Après Lubrizol : vers une expertise indépendante des risques industriels ?

Par maître Lucas DERMENGHEM (Green law avocats) L’épaisse fumée dans laquelle l’incendie de l’usine Lubrizol a plongé les rouennais le 26 septembre 2019 a fait resurgir dans le débat public la question des risques liés aux activités industrielles et ranimé le débat quant aux solutions permettant de réduire au maximum leur survenance. C’est dans ce contexte que la mission d’information de l’Assemblée nationale sur l’incendie du Lubrizol, présidée par le député Christophe Bouillon (PS), a déposé auprès du bureau de l’Assemblée nationale une proposition de loi n°2527 « relative à la création de l’Autorité de sûreté des sites SEVESO : plus de transparence et de sécurité à l’égard de la population ». Au titre de l’exposé des motifs de cette proposition de loi, la mission d’information a d’abord rappelé que plusieurs évolutions du cadre législatifs sont allées dans le sens d’un renforcement de la sécurité et de la sûreté des sites industriels : loi « Bachelot » n°2003-699 du 30 juillet 2003, décrets et arrêtés ministériels du 26 mai 2014 transposant la directive européenne dite « Seveso 3 ». Toutefois, la mission d’information fait le procès non pas d’une réglementation insuffisante mais de « failles inhérentes à notre système de contrôle des sites industriels pour l’environnement et la sécurité de la population » et pointe notamment le manque de « moyens institutionnels pour assurer la surveillance » des 1312 sites SEVESO référencés sur le territoire national. A l’inverse des sites nucléaires contrôlés par une instance spécifique (l’Autorité de Sûreté Nucléaire), les sites SEVESO sont dépourvus de toute autorité de contrôle indépendante. En effet, leur surveillance est assurée par les Directions Régionales de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (D.R.E.A.L), également chargées de réglementer les 500 000 sites relevant de la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement (I.C.P.E) en France. Accomplissant en parallèle une kyrielle de missions étatiques, les D.R.E.A.L font également face à un manque de moyens humains et matériels, entrainant une baisse substantielle du nombre d’inspections des sites I.C.P.E et par là-même une défaillance dans la maîtrise du danger lié aux sites les plus sensibles. Face à cette lacune, la mission d’information propose la création d’une Autorité de sûreté des sites SEVESO, instance « indépendante du gouvernement, avec des inspecteurs dédiés » qui « rendrait public ses rapports et injonctions ». Pour ce faire, elle serait dotée d’un budget propre ainsi que d’un pouvoir de sanction et « ses effectifs ne seraient pas soumis au plafond d’emplois. ». Cette autorité aurait vocation rebâtir le lien de confiance profondément ébranlé entre la population et les industries en tant que « médiateur, un tiers de confiance, qui puisse intervenir et accompagner les décideurs en cas d’accident ». La création d’une telle autorité est notamment soutenue par le Syndicat national des ingénieurs de l’industrie et des mines (Sniim), représentant les inspecteurs des installations. Le gouvernement a quant à lui émis d’autres pistes de réflexion en vue de renforcer la maîtrise du risque lié à ces sites. Ainsi, le 11 février 2020, la ministre de la Transition écologique et solidaire a proposé un « Plan d’action Lubrizol » comprenant notamment : une augmentation des contrôles de 50% d’ici la fin du quinquennat ; La création d’un bureau d’enquête accidents indépendant et dédié aux risques technologiques afin de tirer toutes les conséquences en cas de survenance d’un accident majeur. Si les pistes d’amélioration ne manquent pas, le cabinet Green Law Avocats ne peut que saluer cette proposition de loi qui fait écho à une réflexion engagée peu de temps après l’incendie de Lubrizol et suggérant l’idée de la création d’une « Autorité de sûreté des risques technologiques » (lire en ce sens : David DEHARBE et Lucas DERMENGHEM, « Pour une Autorité de sûreté des risques technologiques ! », Droit de l’Environnement, N°283, nov. 2019, page 409). Les auteurs avaient notamment constaté que si l’étude de dangers du site Lubrizol avait prévu l’hypothèse de l’incendie, elle n’avait pas forcément perçu l’ampleur des conséquences pouvant en découler. Cette étude souffrait également de n’avoir pas fait l’objet de la moindre contre-expertise par les services de contrôle depuis sa réalisation en 2009.

La créance de dépollution : une créance non-privilégiée

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) La créance de dépollution ne bénéficie pas d’un paiement préférentiel au sein d’une procédure de liquidation judiciaire lorsqu’elle n’est pas née pour les besoins de la procédure. C’est ce qu’affirme la Cour de cassation dans un arrêt en date du 5 février 2020. (Com. 5 fév. 2020, n°18-23961) La détermination du caractère préférentiel de la créance est d’une importance primordiale : une créance postérieure née régulièrement pour les besoins de la procédure bénéficie d’un paiement à échéance (C. de com. art. L 641-13). La créance de dépollution et de remise en état se fonde sur le principe du pollueur-payeur au titre des articles L 512-6-1 et L 512-7-6 du code de l’environnement. Ainsi la charge de la dépollution incombe au dernier exploitant du bien pollué, en l’espèce la société locataire. Partant le fait générateur de cette obligation de dépollution est l’arrêt définitif de l’exploitation. Pour justifier sa décision, la Cour de cassation écarte la qualification de créance née pour les besoins de la procédure collective. La créance ne sera donc réglée que si le bailleur en fait la déclaration au liquidateur conformément à l’article L 622-24 du code de commerce. Il faut également en déduire que la créance de dépollution a très peu de chance d’être payée dans des procédures en carence. Par exemple, dans un arrêt de la cour d’appel de Grenoble en date du 23 Octobre 2014, la responsabilité du liquidateur n’avait pas été retenue car ce dernier ne disposait pas des fonds nécessaires au règlement de la dépollution (CA Grenoble, 23 oct. 2014, n° 10/03524). Cependant il convient de nuancer la la position adoptée. La créance n’est pas née pour les besoins de la procédure « dès lors que le bail n’était ni poursuivi ni cédé à un repreneur, la remise en état et dépollution du site sur lequel était exploité l’entreprise débitrice n’était en rien nécessaire aux opérations de liquidation judiciaire ». (Com. 5 fév. 2020, n°18-23961) Nous pouvons alors supposer qu’en cas de cession dans le cadre de la procédure, le liquidateur aurait dû remettre en état et dépolluer l’installation classée. De plus, il faut rappeler que le préfet peut mettre en œuvre, en cas de liquidation judiciaire de l’exploitant,  les garanties financières qui s’imposent pour certaines installations classées (C. envir. art. L 516-1 et R 516-3). D’ailleurs, au sujet d’une procédure sauvegarde, la Cour de cassation a déjà reconnu comme fait générateur d’une créance de dépollution l’arrêté préfectoral ordonnant au débiteur la consignation des sommes correspondant au montant des travaux à réaliser. (Com. 17 sept. 2002, n°99-16.507) Enfin, selon le Conseil d’Etat, les dispositions du droit des entreprises en difficulté « ne font pas obstacle à ce que l’administration fasse usage de ses pouvoirs, notamment de police administrative, qui peuvent la conduire, dans les cas où la loi le prévoit, à mettre à la charge de particuliers ou d’entreprises, par voie de décision unilatérale, des sommes dues aux collectivités publiques ». (CE 28 septembre 2016, 384315, Act. Proc. Coll. 2016, obs. D. Voinot ; AJDA 2016. 1839 ) La place de la créance de dépollution au sein de la procédure collective dépend visiblement de l’action de l’administration. Il faut également compter avec les pouvoir de sanction administrative dont dispose le préfet à l’égard du liquidateur et trop souvent malheureusement avec l’inertie du premier et la mauvaise volonté du second…

Le projet de décret sur l’Ae en consultation

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) En application de l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement, le Gouvernement a lancé une consultation publique du 7 février 2020 au 28 février 2020 sur le Projet de décret portant réforme de l’autorité environnementale, texte très attendu. I/ L’objet du projet de décret Ce projet de décret (téléchargeable ici) soumis à la consultation du public a pour principal objet d’appliquer la décision « association FNE » du Conseil d’État du 6 décembre 2017 (n° 400559) et l’article 31 de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2017 relative à l’énergie et au climat. On sait en effet que le précédent décret n° 2016-519 du 28 avril 2016 relatif à l’autorité environnementale confiait, pour un certain nombre de projets, aux préfets de région la compétence  d’Ae (s’agissant des avis comme des examens au cas par cas), aux côtés de l’Ae du CGEDD et des MRAe. Or dans sa décision du 6 décembre 2017 (n° 400559, recours contre le décret du 28 avril 2016 portant réforme de l’autorité environnementale), le Conseil d’État a jugé que l’autorité environnementale, dans son rôle consultatif (avis), pouvait également être autorité compétente pour autoriser le projet ou en assurer la maîtrise d’ouvrage sous réserve qu’une séparation fonctionnelle au sein de cette autorité soit organisée. Cette solution trouve son fondement dans les directives dites projet et programme de l’Union européenne et surtout dans l’interprétation que donne la CJUE de la seconde dans  son arrêt Seaport (CJUE, 20 oct. 2008, C-474/10). Le décret 28 avril 2016 n’avait pas prévu un tel dispositif dans les cas où le préfet de région était compétent pour autoriser le projet ou lorsqu’il était en charge de l’élaboration ou de la conduite du projet au niveau local. En conséquence, le Conseil d’État a annulé le 1° de l’article 1er du décret 28 avril 2016 en tant qu’il maintenait, au IV de l’article R.122-6 du code de l’environnement, la désignation du préfet de région en qualité d’autorité environnementale. Pour tenter de sauver les projets en cours, des instructions ont été données aux préfets afin que les dossiers concernés soient transférés aux Missions régionales d’autorité environnementale (MRAe) pour ce qui concerne les avis ; de son côté le juge administratif a admis l’indépendance fonctionnelle de la MRAe et a même validé la possibilité de régulariser avec une nouvelle consultation de la MRAe les projets dont l’autorisation environnementale avaient été annulée (CE, avis, 27 sept. 2018, nº 420119 – CE, 27 mai 2019, nº420554/nº420575 ; cf. sur le refus de prononcer le sursis à exécution d’un arrêt d’appel qui n’aurait pas relevé un tel vice : CE, 6 nov. 2019, nº 430352) Reste que le Conseil d’Etat a confirmé son exigence d’autonomie fonctionnelle de l’Ae (CE, 21 août 2019, Assoc. Citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et a., n° 406892, 406894 – CE, 13 mars 2019, n°414930). Ainsi s’agissant du contentieux éolien, le Conseil d’Etat a nettement jugé que les services placés sous l’autorité hiérarchique du préfet de région, tels que les DREAL ne disposaient pas, « en principe », d’une autonomie réelle à son égard (CE, 20 sept. 2019, nº428274) et qu’ainsi ne commettait aucune erreur de droit, la Cour qui avait estimé que, en l’espèce, cet avis de l’autorité environnementale comme irrégulier. Désormais avec le projet décret mis à consultation du public, le Gouvernement envisage de confier à la MRAe la responsabilité de rendre les avis sur les projets ne relevant pas d’une autorité environnementale nationale (ministre chargé de l’environnement ou formation nationale du Conseil général de l’environnement et du développement durable). Reste que le gouvernement a toujours maintenu, même après l’arrêt « association FNE » du Conseil d’Etat, la compétence du préfet de région pour l’examen au cas par cas, Au demeurant, ce projet de décret s’efforce de transcrire l’article L.122-1 du code de l’environnement qui a été modifié, par l’article 31 de la n° 2019-1147 du 8 novembre 2017 relative à l’énergie et au climat, afin de distinguer, pour les projets, autorité chargée de l’avis et autorité chargé de l’examen au cas par cas. la loi confie cette compétence non plus à l’« autorité environnementale » mais à une « autorité chargée de l’examen au cas par cas » qui sera définie par décret. Mais le Parlement a accepté ce transfert de compétence à la condition toutefois que  soient prévenus les conflits d’intérêt avec le « maître d’ouvrage » ou la personne « en charge du projet ». II/ Principales modifications opérées par le projet de décret : L’article R. 122-3 actuel est scindé en deux articles distincts (article R. 122-3 et R. 122-3-1) afin de distinguer plus explicitement les dispositions visant à désigner l’autorité en charge de réaliser l’examen au cas par cas des projets qui y sont soumis (article R. 122-3) de celles visant à préciser le déroulé de la procédure d’examen au cas par cas (article R. 122-3-1) ; L’article R. 122-6 est modifié pour tenir compte de la jurisprudence du Conseil d’Etat et confier aux MRAe le soin de rendre les avis qui relevaient précédemment de la compétence du préfet de Région ; L’article R. 122-7 est toiletté à la marge afin de clarifier la durée dont disposent les collectivités territoriales pour rendre leur avis ; L’article R. 122-17 est complété par un alinéa prévoyant, à l’instar du dispositif applicable aux projets, la possibilité pour le ministre en charge de l’environnement d’évoquer certains dossiers relatifs à des plans ou programmes relevant normalement de la compétence des MRAe ; L’article R. 122-24 clarifie l’organisation interne des MRAe qui bénéficient de l’appui technique des agents de la DREAL ; Les articles R. 122-24-1 et R. 122-24-2 sont créés afin de faire application des dispositions relatives au conflit d’intérêt introduites par la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat et codifiées au V bis de l’article L. 122-1. On relève avec le plus grand intérêt qu’aux termes de l’article R.122-24-1 en projet « Ne constitue pas un conflit d’intérêt le fait, pour l’autorité…

AUTORISATION ENVIRONNEMENTALE : CONFIRMATION DE LA POSSIBILITÉ DE RÉGULARISER DEUX VICES

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Par une ordonnance du 15 novembre 2019, le tribunal administratif de Montreuil (TA Montreuil, 15 nov. 2019, n° 1902037) a considéré que l’article 6 de l’ordonnance n° 2016-1058 du 3 août 2016 relative à la modification des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes (JORF, n°0181, 5 août 2016, texte n° 10) ne dispense en aucun cas de l’étude d’impact prévu par l’article R. 122-5 du code de l’environnement, les demandes d’autorisation unique qui concernent les infrastructures ayant auparavant fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique, avant le 16 mai 2017. La juridiction motive ainsi sa position : « l’article 6 de l’ordonnance n°2016-1058 relative à la modification des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes, dans sa version issue de l’article 65 de la loi n°2017-257 du 28 février 2017, dispose que cette ordonnance s’applique «aux projets faisant l’objet d’une évaluation environnementale systématique pour lesquels la première demande d’autorisation, notamment celle qui conduit à une déclaration d’utilité publique, est déposée à compter du 16 mai 2017». Il ne ressort toutefois ni de la lettre de la loi, qui utilise l’adverbe notamment, ni de l’intention du législateur, qui, ainsi qu’il résulte de l’exposé sommaire de l’amendement CL175 le 6 décembre 2016, a seulement entendu codifier la jurisprudence du Conseil d’Etat, que cette disposition aurait pour objet de faire obstacle à l’application des dispositions de l’article R. 122-5 du code de l’environnement, issues du décret n°2016-1110 du 11 août 2016 transposant la directive 2011/92/UE, aux demandes d’autorisation environnementale unique concernant des infrastructures ayant fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique avant le 16 mai 2017 ». Effectivement  dans l’hypothèse d’un projet nécessitant la délivrance de plusieurs autorisations, ce qui est le cas du Grand Paris express, la jurisprudence considère que la première demande d’autorisation de chacun de ces projets peut être celle qui conduit à la déclaration d’utilité publique : cf. (CE, 2 juin 2003, UFC «Que choisir – Côte d’or», n° 243215 et 15 avril 2016, Fédération nationale des associations d’usagers des transports, n° 387475). Pour garantir au Grand Paris express le bénéficie des assouplissements introduits par l’ordonnance, l’amendement précité proposait effectivement de transposer cette solution jurisprudentielle en matière d’évaluation environnementale (Rapport n° 4293 de première lecture de MM. Jean-Yves Le Bouillonnec et Patrick Mennucci, fait au nom de la commission des lois de l’Assemblée nationale, p. 266.) On relèvera encore que pour se déclarer compétente pour connaître de cette affaire le Tribunal administratif a du considérer qu’elle relevait pas de la compétence d’attribution à la CAA de Paris des contentieux afférents aux infrastructures « nécessaires » aux jeux olympique Olympiques et Paralympiques de 2024 et issue de l’article R. 311-2  du Code de Justice administrative. Pour le Tribunal ce qui est nécessaire doit être indispensable aux jeux, même si l’affectation de l’infrastructure n’y est pas exclusive. Mais cette décision avant dire droit doit surtout retenir l’attention pour l’usage que fait le juge de l’autorisation environnementale de ses pouvoirs d’administrateur. En l’espèce, plusieurs associations et un collectif (les  associations  France Nature Environnement  Ile-de-France,  le  Collectif  pour  le  Triangle  de Gonesse,  les  Amis  de  la  Confédération  paysanne,  les  Amis  de  la  terre  du  Val  d’Oise,  le Mouvement national de lutte pour l’environnement, Val d’Oise environnement, «des Terres pas d’hypers!»,  Environnement  93,  le  Réseau  associations  pour  le  maintien  d’une  agriculture paysanne en Ile-de-France et Vivre mieux ensemble à Aulnay-sous-Bois), demandaient au tribunal administratif de Montreuil d’annuler l’arrêté inter-préfectoral des préfets de la Seine-Saint-Denis, de la Seine-et-Marne et du Val d’Oise en date du 24 octobre 2018 autorisant la création et l’exploitation de la  ligne  17  Nord  du  réseau  de  transports  du  Grand  Paris Express  entre  le  Bourget  et  le Mesnil-Amelot. Le projet d’une grande envergure impliquait la perturbation ou la destruction de plusieurs espèces protégées, des modifications du mode d’écoulement des eaux, mais aussi le déchiffrement de zones boisées ce qui explique que l’autorisation environnementale était sollicitée à la fois au titre d’ICPE, de IOTA, d’un défrichement et d’une dérogation espèce protégée. Or le dossier  a suscité des avis critique de l’autorité environnementale  et défavorable du Conseil national de la nature. Les associations et le collectif requérants estimaient donc l’étude d’impact comme insuffisante au regard des impacts environnementaux et l’arrêté comme entaché d’une erreur manifeste d’appréciation quant aux prescriptions particulières relatives à la dérogation au titre des espèces et habitats protégés. Rappelant la jurisprudence OCREAL, le jugement précise d’emblée que « les inexactitudes, omissions ou insuffisances d’une étude d’impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative » (Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 14/10/2011, 323257). Or s’agissant de s’agissant des prélèvements et rejets des eaux d’exhaure, le Tribunal que les omissions pour être démontrées n’ont pas eu d’effet sur la décision prise. Certes « les requérantes font valoir que les précisions chiffrées relatives aux volumes rejetés en nappe, qui correspondent à moins de 3% du total des prélèvements, sont contradictoires avec la mention selon laquelle le principe de réinjection totale ou partielle vers la nappe est retenu en qualité de solution prioritaire, partout où cette solution s’avèrera réalisable » ; mais cette circonstance n’est pas, eu égard notamment au caractère prospectif de ces termes et à la précision des mentions chiffrées, « de nature à avoir nui à l’information complète de la population ou à avoir exercé une influence sur la décision de l’autorité administrative ». Au contraire, le moyen fait mouche s’agissant de l’analyse du cumul des incidences avec d’autres projets connus : « il résulte de l’instruction que le projet de la ZAC du Triangle de Gonesse relatif à l’urbanisation de la zone située à l’est du centre-ville de Gonesse où doit s’implanter la gare du Triangle de Gonesse, dont il est constant qu’elle a fait l’objet d’une évaluation environnementale et d’un avis de l’autorité…

refus de suspension d’arrêtés anti-pesticides : le TA de Cergy prend le maquis !

Par Maître David DEHARBE (Associé Gérant – Green Law Avocats) Par un arrêté du 20 mai 2019, le maire de Sceaux a interdit l’utilisation du glyphosate et d’autres substances chimiques sur le territoire de sa commune. Par ailleurs, le 13 juin 2019, l’utilisation de pesticides a été interdite par le maire de Gennevilliers pour l’entretien de certains espaces de son territoire. Le préfet des Hauts-de-Seine a demandé au juge des référés du tribunal administratif de suspendre ces décisions. C’est une première, par deux ordonnances du 8 novembre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise rejette les déférés-suspension du préfet des Hauts-de-Seine relatifs aux arrêtés des maires de Sceaux et de Gennevilliers interdisant l’utilisation du glyphosate et des pesticides (TA Cergy-Pontoise, Ordonnance du 8 novembre 2019, n°1912597 et 1912600). Pour cette juridiction, « eu égard à la présomption suffisamment établie de dangerosité et de persistance dans le temps des effets néfastes pour la santé publique e l’environnement des produits que l’arrêté attaqué interdit sur le territoire de la commune de Gennevilliers et en l’absence de mesures réglementaires suffisantes prises par les ministres titulaires de la police spéciale, le maire de cette commune a pu à bon droit considérer que les habitants de celle-ci étaient exposés à un danger grave, justifiant qu’il prescrive les mesures contestées, en vertu des articles L. 2212-1, L. 2212-2 et L. 2212-4 précités du code général des collectivités territoriales, et ce alors même que l’organisation d’une police spéciale relative aux produits concernés a pour objet de garantir une cohérence au niveau national des décisions prises, dans un contexte où les connaissances et expertises scientifiques sont désormais largement diffusées et accessibles ». Le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise prend ainsi à contre-pied les juges des référés de Besançon (TA Besançon, ord. 16 septembre 2019, n°1901464) et de Rennes (TA Rennes, ord. 27 août 2019, n°54-035-02/54-10-05/49-02-04/49-05-02 ) On relève en particulier que le juge des référés a constaté que les produits phytopharmaceutiques constituent un danger grave pour les populations exposées et que l’autorité administrative n’a pas pris de mesures suffisantes en vue de la protection de la santé publique :   « Il ne saurait être sérieusement contesté que les produits phytopharmaceutiques visés par l’arrêté en litige, qui font l’objet d’interdictions partielles mentionnées à l’article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime précité, constituent un danger grave pour les populations exposées, notamment celles mentionnées au I de ce même article et définies à l’article 3 du règlement (CE) n° 1107/2009 ou celles présentes à proximité des espaces et lieux mentionnés à l’article L. 253-7-1  du  même  code ». En l’espèce, les maires de Sceaux et Gennevilliers ont interdit l’utilisation de ces produits dans les espaces fréquentés par le public, en raison notamment de l’importance des populations vulnérables sur leur territoire. Le juge des référés a estimé qu’eu égard à la situation locale, c’est à bon droit que ces maires ont considéré que les habitants de leurs communes étaient exposés à un danger grave, justifiant qu’ils interdisent l’utilisation des produits en cause : « La  commune  de  Gennevilliers,  qui  compte  plus  de  46 000  habitants,  soutient  qu’elle subit une pollution considérable du fait des infrastructures majeures de transport présentes sur  son  territoire  et  que  l’arrêté  attaqué  limite  l’interdiction  des  produits  phytopharmaceutiques qu’il liste à l’entretien des jardins et espaces verts des entreprises, des copropriétés, des bailleurs privés  et  privés  sociaux,  des  voies  ferrées  et  des  tramways  et  leurs  abords,  des  abords  des  autoroutes et routes qui la  traversent, où l’usage de ces produits est encore autorisé. La commune se prévaut, en outre, de l’importance des populations vulnérables sur son territoire et notamment celles accueillies dans ses treize écoles, trois collèges et un lycée et dans l’établissement de santé spécialisé   en   rééducation   fonctionnelle.   » (ord. n°  1912597) « La commune de Sceaux, qui compte plus de 20 000 habitants, fait valoir que les espaces verts couvrent la moitié de son territoire et que l’entretien des deux tiers d’entre eux n’est pas visé par  les  interdictions  des  produits  phytosanitaires  mentionnées  précédemment,  ce  qui concerne de nombreux espaces et équipements fréquentés par le grand public. Elle se prévaut, en outre, de  l’importance  des  populations  vulnérables  sur  son  territoire  parmi  lesquelles  les  enfants  qui  sont  accueillis  dans  huit  crèches,  huit  écoles,  deux  collèges  et  quatre  lycées  ainsi  que  les  personnes  âgées  résidant  notamment  dans  les  quatre  établissements  de  santé  situés  sur ce territoire. » (ord. n° 1912600) Cette motivation n’est certainement pas un revirement de jurisprudence mais d’appréciation de la situation de l’épandage des produits phytosanitaires. D’ailleurs, la juridiction ne manque pas d’emblée de faire valoir : « Il  résulte  des  dispositions  précitées  que  la  police  spéciale  relative  à  l’utilisation  des  produits  phytopharmaceutiques  a  été  attribuée  au  ministre  de  l’agriculture.  S’il appartient  au  maire,  responsable  de  l’ordre  public  sur  le  territoire  de  sa  commune,  de  prendre  les  mesures  de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, il ne saurait s’immiscer dans l’exercice de cette police spéciale qu’en cas de danger grave ou imminent ou de circonstances locales particulières. » En effet de longue date le Conseil d’Etat a prévu une exception à l’interdiction qu’il fait au maire de s’immiscer dans une police spéciale environnementale : cette solution s’impose avec rigueur sous réserve d’un péril imminent relevant d’une appréciation locale. Rappelons ici les arrêts de principe. Si,  en  vertu  de  ces  dispositions du  code  général  des  collectivités  territoriales, il appartient au maire, responsable de l’ordre public sur le territoire de sa commune, de prendre les mesures  de  police  générale  nécessaires  au  bon  ordre,  à  la  sûreté,  à  la  sécurité et  à  la  salubrité publiques, il ne saurait en aucun cas s’immiscer, par l’édiction d’une règlementation locale, dans l’exercice d’une police spéciale que le législateur a organisée à l’échelon national et confiée à l’État, sauf péril imminent. La solution jurisprudentielle est ancienne (CE, 22 janv. 1965, n° 56871,  Alix, Lebon p. 44 – CE, 15 janv. 1986, n° 47836,  Sté PEC-Engineering – Conseil d’Etat, 29 sept. 2003, Houillères du bassin de Lorraine…