Un arrêt récent rendu par la chambre commerciale de la Cour d’appel d’Angers le 13 décembre 2011 illustre le courant jurisprudentiel actuel tendant au renforcement de la responsabilité des professionnels notamment au niveau des diagnostics immobiliers (Cour_d’appel,_Angers,_Chambre_commerciale,_13 décembre 2011, n°10/02273, n° Juris-Data 2011-031787).
Un diagnostic manifestement erroné
Dans cette espèce, les demandeurs avaient acquis de particuliers un ancien local professionnel réaménagé en immeuble à usage d’habitation.
Le diagnostic de performance énergétique (DPE) relatif à ce bâtiment faisait état de frais énergétiques modérés pour le chauffage, à savoir une estimation annuelle à hauteur de 960 € TTC.
Or, les acheteurs se sont rapidement trouvés confrontés à la difficulté de chauffer leur habitation à plus de 18 degrés ainsi qu’à un coût particulièrement élevé de chauffage.
Etonnés de cette situation au vu du diagnostic qui leur avait été remis, ils ont alors fait appel à une autre société aux fins de faire réaliser un second DPE. Celui-ci a estimé le coût annuel du chauffage à hauteur de 5.689 €uros et relevé une isolation insuffisante voire inexistante de plusieurs parties de l’immeuble.
Sur ce fondement, les acquéreurs ont donc assigné en référé les vendeurs, le diagnostiqueur technique et le notaire aux fins d’obtenir une expertise judiciaire.
Celle-ci a été diligentée et l’expert judiciaire a mis en évidence l’absence totale d’isolation thermique de la maison à usage d’habitation et a évalué le montant des travaux de reprise à la somme conséquente de 195.515, 24 €uros.
Les acheteurs ont dès lors introduit une action en responsabilité à l’encontre des différentes parties à l’expertise.
Une défense du diagnostiqueur axée sur les limites de sa mission
Outre le débat relatif à la qualité de constructeur du particulier vendant, après réalisation de travaux d’envergure, un immeuble et celui relatif à la responsabilité du notaire en raison de l’absence de mention dans l’acte de vente de la souscription ou non d’une assurance dommages ouvrage et ce alors qu’il avait lui-même connaissance de l’ampleur des travaux effectués, s’est posée la question de la responsabilité du diagnostiqueur dans le cadre de l’élaboration de son diagnostic.
En effet, et rappelons le, un tiers à un contrat peut parfaitement invoquer un manquement contractuel de l’une des parties cocontractante dès lors que celui-ci est à l’origine ou a participé à la réalisation de son préjudice.
C’est bien évidemment ce qu’ont argué les acheteurs qui précisaient qu’ils n’auraient pas acquis la maison si le montant réel de la dépense énergétique leur avait été fourni.
La société chargée du diagnostic soutenait, quant à elle, qu’elle n’avait commis aucune faute dans le cadre de l’élaboration du DPE dès lors qu’elle ne devait pas effectuer de démontage ou d’investigations destructrices et qu’elle ne procédait qu’à un simple examen de visu.
Elle précisait que seule l’attitude des vendeurs, qui leur aurait caché volontairement la situation énergétique du bien, serait à l’origine de la difficulté.
Il convient en effet de préciser que la production par ces derniers, durant les opérations d’expertise, des factures relatives aux frais énergétiques, révélait une consommation énergétique largement supérieure à celle mentionnée dans le diagnostic établi.
Le diagnostiqueur estimait donc qu’il ne pouvait lui être reproché aucun manquement contractuel étant simplement tenu d’indiquer les composants et caractéristiques essentielles du bâtiment d’après son aspect visuel.
Une défense pertinente mais non adaptée aux faits de l’espèce.
De tels moyens s’avèrent assurément pertinents s’agissant d’un litige portant sur la responsabilité d’un diagnostiqueur immobilier.
En effet, que ce soit dans le cadre du diagnostic amiante, du constat de risque d’exposition au plomb, de l’état relatif à la présence de termites…, il s’agit le plus souvent d’un argumentaire développé par le professionnel incriminé, et suivi par les juridictions.
Il convient alors de se reporter aux règles de l’art afférentes à chaque diagnostic (fixées par décret, guide de recommandations, pratiques…) et de constater que la mission du professionnel est encadrée dans certaines limites.
Ainsi, un diagnostiqueur amiante ne peut être tenu pour responsable de toute présence d’amiante non détectée dès lors qu’il n’est également pas tenu de réaliser des sondages destructifs.
Cependant, et en l’espèce, les juges de première instance, suivis en cela par la Cour d’appel, n’ont pas été sensibles à cet argumentaire.
Et pour cause…il semble que le diagnostiqueur n’ait pas respecté les termes de sa mission, et ce indépendamment de la réalisation ou non d’investigations destructrices.
La juridiction a ainsi pris le soin de relever que le second diagnostiqueur intervenu n’avait, lui-même, pas réalisé de sondage destructif et qu’il avait néanmoins abouti à une estimation de calcul des frais énergétiques radicalement différente et supérieure par rapport à celle mentionnée par la société assignée dans son DPE.
De même, l’examen des factures énergétiques des vendeurs démontrait l’évaluation dérisoire et en contradiction avec la réalité effectuée par le diagnostiqueur mis en cause.
Par ailleurs, il résultait du rapport d’expertise que la simple visite des combles par l’expert judiciaire avait suffi pour qu’il soit mis en exergue une absence totale d’isolation thermique de l’immeuble à usage d’habitation.
Ainsi, il ressort de ces éléments qu’un simple constat visuel ainsi qu’une demande de communication des informations nécessaires auprès des vendeurs auraient permis d’établir une estimation de la consommation énergétique plus réaliste.
De surcroît, les juges d’appel ajoutent que, quand bien même seules des investigations destructrices auraient permis de réaliser un diagnostic fiable, il appartenait alors au diagnostiqueur d’attirer l’attention, dans son rapport, sur les limites de sa mission et leur impact sur les conclusions présentées.
On trouve ici la fameuse référence à l’obligation de conseil du professionnel, qui permet d’étendre sa responsabilité, au-delà même des limites de sa mission.
Enfin, et s’agissant du préjudice et de son lien de causalité, la Cour d’appel d’Angers réforme la décision des juges de première instance et estime que l’obligation de réparation du diagnostiqueur à l’égard de l’acquéreur ne peut être limité à une simple perte de chance.
Il doit donc être tenu solidairement avec les vendeurs et le notaire de la réparation de l’entier préjudice, le partage de responsabilité devant par la suite s’effectuer entre ces derniers
Cette position, particulièrement sévère s’agissant du lien de causalité entre la faute reprochée et le préjudice subi, apparaît néanmoins conforme à la position de la Cour de cassation.
Le bilan du DPE et son actualité
Soulignons que depuis le 1er janvier 2011, les résultats du DPE doivent être indiqués sur toutes les annonces immobilières et ils conditionnent également le montant du nouveau prêt à taux zéro. C’est dire l’importance qu’il revêt.
Le contentieux en la matière est donc loin d’être terminé et risque même de prendre un nouvel essor.
Et ce d’autant plus que les études faites sur cette question (cf. notamment une étude de l’UFC-Que Choisir de début 2011 http://www.quechoisir.org/immobilier-logement/achat-vente-travaux/communique-dpe-des-diagnostics-toujours-aussi-peu-performants ) critiquent le peu de fiabilité des DPE.
Conscients de cette situation, le gouvernement a lancé l’année dernière une vaste concertation avec les acteurs concernés.
Deux arrêtés des 8 février 2012 viennent d’être publiés au JO le 15 mars 2012 qui modifient la méthodologie du DPE, notamment pour les immeubles à usage d’habitation, et visent à une plus grande fiabilité de celui-ci.
Affaire à suivre….
Marie LETOURMY