d’impact, le juge administratif n’a donc pas hésité à se référer aux mesures de prévention et de compensation contenues dans l’arrêté d’autorisation d’exploiter. Bien que cette référence au contenu de l’arrêté soit, en principe, sans incidence sur le caractère suffisant de l’étude d’impact, il s’agit d’un indice témoignant, en tout état de cause, de la prise en compte de cette problématique par le Préfet. • L’insuffisance de l’étude d’impact concernant la prise en compte d’un radar Météo-France Les requérants prétendaient que des mesures particulières concernant un radar météorologique situé à proximité devaient être envisagées et chiffrées dans l’étude d’impact. Néanmoins, Météo-France a émis un avis favorable au projet assorti de recommandations quant à la hauteur totale des aérogénérateurs et la longueur des pales que le projet respectait. Par suite, cet argument tiré de l’insuffisance de l’étude d’impact a été écarté. Cette position témoigne une fois encore du poids accordé aux avis de Météo-France. Alors qu’un avis défavorable est souvent bloquant pour les projets éoliens, un avis favorable peut, à l’inverse, difficilement être remis en cause. Cette opacité…

Parutions de deux analyses par Green Law Avocat dans “Droit de l’environnement”: l’expert en contentieux environnemental et l’annulation d’une ZDE pour détournement de pouvoir

L’équipe de Green Law Avocat a publié deux analyses parues dans la revue Droit de l’environnement en Décembre 2014. A l’occasion d’un colloque organisé par le CERDACC le 20 mai 2014 ayant pour thème “l’expert au banc des accusés”, David DEHARBE est intervenu pour évoquer le sujet de l’expert en contentieux administratif de l’environnement. Les actes du colloque sont publiés dans un Hors-Série spécial en décembre. La mission est quasi vue comme impossible dans des domaines aujourd’hui sensibles (OGM, antennes relais, lignes THT…), car elle implique pour l’expert de se voir, tout d’abord, confier une mission. C’est là un effort que doivent fournir les juristes en environnement : admettre le besoin d’un tiers expert et convaincre le juge administratif de son utilité dans des contentieux où la vérité scientifique n’existe pas. Par ailleurs, la jurisprudence administrative relative aux (feu) Zones de Développement Eolien (ZDE) est l’occasion pour Green Law Avocats de revenir sur le risque juridique caractérisé par le détournement de pouvoir. La Cour administrative d’appel de Douai a en effet annulé un arrêté préfectoral approuvant une ZDE car il était entaché d’un détournement de pouvoir. Une telle décision constitue une intéressante contribution à la théorie du détournement de pouvoir, dont les illustrations demeurent malheureusement rares par rapport à la pratique.

Le juge, les sites pollués et leur propriétaire : la technique des petits pas

La technique des petits pas « est au fond à la jurisprudence ce que l’expérimentation est à la loi » (Guy Canivet, « La politique jurisprudentielle », Mélanges en l’honneur de Jacques Boré, La création du droit jurisprudentiel, Dalloz, 2007, p. 79 à 97). Prétorien et fruit de l’interprétation des polices administratives, le droit de l’environnement connaît bien cette technique : « Trois pas en avant, trois pas en arrière…» comme dirait la comptine pour enfants sur la fermière qui allait au marché. Le Conseil d’Etat, grand amateur des petits pas, a utilisé ce moyen pour faire évoluer la responsabilité en matière de gestion des déchets comme nous le confirme cette espèce récente : CE du 24 octobre 2014, n°361231. En effet, la réglementation en matière de gestion des déchets désigne le producteur des déchets ou leur détenteur mais non le propriétaire des terrains sur lesquels des déchets sont entreposés. A titre d’exemple, l’article L. 541-2 du code de l’environnement relatif à la responsabilité en matière de gestion des déchets dispose :  « Tout producteur ou détenteur de déchets est tenu d’en assurer ou d’en faire assurer la gestion, conformément aux dispositions du présent chapitre. Tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu’à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers. Tout producteur ou détenteur de déchets s’assure que la personne à qui il les remet est autorisée à les prendre en charge. » Il ne ressort nullement de cet article que le propriétaire du terrain sur lequel sont entreposés les déchets pourrait voir sa responsabilité recherchée sur son fondement. Pourtant, la jurisprudence a étendu les dispositions de cet article au propriétaire d’un terrain sur lequel sont entreposés des déchets. Le propriétaire a alors été assimilé au détenteur des déchets. Cela a permis d’allonger la liste des responsables potentiels lors d’une défaillance dans la gestion des déchets et de s’assurer ainsi de la prise en charge financière de leur élimination. A cet égard, le Conseil d’Etat a posé le principe selon lequel  « le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés des déchets peut, en l’absence de détenteur connu de ces déchets, être regardé comme leur détenteur au sens de l’article L. 541-2 du code de l’environnement, notamment s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur son terrain ; » (Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 26 juillet 2011, n° 328651, mentionné dans les tables du recueil Lebon) Neil Armstrong aurait sans doute affirmé que « C’était un petit pas pour l’Homme mais un grand pas pour la gestion des déchets ». L’utilisation de l’adverbe « notamment » sous-entendait clairement que la négligence à l’égard d’abandons sur son terrain était une des hypothèses permettant de regarder le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés des déchets comme leur détenteur mais que d’autres hypothèses pourraient ultérieurement être identifiées. Le Conseil d’Etat a mis plusieurs années avant d’identifier de telles hypothèses et, après ce premier pas de géant, a préféré y aller à pas de fourmi. Dans un premier temps, le Conseil d’Etat a attendu que la Cour de cassation se prononce. Celle-ci a adopté une solution de principe presque identique à la sienne mais a fait un petit pas supplémentaire en identifiant une nouvelle hypothèse de responsabilité du propriétaire du terrain sur lequel sont entreposés des déchets : la complaisance. (Peut-être que ce petit pas devrait plutôt s’analyser en un refus de la Cour de cassation de s’aligner mot pour mot sur la jurisprudence du Conseil d’Etat… Je vous laisse le soin de faire votre propre analyse sur cette question. Pour ma part, je préfère considérer qu’il s’agit d’un petit pas). La Cour de cassation a ainsi estimé : « qu’en l’absence de tout autre responsable, le propriétaire d’un terrain où des déchets ont été entreposés en est, à ce seul titre, le détenteur au sens des articles L. 541-1 et suivants du code de l’environnement dans leur rédaction applicable, tels qu’éclairés par les dispositions de la directive CEE n° 75-442 du 15 juillet 1975, applicable, à moins qu’il ne démontre être étranger au fait de leur abandon et ne l’avoir pas permis ou facilité par négligence ou complaisance » (Cour de cassation, Chambre civile 3, 11 juillet 2012, n° 11-10.478, Publié au bulletin) Dans un deuxième temps, après ce petit pas en avant de la Cour de cassation, le Conseil d’Etat a fait un petit pas en arrière pour restreindre la responsabilité du propriétaire ayant fait preuve de négligence à l’égard d’abandons de déchets sur son terrain. Aux termes de deux décisions du 1er mars 2013, il a affirmé que cette responsabilité du propriétaire du terrain était subsidiaire par rapport à la responsabilité encourue par le producteur ou les autres détenteurs des déchets. Aussi, la responsabilité du propriétaire du déchet ne pouvait être recherchée que s’il apparaissait que tout autre détenteur des déchets était inconnu ou avait disparu. Il a ainsi considéré que : « si, en l’absence de tout producteur ou tout autre détenteur connu de déchets, le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés ces déchets peut être regardé comme leur détenteur au sens de l’article L. 541-2 du code de l’environnement, notamment s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur son terrain, et être de ce fait assujetti à l’obligation d’éliminer ces déchets, la responsabilité du propriétaire du terrain au titre de la police des déchets ne revêt qu’un caractère subsidiaire par rapport à celle encourue par le producteur ou les autres détenteurs de ces déchets et peut être recherchée s’il apparaît que tout autre détenteur de ces déchets est inconnu ou a disparu » (Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 1er mars 2013, n° 354188, mentionné dans les tables du recueil Lebon ; voir également en ce sens : Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 1er mars 2013, n° 348912). Cette solution a été confirmée quelques mois plus tard par une autre décision du Conseil d’Etat (Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 25 septembre 2013, n° 358923). Dans un troisième temps, le Conseil d’Etat a fait un…