Un propriétaire foncier français qui n’est pas un opposant éthique à la chasse peut se voir contraint d’inclure son fonds au périmètre d’une association communale de chasse agréée sans que cela puisse être considéré comme discriminatoire et portant atteinte au droit de la propriété privée au sens de l’article 14 la Convention Européenne des Droits de l’Homme (combiné avec l’article 1 du Protocole n°1 combiné de la même convention).
Ainsi en a jugé la Grande chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) par un arrêt du 4 octobre 2012, Chabauty c. France, n°57412/08.
En France, depuis l’abolition des privilèges le 4 août 1789, un propriétaire foncier est par principe le titulaire du droit de chasse sur ses terres. Cependant, dans le but d’assurer une meilleur gestion du capital cynégétique, le législateur a décidé par la loi n°64-696 du 10 juillet 1964, dite loi Verdeille, d’introduire un tempérament à ce principe. Ainsi, elle rend obligatoire la création d’Associations Communales de Chasses Agréées (ACCA) dans certains départements. La création d’une ACCA a pour effet le regroupement de plusieurs territoires de chasse en un seul territoire sur lequel les membres de l’association vont pouvoir chasser. Les dispositions relatives aux territoires de chasse sont alors codifiées dans le Code rural aux articles L.222-1 et suivants.
Jusqu’à la loi n°2000-698 du 26 juillet 2000, seuls les propriétaires d’un fonds d’une superficie importante – c’est-à-dire supérieure à un certain seuil fixé par la loi de 1964 en fonction des départements – pouvaient s’opposer à l’inclusion de leur fond dans le territoire de chasse de l’ACCA ou en demander le retrait. Cela revient dans certains cas, à obliger les propriétaires de fonds de petite superficie à apporter leur terrain à une ACCA, alors qu’ils sont opposés pour des raisons éthiques à la pratique de la chasse ou qu’ils souhaitent affecter leur terrain à la création de réserves naturelles où la chasse est prohibée.
La Cour Européenne des Droits de l’Homme, saisi d’un contentieux relatif à cette situation condamne la France le 29 avril 1999 (CEDH, 29/04/09, Chassagnou et autres c. France) pour violation, au travers de la loi Verdeille, de l’article 1 du Protocole n°1 et de l’article 14 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
Réagissant à cette condamnation, le législateur français ajoute, par la loi n°2000-698, la possibilité pour tout propriétaire de s’opposer à ce que ses terrains soient inclus dans le périmètre d’une ACCA au nom de ses convictions personnelles opposées à la pratique de la chasse. Cette opposition a obligatoirement pour effet l’interdiction de l’exercice de la chasse sur ses biens, y compris pour lui-même. On retrouve cette nouvelle possibilité à l’article L.222-10, 5° du Code rural jusqu’au 21 septembre 2000, date à laquelle cet article, tout comme les autres dispositions relatives à la chasse, sont transférés au Code de l’environnement aux articles L.420-1 et suivants. Ainsi, les règles relatives aux territoires ne pouvant être soumis à l’action de l’ACCA sont désormais codifiées à l’article L.422-10 du Code de l’environnement.
Dans l’affaire Chabauty contre France dont la CEDH a été saisie, il s’agit d’un propriétaire de terrains de petite superficie inclus dans le périmètre d’une ACCA mécontent de ne pas être le seul à détenir un droit de chasse sur ses propriétés. C’est tout d’abord en faisant état de ses convictions personnelles opposées à la pratique de la chasse qu’il demande au préfet des Deux-Sèvres en septembre 2002 le retrait de ses terres du périmètre de l’ACCA. Cependant, en décembre 2003, il revient sur la motivation initiale de sa demande, pour la refonder sur l’article 1 du Protocole n°1 combiné à l’article 14 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Le préfet ne fait pas droit à sa demande en février 2004, celle-ci n’étant pas fondée sur un des points de l’article L.442-10 du Code de l’environnement. S’en suit alors un long contentieux entre le propriétaire des terrains et l’ACCA dans le périmètre de laquelle les terrains sont inclus.
La décision du 16 juin 2008 rendue par le Conseil d’Etat en faveur de l’ACCA ne satisfait pas le propriétaire et ce dernier forme alors une requête devant la CEDH contre la République Française.
Il dénonce la discrimination opérée par la France entre les grands propriétaires et les petits propriétaires par le biais de l’article L.422-10 du Code de l’environnement comme violant l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du protocole de la Convention précitée.
En effet, il soutient que par l’arrêt Chassagnou et autres, (CEDH, 29/04/1999, Chassagnou et autres c. France, n° 250894, 28331/95 et 28443/95) la CEDH a « condamné le principe même de l’apport forcé de terrains aux ACCA, que les propriétaires concernés soient ou non opposés à la chasse, au motif qu’aucune raison objective et raisonnable ne justifiait que seuls les petits propriétaires y soient astreints, d’autant moins que le système institué par cette loi n’est applicable que sur une partie du territoire national ».
Cependant, la Cour va tout d’abord s’opposer à l’interprétation du requérant de l’arrêt Chassagnou et autres en retenant que les constats de violation auxquels est parvenue la Cour dans cet arrêt « reposent de manière déterminante sur le fait que les requérants étaient des opposants éthiques à la chasse dont les choix de conscience étaient en cause » (§41). Elle poursuit en décidant que « le requérant n’étant pas un opposant éthique à la chasse, on ne peut en l’espèce déduire de l’arrêt Chassagnou et autres une violation de l’article 14 combiné avec l’article 1 du Protocole n° 1 » (§47).
Ensuite, la Cour va relever que « les propriétaires fonciers dont les terrains sont inclus dans le périmètre d’une ACCA perdent uniquement l’exclusivité de la chasse sur leurs terres : leur droit de propriété n’est pas autrement altéré. En outre, en contrepartie, ils sont de droit membres de l’ACCA, ce qui leur donne la possibilité non seulement de chasser sur l’espace constitué par l’ensemble des terrains réunis dans ce périmètre mais aussi de participer à la gestion collective de la chasse sur cet espace. Au surplus, les propriétaires qui tiraient des revenus de la chasse ou qui ont procédé à des aménagements cynégétiques avant leur affiliation à une ACCA peuvent obtenir une indemnisation à ce titre » (§55).
Elle décide alors que « dans ces conditions et eu égard à la marge d’appréciation qu’il convient de reconnaître aux Etats contractants, obliger les seuls petits propriétaires à mettre en commun leurs territoires de chasse dans le but – légitime et d’intérêt général – de favoriser une meilleure gestion cynégétique n’est pas en soi disproportionné par rapport à ce but » (§56).
« Le requérant n’étant pas un opposant éthique à la chasse, il n’y a pas eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole n°1 » (§57).
La Cour conclut alors en l’absence de violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole n°1.
Finalement, par cette décision, la Cour Européenne des Droits de l’Homme approuve les modifications apportées par la France aux règles définissant les territoires ne pouvant être soumis à l’action de l’ACCA suite à la décision Chassagnou et autres. Les dispositions contenues notamment aux 2°, 3° et 5° de l’article L.422-1, ne violent donc pas l’article 14 combiné avec l’article 1 du Protocole n°1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
Etienne POULIGUEN
Juriste Green Law Avocat