Action en préjudice écologique contre le plan de vigilance : quel juge ?

Par Maître Anaïs BIEHLER (Green Law Avocat) Par une décision (signalée par Actu environnement, 19 nov. 2021) en date du 18 novembre 2021 [Cour d’Appel de Versailles, 18 novembre 2021, n°21/01661], la Cour d’Appel de Versailles a confirmé la décision du Tribunal Judiciaire de Nanterre rendue le 11 février 2021, laquelle a affirmé la compétence du Tribunal Judiciaire pour juger le groupe Total dans le litige l’opposant à cinq associations et quatorze collectivités locales pour inaction climatique. La société TOTAL estimait relever du Tribunal de Commerce dans la mesure où le litige concernait également la conformité de son plan de vigilance aux dispositions de l’article L.225-102-4 du code de commerce. Pour rappel, ce dernier instaure le devoir de vigilance, obligation faite aux entreprises multinationales d’être vigilants dans toutes leurs activités et de respecter une norme dite de « diligence raisonnable ». D’emblée remarquons que la question de fond n’est pas traitée par l’arrêt rapporté. L’on sait en effet que la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (JORF n°0074 du 28 mars 2017, Texte n° 1) oblige les grandes entreprises françaises à élaborer, publier et mettre en œuvre des mesures adaptées d’identification des risques et de prévention des atteintes aux droits humains et aux libertés fondamentales, à la santé et à la sécurité de personnes, et à l’environnement. Ainsi un « plan de vigilance » élaboré, mis en œuvre et publié par l’entreprise contient les mesures propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, résultant des activités de la société, de ses filiales, ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie. C’est la sincérité et le sérieux de ce plan qu’il incombe à la société TOTAL d’élaborer qui a été contestée devant le juge judiciaire sous l’angle singulier d’une action en préjudice écologique. Or s’est posée une question préalable de compétence pour connaître de cette action. Le Code de l’organisation judiciaire semble clair en la matière : l’article L.211-20 dispose que les actions relatives au préjudice écologique relèvent du Tribunal Judiciaire spécialement désigné. Semblablement, la Commission mixte paritaire (CMP) avait tranché en ce sens le 21 octobre 2021, à l’occasion des discussions sur le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. Cette question n’était toutefois pas encore tranchée judiciairement, et dans une autre affaire intéressant également la Société TOTAL (la filiale TOTAL en Ouganda dans le cadre de la conduite de projet en Ouganda et de la mise en place d’un plan de vigilance à cet escient), le Tribunal Judiciaire de Nanterre s’était déclaré en janvier 2020, au contraire, incompétent au profit du tribunal de commerce. Par la suite, la Cour d’Appel de Versailles avait confirmé ce jugement en décembre 2020 [Cour d’Appel de Versailles, 10 décembre 2020, n° 20/01692, téléchargeable sur doctrine]. Si ces décisions semblaient de prime abord souffrir d’une instabilité jurisprudentielle, la Haute Juridiction a fini de clore le débat par un Arrêt rendu le 15 décembre 2021 [Cour de Cassation, 15 décembre 2021, n°893 FS-B, téléchargeable ci-dessous] rappelant ainsi l’option offerte au demandeur non-commerçant dans le cadre d’un litige l’opposant à une partie commerçante : celle d’agir à son choix devant les tribunaux judiciaires ou de commerce. Plus encore, il semble désormais sans équivoque que le plan de vigilance, mesure phare de la loi n°2017-399 du 27 mars 2017, ne se rattache pas seulement à un acte de gestion de nature purement commerciale, mais s’analyse en réalité comme un acte mixte. Selon la Cour de cassation, « Il résulte de ces textes que le plan de vigilance, incombant à une société anonyme en application du troisième texte, ne constitue pas un acte de commerce au sens du 3° du deuxième texte et que, si l’établissement et la mise en œuvre  d’un tel plan présentent un lien direct avec la gestion de cette société, justifiant la compétence des juridictions consulaires par application du 2° du deuxième texte, le demandeur non commerçant qui entend agir à cette fin dispose toutefois, en ce cas, du choix de saisir le tribunal civil ou le tribunal de commerce.» Finalement, ces récentes décisions s’inscrivent en conformité avec la loi du 27 mars 2017 et en consolident l’assise. En effet, le débat sur la compétence étant clos, les magistrats pourront s’adonner à une analyse sur le fond du respect du devoir de vigilance. Reste à espérer que les décisions qui suivront donneront des clés de lecture, à notre sens essentielles, sur la mise en œuvre de cette obligation.

Amende administrative en cas d’inobservation du protocole sanitaire imposé aux entreprises

Amende administrative en cas d’inobservation du protocole sanitaire imposé aux entreprises

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) En raison de l’aggravation de la crise sanitaire actuelle en cours depuis presque deux ans maintenant, émanant notamment de la circulation du variant Omicron, les entreprises sont depuis le 3 janvier 2022 tenues de renforcer les mesures sanitaires imposées sur le lieu de travail. Cela passe par l’obligation de télé-travail au moins trois jours par semaine, et la mise en place de mesures d’hygiène et de distanciation sociale sur le lieu de travail. L’employeur, sur le fondement des articles L.4121-1 et suivants du Code du travail, a une obligation de sécurité des salariés, qui vise également la protection de leur santé physique (et mentale). C’est donc sur ce fondement que s’appuient les mesures imposées aux entreprises destinées à limiter la circulation et la transmission de l’épidémie de Covid-19. Dans ce cadre, il est déjà admis un contrôle du respect des conditions d’hygiène et de sécurité par l’inspection du travail, qui en cas de manquement de la part de l’employeur, peut prendre à son encontre des sanctions pénales. En effet, les articles L.4741-1 et suivants du Code du travail posent un régime d’amende pénale suite à tout manquement de l’obligation de sécurité par l’employeur. Il faut d’abord préciser que l’inspecteur du travail doit procéder à un contrôle préalable, et adresser une mise en demeure à l’employeur de corriger les défaillances ainsi constatées. Ce n’est qu’en l’absence ou refus de l’employeur de procéder aux adaptions imposées que l’inspecteur du travail pourra lui adresser l’amende prévue. Cette amende, de 3750 euros, vaut individuellement pour chaque salarié de l’entreprise s’étant retrouvé, en raison du manquement de l’employeur au protocole sanitaire, compromis ou contaminé par le virus. Actuellement, il est discuté devant le Parlement le projet de loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique, qui comprend des amendements relatifs justement aux obligations des entreprises envers leurs salariés face à l’épidémie de Covid 19. Plus précisément, un amendement du gouvernement, ajouté le 31 décembre 2021, propose une alternative à la sanction pénale ainsi évoquée. L’objectif serait de créer une sanction administrative aux manquements éventuels constatés par l’inspecteur du travail. En elles-mêmes, les étapes ressemblent à celles de la sanction pénale : l’inspecteur du travail doit constater un ou plusieurs manquements aux protocoles sanitaires imposés, et il faut par la suite que l’employeur ait été mis en demeure par le directeur régional de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités l’employeur de s’y conformer. Ce n’est que si la mise en demeure est restée sans effet et surtout en l’absence de poursuites pénales que l’inspecteur du travail pourra prononcer l’amende administrative. Il s’agit-là d’une première différence. Le projet de loi cherche à introduire une alternative : soit on poursuit pénalement, soit on sanctionne administrativement. Autre différence : le montant. La où le Code du travail prévoit 3 750 € par salarié exposé au Covid-19, l’amende administrative s’élèverait à 1000 € maximum, mais le principe selon lequel l’employeur paie une amende par salarié exposé à une « situation dangereuse résultant d’un risque d’exposition à la Covid 19 » (selon les termes de l’amendement n°680) demeure. Le montant est par conséquent moins élevé, d’autant plus qu’il est naturellement prévu la possibilité de moduler l’amende selon les circonstances et la gravité du manquement, ainsi que les ressources, charges et comportement de l’employeur. De plus, il est également prévu une possibilité pour l’employeur d’exercer contre cette amende un recours suspensif auprès du ministre chargé du travail, dans un délai de 15 jours à compter de sa notification. Ainsi l’amendement permettrait-il une alternative à une sanction pénale lourde, s’il devait être adopté. Si l’Assemblée nationale avait donné son feu vert, l’amendement a été supprimé par le Sénat, qui s’est réuni et a débattu les 11 et 12 janvier. A voir maintenant la décision retenue après les secondes lectures de l’Assemblée nationale et du Sénat, réunis les 14 et 15 janvier, après un échec de la Commission mixte paritaire.

Priorités de l’inspection des ICPE pour 2022 : un programme chargé mais rien de très nouveau

Par Maître Marie-Coline, avocate collaboratrice (Green Law Avocats)

Par une instruction du 22 décembre 2021, mise en ligne le 4 janvier 2022, le ministre de la transition écologique a défini les actions prioritaires de l’inspection des installations classées pour l’année 2022.

La pédagogie et l’efficacité de la mesure de police justifient encore juridiquement ses excès…

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) Par deux ordonnances du 6 septembre 2020 (n° 443750 et 443751), le juge des référés du Conseil d’Etat s’était prononcé sur la possibilité d’imposer le port du masque sur le territoire de communes où le virus du covid-19 circule activement. Or il avait jugé que si cette obligation doit être proportionnée au risque réel, elle doit aussi être facilement compréhensible et applicable par tous ce qui permet son extension générale à toute une commune densément peuplée, à l’exclusion des activités sportives. Cette position semblait faire une entorse à l’exigence de proportionnalité des mesures de police, acquise de longue date en jurisprudence (CE, 19 mai 1933, Benjamin) et a été abondement commentée et critiquée (cf. Commentaires sur ces affaires recensés sur doctrine). Saisi de la décision du Premier ministre donnant instruction aux préfets de mettre en œuvre l’obligation de port du masque en extérieur, le Conseil se fait encore l’écho dans une ordonnance du 11 janvier 2022 (n°46002) de la pédagogie de la mesure de police pour justifier ce que certains peuvent tenir pour des restrictions excessives à la liberté individuelle. La haute juridiction assez classiquement que la contamination en extérieur est moins probable mais possible et que, « dans ce contexte, une obligation de porter le masque à l’extérieur, lorsque la situation épidémiologique localement constatée le justifie, en cas de regroupement ou dans les lieux et aux heures de forte circulation de population ne permettant pas le respect de la distanciation physique, n’apparaît pas, à la date de la présente ordonnance, manifestement dénuée de nécessité ». Mais surtout, au visa du IV de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021, le juge des référés du Conseil d’Etat fait valoir que « des dispositions rendant obligatoire le port du masque en extérieur doivent être justifiées par la situation épidémiologique constatée sur le territoire concerné. Elles ne peuvent être proportionnées que si elles sont limitées aux lieux et aux heures de forte circulation de population ne permettant pas d’assurer la distanciation physique et aux lieux où les personnes peuvent se regrouper, tels que les marchés, les rassemblements sur la voie publique ou les centres-villes commerçants, les périodes horaires devant être appropriées aux risques identifiés. Le préfet, lorsqu’il détermine, pour ces motifs, les lieux et les horaires de port obligatoire du masque en plein air, est en droit de délimiter des zones suffisamment larges pour que la règle soit compréhensible et son application cohérente ».

La promotion de la bagnole juridiquement révolue

Par Maître Vanessa SICOLI (Green Law Avocats) Si le slogan « Pour votre santé, évitez de manger trop gars, trop sucré, trop salé » est bien connu du grand public dès lors qu’il fut imposé depuis 2007 dans les publicités relatives à l’alimentation, celles relatives aux véhicules terrestres à moteur vont bientôt subir le même sort. En application de la loi Climat et Résilience promulguée et publiée au Journal officiel le 24 août 2021 et de la loi d’orientation des mobilités (LOM) publiée au Journal officiel le 26 décembre 2019, quatre nouveaux textes (deux décrets et deux arrêtés) venant réglementer les publicités en faveur des véhicules terrestres à moteur ont été publiés au Journal officiel du 29 décembre 2021. Ces nouvelles obligations entreront en vigueur le 1er mars 2022. Tout d’abord, le décret n° 2021-1840 du 28 décembre 2021 relatif aux publicités en faveur des véhicules à moteur modifie aussi bien le Code de l’environnement que le Code de la route. Il est accompagné d’un arrêté du 28 décembre 2021 pris pour l’application de l’article R. 229-105 du code de l’environnement fixant les modalités exactes de cette obligation. Ce décret apporte comme modification l’obligation d’afficher la classe d’émissions de dioxyde de carbone (CO2) pour « toute publicité en faveur d’une voiture particulière, au sens du 1.4. de l’article R. 311-1 du code de la route, soumise à l’obligation de mesure de la consommation de carburant et des émissions de dioxyde de carbone ». Par voiture particulière il faut comprendre, selon les indications du Code de la route, un véhicule de catégorie M1 (jusqu’à huit places assises), entre 600 kilogrammes et 3,5 tonnes. Le terme « publicité » doit être entendu de manière large dès lors que ce décret prévoit que cette obligation « est applicable aux publicités diffusées au cinéma, aux publicités émises par les services de télévision, par voie de services de communication au public en ligne, et tout imprimé mentionné à l’article 5 du décret n° 2002-1508 du 23 décembre 2002 relatif à l’information sur la consommation de carburant et les émissions de dioxyde de carbone des voitures particulières neuves. ». Cette information sera effectuée par la biais d’un visuel reprenant un gradient de sept classes d’émissions de dioxyde de carbone (de A à G) : Pour conclure, tout véhicule de catégorie M1 (jusqu’à huit places assises), entre 600 kilogrammes et 3,5 tonnes, soumis à l’obligation de mesure de la consommation de carburant et des émissions de dioxyde de carbone, devra, sous la forme du visuel présenté ci-dessus, mentionner son taux d’émission CO2 (en grammes par kilomètre) sur un gradient de sept « classes » (de A à G). Ensuite, le second décret n° 2021-1841 du 28 décembre 2021 est relatif à la promotion des mobilités actives, ou partagées, ou des transports en commun dans les messages publicitaires en faveur de véhicules terrestres à moteur. Il est accompagné d’un arrêté du 28 décembre 2021 pris pour l’application de l’article D. 328-3 du code de la route venant préciser cette obligation. Concernant toutes publicités « dans et hors les lieux de vente » en faveur de la vente ou de la location de longue durée de véhicules de tourisme (à l’exception des véhicules à usage spécial accessibles en fauteuil roulant) et de véhicules à moteur à deux ou trois roues et quadricycles à moteur appartenant à la catégorie L, elles devront être accompagnées d’un message promotionnel encourageant l’usage des mobilités actives, partagées ou des transports en commun. Ce décret définit qu’elles sont les mobilités promues : la location ou l’usage en libre-service de cycles, cycles à pédalage assisté et engins de déplacement personnels ; l’activité d’auto-partage au sens de l’article L. 1231-14 du code des transports ; l’activité de covoiturage au sens de l’article L. 3132-1 du code des transports ; le transport public collectif ainsi que le transport ferroviaire ou guidé. Ces publicités devront être accompagnées d’un des messages suivants : « Pour les trajets courts, privilégiez la marche ou le vélo » ; « Pensez à covoiturer », et « Au quotidien, prenez les transports en commun ». Aussi, les publicités relatives aux véhicules terrestres à moteur se dotent d’un nouveau hashtag : « #SeDéplacerMoinsPolluer » qui accompagnera chacun des messages susmentionnés. Enfin, des sanctions sont prévues par le décret n° 2021-1840 du 28 décembre 2021 en cas de non-respect de ces nouvelles obligations, applicables à partir du 1er juin 2022. La personne habilitée à sanctionner le cas échéant est le Ministre chargé des transports. Il pourra dans un premier temps mettre en demeure l’annonceur dans un délai qu’il détermine. En cas de non-respect de cette mise en demeure, une sanction pécuniaire pourra être prononcée de manière proportionnée à l’importance, la fréquence et la durée du manquement, au type de support publicitaire et à la situation de l’annonceur, sans pouvoir excéder 50 000 euros par diffusion. En cas de récidive, le montant de l’amende peut être porté à 100 000€. Reste à voir quel sera le véritable impact de ces nouvelles dispositions sur les émissions de CO2.