LE PRINCIPE DE NON REGRESSION N’EST PAS INVOCABLE CONTRE UNE DECISION INDIVIDUELLE

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Le tribunal administratif de La Réunion avait annulé en décembre 2016 le refus opposé par le maire de l’Etang‐Salé à l’aménagement d’un parc zoologique dans la forêt départementale sur le territoire de la commune de l’Etang‐Salé. Le refus de la commune était motivé par l’aggravation du risque incendie pour la forêt, surtout en période de sécheresse, par les difficultés de stationnement, particulièrement les week‐ends, et, enfin, par le risque d’évasion des oiseaux rapaces du parc. Le tribunal a toutefois considéré, en vertu du principe d’indépendance des législations, que ce dernier motif ne concernant que l’activité même du parc et non les aménagements soumis à l’autorisation d’urbanisme. Le même tribunal administratif vient de rejeter par deux jugements du 14 décembre 2017 (TA La Réunion, 14 décembre 2017, Association citoyenne de Saint-Pierre (ACSP) et autres, n°1401324 et n° 1500484) les recours de trois associations et d’une société contre un arrêté préfectoral en date du 8 avril 2014 autorisant l’exploitation d’un parc animalier dans la forêt de l’Etang-Salé. Ces trois associations locales de protection de la nature ou de l’environnement et une société concurrente avaient en effet contesté la légalité de l’autorisation d’exploitation accordée par le préfet de La Réunion sur la base d’un DDAE déposé au titre de  la  rubrique  n°  2140 de la nomenclature ICPE,  pour un nouveau parc animalier de 4,5 hectares permettant la présentation au public sur un parcours pédestre de deux kilomètres de 680 animaux sauvages, dont 350 oiseaux, 60 mammifères et 270 reptiles, et prévoyant notamment la présentation de rapaces en vols. Le Tribunal a tout d’abord écarté les contestations portées sur la composition du dossier de demande, et notamment de l’étude d’impact, estimant au contraire que celle-ci était suffisante, notamment pour apprécier les effets du projet en termes de trafic routier, analyser les impacts cumulés avec les projets connus, apprécier les risques de pollution des points d’eau situés à proximité et l’impact de la consommation d’eau quotidienne de l’installation sur les capacités des réseaux de distribution d’eau, analyser la richesse de la faune et de la flore du site, ou encore apprécier le risque d’évasion des animaux et notamment des rapaces prédateurs. Puis la juridiction a jugé au fond que les conditions d’exploitation du parc, compte des mesures prises, étaient suffisantes pour assurer la protection des intérêts auxquels elle était susceptible de porter atteinte, notamment la protection de la faune et de la flore locales, le risque d’évasion des animaux et en particulier des rapaces, ou encore la conservation des ressources hydrauliques, mais aussi le risque incendie et celui lié l’augmentation du trafic routier et en particulier le stationnement des véhicules. A cette occasion, le Tribunal administratif de La Réunion a jugé que le principe de non-régression de la protection de l’environnement n’était pas directement invocable contre  la décision d’autorisation d’exploitation d’une installation classée au titre de la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement afférente au parc. Au visa de l’article 110-1 du code de l’environnement dans sa rédaction issue de la loi du 8 août 2016, dans l’espèce n° n°1401324 on peut lire ce considérant : « que les dispositions précitées du 9° du II de l’article de l’article L. 110-1 du code de l’environnement énoncent un principe d’amélioration constante de la protection de l’environnement, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ; que si ce principe s’impose, dans le cadre des dispositions législatives propres à chaque matière, au pouvoir réglementaire, ces dispositions ne peuvent être utilement invoquées directement à l’encontre d’une décision non-réglementaire d’autorisation d’exploitation au titre de la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté comme inopérant ».     Ainsi la juridiction refuse une invocabilité directe du principe de non-régression. Cette solution trouve assurément un fondement solide tant dans le texte qui pose le principe que dans la lecture qu’en a fait le Conseil constitutionnel ou le Conseil d’Etat. En effet l’article L 110 l’article L. 110-1 du code de l’environnement, depuis l’intervention de la loi 2016-1087 du 8 août 2016 dite « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysage », s’adresse bien au législateurs et au pouvoir réglementaire : « la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ». Quant au Conseil constitutionnel il a, pour sa part, reconnu une portée normative en ce qu’il« s’impose, dans le cadre des dispositions législatives propres à chaque matière, au pouvoir réglementaire » (décision n°2016-737 DC du 4 août 2016). Enfin par un arrêt du 8 décembre 2017 (n°404391 : cf. son commentaire par Maître Bécue sur ce même blog) destiné à être mentionnée aux Tables, le Conseil d’Etat supprime, sur le fondement du principe de non-régression du droit de l’environnement et en ces termes, une partie du contenu de la rubrique n°44 « Equipements sportifs, culturels ou de loisirs et aménagements associés » de la nomenclature déterminant les projets soumis à étude d’impact figurant en annexe à l’article R. 122-2 du code de l’environnement : « Considérant qu’une réglementation soumettant certains types de projets à l’obligation de réaliser une évaluation environnementale après un examen au cas par cas effectué par l’autorité environnementale alors qu’ils étaient auparavant au nombre de ceux devant faire l’objet d’une évaluation environnementale de façon systématique ne méconnaît pas, par là-même, le principe de non-régression de la protection de l’environnement énoncé au II de l’article L. 110-1 du code de l’environnement dès lors que, dans les deux cas, les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement doivent faire l’objet, en application de l’article L. 122-1 du code de l’environnement, d’une évaluation environnementale ; qu’en revanche, une réglementation exemptant de toute évaluation environnementale un type de projets antérieurement soumis à l’obligation d’évaluation environnementale après un examen au cas par cas n’est conforme au principe de non-régression de la protection de l’environnement que si ce…

Brèves de contentieux administratif

Par Maître Thomas RICHET (Green Law Avocats) Il faut se méfier des certitudes en contentieux administratif, les choses bougent ! Les environnementalistes ne peuvent plus ignorer les évolutions les plus récentes du contentieux administratif. Trois exemples récents l’illustrent parfaitement. La mandat dans le contentieux administratif : nécessairement exprès mais potentiellement verbal Par un arrêt du 19 juillet 2017 (requête n°402185), le Conseil d’Etat précise les conditions dans lesquelles il doit être considéré qu’un mandat existe, permettant ainsi au mandataire, par le dépôt d’un recours administratif préalable déposé au nom du requérant, de proroger les délais de recours contentieux. Pour le juge administratif, le mandat existe si les conditions suivantes sont réunies : Le mandat doit être exprès(jurisprudence constante), c’est-à-dire manifestant la volonté délibérée de son auteur de donner mandat pour être représenté. Le mandat doit être écrit OU Le Conseil d’Etat valide ainsi la possibilité d’un mandat exprès et oral tout en précisant les modalités de preuve d’un tel mandat. A cette fin, le Conseil d’Etat distingue deux situations. Tout d’abord, l’hypothèse selon laquelle le mandat oral peut être présumé des termes mêmes du recours administratif préalable, le juge pourra alors présumer l’existence d’un mandat. Ensuite, et dans le cas où le mandat ne peut être présumé, le juge administratif devra apprécier, au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, si le recours administratif peut être regardé comme ayant été présenté par une personne qui avait qualité pour ce faire au nom du demandeur. L’hypothèse où le mandat est écrit ne pose aucune difficulté puisque que la preuve formelle du mandat existe. En l’espèce, le Conseil d’Etat censure l’arrêt de la Cour Administrative d’appel de Marseille (décision du 9 juin 2016, requête n°15MA04473) qui avait retenu que seule la production d’un mandat écrit pouvait être de nature à établir que le recours administratif préalable avait été formé. Bien évidemment le recours à l’avocat est un moyen de prévenir tout risque en la matière mais souvent les services juridiques des opérateurs engagent eux-mêmes les demandes préalables indemnitaires ; la précaution de prévoir un mandat écrit demeure d’autant plus recommandée, que le juge administratif est friand des fins de non-recevoir pour préserver des deniers de l’Etat. Application de la jurisprudence « CZABAJ » relative à la limitation dans le temps des délais de recours au nom de la sécurité juridique à une décision implicite de rejet Par un arrêt rendu en Assemblée du contentieux le 13 juillet 2016 (requête n°387763), le Conseil d’Etat a posé « la règle selon laquelle le destinataire d’une décision individuelle auquel les voies et délais de recours n’ont pas été notifiées ne peut exercer un recours juridictionnel contre cette décision au-delà d’un délai raisonnable à compter de la date où il a eu connaissance de la décision » (Cf. Analyse du Conseil d’Etat sur cet arrêt). Rappelons que ce délai raisonnable est apprécié par la même jurisprudence à un an. Le tribunal administratif de Melun juge que cette jurisprudence est applicable dans l’hypothèse d’une décision implicite de rejet (Tribunal administratif de Melun, 2 juin 2017, requête n°1408686). Ainsi, en l’espèce, le tribunal considère que la société requérante qui a saisi sept ans après la naissance de la décision implicite de rejet de sa demande initiale le juge administratif, et ce, alors même que qu’elle pouvait être regardée comme ayant eu connaissance de cette décision implicite de rejet le 1er avril 2010 au plus tard  n’a pas respecté ce délai raisonnable qui est expiré à la date de saisine du juge administratif. Notons que cette solution n’a pas été validée par le Conseil d’Etat mais qu’elle semble être partagée par d’autres tribunaux administratifs (Cf. TA de Lyon, 4 avril 2017, requête n° 1406859). Cette solution ainsi généralisée est bien évidemment une limite au recours contre des décisions de refus explicites ou implicites qui peuvent être opposées aux opérateurs : l’indication des voies et délais de recours n’est plus une garantie pour leur destinataire. La cristallisation des moyens au titre de l’article R. 600-4 du code de l’urbanisme perdure en appel: Pour rappel, l’article R. 600-4 du code de l’urbanisme dispose que : « Saisi d’une demande motivée en ce sens, le juge devant lequel a été formé un recours contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager peut fixer une date au-delà de laquelle des moyens nouveaux ne peuvent plus être invoqués. » Dans un arrêt du 30 novembre 2017 (requête n°15BX01869), la cour administrative d’appel de Bordeaux juge qu’il : « résulte de ces dispositions et de leur finalité que si en principe un requérant peut invoquer pour la première fois en appel un moyen se rattachant à une cause juridique déjà discutée en première instance avant l’expiration du délai de recours, il n’est en revanche pas recevable à invoquer en appel un moyen présenté tardivement en première instance pour avoir été soulevé postérieurement à la date indiquée dans l’ordonnance prise sur le fondement de l’article R. 600-4 du code de l’urbanisme ». Dès lors, la cristallisation des moyens contentieux résultant d’une ordonnance prise sur le fondement de l’article R. 600-4 du code de l’urbanisme en première instance perdure en appel. Quid des nouvelles ordonnances de cristallisation du décret JADE (décret n°2016-1480 du 2 novembre 2016) ? Ce dernier a en effet modifié l’article R. 611-7-1 du code de justice administrative pour étendre le mécanisme des ordonnances de cristallisation à l’ensemble du contentieux administratif. La récente jurisprudence de la cour administrative d’appel de Bordeaux leur est-elle applicable ? Les deux mécanismes sont pratiquement similaires, dès lors, rien ne s’y opposerait. Cependant, il convient d’être vigilant tant que le Conseil d’Etat n’a pas validé cette solution jurisprudentielle. La prudence, dans l’immédiat, commande sans doute aux opérateurs de faire deux demandes de cristallisation, d’abord devant le premier juge, puis devant la juridiction d’appel …

ICPE : les porteurs de projets devraient enfin être fixés sur la question des capacités financières… ! (TA Lille, 14 déc.2017)

Par Sébastien BECUE- GREEN LAW AVOCATS Dans le cadre d’un recours intenté à l’encontre d’une autorisation unique expérimentale d’un parc éolien (défendue par le Cabinet); le Tribunal administratif de Lille a décidé d’interroger le Conseil d’Etat sur la possible application rétroactive des dispositions procédurales du nouveau régime de l’autorisation unique environnementale (cf. Ordonnance entrée en vigueur au 1er mars 2017) aux contentieux en cours contre les autorisations uniques expérimentales et les autorisations d’exploiter ICPE. Cela concernera en particulier l’épineuse question de l’appréciation des capacités techniques et financières. En particulier, deux questions cruciales devraient être tranchées en principe sous trois mois. La première concerne tous les projets industriels : il s’agit de savoir si le juge de plein contentieux des installations classées peut se fonder sur la nouvelle définition des capacités techniques et financières lorsqu’il réalise son contrôle de la suffisance du dossier de demande d’autorisation. La seconde concerne seulement la filière éolienne : la dispense de permis de construire prévue par le nouveau régime rend-elle inopérants les moyens soulevés à l’encontre des autorisations uniques expérimentales en tant qu’elles valent également permis de construire ; et, par voie de conséquence, rend-elle sans objet les recours à l’encontre des permis de construire un parc éolien lorsque le projet bénéficie également d’une autorisation d’exploiter ICPE ? Le Tribunal semble lier la réponse à ces questions à la valeur juridique du texte fondant le régime, à savoir une ordonnance qui n’est pour l’heure pas encore ratifiée. A suivre. …

Chantiers de la simplification du droit de l’environnement : régresser ou ne pas régresser, telle est la question… ! (CE, 8 déc.2017- annulation partielle rubrique nomenclature étude d’impact)

Par Me Sébastien BECUE (GREEN LAW AVOCATS) Aux termes d’une décision du 8 décembre 2017 (n°404391) destinée à être mentionnée aux Tables, le Conseil d’Etat supprime, sur le fondement du principe de non-régression du droit de l’environnement, une partie du contenu de la rubrique n°44 « Equipements sportifs, culturels ou de loisirs et aménagements associés » de la nomenclature déterminant les projets soumis à étude d’impact figurant en annexe à l’article R. 122-2 du code de l’environnement. Analyse. Une apparente double régression Une association de protection de l’environnement introduit un recours en annulation à l’encontre des paragraphes (a) et (d) de cette rubrique, dans leur rédaction issue de la dernière révision d’ampleur du régime de l’évaluation environnementale par le décret n°2016-1110 du 11 août 2016.Ces dispositions prévoient la soumission à étude d’impact au cas par cas, c’est-à-dire après avis de l’autorité environnementale statuant sur l’opportunité de la réalisation d’une étude d’impact au regard des caractéristiques d’un projet donné : pour l’aménagement de pistes permanentes de courses et d’essais pour véhicules motorisés d’une emprise supérieure ou égale à 4 hectares (a), et  la construction d’équipements sportifs et de loisirs, ne figurant dans aucune autre rubrique du tableau, susceptibles d’accueillir plus de 5 000 personnes (d). Auparavant : l’ancienne rubrique n°44 disposait qu’étaient soumis à évaluation environnementale systématique les aménagement de terrains pour la pratique de sports ou loisirs motorisés d’une emprise totale supérieure à 4 hectares ; et au cas par cas les aménagement de moins de 4 hectares, et l’ancienne rubrique n°38 prévoyait qu’étaient soumis au régime systématique les équipements culturels, sportifs ou de loisirs susceptibles d’accueillir plus de 5 000 personnes ; et au cas par cas ceux susceptibles d’accueillir plus de 1 000 personnes et moins de 5 000 personnes.  A première vue, et c’était là l’argumentation de l’association, il semble bien que ces « déclassements » puissent être qualifiés de « régression » de la protection de l’environnement, à tout le moins dans le sens courant du terme, à savoir une évolution en sens inverse d’un phénomène qui cesse de progresser. En effet, d’une part, certains projets soumis systématiquement à évaluation environnementale bénéficient désormais du régime plus favorable de l’examen au cas par cas, ce qui peut permettre à certains d’entre eux de ne pas faire l’objet d’une évaluation, en considération de leurs caractéristiques et de leurs impacts supposés sur l’environnement et la santé humaine. D’autre part, certains projets qui faisaient l’objet d’un examen au cas par cas ne sont plus, en aucun cas, soumis à évaluation, sans même d’examen au cas par cas.    L’invocation d’un principe aux contours et à la portée normative encore flous L’association requérante fonde son argumentation sur le principe législatif de non-régression, qui figure à l’article L. 110-1 du code de l’environnement depuis l’intervention de la loi 2016-1087 du 8 août 2016 dite « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysage ». Ce nouveau principe directeur du droit de l’environnement, « selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ». Lors de son contrôle de la conformité du principe à la Constitution, le Conseil constitutionnel lui a reconnu une portée normative en ce qu’il« s’impose, dans le cadre des dispositions législatives propres à chaque matière, au pouvoir réglementaire » (décision n°2016-737 DC du 4 août 2016). Restait donc à savoir comment le Conseil d’Etat allait contrôler concrètement le respect de cette injonction faite à l’exécutif, légitimement saluée par les associations de protection de l’environnement mais également source de crainte pour les porteurs de projets qui réclament de longue date une véritable simplification du droit de l’environnement. Une application pragmatique du principe de non-régression La décision du Conseil d’Etat ne propose pas directement de guide général de mise en œuvre du principe. Saisi d’une question relative à son application au régime juridique de l’évaluation environnementale, l’appréciation du Conseil d’Etat est bornée à ce domaine du droit de l’environnement. Confronté à deux types possibles de régression, le Conseil d’Etat différencie. Il n’y pas régression quand une règlementation « déclasse » un type de projet de la soumission systématique vers la soumission au cas par cas. En effet, les projets compris dans la catégorie déclassée resteront soumis à évaluation environnementale si l’autorité environnementale estime, après une analyse concrète des caractéristiques de l’espèce, que les risques pour l’environnement méritent d’être étudiés. C’est un témoignage important de confiance dans la capacité des administrations assurant le rôle d’autorité environnementale à déterminer quels sont les projets. Il est clair que cette confiance s’explique notamment par l’exigence dont a récemment fait preuve le Conseil d’Etat vis-à-vis de cette institution, dont il a été confirmé dans la douleur qu’elle doit être fonctionnellement indépendante de l’autorité qui délivre l’autorisation (voir notre article L’autorité environnementale est morte, vive l’autorité environnementale !). Il y a présomption de régression lorsqu’une catégorie de projets ne peut plus faire l’objet d’une évaluation environnementale alors que les projets y étaient soumis auparavant. La forme négative choisie pour la rédaction de la phrase est révélatrice : dans ce cas, il y a bien, dans ce cas, régression « en principe ». Cette présomption est néanmoins réfragable : il est possible de démontrer la légitimité d’une telle soustraction. Pour cela, le type de projet devenu insusceptible d’être évalué doit également être insusceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine. Le Conseil d’Etat liste les indices permettant de justifier ce choix : la nature, les dimensions, la localisation, du type de projet, et rappelle que cette appréciation se fait au regard des connaissances scientifiques, comme le prévoit l’article L. 110-1 précité. En l’espèce, il estime que le bilan est négatif : l’association requérante a démontré, sans être efficacement contredite par l’exécutif, que ces types de projets peuvent avoir des incidences notable sur l’environnement « lorsqu’ils sont localisés dans ou à proximité de lieux où les sols, la faune ou la flore sont particulièrement vulnérables ». Le Conseil d’Etat tranche ainsi in concreto, au regard du dossier qui lui est soumis, constitué en toute logique des argumentations respectives…

L’autorité environnementale est morte, vive l’autorité environnementale !

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) Par un arrêt France Nature Environnement en date du 6 décembre 2017 qui sera mentionné aux tables du recueil Lebon (CE 6 déc. 2017, n° n° 400559, FNE), le Conseil d’Etat a annulé une disposition du décret n° 2016-519 du 28 avril 2016 portant réforme de l’autorité environnementale. Cette disposition avait désigné le préfet de région en qualité « d’autorité environnementale » pour tout projet situé dans la région concernée et pour lequel l’article R 122-6 du code de l’environnement n’avait désigné, en cette qualité, ni le ministre de l’environnement, ni la formation d’autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable (C.G.E.D.D), ni la mission régionale d’autorité environnementale (MRAe) du C.G.E.D.D. La Haute Juridiction a jugé, en application de la théorie de l’acte clair, que cette disposition méconnaît les exigences découlant de l’article 6, paragraphe 1 de la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement. Selon le Conseil d’Etat, il résulte clairement de ces dispositions que « si elles ne font pas obstacle à ce que l’autorité publique compétente pour autoriser un projet ou en assurer la maîtrise d’ouvrage soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale, elles imposent cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce qu’une entité administrative, interne à celle-ci, dispose d’une autonomie réelle, impliquant notamment qu’elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée et de donner un avis objectif sur le projet concerné » (cf. considérant n° 5). Or selon le Conseil d’Etat, ni le décret n° 2016-519 du 28 avril 2016, ni aucune autre disposition législative ou réglementaire n’avait prévu de dispositif propre à garantir que, dans les cas où le préfet de région est en charge de l’élaboration ou de la conduite d’un projet au niveau local ou encore, dans les cas où l’autorité préfectorale est compétente pour autoriser un projet, la compétence consultative en matière environnementale soit exercée par une entité interne disposant d’une autonomie réelle à son égard (cf. considérant n° 7). En d’autres termes, dans les cas où le préfet de région assure la maîtrise d’ouvrage d’un projet et dans les cas où il est compétent pour autoriser un projet, « notamment lorsqu’il agit en sa qualité de préfet du département où se trouve le chef-lieu de la région », les textes ne garantissent pas que la compétence d’autorité environnementale soit exercée par une entité interne disposant d’une autonomie réelle à son égard. Cette solution découle de l’application par le Conseil d’Etat de l’arrêt que la Cour de justice de l’Union européenne a rendu le 20 octobre 2011 (cf. C-474/10) à propos des garanties d’indépendance des autorités qu’il faut consulter dans le cadre de l’adoption d’un plan ou d’un programme susceptible d’avoir des incidences environnementales, en application de la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001. A cet égard, le Conseil d’Etat a jugé qu’il pouvait statuer sans qu’il soit tenu de saisir préalablement la Cour d’une demande de décision préjudicielle aux fins d’interprétation de la directive du 13 décembre 2011. Il a raisonné en considérant que l’application de l’arrêt de la Cour à la disposition en cause s’imposait avec une telle évidence qu’elle ne laissait place à aucun doute raisonnable et ce, alors même que cette disposition concerne la désignation de l’autorité environnementale d’un « projet » et non, d’un « plan ou programme ». Le Conseil d’Etat a ainsi considéré que « la directive du 27 juin 2001 comme celle du 13 décembre 2011 ont pour finalité commune de garantir qu’une autorité compétente et objective en matière d’environnement soit en mesure de rendre un avis sur l’évaluation environnementale des plans et programmes ou sur l’étude d’impact des projets, publics ou privés, susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, avant leur approbation ou leur autorisation, afin de permettre la prise en compte de ces incidences ». Il également insisté sur la « finalité identique des dispositions des deux directives relatives au rôle des autorités susceptibles d’être concernées par le projet, en raisons de leurs responsabilités spécifiques en matière d’environnement » (cf. considérant n° 5). Suivant ce raisonnement, il n’était pas tenu de déférer à son obligation de saisine de la Cour (cf. CJCE 6 octobre 1982, aff. 283/81, Srl CILFIT et a. : Rec. CJCE, p.  3415). Reste que cette solution ne va pas de soi, tout particulièrement en ce qu’elle vise les cas dans lesquels le préfet de région est compétent pour autoriser un projet. En effet, plusieurs juridictions de première instance comme d’appel ont considéré que lorsqu’un projet est porté par une personne privée, rien ne s’oppose à ce qu’une administration d’Etat soit chargée d’évaluer l’impact du projet en cause sur l’environnement (cf. notamment : CAA Nantes,  20 mars 2017, n°16NT03962 ; CAA Nantes 14 novembre 2016, req. n° 17NT02860, 15NT02487 et 15NT02851 ; TA Limoges, 11 avril 2017, n°1401846 et 1401848 ; TA Paris 2 février 2017, req. n° 1518822 ; TA Dijon 1er juillet 2016, req. n° 1403275). Surtout il convient désormais à apprécier la portée du motif de l’annulation prononcée par l’arrêt. Les requérants frappés du syndrome NIMBY seront évidemment tentés de soutenir que la jurisprudence FNE emporte automatiquement annulation des procédures d’autorisation délivrées sur la base d’un avis de l’autorité environnementale signé par le préfet de région qui serait encore signataire de l’arrêté ICPE, d’une autorisation ou d’une autorisation environnementale. Mais se serait se méprendre sur la portée de l’arrêt du Conseil d’Etat : les magistrats du Palais Royal se sont bornés à juger que le préfet de région ne peut être tout à la fois l’autorité décisionnaire d’un projet et l’autorité compétente pour procéder à l’évaluation environnementale de ce projet. En revanche, il serait erroné de déduire de cet arrêt qu’un service du préfet de région ne pourrait pas exercer la mission de consultation environnementale, dès lors que ce service dispose de moyens administratifs et humains qui lui soient propres pour exercer cette mission et qu’il soit ainsi en mesure de remplir la mission et de donner un avis objectif…