Elevages: le délai de recours réduit à 4 mois va t-il survivre aux discussions parlementaires relatives au projet de loi Macron?

Les délais de recours contre les autorisations ICPE ont régulièrement fait l’objet de tentatives d’allégement, parfois réussies, dans un double souci de préserver bien entendu le droit au recours tout en réduisant l’insécurité juridique de l’exploitant de l’installation. Les discussions parlementaires en cours au sujet de la Loi “CROISSANCE, ACTIVITÉ ET ÉGALITÉ DES CHANCES ÉCONOMIQUES” (dite Loi Macron) vont peut être modifier l’état du droit dans le sens d’un raccourcissement des délais. Rappelons que l’état actuel du droit témoigne déjà l’existence de délais “spéciaux”. La règle pour les tiers demeure aujourd’hui celle d’un délai de droit commun d’une année à compter de la publication ou de l’affichage de la décision (avec un tempérament si la mise en service de l’installation n’est pas intervenue six mois après la publication ou l’affichage de ces décisions, le délai de recours continuant alors à courir jusqu’à l’expiration d’une période de six mois après cette mise en service). Ce délai a très longtemps été de 4 ans, sans prorogation. Plusieurs exceptions ont existé et existent encore : pour les élevages : le délai de recours des tiers était raccourci déjà à une année, pour s’aligner aujourd’hui sur le délai de droit commun, avec une prorogation de 6 mois le cas échéant (article L515-27 du code de l’environnement); pour les éoliennes: le délai de recours des tiers est de six mois à compter de la publication ou de l’affichage des décisions, sans prorogation (article L 553-4 du code de l’environnement).   A l’occasion de la Loi Macron actuellement en débat au Parlement, un amendement n°SPE534 relatif à l’article 26bis du projet de loi a été adopté en Commission. Il vise à porter le délai de recours contre les décisions administratives relatives aux élevages d’une année à 4 mois (le Sénat l’ayant auparavant réduit à 2 mois). L’exposé de l’amendement indique: “La réduction du délai de recours contre les arrêtés d’autorisation d’exploitation d’installations d’élevage classées pour la protection de l’environnement, aujourd’hui fixé à un an, est nécessaire. La durée de deux mois semble toutefois trop courte et il est donc proposé de fixer une durée de quatre mois, conformément aux recommandations des groupes de travail sur la simplification du droit de l’environnement, auxquels ont participé les représentants du monde agricole. Cela laissera le temps aux recours de s’exprimer, sans pour autant exposer les exploitants à une trop forte insécurité juridique, puisque le délai de recours actuel est divisé par trois“. On remarquera également qu’à ce stade, le délai de recours raccourci de deux mois pour toutes les installations classées (en supprimant au passage le délai spécial pour les éoliennes) n’a pas passé le filtre de la Commission Mixte Paritaire. Il peut paraître regrettable que les délais soient sujets à de telles variables d’ajustement, moins guidées par des logiques juridiques que par des pressions politiques. Ces dernières peuvent se comprendre, surtout dans un contexte dans lequel les élevages ont besoin de visibilité, de davantage de latitude et d’allégement, si possible selon les circonstances locales, des prescriptions. Mais en ce cas, la cohérence voudrait un raccourcissement général des recours pour l’ensemble des installations classées, élevages et éoliennes comprises car l’ancienne justification des délais “longs” (laisser le temps au voisinage d’apprécier les inconvénients de l’installation) ne peut guère, à notre sens, apparaître comme fondée. Affaire à suivre…

ICPE et Information du public : quand la jurisprudence Danthony vient au secours des exploitants viticoles au détriment des exploitants de carrières (CAA Marseille 19 mai 2015)

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Le Conseil d’Etat, aux termes de sa décision Danthony, a dégagé le « principe » selon lequel : « si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ; que l’application de ce principe n’est pas exclue en cas d’omission d’une procédure obligatoire, à condition qu’une telle omission n’ait pas pour effet d’affecter la compétence de l’auteur de l’acte » (Conseil d’Etat, Assemblée, 23 décembre 2011, Danthony et autres, n° 335033, publié au recueil Lebon). Ainsi, une décision affectée d’un vice de procédure n’est illégale que s’il ressort des pièces du dossier que ce vice a été susceptible d’exercer, dans les circonstances de l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie. Ce principe a ensuite été adapté aux vices pouvant entacher une étude d’impact : «  les inexactitudes, omissions ou insuffisances d’une étude d’impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative » (Conseil d’Etat, 14 octobre 2011, n°323257, mentionné dans les tables du recueil Lebon) Il a également été adapté aux vices affectant un dossier soumis à enquête publique : « les inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant le dossier soumis à enquête publique ne sont susceptibles de vicier la procédure et ainsi d’entacher d’irrégularité l’autorisation que si elles ont eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative » (Conseil d’Etat, 15 mai 2013, n°353010, mentionné aux tables du recueil Lebon). Le droit de l’environnement met fréquemment ce principe en œuvre. La Cour administrative de Marseille nous en donne encore une illustration supplémentaire (CAA Marseille, 19 mai 2015, n°13MA03284). Il s’agit de la décision présentement commentée. Le 1er mars 2011, le Préfet de l’Aude a autorisé la SARL Les Carrières de Pompignan à exploiter une carrière à ciel ouvert au lieu dit ” Plo dal Tablié ” sur le territoire de la commune de Caunes-Minervois. Cette commune comporte un vignoble protégé par une appellation d’origine contrôlée. Le syndicat viticole du Cru minervois et le GAEC du Château de Villerembert-Moureau ont demandé l’annulation de cet arrêté. Il était notamment soutenu que l’arrêté du 1er mars 2011 serait illégal dès lors les avis de l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) et de la commune de Caunes-Minervois n’auraient pas été annexés au dossier d’enquête publique. Par un jugement du 2 juillet 2013, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande d’annulation. Saisie d’un appel contre cette décision, la Cour administrative d’appel de Marseille a censuré son analyse. D’une part, elle précise qu’aux termes de l’article R. 123-6 du code de l’environnement dans sa rédaction alors applicable : « Le dossier soumis à l’enquête publique comprend les pièces suivantes : / (…)8° Lorsqu’ils sont rendus obligatoires par un texte législatif ou réglementaire, les avis émis par une autorité administrative sur le projet d’opération (…) » En particulier, aux termes de l’article L. 512-6 du même code : « Dans les communes comportant une aire de production de vins d’appellation d’origine, l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation consulte l’Institut national de l’origine et de la qualité (…) ». D’autre part, elle rappelle le principe selon lequel « les inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant le dossier soumis à enquête publique ne sont susceptibles de vicier la procédure et ainsi d’entacher d’irrégularité l’autorisation que si elles ont eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative. » Après avoir relevé qu’en l’espèce, le préfet de l’Aude devait, avant d’autoriser l’exploitation de la SARL Les Carrières de Pompignan, consulter l’INAO, elle a constaté que l’INAO avait émis un avis défavorable antérieurement au début de l’enquête publique « motivé par la circonstance que l’exploitation de la carrière de marbre se situait au coeur d’un important vignoble classé en appellation d’origine contrôlée ” Minervois “, que l’activité située dans un secteur particulièrement venté, provoquerait de graves nuisances à l’activité viticole, que la production de poussières générées par l’exploitation aurait un impact néfaste sur le vignoble des domaines alentours et sur la qualité des vins et que cette exploitation industrielle était incompatible avec l’image et la notoriété recherchées par les vignerons pour les vins du secteur ; ». Après avoir fait état de la faible participation du public et du fait que les rares observations contenues dans les registres d’enquête publiques avaient été formulées par des exploitants viticoles, la Cour a estimé « qu’eu égard au public concerné par le projet, notamment constitué d’exploitants viticoles, l’absence dans le dossier d’enquête publique de l’avis, défavorable, de l’INAO a nécessairement eu pour effet de nuire à l’information complète de la population au sujet de l’opération projetée ; que, dans ces conditions, le défaut de production de l’avis de l’INAO au dossier d’enquête publique constitue un vice de nature à entacher d’illégalité l’arrêté litigieux ». La Cour annule donc le jugement attaqué et l’arrêté du préfet de l’Aude du 1er mars 2011.   Cet arrêt est intéressant au regard de l’appréciation très circonstanciée de la Cour. Celle-ci considère que le vice de procédure était ici substantiel au regard, d’une part, de l’existence d’un avis défavorable de l’INAO et, d’autre part, au regard de la population la plus concernée par le projet. Elle en a déduit que le vice de procédure a nui à l’information complète…

P.I.G. contre N.I.M.B.Y. : l’indépendance des législations met K.O. le droit des déchets (CE, 30 mars 2015)

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Bien que les installations de stockage de déchets non dangereux soient nécessaires au service public de la gestion des déchets, la forte opposition locale contraint de nombreuses communes à faire obstacle à l’implantation de telles installations sur leur territoire. Face au syndrome « NIMBY », acronyme de l’expression « Not In My Back Yard », le code de l’urbanisme permet de déclarer certains projets « d’intérêt général » afin que l’autorité préfectorale puisse passer outre l’opposition de certaines communes. Le régime des « projets d’intérêt général » méritait d’être éclairci sur certains points. Une décision du Conseil d’Etat du 30 mars 2015 est venue apporter quelques précisions nécessaires. En l’espèce, le préfet de l’Essonne avait, par un arrêté du 13 mars 2009, qualifié de projet d’intérêt général l’installation d’un centre de stockage de déchets sur 19 hectares d’une petite commune de l’Essonne, Ce centre était destiné à recevoir annuellement, sur une période d’exploitation de dix années, 150 000 tonnes de déchets. Deux communes, dont la commune sur laquelle devait être implanté le centre de stockage de déchets, et une association de protection de l’environnement ont saisi le tribunal administratif de Versailles d’une demande d’annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté. Par un jugement du 13 décembre 2011, le tribunal administratif de Versailles a rejeté leur demande mais, en appel, la Cour administrative d’appel de Versailles a annulé ce jugement ainsi que l’arrêté préfectoral litigieux. La société qui devait procéder à l’exploitation du centre de stockage a alors formé un pouvoir en cassation. Dernier rebondissement de cette affaire, le Conseil d’Etat a censuré l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles aux termes d’une décision du 30 mars 2015, sur conclusions conformes du rapporteur public (CE, 6ème / 1ère SSR, 30 mars 2015, n°375117). Pour justifier son annulation de l’arrêt de la Cour administrative d’appel, le Conseil d’Etat se fonde sur trois motifs. En premier lieu, la Cour administrative d’appel de Versailles avait annulé l’arrêté du 13 mars 2009 en se fondant notamment sur le fait qu’il méconnaissait les dispositions du 2° de l’article R. 121-3 du code de l’urbanisme au motif qu’aucune personne publique n’envisageait de recourir à l’expropriation pour la réalisation du projet. Aux termes de ces dispositions, alors en vigueur : ” Peut constituer un projet d’intérêt général au sens de l’article L. 121-9 tout projet d’ouvrage, de travaux ou de protection présentant un caractère d’utilité publique et répondant aux conditions suivantes : / 1° Etre destiné à la réalisation d’une opération d’aménagement ou d’équipement, au fonctionnement d’un service public, à l’accueil et au logement des personnes défavorisées ou de ressources modestes, à la protection du patrimoine naturel ou culturel, à la prévention des risques, à la mise en valeur des ressources naturelles ou à l’aménagement agricole et rural ; / 2° Avoir fait l’objet : / a) Soit d’une délibération ou d’une décision d’une personne ayant la capacité d’exproprier, arrêtant le principe et les conditions de réalisation du projet, et mise à la disposition du public ; / b) Soit d’une inscription dans un des documents de planification prévus par les lois et règlements, approuvé par l’autorité compétente et ayant fait l’objet d’une publication (…) ” ; Le Conseil d’Etat censure l’analyse de la Cour administrative d’appel de Versailles pour erreur de droit. Il estime que « peut constituer un projet d’intérêt général un projet ayant fait l’objet d’une délibération ou d’une décision émanant d’une personne ayant la capacité d’exproprier, que celle-ci ait ou non l’intention de recourir à l’expropriation pour la réalisation de ce projet ». Le Conseil d’Etat considère donc qu’il suffit d’avoir la capacité d’exproprier pour créer un PIG, sans qu’importe l’intention de recourir ou non à l’expropriation pour la réalisation du projet. Le Conseil d’Etat se livre ainsi à une interprétation littérale de l’article R. 121-3 du code de l’urbanisme, interprétation préconisée par le rapporteur public. En deuxième lieu, la Cour administrative d’appel de Versailles avait jugé que le préfet ne pouvait, en l’absence d’adoption par la région d’Ile-de-France d’un plan d’élimination des déchets, et sur la base d’estimations réalisées par ses services, reconnaître à une installation de stockage de déchets le caractère d’un projet d’intérêt général. Une fois encore, le Conseil d’Etat censure cette analyse pour erreur de droit. Rappelons qu’aux termes de l’article R. 121-3 du même code, alors en vigueur : “ Peut constituer un projet d’intérêt général au sens de l’article L. 121-9 tout projet d’ouvrage, de travaux ou de protection présentant un caractère d’utilité publique et répondant aux conditions suivantes : / 1° Etre destiné à la réalisation d’une opération d’aménagement ou d’équipement, au fonctionnement d’un service public, à l’accueil et au logement des personnes défavorisées ou de ressources modestes, à la protection du patrimoine naturel ou culturel, à la prévention des risques, à la mise en valeur des ressources naturelles ou à l’aménagement agricole et rural ; / 2° Avoir fait l’objet : / a) Soit d’une délibération ou d’une décision d’une personne ayant la capacité d’exproprier, arrêtant le principe et les conditions de réalisation du projet, et mise à la disposition du public ; / b) Soit d’une inscription dans un des documents de planification prévus par les lois et règlements, approuvé par l’autorité compétente et ayant fait l’objet d’une publication (…) ” . Aux termes de l’article R. 121-4 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : ” Le projet mentionné à l’article R. 121-3 est qualifié de projet d’intérêt général par arrêté préfectoral en vue de sa prise en compte dans un document d’urbanisme. Cet arrêté est notifié à la personne publique qui élabore le document d’urbanisme. Pour l’application de l’article L. 123-14, le préfet précise les incidences du projet sur le document. (…) ” . Par ailleurs, aux termes de l’article L. 541-14 du code de l’environnement, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : ” I. – Chaque département est couvert…

Urbanisme/ opposition au droit de visite de l’administration: les dispositions pénales sont conformes à la Constitution (CC, 9 avr.2015)

Par Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) L’administration souhaite parfois s’assurer de la conformité des travaux avec les règles d’urbanisme applicables. Pour ce faire, l’article L. 461-1 du code de l’urbanisme institue un droit de visite permettant à certaines personnes dûment autorisées de visiter les constructions en cours, de procéder aux vérifications qu’ils jugent utiles et de se faire communiquer tous documents techniques se rapportant à la réalisation des bâtiments. Ce droit de visite peut être exercé pendant la construction mais aussi dans un délai de trois ans à compter de son achèvement. Il concerne tout type de constructions. Faire obstacle à ce droit de visite constitue un délit réprimé par les dispositions de l’article L. 480-12 du code de l’urbanisme.  Aux termes de cet article : « Sans préjudice de l’application, le cas échéant, des peines plus fortes prévues aux articles 433-7 et 433-8 du code pénal, quiconque aura mis obstacle à l’exercice du droit de visite prévu à l’article L. 461-1 sera puni d’une amende de 3 750 euros. En outre un emprisonnement de un mois pourra être prononcé. » Rappelons que les articles 433-7 et 433-8 concernent l’infraction de rébellion, qui consiste à « opposer une résistance violente à une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public agissant, dans l’exercice de ses fonctions, pour l’exécution des lois, des ordres de l’autorité publique, des décisions ou mandats de justice. » En application de ces dispositions, un individu a été condamné à 3000€  d’amende par une cour d’appel. Il a alors formé un pourvoi devant la Cour de cassation. Son pourvoi était assorti de la question prioritaire de constitutionnalité suivante :  « L’article L. 480-12 du code de l’urbanisme, en tant qu’il réprime le fait de mettre obstacle à l’exercice du droit de visite prévu à l’article L. 461-1 et interdit du même coup de s’opposer à telle visite dans un domicile privé, porte-t-il atteinte au droit au respect de l’inviolabilité du domicile garanti par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et méconnaît-il l’article 66 de la Constitution selon lequel l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle ? » Après avoir estimé que l’article L. 480-12 du code de l’urbanisme était applicable à la procédure et n’avait pas été déjà déclaré à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, la Cour de cassation a considéré que :  «  la question posée [présentait] un caractère sérieux au regard des principes de respect de l’inviolabilité du domicile et de la liberté individuelle, en ce que l’article L. 480-12 du code de l’urbanisme sanctionne quiconque aura mis obstacle au droit de visite prévu par l’article L.461-1 dudit code, alors que ce dernier texte n’assortit pas le contrôle qu’il prévoit de garanties particulières, notamment lorsque la visite s’effectue dans un domicile ». Elle a donc renvoyé la question au Conseil constitutionnel (Cour de cassation, Chambre criminelle, 10 février 2015, n°14-84.940). Aux termes d’une décision du 9 avril 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions de l’article L. 480-12 du code de l’urbanisme conformes à la Constitution en : « 3. Considérant, d’une part, que la liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 implique le droit au respect de la vie privée et, en particulier, de l’inviolabilité du domicile ;  Considérant que l’article L. 480-12 du code de l’urbanisme réprime le fait de faire obstacle au droit de visite prévu par l’article L. 461-1 du même code ; qu’eu égard au caractère spécifique et limité du droit de visite, cette incrimination n’est pas de nature à porter atteinte à l’inviolabilité du domicile ; que le grief tiré d’une atteinte à l’inviolabilité du domicile doit être écarté ; Considérant, d’autre part, que le grief tiré de l’atteinte à la liberté individuelle est inopérant ; Considérant que les dispositions de l’article L. 480-12 du code de l’urbanisme, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution» (Conseil constitutionnel, 9 avril 2015, n° 2015-464 QPC)   Il ressort de cette analyse que le Conseil constitutionnel raisonne par rapport au caractère « spécifique et limité » du droit de visite prévu à l’article L. 461-1 du code de l’urbanisme afin de réfuter une atteinte à l’inviolabilité du domicile. Cette position peut surprendre dans la mesure où le Conseil constitutionnel raisonne « à l’envers » par rapport à la question du requérant. Le requérant envisageait l’inconstitutionnalité des dispositions de l’article L. 480-12 du code de l’urbanisme par rapport au fait qu’il était contraint d’accepter une visite domiciliaire sous peine d’être sanctionné pénalement. Or, le Conseil constitutionnel estime à l’inverse que c’est parce que le droit de visite est limité que sa méconnaissance peut être sanctionnée pénalement. Il ne raisonne pas du tout par rapport à la « contrainte » invoquée par le requérant mais plutôt au regard de la finalité de l’infraction : lutter contre la méconnaissance des règles d’urbanisme lors de la construction des bâtiments. Notons toutefois que la décision du Conseil constitutionnel est parfaitement compréhensible et qu’il ne pouvait, à notre sens, juger autrement. En effet, il est constant le droit de visite est encadré par l’article 432-8 du code pénal qui punit « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, agissant dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, de s’introduire ou de tenter de s’introduire dans le domicile d’autrui contre le gré de celui-ci hors les cas prévus par la loi […]». Ainsi, sans accord préalable de l’occupant, les agents commissionnés ne peuvent exercer leur droit de visite et effectuer des constatations à l’intérieur d’une propriété (Rép. min. n° 74381: JOAN, 31 janvier 2006, p. 1094 et Rép. Min. n° 56467 : JOAN, 10 août 2010, p. 8768). La position du Conseil constitutionnel nous parait donc, d’un point de vue strictement juridique, parfaitement justifiée. Relevons également qu’outre les conséquences de cette décision en droit de l’urbanisme, cette décision aura également des incidences en droit de l’environnement. En…

ICPE autorisée : un dossier de permis de construire sans étude d’impact (CE, 25 février 2015)

Par David DEHARBE (Green Law Avocat) Dans un arrêt qui sera cité au Recueil, (CE, 25 février 2015, n° 367 335, « Communauté d’agglomération de Mantes-en-Yvelines»), le Conseil d’Etat juge que la Cour administrative de d’appel Versailles (6 décembre 2012, n° 11VE02847) commet une erreur de droit, en déduisant l’obligation de joindre une étude d’impact à la demande de permis de construire des bâtiments, de la seule circonstance que cette étude est exigée pour leur exploitation industrielle, en application du code de l’environnement et au titre de la législation ICPE (Installations Classées pour la Protection de l’Environnement) : « l’obligation de joindre l’étude d’impact au dossier de demande de permis de construire prévue par l’article R. 431-16 du code de l’urbanisme ne concerne que les cas où l’étude d’impact est exigée en vertu des dispositions du code de l’environnement pour des projets soumis à autorisation en application du code de l’urbanisme ; que, par suite, en se fondant, pour annuler les permis attaqués, sur l’absence d’étude d’impact sans rechercher si celle-ci était exigée pour un projet soumis à autorisation en application du code de l’urbanisme, la cour a méconnu, au prix d’une erreur de droit, la portée des dispositions de l’article R. 431-16 du code de l’urbanisme ». Cette solution n’allait pas de soi, surtout à s’en tenir à la lecture du texte régissant la question. En effet, l’article R. 431-16 du code de l’urbanisme mentionne bien, au nombre des pièces à joindre à la demande de permis de construire, « l’étude d’impact, lorsqu’elle est prévue en application du code de l’environnement ». Ainsi Xavier De Lesquen concède dans ses conclusions sur cette affaire qu’« Il est vrai que le texte de l’article R. 431-16 du code de l’urbanisme peut troubler, en ce qu’il renvoie sans autre précision et donc sans limitation à l’application du code de l’environnement pour définir les cas dans lesquels l’étude d’impact doit être jointe à la demande de permis de construire ». D’ailleurs tout particulièrement s’agissant de la construction des installations classées soumises à autorisation, la jurisprudence semblait jusqu’ici exiger la production d’impact dans le dossier de permis de construire, de l’étude requise au titre de la seule législation environnementale (Conseil d’Etat, 1 / 4 SSR, du 15 janvier 1999, n° 181652, inédit au recueil Lebon et pour un ex. plus récent : CAA Nancy, 30 juin 2011, Assoc. Air Pur Environnement: req. n° 10NC01074, cité in code de l’environnement, Dalloz 2014). Mais à cela une autre raison essentielle : avant le Grenelle de l’environnement, le Conseil d’Etat lui-même juge encore que « les travaux de construction d’une installation classée relevant du régime de l’autorisation sont soumis à la procédure de l’étude d’impact », ceci en vertu des dispositions du B de l’article 3 du décret du 12 octobre 1977 pris pour l’application de l’article 2 de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature (Conseil d’Etat, 1 / 4 SSR, du 15 janvier 1999, n° 181652). Reste que dans notre espèce cette disposition ne jouait pas, dès lors qu’il s’agissait d’un permis de construire relatif à une installation classée déjà existante et pour laquelle était en débat la nécessité même d’exiger une nouvelle autorisation et donc une étude d’impact. Or non seulement la Cour d’appel de Versailles avait conclu à la nécessité de déposer une nouvelle étude au titre des installations classées mais elle avait exigé sa production dans le dossier de permis au visa du seul l’article R. 431-16 du code de l’urbanisme. Fonder une telle production sur le seul article R. 431-16 du code de l’urbanisme revenait à poser une question en pratique très importante depuis la réforme de l’étude d’impact. On sait en effet que le nouveau champ de l’étude d’impact (cf. le tableau annexé à l’article R. 122-2 du code de l’environnement par le Décret n°2011-2019 du 29 décembre 2011) se substitue aux dispositions du B de l’article 3 du décret du 12 octobre 1977. Ainsi et en tout état de cause on ne peut plus en déduire, qu’en lui-même, le permis de l’installation classée autorisée doit être soumis à une étude d’impact.   On mesure alors tout l’enjeu pratique de la question de savoir si l’article R. 431-16 du code de l’urbanisme ne devait pas imposer a minima que l’étude d’impact ICPE accompagne le dossier de permis de construire l’installation soumise à autorisation d’exploiter. Sans doute peut-on se convaincre, à la lecture (qui s’impose) des conclusions de Xavier De Lesquen, qu’il convient de circonscrire la production dans le dossier de permis de construire d’un exemplaire de l’étude d’impact aux seuls cas où l’étude est exigée pour l’opération de construction en elle-même. Comme le démontre le rapporteur public cette solution trouve un ancrage solide dans le principe d’indépendance des législations : on a trop tendance à oublier que l’acte de construire n’est pas celui d’exploiter et qu’ainsi étudier les effets du second n’a pas grand intérêt pour celui qui instruit le premier. Mais cette solution relativise surtout les risques contentieux et une lecture trop tatillonne du droit pour rappeler à ceux qui l’appliquent qu’ils ne devraient jamais oublier de s’interroger sur ce qui fait le bien-fondé d’une formalité. Bref on l’aura compris, selon le Conseil d’Etat l’étude d’impact n’a plus à figurer dans les pièces du dossier de permis de construire d’une installation classée soumise à autorisation. C’est un pas jurisprudentiel vers le dossier unique. Et si en droit de l’environnement industriel, le véritable choc de simplification était en réalité initié au Palais Royal ? Les évolutions jurisprudentielles les plus récentes en la matière, dont celle-ci, nous incitent de plus en plus à le penser …